Arf ! C’est beau.
"La Pagode de Vent-Noir" est une œuvre qui dépasse les frontières du livre-jeu traditionnel pour atteindre une profondeur rare, presque méditative. Ce que je trouve admirable avec Manuro, c’est sa capacité à insuffler au genre interactif un véritable souffle poétique. C’est, par essence, risqué, fragile, délicat comme une aile de papillon, précaire tel un équilibriste suspendu sur son fil au-dessus du vide.
J’avais ressenti cette sensibilité profonde et touchante, à l’époque, dès les premières lignes des Sabres d’Asguenn. Mais ici, plus encore qu’ailleurs, Fitz (c
’est pratique d’avoir plusieurs pseudos pour éviter les répétitions) transcende l’aspect purement ludique pour offrir une expérience marquée par une incroyable humanité.
La pagode, si j’ai bien compris, n’est pas seulement une quête dans un cadre exotique : c’est une invitation au voyage, autant intérieur qu’extérieur. Les interactions entre les personnages, avec leurs failles, leurs doutes, et leurs élans sincères, confèrent une richesse au récit qui emplit l'histoire d’une charge émotionnelle. Ces échanges, souvent empreints de pudeur et de non-dits, que j’ai trouvé extrêmement crédibles et réalistes, ouvrent une fenêtre sur des âmes tourmentées, complexes, pathétiques (au sens tragique) parfois, mais profondément humaines. C’est cette contemplation des êtres, poussée ici à son paroxysme, qui marque le lecteur et le transporte, pour peu qu’on se laisse embarquer, bien au-delà des mécaniques du jeu.
Pas de héros infaillibles donc ici, mais des êtres fragiles qui se débattent avec leurs émotions et leurs doutes. Qui nous ressemblent.
Car oui, le revers de la médaille, c’est que cette attention portée aux relations et à l’introspection des personnages se fait parfois au détriment du jeu en lui-même. Les mécaniques, bien qu’efficaces, se mettent en retrait face à cette ambition narrative. Je comprends donc les feedbacks de certains joueurs qui expriment et ressentent une certaine distance avec le genre de littérature dont on fait ici la promotion !
Mais pour ma part, j’ai été totalement emporté par cette empathie qui se dégage de l’histoire. Loin de la pure stratégie ou de l’action, ce récit propose de ralentir, de contempler et de réfléchir.
Je ne sais pas si c’est notre période tourmentée, incertaine qui fait ça, mais j’y vois (et je me trompe sûrement) une certaine filiation entre Iacchos, L’Esprit de la Ruche et La Pagode. Dans des univers différents, avec des styles et des intentions propres, ces œuvres semblent poser des questions similaires sur la nature humaine et l’angoisse existentielle. Chacune, à sa manière, explore les failles de nos sociétés : Iacchos par sa mythologie dystopique (et ses dilemmes archétypaux) qui mêle contrôle technologique et critique de l’individu face à la masse ; L’Esprit de la Ruche, dystopie là encore, mais davantage oppressante, où le collectif étouffe l’identité individuelle (un peu à la 1984, forcément où La Ruche fait figure de Big Brother, mais de manière plus insidieuse en terme d’oppression, j’y reviendrais) ; et La Pagode de Vent-Noir, qui, dans un cadre plus contemplatif, interroge les liens humains et les répercussions des choix dans une quête intérieure.
À moins, bien sûr, que je ne parte en vrille et que je bâtisse des ponts scabreux !
Mais je trouve que ces AVH, bien que distinctes, partagent une ambition qui dépasse le simple cadre interactif. Elles interrogent, sous des prismes singuliers, des questions universelles : Qu’est-ce qui fait de nous des humains ? Comment résister à l’aliénation ? Comment trouver un sens face à l’angoisse de l’existence ? Peut-être est-ce un reflet inconscient de notre époque, mais elles semblent converger dans une critique sociale qui, malgré la noirceur (pafois) des univers qu’elles décrivent, nous pousse à chercher un espoir, une lumière.
Le cadre de la Pagode de Vent-Noir et ses paysages presque irréels participent à cette atmosphère. Ce n’est pas qu’un décor. On est dans davantage dans le symbole, une métaphore d’un voyage plus grand, qui cherche à nous transcender, à nous révéler lors d’une quête qui dépasse les frontières de la raison. L’auteur excelle à tisser un fil d’or entre les mondes visibles et invisibles, entre le tangible des lieux et l’intangible des âmes / des passions. Il nous rappelle que l’humanité réside avant tout dans notre capacité à nous connecter aux autres, à comprendre et à partager leurs souffrances.
La pagode comme l’incarnation de la lutte contre l’enfermement intérieur où comment se libérer de nous-même, de nos erreurs, de nos illusions !
Cette œuvre est une invitation à méditer et en cela c’est un «
Banger » (
mouhahaha). Sur le sens de nos choix, sur notre rapport aux autres et au monde, et sur cette capacité si humaine à chercher de la lumière même dans les ombres les plus épaisses.
C’est plus qu’un jeu : c’est un poème, une rêverie qui laisse une empreinte durable, une fois la lecture terminée.
Mon sac à dos est bouclé. Ne reste plus qu’à trouver ma Pagode à moi !