Lorsque j’ai rédigé mon premier avis pour cette cuvée 2025, j’étais parti avec l’idée de tout faire vite. Le rôle d’assesseur me tendait les bras et je voulais avoir une chance de pouvoir lire et critiquer dans les délais chaque AVH. Sauf que depuis, ces dernières ne se sont pas empilées, ce qui m’a laissé le temps de poster un retour conséquent pour
Projet Mercury ; et j’y voyais comme une sorte de goujaterie, à tout le moins d’impolitesse à l’égard de Flam pour n’avoir pas traiter
Au fond d’une bouteille de rhum avec la même exigence ; c’est chose faite.
Je ne reviendrais pas sur ce que j'avais déjà abordé, sauf sur un point : la ludicité. J'estime m'être trompé dans mon avis. Ce second, plus circonstancié, me permet donc de revenir dessus ; ce qui montre que parfois un avis à chaud n'est pas le meilleur des avis.
Normalement je m'adresserais à toi Flam à le seconde personne. Mais comme il m'a semblé que cet avis pouvait être également lu par d'autres, je me suis permis de te l'adresser à la troisième personne. J'espère que tu ne m'en tiendra pas rigueur.
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Comme de coutume, avec Flam, on est sûr de lire un texte solide et travaillé. Et cette aventure ne déroge pas à la règle. Sa prose nous offre de belles descriptions, parsemées ici ou là d’un vocabulaire tantôt recherché (patelle, tignon), tantôt dépaysant (tchiper, ayahuasca), avec quelques québécismes de bon aloi (brunante – nous dirions à la brune –, cogner des clous), le tout saupoudré de termes vaudous qui, pour le néophyte, savent s’auréoler de la dangerosité de l’interdit dont le lecteur soulèverait subrepticement le voile.
En ce qui concerne la narration proprement dite, Flam parvient à nous immerger dans la moiteur tropicale des jungles épaisses, des villes engourdies d’où suintent des corps crasseux exsudant leurs péchés et des rituels païens dégorgeant d’ichor et de sang, plongeant nos têtes au sein des miasmes véreux des consciences torturées. De ce point de vue,
Au fond d’une bouteille de rhum est une réussite.
À l’inverse, ses lignes de dialogues, malheureusement, pêchent par un effort trop visible : celui de vouloir absolument rendre piquant les échanges soi-disant tendus des deux protagonistes principaux de l’histoire.
Au lieu de cela, nous nous retrouvons à lire un ping-pong assez artificiel qu’une crudité des propos non seulement ne relève pas, mais qui au contraire génère un affadissement du texte en réduisant les personnages à des piques assez creuses. Pour le dire autrement, la mayonnaise ne prend pas et les dialogues, mécaniques, restent englués au niveau du projet sans parvenir à exister pour eux-même, tant dans la dynamique qu’ils sont censés apporter que dans la caractérisation des personnages.
Je reviendrai plus loin sur ce qui, peut-être, a pu provoquer cet encalminage du style.
J’en ai profité, puisque j’y étais, pour annoter le PDF : quelques 110 commentaires, du plus anecdotique, à la réflexion sur le sens de la narration, en passant par des louanges gratuites (un ou deux passages sont vraiment très bien amenés et écrits) ou des remarques de ponctuation. Je signale ici deux trois bricoles.
• Les diacritiques sur les mots étrangers : personnellement, j’aurais tendance à les éviter pour ce qui est des langues européenne, voire à les proscrire pour celles dont l’alphabet n’est pas le latin (c’est parfaitement déraisonnable d’écrire Tōkyō au lieu de Tokyo alors que les Japonais l’écrivent 東京). À quoi servent-ils pour un locuteur français qui ne maîtriserait pas ces langues ?
Alors oui, bien sur, en tant qu’Européen, on va comprendre et même être capable de prononcer certains diacritiques : cañon (canyon), Länder (lands), ångström (angstrœm)… Mais comment feriez-vous pour dire « dźwięk (polonais), la Lettre de Neacșu (roumain), ancóra e àncora (italien), país, cayó (espagnol) ou mladý muž, strč prst skrz krk (du tchèque, j’ai laissé les trois derniers vocables par taquinerie) » ? Vous tenterez probablement simplement une approximation à la française. Moi, je dirai quelque chose comme daka, alors que le signe diacritique représente une brève s’approchant de notre schwa (ə, comme dans « le ») et qu’il faudrait donc dire dake (avec en plus une pause entre la a et le k).
Ainsi, à moins de parler la langue et sans compter que les accents n’indiquent pas forcément une autre prononciation, mais parfois un rapport grammatical ou une discrimination homophonique, il me semble préférable pour la bonne lecture d’un texte qui s’adresse à tous, de n’employer que les diacritiques français.
Sans compter que je ne parle ici que du locuteur européen ; le francophone non européen n’aura sûrement pas les mêmes rapports avec des langues parlées sur un autre continent que le sien.
Il va de soi que si l’auteur cherche à marquer l’exotisme d’un vocable, à la lecture de hiéroglyphes, à l’écoute du parler étonnant d’un personnage, le recours aux diacritiques étrangers peut tout à fait se justifier.
• J’en profite pour rappeler qu’il est toujours préférable d’accentuer majuscules et capitales.
• Les règles sur la virgule : ici, une petite précision générale pour tout un chacun. Normalement, il n’y a jamais de virgule devant un pronom relatif introduisant une relative déterminative. Deux exemples tirés du portail linguistique du Canada : « les employés, qui ont obtenu une mutation, sont satisfaits » et « les employés qui ont obtenu une mutation sont satisfaits ». On ne dit pas la même chose.
• Les dialogues. Le discours direct ne se met normalement pas en italique (ce serait davantage des conventions de bande dessinée ou du théâtre). Plusieurs méthodes existent.
Je pense que pour les répliques d’esprit à esprit, le plus simple serait le cadratin, mais c’est vrai que l’italique est possible. Pourtant, ici (section 17), il soulève un problème. Nous avons deux interlocuteurs différents qui parlent à la première personne. L’italique permet de discriminer énonciation orale et énonciation
in petto. Mais pas qui dit quoi. J’ai mis quelques secondes à comprendre.
On peut ruser en mettant la première phrase de la description qui suit devant cette pensée. On assimile alors la pensée au dernier personnage mentionné. Ou bien on peut faire un retrait avec un cadratin, en conservant l’italique, pour bien montrer la rupture et que l’énonciateur change
• Majuscule et nationalité : d’une manière générale, presque toute les majuscules liées à la nationalité sont absentes. Pour faire simple, lorsque la nationalité renvoie à un substantif (un état) on mettra une capitale ; et lorsqu’elle renvoie à un adjectif (indique une qualité), on mettra une minuscule : un Créole exécute une danse créole.
• Les mesures anglaises : par pitié, bannissez ces horreurs infernales de vos textes, sauf si votre style copie un texte du XIX
e siècle à la Jules Verne (et encore). Outre leurs variétés (de quel pied ou miles parle-t-on), la conversion pour un Français relève de l’exploit : « Je vis un homme s’avancer vers moi. Il me toisait de ses six pieds quatre pouces » ; « Il y avait quelque chose comme sept miles et cinq yards que mon cheval et moi devions encore parcourir avant d’atteindre l’orée de la forêt et déjà, la nuit tombait ».
Alors, mmm... 6 pieds et 4 pouces, cela fait : 1 m 93, 1 m 94, 1 m 95 ou 1 m 96 ?
Et 7 miles et 5 yards : 10 km 830, 11 km 170, 11 km 410 ou 11 km 720 ?
Au fond d’une bouteille de rhum possède bien des ingrédients pour me séduire, dont le vaudou n’est pas des moindres. Étant meneur de jeu à Capitaine vaudou, houngan, vévé, bokor, wanga, loas et autre poteau mitan me sont familiers, tout comme l’environnement des Caraïbes, son climat, ses lieux, ses tragédies, les fièvres qui l’habite. Et je dois dire avoir été conquis.
Le challenge était difficile. En seulement 50 paragraphes, parvenir à faire ressentir au lecteur les villes coloniales sorties de terre, crasseuses, animées, belles et repoussantes, les endroits emblématiques comme le port, la maison de passe, le marché, donner couleurs et caractères aux autochtones et surtout nous offrir une réelle diversité des tableaux, des ambiances, relevait de la gageüre. Et je trouve que c’est un pari relevé. Nous ressentons le monde colonial, la mixité, la misère, la folie, le tourbillon des vies sans valeur, sans avenir… que pourtant, nous nous essayons de sauver.
La partie vaudou est vraiment efficace, même si j’aurai aimé un peu plus d’horreur, d’abominations impies marquantes à nous retourner l’estomac. On est à la lisière (la maison rouge) mais le frisson que l’on s’attendait à ressentir, pourtant, n’émerge finalement pas : le cimetière, l’attaque du marché, le serpent loa, sont bien posés, classiques, mais donnent presque l’impression d’être des figures imposées (attaque zombies, cliché du cimetière, boss de fin).
J’incrimine ici la forme du texte : une AVH, ce qui ne permet pas de prendre le temps pour poser les bases d’un mal poisseux et suintant qui s’insinuerait dans les interstices des liens sociaux comme de nos représentations. L’action, l’enquête, la survie sont privilégiées et finissent par mettre de la distance entre nous et l’atmosphère, réduisant la portée d’une ambiance
vaudouisante. Ce – très – léger bémol n’enlève rien à la peinture proposée.
On en arrive au seul vrai point faible, de mon point de vue, de cette histoire : les personnages. Alors le terme de point faible est à relativiser. Il est à mesurer à l’aune de ce qui précède. Ces personnages ne sont pas à la hauteur du style, de l’histoire, des enjeux.
C’est vrai qu’une introduction
in media res donne une énergie, du souffle dès le départ de l’histoire. Mais cela vient forcément empiéter sur la caractérisation des personnages qui dès lors ne peuvent plus exister que par touches impressionnistes – comprendre que cette entrée en matière est aussi une note d’intention de l’auteur : l’action et le rythme vont prédominer. Et le lecteur ne pourra se servir que des événements subis comme réalisés par les protagonistes, leurs lignes de dialogue et éventuellement leurs pensées, pour les cerner, pour se représenter ces personnages qui agissent devant lui.
Pour ce qui est de la réflexion intérieure, nous ne suivons que celle d’Endo Galán, et celles-ci tourbillonnent toujours autour de la même problématique : son sentiment de culpabilité. C’est suffisant pour le caractériser grossièrement, mais au bout d’un moment, on tourne en rond, on étouffe à ne ressentir que cela et dans le mauvais sens du terme : on n’éprouve pas celui du personnage, mais on s’agace à n’avoir que cela à se mettre sous la dent.
S’y ajoute la galerie des personnages, avec notamment Souamé et Qecha. Ce dernier est muet, donc les lignes de dialogue sont du ressort de la pantomime et des expressions faciales. Mais là encore, on tournicote, entre insultes et menaces ou menaces et insultes… Nous n’avons rien pour dire qui il est, ce qu’il pense, ce qu’il éprouve. Et cette remarque vaut pour Souamé qui ne fait acte de parole que pour invectiver le personnage principal ou répondre à une injure de notre part. On sent bien que Flam souhaitait créer une sorte de
buddy feeling entre Endo et Souamé, un duo de choc, complices comme l’eau et l’huile. Mais il faut plus qu’un ping-pong de répliques outrées pour délimiter une psychologie et une relation. Et c’est tout de suite évident lorsqu’au paragraphe 30, Souamé vient nous confier un secret. Là, l’alchimie fonctionne. Là, les personnages s’ouvrent, révèlent leurs fissures. Là, l’empathie opère, sur l’un des meilleurs – le meilleur ? – passage de cette AVH.
Ceci nous fait comprendre que le souci vient de la barque : elle est trop chargée.
À vouloir respecter un thème, le vortex, une ambiance mêlant enquête et vaudou, dans un registre oscillant entre horreur, action et
buddy feeling, couplés à une dizaine de lieux (9 me semble-t-il) et une galerie de personnage conséquente, il est normal de finir par se perdre.
Et c’est donc la caractérisation des personnages qui en pâtit. Bien qu’il n’y ait pas qu’un va-et-vient puisque le passé des deux protagonistes principaux finit par se rappeler à eux, c’est finalement cette impression qui l’emporte et qui donne à cette lecture un sentiment d’immaturité (des ces deux-là) et d’inaccompli (pour le lecteur qui sent bien qu’il y aurait bien plus à en découvrir).
Le scénario porte cette même ambition et j’ai redouté, encore une fois, que la barque ne s’enfonce... Que nenni. J’ai été particulièrement étonné de sa réussite. C’est pourtant particulièrement dense. Il fallait faire entrer dans le cadre des 50 sections un rituel vaudou mystérieux à l’origine inconnu – source de l’aventure, un personnage maudit à désenvoûter, un passé conflictuel à éclaircir, et un univers peu habituel à mettre en avant. Et cela fonctionne.
Alors, c’est franchement touffu et – forcément – des raccourcis, des ellipses et quelques facilités sont à relever. Mais sincèrement, c’est du détail qui n’est visible que lorsque l’architecture complète est dessinée. La densité du matériau fait disparaître la relative linéarité de l’intrigue et je trouve personnellement que c’est un très bon équilibre oscillant entre extérieur (le rituel vaudou) et intérieur (la malédiction).
Seul bémol : pourquoi Sarita nous jetterait-elle un sort qui va nous condamner si elle veut réellement que l’on retrouve les coupables des enlèvements ? C’est nous mettre des bâtons dans les roues et je n’en ai pas vraiment compris la raison.
J’ai trouvé la mécanique du jeu intéressante et originale. Avec une petite règle de rien du tout – permettre de relancer les dés – Flam crée une bonne tension de jeu et permet de démarquer son AVH du lot. J’apprécie vraiment l’effort réalisé pour éviter les règles classiques, ou la encore plus classique absence de règles et de dés. C’est une des données indispensables de la littéraction : jouer, mais dans le sens suivre des règles d’un jeu (pas jouer sans règle juste pour s’amuser). Et ici, cela prend bien. C’est vite maîtrisé, vite efficace.
On pourrait peut-être reprocher la facilité de réussite en terme de jeu puisque j’ai fini la partie test (celle après toutes les morts) avec 3 pv et 4 d’initiative. J’avais donc encore de la marge. Mais mettre une difficulté trop haute n’est pas forcément un gage de qualité : c’est ici la tension générée qui compte et non pas les points restant à la fin de la partie. Peut-être n’y a-t-il pas assez d’épreuves, seulement trois. Mais je chipote.
Ce qui donne au final une aventure très satisfaisante à jouquiner puisque malgré mes 8 morts, je pouvais toujours y revenir et refaire des choix nouveaux. Il est vrai que ce fut une hécatombe. J’ai dû à peu près choisir toutes les mauvaises routes avant de finalement trouver la bonne avec les bons codes. J’ai eu une malchance délirante aux dés, épuisant par deux fois ma réserve et trépassant suite à des combats devenus mortels.
Mais justement, cette suite de déboires montre que l’AVH est solide et tient ses promesses malgré les échecs. La ludicité est bien souvent un écueil que les mini AVH ont dû mal à gérer – elles sont intéressantes de une à trois fois, mais pas neuf fois de suite.
Seule l’architecture de l’ensemble pourrait porter le flanc à la critique : les zones à explorer sont issues d’une liste d’autorité. On accède à l’une d’entre elles et on doit faire un choix entre deux sections. Puis on part vers le prochain nœud et rebelote. Au début, c’est invisible, mais avec 9 lectures, cela devient flagrant. Ce n’est néanmoins pas un reproche, juste que cela finit par ce voir.
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Au final Flam nous livre une aventure ambitieuse, robuste et dépaysante, nous plongeant au cœur d’une conspiration vaudou dont la résolution, musclée, ne sauvera pas que ses victimes mais aussi notre personnage, en quête de rédemption. Le décor et les ambiances sont particulièrement bien rendus, l’action et le rythme entraînants, malgré des personnages souvent unidimensionnels dans leurs réactions et servis par des dialogues mécaniques qui ne parviennent pas à impliquer le lecteur. Plantant l’assise de l’aventure sur un système de jeu somme toute très classique, Flam réussit néanmoins par de petits ajustements malins et une architecture à tiroirs à conserver à son AVH rejouabilité et tension.
Une fort belle plongée dans l’univers des loas qui pourra servir d’introduction à celles et ceux ne connaissant pas le genre.