04/12/2022, 16:34
(Modification du message : 10/12/2022, 11:33 par Astre*Solitaire.)
Voilà une aventure que j’ai pris beaucoup de plaisir à lire. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il s’agit d’un coup de cœur, mais on n’en est pas loin. Pourtant, il m’a été très difficile de l’évaluer, car malgré des qualités indéniables, il y a quelques aspects qui résistent mal à l’analyse ; mais entendons-nous bien, il s’agit ici d’un avis qui décide d’être aussi sérieux avec le récit que ce récit l’est avec nous. C’est cette qualité même de l’aventure qui exige cette relative rigueur de mon retour. Au final, ce que je dis importe assez peu, puisque l’ensemble est excellent.
En raison des contraintes de temps, je n’ai pu lire que 76 % du Vecteur XX1 et de ses 248 paragraphes.
J’ai fait deux parties : une avec le profil littéraire où je suis mort quatre fois avant de parvenir au succès ; et une avec celui de la sportive où je suis mort trois fois (mais là, je l’ai cherchée, la mort, puisque je suis allé farfouiller dans des endroits potentiellement mortels).
Je pense néanmoins avoir vu le principal, même s’il m’a manqué le code Shocker et si je n’ai pas joué le profil scientifique.
Sans entrer dans des considérations lexicales, touffues, complexes et parfois volatiles, il me semble ici que nous avons affaire à un vrai récit d’anticipation, qui est une projection de notre monde contemporain dans un futur plus ou moins proche. Il n’est ni réellement dystopique (absence de totalitarisme ou de pessimisme engluant la société), ni véritablement de science-fiction, genre à la fois plus général et surtout bien plus déconnecté de notre quotidien qu’un récit d’anticipation. On pourrait en débattre, mais ce n’est pas vraiment le propos. Ce dernier est de définir la manière dont j’ai abordé le récit, comme une œuvre d’anticipation.
Et notre première porte d’entrée, c’est évidemment le style de l’auteur. Il y aurait beaucoup à dire sur les différentes focalisations, sur les glissements entre narrateur subjectif et narrateur objectif qui ne disent pas leur nom, ce qui nous renvoie à l’écart, la différence entre histoire et discours (monde sans énonciation, monde énoncé) et qui apporte l’une des dynamiques du récit.
Contentons-nous ici de relever la fluidité presque sans faute du texte, la maîtrise des descriptions (très rares furent les fois où je ne parvins pas à me représenter le monde décrit par Fitz), des émotions, de l’action.
Cherchons un premier bémol : on pourrait regretter que cette action, justement, soit moins enlevée qu’elle ne pourrait l’être, peut-être parce que le sens du descriptif déteint sur le mouvement, l’énergie, le choc des simultanés. Attention, la retranscription des péripéties demeure très bonne. Elle me semble peut-être seulement un peu en-deçà des descriptions et des dialogues. Ces derniers sont vivants, réalistes et parviennent à générer cet entraînement narratif si important au sein du récit. On pourrait regretter que, parfois, ils contaminent le descriptif, certains mots, propres à l’oral, venant échouer dans la trame du narratif tel un rocher isolé grinçant contre la coque d’un navire glissant sur une mer pourtant limpide.
Si les dialogues sont efficaces, leur mise en page est, par contre, à revoir, un regret pour les yeux et l’esthétique de la page. Je ne peux que conseiller encore et toujours de travailler la mise en page des dialogues selon les normes classiques de l’orthotypographie.
Pour en finir avec le style, je propose ici quelques remarques en passant. Elles ne sont que rarement prescriptives.
• Paragraphe 7 : « les plaintes émises par des dizaines de gorges angoissées » Cette synecdoque m’a semblé étrange parce qu’en français, souvent, gorge permet de retranscrire les émotions (ce qui est ici le cas, avec angoissées), mais pas la voix (les plaintes). Ce n’est pas incorrect, mais cela a chez moi provoqué une petite sortie du récit.
• Paragraphe 11 : « de mon anniv’ ». Je dis « annif ». « Et Bibi, aussi sec, d’inventer un thé chez maman, pour dames seules, à l’occasion de son annif. » — (Frédéric Dard, San Antonio : Turlute gratos les jours fériés, Éditions Fleuve Noir, 1995, chap. 14).
• Au paragraphe 16 : « Les effluves nauséabonds des vide-ordures qui débordent parachèvent mon calvaire et je finis par dégobiller mon petit-déjeuner sur le cadavre d’un rat éventré. » Léger problème de style en ce sens que l’ensemble, cette transition entre la déambulation en ville, le rendu de petit-déjeuner, puis le retour à l’appartement, me paraît être expédié, comme si ce n’était rien, comme si ma chaîne de vélo venait de salir le bas de mon pantalon. L’un comme l’autre (fait sérieux ou anecdotique) auraient peut-être gagné à avoir été soulignés.
Même paragraphe : « Une fois désaltérée et le goût acre parti de ma bouche ». Je trouve que ce n’est pas très élégant et j’aurais probablement inversé : « et le goût âcre dans ma bouche, parti ». Le soucis vient de partir de et de l’image d’un goût qui part de la bouche avec ce qui est, un goût qui part de « dans » la bouche.
• Paragraphe 17 : « La compagnie ferroviaire de l’ouest ». Ce n’était pas de l’Ouest ?
• Paragraphe 28 : « et qui résonne en conséquence douloureusement des conversations à tue-tête pour... ». À des fins de clarté, j’aurais inversé : « et qui en conséquence résonne... »
• Au paragraphe 26 : « J’avance dans l’un des douze sas individuels qui permettent d’accéder à l’intérieur du bâtiment aux murs en réflexiglas puis, pendant la vingtaine de secondes requises pour la reconnaissance faciale et le bilan sanitaire, tapote les parois connectées a la recherche des prochains départs. » Remettre le sujet, je tapote, parce que le premier je est vraiment loin.
• Paragraphe 32 : « part à 12H23 ». Valable pour toutes les heures : 12 h 23 (deux espaces et un h minuscule).
• Au paragraphe 53 : « Je l’entends sacrer pour ». Québécisme. En soi, je n’ai rien contre. Mais tout seul, perdu au milieu de ce grand texte, cela détonne.
• Paragraphe 70 : « Un trou de rongeur finit par me faire trébucher et je m’étale dans l’herbe fraîche, face en avant. Je me relève en tenant mon nez meurtri. Est-il cassé ? » Je ne sais pas pour toi, mais j’ai déjà couru sur un terrain en pente (même en montagne) et l’angoisse, ce n’est pas de tomber, mais de se tordre la cheville. C’est pour elle que je me serais inquiété, pas pour mon nez (sans importance en cas de fuite).
Même paragraphe : « J’aurais sans doute plus mal ». Maladroit, car la pensée s’apparentant parfois à de l’oral, on commence par comprendre une négation.
Toujours à ce paragraphe : « Aussi reprends-je ma descente ». Point déjà abordé, très lourd.
D’une manière générale, ce paragraphe (pas la section) devrait être revu. Il y manque la fatigue, l'essoufflement, la faim, la peur, etc... (Je quitte un peu les simples corrections.)
• Paragraphe 78 : « des nuances de jaunes ou de rouges inédites ». J’aurais laissé les couleurs au singulier, pour des nuances de couleur jaune, est inédites au pluriel, on parle des nuances.
Même paragraphe : « un bref instant avant que je sois brûlée vive. » J’aurais écris « que je ne sois », avec un ne explétif et la locution conjonctive avant que (pas obligatoire cependant).
• Paragraphe 83 : « C’est un miracle que l’électricité tient encore. » Un subjonctif m’eut semblé plus judicieux : tienne.
• Paragraphe 116 : « S’il y a 1% de chance ». Toujours une espace entre un nombre et le signe du pourcentage : 1 %.
• Paragraphe 131 : « d’une affluence suffisante. » Sémantique : je trouve le terme bizarre pour décrire le trafic routier, l’affluence évoquant quelque chose qui arrive en abondance, le trafic, qui s’écoule. Je pinaille.
• Paragraphe 142 : « Cette force étrange en moi. Celle qui parfois me permet d’anticiper des événements encore non accomplis. Ou bien qui m’invite a voir les pensées intimes de mes interlocuteurs. » Il manque ici a minima un verbe. On n’a aucun verbe directeur appartenant à une proposition principale. Dans certains cas, cela ne pose pas de problème. Mais comme ton style ne joue pas sur l’averbalité des phrases, cela ne me semble pas convenir.
• Enfin, au paragraphe 202 : « Un homme corpulent renverse un peu de son verre quand j’essaie de la dépasser pour ». Petite erreur de syntaxe : de le dépasser.
L’ambiance de ce texte en première lecture est excellente. J’étais très impliqué et je ressentais le stress, la pression, le danger. Et ce, dès le départ où, bien plus que le simple jeu de la perspective du narrateur, l’auteur nous place d’emblée dans une position inconfortable. D’ailleurs ce sentiment d’inconfort ne va faire que croître, grâce à une maîtrise redoutable de la tension. Celle-ci n’est pas totalement tenue de bout en bout (sur 250 paragraphes, c’est quand même sacrément difficile), mais elle parvient toujours à redémarrer, même si j’ai un gros gros bémol pour la dernière partie. On y reviendra.
La forme et le fond, les décors, les sentiments, l’environnement, le déroulement des événements, tout contribue à cette immersion au sein de ce monde d’anticipation et, une fois l’aventure refermée, elle continue de s’imposer à notre esprit, preuve de la réussite de l’auteur à nous entraîner dans son univers. Malheureusement, ce phénomène s’émousse fortement à la seconde lecture, dû au format et à une aventure trop linéaire.
Il y aurait vraiment beaucoup à dire sur les personnages. Ils ne sont pas simplement bien croqués, ils sont crédibles, ils font vrais. C’est une des très grandes forces de cette AVH. On y croit. Pourtant, cela génère un écueil, et pas des moindres : tout écart avec cette crédibilité, sans justificatif, est immédiatement sanctionné par le lecteur. C’est ainsi que deux points me posent problème.
Le premier, le plus important, est l’épilogue, qui non seulement ne me plaît pas (mais bon, ça, c’est un choix de l’auteur), mais surtout auquel je ne crois pas. Pour faire simple, Héléna se caractérise par deux comportements complémentaires et parfois contradictoires : la fuite et le besoin de protection. Elle fuit ses parents, la société qui veut qu’elle soit comme cela, les relations, elle-même. Mais elle ne peut s’empêcher de chercher, de demander de l’aide : vivre avec une colloc, se tourner vers son père, s’appuyer sur Valentin. Elle se met en danger (son père) ou les autres (Valentin) pour fuir ce même danger. Elle n’hésite pas (très peu) à garder Valentin à côté d’elle alors qu’il ne lui sert à rien, comme ancre émotionnelle et rassurante. Bref, Héléna est une personne tiraillée qui recherche une protection absolue pour un investissement personnel minimal. Or, cela ne cadre pas avec la décision qu’elle prend à la fin. Cela pourrait cadrer, mais ne cadre pas. Pour que ce dénouement fonctionne, il faudrait soit qu’on ait vu Héléna évoluer (elle renvoie Valentin chez lui par exemple), soit que la protection finale offerte lui semble contrebalancer craintes et désir de fuite. Mais ce n’est jamais souligné (ou, en tous les cas, je ne l’ai pas lu ainsi). Donc, de mon point de vue, la conclusion – comme l’architecture de la dernière partie – est à revoir.
Le second point est bien sûr Valentin. Le personnage fonctionne si l’on a dîné avec lui (cas de ma première lecture). Mais on n’y croit pas une seconde si l’on n’a pas déjà passé une soirée ensemble. Réconforter, accompagner au commissariat, à l’hôpital : O.K. Mais après, après s’être fait tiré dessus et poursuivit par des malabars, cela ne fonctionne que si le bonhomme, c’est Tom Cruise dans Night and Day. Il est d’ailleurs une coquille vide qui ne fait que suivre Héléna à droite, à gauche, sans jamais avoir d’impact réel sur les décisions à prendre. Il aurait donc dû ici y avoir plusieurs chemins pour permettre au personnage de vraiment exister.
Ce qui nous conduit au scénario, à l’histoire. Et il n’y a comme cause du soucis scénaristique qui nous occupe qu’une seule et unique raison : le manque de paragraphes. Ce saut dans notre futur proche est très impressionnant. Fitz a pensé à énormément de détails immersifs et criants de vérité. Mais condensés dans quelques 250 paragraphes, cela peut donner parfois l’impression, évoqué par certains, d’un catalogue. Je ne l’ai pas ressenti à la première lecture, car l’histoire était passionnante ; mais bien à la seconde où je me suis fait la réflexion suivante : « et ben, il y en a des moyens de transport différents dans le futur. »
Et ce soucis de paragraphes devient prégnant lorsque l’histoire à raconter demande de la place pour bien pouvoir se développer. Nous avons donc ici un tronc commun dont il est impossible de dévier : une soirée dangereuse, une fuite chez papa, une fuite de chez papa, une course-poursuite dans Lyon. Une linéarité problématique. Tous les écarts scénaristiques ne sont que des mini-boucles qui nous ramènent avec une nouvelle perspective, une nouvelle information sur le monde, un nouveau code, à la trame principale. Le scénario est très bon, le monde dans lequel il se déroule, foisonnant, passionnant, mais l’arborescence narrative patine, manque de puissance, de souffle et empêche d’accéder au grand angle auquel devrait avoir droit cet univers et ces personnages.
À cela, je dois rajouter un bémol personnel : je n’aime pas les courses-poursuites qui pour moi, dans 80 % des cas, sont du remplissage, parce que l’on a rien à raconter. Au final, le poursuivi s’échappe ou est arrêté. Je schématise et je force évidemment le trait. Une course-poursuite devrait donc être assez courte et avoir des conséquences qu’elle seule peut amener (la mort de Valentin par exemple). C’est pourquoi rapidement (une fois sorti du parc, quand j’ai compris que c’était l’acmé de l’histoire), j’ai arrêté de choisir, et j’ai toujours pris le dernier numéro proposé (ce qui m’a conduit au fond, tout au fond du complexe). Ce fut pour moi une assez vive déception au regard du reste de l’aventure. Et pour avoir rejoué cette dernière autrement, je n’ai pas finalement senti de différence significative.
Autre soucis : les poursuivants. Mais comment font-ils pour savoir toujours où nous sommes ? Dans le réel, c’est très difficile de poursuivre quelqu’un, surtout dans la foule, dans une grande ville. Ces trois personnes qui savent toujours où l’on se trouve, m’ont définitivement sorti de l’histoire. Cependant, pour nuancer, ce sont vraiment les seuls reproches que je peux adresser à cette aventure.
Les règles du jeu sont minimales et s’appuient sur quatre facteurs : un choix entre trois profils, une échelle de latence, des codes et des paragraphes facultatifs.
Le problème des profils est qu’ils ne sont pas impactants. Pour l’être, il faudrait que sans le profil sportif, on se fasse tuer ou capturer à l’hôpital, sans celui scientifique, on n’échappe pas à l’incendie, sans le profil littéraire, on ne gagne pas la confiance du papa (ce ne sont pas de bons exemples, mais c’est pour donner une idée). Néanmoins, pour empêcher le verrouillage du jeu, il aurait alors fallu démultiplier les pistes narratives. Il s’agit donc d’une bonne idée, mais dont l’emploi demeure malheureusement souvent anecdotique.
L’échelle de latence est, elle, bien plus intéressante, puisqu’elle influence le jeu, par phase. J’ai trouvé le dosage plutôt bon et il s’agit pour moi d’un des plus du jeu.
Les codes sont, eux, par contre, le cœur du système. Ce sont ces derniers qui architecturent la progression du personnage, le chemin emprunté, et parfois la vie ou la mort. J’en ai relevé 14, mais il y en a peut-être d’autres. Ils permettent d’ailleurs de faire des allers-retours entre les moments des paragraphes, comme la description de Valentin dont la place dans la chronologie dépend du code obtenu. Il s’agit donc de rouages essentiels.
Enfin, les paragraphes facultatifs, marqués des sceaux psi et phi, sont pour moi, encore une fois, une bonne idée. D’abord parce qu’ils représentent l’évolution du personnage. Ensuite parce qu’ils sont facultatifs : nous ne sommes pas obligés de les utiliser. Enfin, parce que bien conceptualisés, ils auraient permis une réel démultiplications des possibilités de jeu. Nonobstant cette réserve, il n’en demeure pas moins qu’ils ont un impact réel et peuvent faire la différence en fin de jeu (en mal ou en bien, comme cette fin lamentable dans les toilettes d’une péniche). Ils s’agit donc effectivement de règles utiles et utilisés et pas d’un détail cosmétique.
Mais il manque, d’après moi (et nous entrons lentement dans la ludicité), deux leviers pour rendre l’ensemble de ces règles minimalistes opérantes.
En premier lieu, une esthétique. Tout faire reposer sur l’alphabet grec me paraît à la fois austère et peu convainquant. On aurait pu avoir le symbole d’une basket, d’une plume à écrire, d’un atome (pas très original) pour signifier les aptitudes. De même que les facultés psychiques auraient mérité des symboles ouvrant davantage sur le rêve, voire le danger.
Puis il aurait fallu un couplage de tout cela, les facultés nouvelles démultipliant les possibilités des profils, les échelles de latence (que nous aurions eu à découvrir, à maîtriser) conditionnant les niveaux de réussite, rendant dès lors les routes empruntées essentielles à la réussite ou non de l’aventure.
On le voit à la lecture de ce qui vient d’être dit, si les règles peuvent se suffirent à elles-mêmes, leur mise en lien avec l’histoire pâtit d’un manque d’interconnectivité. Ou pour le dire autrement, la ludicité est le parent pauvre de cette AVH, ce qui se traduit d’ailleurs par une forte linéarité.
Pour conclure.
Si l’histoire, qui s’ancre dans un futur proche à la fois réaliste et vaguement angoissant – miroir des peurs de l’héroïne –, est particulièrement prenante ; si le style est au millimètre ; si les personnages et les situations sont convaincants, dynamiques : Vecteur XX1 souffre d'un manque d'espace. Cela conduit Fitz à concevoir des artifices scénaristiques (Valentin) et condamne l'aventure à une rejouabilité assez faible que ne vient malheureusement pas compenser les règles, insuffisamment étoffées et donc peinant à engendrer les répercussions attendues liées au développement de notre personnage.
En raison des contraintes de temps, je n’ai pu lire que 76 % du Vecteur XX1 et de ses 248 paragraphes.
J’ai fait deux parties : une avec le profil littéraire où je suis mort quatre fois avant de parvenir au succès ; et une avec celui de la sportive où je suis mort trois fois (mais là, je l’ai cherchée, la mort, puisque je suis allé farfouiller dans des endroits potentiellement mortels).
Je pense néanmoins avoir vu le principal, même s’il m’a manqué le code Shocker et si je n’ai pas joué le profil scientifique.
~*~
Sans entrer dans des considérations lexicales, touffues, complexes et parfois volatiles, il me semble ici que nous avons affaire à un vrai récit d’anticipation, qui est une projection de notre monde contemporain dans un futur plus ou moins proche. Il n’est ni réellement dystopique (absence de totalitarisme ou de pessimisme engluant la société), ni véritablement de science-fiction, genre à la fois plus général et surtout bien plus déconnecté de notre quotidien qu’un récit d’anticipation. On pourrait en débattre, mais ce n’est pas vraiment le propos. Ce dernier est de définir la manière dont j’ai abordé le récit, comme une œuvre d’anticipation.
~*~
Et notre première porte d’entrée, c’est évidemment le style de l’auteur. Il y aurait beaucoup à dire sur les différentes focalisations, sur les glissements entre narrateur subjectif et narrateur objectif qui ne disent pas leur nom, ce qui nous renvoie à l’écart, la différence entre histoire et discours (monde sans énonciation, monde énoncé) et qui apporte l’une des dynamiques du récit.
Contentons-nous ici de relever la fluidité presque sans faute du texte, la maîtrise des descriptions (très rares furent les fois où je ne parvins pas à me représenter le monde décrit par Fitz), des émotions, de l’action.
Cherchons un premier bémol : on pourrait regretter que cette action, justement, soit moins enlevée qu’elle ne pourrait l’être, peut-être parce que le sens du descriptif déteint sur le mouvement, l’énergie, le choc des simultanés. Attention, la retranscription des péripéties demeure très bonne. Elle me semble peut-être seulement un peu en-deçà des descriptions et des dialogues. Ces derniers sont vivants, réalistes et parviennent à générer cet entraînement narratif si important au sein du récit. On pourrait regretter que, parfois, ils contaminent le descriptif, certains mots, propres à l’oral, venant échouer dans la trame du narratif tel un rocher isolé grinçant contre la coque d’un navire glissant sur une mer pourtant limpide.
Si les dialogues sont efficaces, leur mise en page est, par contre, à revoir, un regret pour les yeux et l’esthétique de la page. Je ne peux que conseiller encore et toujours de travailler la mise en page des dialogues selon les normes classiques de l’orthotypographie.
Pour en finir avec le style, je propose ici quelques remarques en passant. Elles ne sont que rarement prescriptives.
• Paragraphe 7 : « les plaintes émises par des dizaines de gorges angoissées » Cette synecdoque m’a semblé étrange parce qu’en français, souvent, gorge permet de retranscrire les émotions (ce qui est ici le cas, avec angoissées), mais pas la voix (les plaintes). Ce n’est pas incorrect, mais cela a chez moi provoqué une petite sortie du récit.
• Paragraphe 11 : « de mon anniv’ ». Je dis « annif ». « Et Bibi, aussi sec, d’inventer un thé chez maman, pour dames seules, à l’occasion de son annif. » — (Frédéric Dard, San Antonio : Turlute gratos les jours fériés, Éditions Fleuve Noir, 1995, chap. 14).
• Au paragraphe 16 : « Les effluves nauséabonds des vide-ordures qui débordent parachèvent mon calvaire et je finis par dégobiller mon petit-déjeuner sur le cadavre d’un rat éventré. » Léger problème de style en ce sens que l’ensemble, cette transition entre la déambulation en ville, le rendu de petit-déjeuner, puis le retour à l’appartement, me paraît être expédié, comme si ce n’était rien, comme si ma chaîne de vélo venait de salir le bas de mon pantalon. L’un comme l’autre (fait sérieux ou anecdotique) auraient peut-être gagné à avoir été soulignés.
Même paragraphe : « Une fois désaltérée et le goût acre parti de ma bouche ». Je trouve que ce n’est pas très élégant et j’aurais probablement inversé : « et le goût âcre dans ma bouche, parti ». Le soucis vient de partir de et de l’image d’un goût qui part de la bouche avec ce qui est, un goût qui part de « dans » la bouche.
• Paragraphe 17 : « La compagnie ferroviaire de l’ouest ». Ce n’était pas de l’Ouest ?
• Paragraphe 28 : « et qui résonne en conséquence douloureusement des conversations à tue-tête pour... ». À des fins de clarté, j’aurais inversé : « et qui en conséquence résonne... »
• Au paragraphe 26 : « J’avance dans l’un des douze sas individuels qui permettent d’accéder à l’intérieur du bâtiment aux murs en réflexiglas puis, pendant la vingtaine de secondes requises pour la reconnaissance faciale et le bilan sanitaire, tapote les parois connectées a la recherche des prochains départs. » Remettre le sujet, je tapote, parce que le premier je est vraiment loin.
• Paragraphe 32 : « part à 12H23 ». Valable pour toutes les heures : 12 h 23 (deux espaces et un h minuscule).
• Au paragraphe 53 : « Je l’entends sacrer pour ». Québécisme. En soi, je n’ai rien contre. Mais tout seul, perdu au milieu de ce grand texte, cela détonne.
• Paragraphe 70 : « Un trou de rongeur finit par me faire trébucher et je m’étale dans l’herbe fraîche, face en avant. Je me relève en tenant mon nez meurtri. Est-il cassé ? » Je ne sais pas pour toi, mais j’ai déjà couru sur un terrain en pente (même en montagne) et l’angoisse, ce n’est pas de tomber, mais de se tordre la cheville. C’est pour elle que je me serais inquiété, pas pour mon nez (sans importance en cas de fuite).
Même paragraphe : « J’aurais sans doute plus mal ». Maladroit, car la pensée s’apparentant parfois à de l’oral, on commence par comprendre une négation.
Toujours à ce paragraphe : « Aussi reprends-je ma descente ». Point déjà abordé, très lourd.
D’une manière générale, ce paragraphe (pas la section) devrait être revu. Il y manque la fatigue, l'essoufflement, la faim, la peur, etc... (Je quitte un peu les simples corrections.)
• Paragraphe 78 : « des nuances de jaunes ou de rouges inédites ». J’aurais laissé les couleurs au singulier, pour des nuances de couleur jaune, est inédites au pluriel, on parle des nuances.
Même paragraphe : « un bref instant avant que je sois brûlée vive. » J’aurais écris « que je ne sois », avec un ne explétif et la locution conjonctive avant que (pas obligatoire cependant).
• Paragraphe 83 : « C’est un miracle que l’électricité tient encore. » Un subjonctif m’eut semblé plus judicieux : tienne.
• Paragraphe 116 : « S’il y a 1% de chance ». Toujours une espace entre un nombre et le signe du pourcentage : 1 %.
• Paragraphe 131 : « d’une affluence suffisante. » Sémantique : je trouve le terme bizarre pour décrire le trafic routier, l’affluence évoquant quelque chose qui arrive en abondance, le trafic, qui s’écoule. Je pinaille.
• Paragraphe 142 : « Cette force étrange en moi. Celle qui parfois me permet d’anticiper des événements encore non accomplis. Ou bien qui m’invite a voir les pensées intimes de mes interlocuteurs. » Il manque ici a minima un verbe. On n’a aucun verbe directeur appartenant à une proposition principale. Dans certains cas, cela ne pose pas de problème. Mais comme ton style ne joue pas sur l’averbalité des phrases, cela ne me semble pas convenir.
• Enfin, au paragraphe 202 : « Un homme corpulent renverse un peu de son verre quand j’essaie de la dépasser pour ». Petite erreur de syntaxe : de le dépasser.
*
L’ambiance de ce texte en première lecture est excellente. J’étais très impliqué et je ressentais le stress, la pression, le danger. Et ce, dès le départ où, bien plus que le simple jeu de la perspective du narrateur, l’auteur nous place d’emblée dans une position inconfortable. D’ailleurs ce sentiment d’inconfort ne va faire que croître, grâce à une maîtrise redoutable de la tension. Celle-ci n’est pas totalement tenue de bout en bout (sur 250 paragraphes, c’est quand même sacrément difficile), mais elle parvient toujours à redémarrer, même si j’ai un gros gros bémol pour la dernière partie. On y reviendra.
La forme et le fond, les décors, les sentiments, l’environnement, le déroulement des événements, tout contribue à cette immersion au sein de ce monde d’anticipation et, une fois l’aventure refermée, elle continue de s’imposer à notre esprit, preuve de la réussite de l’auteur à nous entraîner dans son univers. Malheureusement, ce phénomène s’émousse fortement à la seconde lecture, dû au format et à une aventure trop linéaire.
*
Il y aurait vraiment beaucoup à dire sur les personnages. Ils ne sont pas simplement bien croqués, ils sont crédibles, ils font vrais. C’est une des très grandes forces de cette AVH. On y croit. Pourtant, cela génère un écueil, et pas des moindres : tout écart avec cette crédibilité, sans justificatif, est immédiatement sanctionné par le lecteur. C’est ainsi que deux points me posent problème.
Le premier, le plus important, est l’épilogue, qui non seulement ne me plaît pas (mais bon, ça, c’est un choix de l’auteur), mais surtout auquel je ne crois pas. Pour faire simple, Héléna se caractérise par deux comportements complémentaires et parfois contradictoires : la fuite et le besoin de protection. Elle fuit ses parents, la société qui veut qu’elle soit comme cela, les relations, elle-même. Mais elle ne peut s’empêcher de chercher, de demander de l’aide : vivre avec une colloc, se tourner vers son père, s’appuyer sur Valentin. Elle se met en danger (son père) ou les autres (Valentin) pour fuir ce même danger. Elle n’hésite pas (très peu) à garder Valentin à côté d’elle alors qu’il ne lui sert à rien, comme ancre émotionnelle et rassurante. Bref, Héléna est une personne tiraillée qui recherche une protection absolue pour un investissement personnel minimal. Or, cela ne cadre pas avec la décision qu’elle prend à la fin. Cela pourrait cadrer, mais ne cadre pas. Pour que ce dénouement fonctionne, il faudrait soit qu’on ait vu Héléna évoluer (elle renvoie Valentin chez lui par exemple), soit que la protection finale offerte lui semble contrebalancer craintes et désir de fuite. Mais ce n’est jamais souligné (ou, en tous les cas, je ne l’ai pas lu ainsi). Donc, de mon point de vue, la conclusion – comme l’architecture de la dernière partie – est à revoir.
Le second point est bien sûr Valentin. Le personnage fonctionne si l’on a dîné avec lui (cas de ma première lecture). Mais on n’y croit pas une seconde si l’on n’a pas déjà passé une soirée ensemble. Réconforter, accompagner au commissariat, à l’hôpital : O.K. Mais après, après s’être fait tiré dessus et poursuivit par des malabars, cela ne fonctionne que si le bonhomme, c’est Tom Cruise dans Night and Day. Il est d’ailleurs une coquille vide qui ne fait que suivre Héléna à droite, à gauche, sans jamais avoir d’impact réel sur les décisions à prendre. Il aurait donc dû ici y avoir plusieurs chemins pour permettre au personnage de vraiment exister.
*
Ce qui nous conduit au scénario, à l’histoire. Et il n’y a comme cause du soucis scénaristique qui nous occupe qu’une seule et unique raison : le manque de paragraphes. Ce saut dans notre futur proche est très impressionnant. Fitz a pensé à énormément de détails immersifs et criants de vérité. Mais condensés dans quelques 250 paragraphes, cela peut donner parfois l’impression, évoqué par certains, d’un catalogue. Je ne l’ai pas ressenti à la première lecture, car l’histoire était passionnante ; mais bien à la seconde où je me suis fait la réflexion suivante : « et ben, il y en a des moyens de transport différents dans le futur. »
Et ce soucis de paragraphes devient prégnant lorsque l’histoire à raconter demande de la place pour bien pouvoir se développer. Nous avons donc ici un tronc commun dont il est impossible de dévier : une soirée dangereuse, une fuite chez papa, une fuite de chez papa, une course-poursuite dans Lyon. Une linéarité problématique. Tous les écarts scénaristiques ne sont que des mini-boucles qui nous ramènent avec une nouvelle perspective, une nouvelle information sur le monde, un nouveau code, à la trame principale. Le scénario est très bon, le monde dans lequel il se déroule, foisonnant, passionnant, mais l’arborescence narrative patine, manque de puissance, de souffle et empêche d’accéder au grand angle auquel devrait avoir droit cet univers et ces personnages.
À cela, je dois rajouter un bémol personnel : je n’aime pas les courses-poursuites qui pour moi, dans 80 % des cas, sont du remplissage, parce que l’on a rien à raconter. Au final, le poursuivi s’échappe ou est arrêté. Je schématise et je force évidemment le trait. Une course-poursuite devrait donc être assez courte et avoir des conséquences qu’elle seule peut amener (la mort de Valentin par exemple). C’est pourquoi rapidement (une fois sorti du parc, quand j’ai compris que c’était l’acmé de l’histoire), j’ai arrêté de choisir, et j’ai toujours pris le dernier numéro proposé (ce qui m’a conduit au fond, tout au fond du complexe). Ce fut pour moi une assez vive déception au regard du reste de l’aventure. Et pour avoir rejoué cette dernière autrement, je n’ai pas finalement senti de différence significative.
Autre soucis : les poursuivants. Mais comment font-ils pour savoir toujours où nous sommes ? Dans le réel, c’est très difficile de poursuivre quelqu’un, surtout dans la foule, dans une grande ville. Ces trois personnes qui savent toujours où l’on se trouve, m’ont définitivement sorti de l’histoire. Cependant, pour nuancer, ce sont vraiment les seuls reproches que je peux adresser à cette aventure.
*
Les règles du jeu sont minimales et s’appuient sur quatre facteurs : un choix entre trois profils, une échelle de latence, des codes et des paragraphes facultatifs.
Le problème des profils est qu’ils ne sont pas impactants. Pour l’être, il faudrait que sans le profil sportif, on se fasse tuer ou capturer à l’hôpital, sans celui scientifique, on n’échappe pas à l’incendie, sans le profil littéraire, on ne gagne pas la confiance du papa (ce ne sont pas de bons exemples, mais c’est pour donner une idée). Néanmoins, pour empêcher le verrouillage du jeu, il aurait alors fallu démultiplier les pistes narratives. Il s’agit donc d’une bonne idée, mais dont l’emploi demeure malheureusement souvent anecdotique.
L’échelle de latence est, elle, bien plus intéressante, puisqu’elle influence le jeu, par phase. J’ai trouvé le dosage plutôt bon et il s’agit pour moi d’un des plus du jeu.
Les codes sont, eux, par contre, le cœur du système. Ce sont ces derniers qui architecturent la progression du personnage, le chemin emprunté, et parfois la vie ou la mort. J’en ai relevé 14, mais il y en a peut-être d’autres. Ils permettent d’ailleurs de faire des allers-retours entre les moments des paragraphes, comme la description de Valentin dont la place dans la chronologie dépend du code obtenu. Il s’agit donc de rouages essentiels.
Enfin, les paragraphes facultatifs, marqués des sceaux psi et phi, sont pour moi, encore une fois, une bonne idée. D’abord parce qu’ils représentent l’évolution du personnage. Ensuite parce qu’ils sont facultatifs : nous ne sommes pas obligés de les utiliser. Enfin, parce que bien conceptualisés, ils auraient permis une réel démultiplications des possibilités de jeu. Nonobstant cette réserve, il n’en demeure pas moins qu’ils ont un impact réel et peuvent faire la différence en fin de jeu (en mal ou en bien, comme cette fin lamentable dans les toilettes d’une péniche). Ils s’agit donc effectivement de règles utiles et utilisés et pas d’un détail cosmétique.
Mais il manque, d’après moi (et nous entrons lentement dans la ludicité), deux leviers pour rendre l’ensemble de ces règles minimalistes opérantes.
En premier lieu, une esthétique. Tout faire reposer sur l’alphabet grec me paraît à la fois austère et peu convainquant. On aurait pu avoir le symbole d’une basket, d’une plume à écrire, d’un atome (pas très original) pour signifier les aptitudes. De même que les facultés psychiques auraient mérité des symboles ouvrant davantage sur le rêve, voire le danger.
Puis il aurait fallu un couplage de tout cela, les facultés nouvelles démultipliant les possibilités des profils, les échelles de latence (que nous aurions eu à découvrir, à maîtriser) conditionnant les niveaux de réussite, rendant dès lors les routes empruntées essentielles à la réussite ou non de l’aventure.
On le voit à la lecture de ce qui vient d’être dit, si les règles peuvent se suffirent à elles-mêmes, leur mise en lien avec l’histoire pâtit d’un manque d’interconnectivité. Ou pour le dire autrement, la ludicité est le parent pauvre de cette AVH, ce qui se traduit d’ailleurs par une forte linéarité.
Pour conclure.
Si l’histoire, qui s’ancre dans un futur proche à la fois réaliste et vaguement angoissant – miroir des peurs de l’héroïne –, est particulièrement prenante ; si le style est au millimètre ; si les personnages et les situations sont convaincants, dynamiques : Vecteur XX1 souffre d'un manque d'espace. Cela conduit Fitz à concevoir des artifices scénaristiques (Valentin) et condamne l'aventure à une rejouabilité assez faible que ne vient malheureusement pas compenser les règles, insuffisamment étoffées et donc peinant à engendrer les répercussions attendues liées au développement de notre personnage.
Goburlicheur de chrastymèles