La série française de la Voie du Sabre est dirigée par Doug Headline (Prêtre Jean, Sindbad, Superpouvoirs...) mais il n'a pas rédigé ces LDVELH qui sont le fait de deux autres écrivains. Le thème est l'extrême-orient médiéval-fantastique. Comme dans la Saga du Prêtre Jean, l'aspect historique se mêle étroitement au surnaturel. Ainsi, le héros évolue au Japon et les noms géographiques sont ceux de villes existantes. On y évoque la guerre de Corée, la Chine, la Mongolie, etc... Mais à côté de ça, les phénomènes surnaturels sont innombrables, les monstres courants et la magie omniprésente.
Autre point commun avec Prêtre Jean, le ton est fréquemment mâtiné d'humour burlesque.
C'est cette ambiance très particulière qui fait le charme de la série. Les auteurs ont voulu insuffler un esprit véritablement asiatique à cet univers et y ont réussi. Les créatures, les évènements et la philosophie sont typiques des légendes extrême-orientales : des kami à foison, des leçons de morale à tout bout de champ, des phénomènes surnaturels inexplicables et qui resteront inexpliqués, comme pour ajouter à l'humilité et au flegme du personnage central, un onirisme constant comme ces mondes parallèles cachés au fond de lacs ou derrière des portiques ; et bien sûr, ce code d'honneur ultra-rigoureux qui place l'amour-propre au-dessus de toutes les autres qualités morales.
Cela change totalement des mythes d'heroïc-fantasy à l'européenne, pétris de manichéisme, de faits glorieux et de trésors à récupérer (que ce soit une princesse ou une montagne de bijoux).
Cette nouveauté est extrêmement séduisante et immersive, tout en témoignant d'un savoir et d'un amour des auteurs pour cet univers décalé (à nos yeux occidentaux). Mais cet aspect m'a également beaucoup déstabilisé. On n'a aucun repère habituel par rapport à une aventure fantastique classique et certains passages paraissent abusés tellement ils brillent par leur étrangeté ou tant ils sont inattendus. Autant les mondes cachés dans des endroits improbables m'ont séduit, autant les irruptions incessantes de créatures arrivant à point nommé (les fourmis volantes, les hommes-oiseaux) ou de manière improbable (les crocodiles même si le narrateur précise en effet qu'ils n'ont rien faire au Japon) m'ont laissé un sentiment de trop-plein.
De même, certaines rencontres semblent n'avoir pour but que de délivrer un message philosophique ou mystique (la table aux victuailles, la traversée du monde-parchemin, les masques d'acteur du voyageur et tant d'autres). Des fois ça passe bien, d'autres fois moins car le sens caché semble gratuit, comme pour mystifier sans raison le lecteur).
C'est un reproche diffus, compliqué à expliquer. Un sentiment ressenti à maintes reprises au cours de l'aventure, peut-être exclusivement personnel et qui ne touchera pas les autres.
Il s'agit d'un LDVELH qui brille par sa richesse (447 paragraphes globalement assez longs) en proposant une foule de péripéties originales, surtout dans sa première partie.
Nous sommes Yasaka, un samouraï devenu ermite qui reprend du service pour accomplir une quête d'inspiration divine : retrouver la cité ancestrale du Japon afin de lui redonner sa splendeur passée. Le pays est en effet divisé par les guerres internes et y règne le chaos, le brigandage et la décadence morale.
Au début, il nous faut donc récupérer nos armes avant de rencontrer par hasard un seigneur local non perverti par la soif de pouvoir et de richesses qui règne à présent chez les nobles. Cette première phase propose une liberté d'action très forte, avec de nombreux chemins possibles, des situations détaillées et pas toujours évidentes à trouver (quel dommage de passer si souvent à côté du monde-parchemin), des passages cachés, des adversaires en tout genre mais aussi des rencontres au contraire très pacifiques. Cette première partie est très hétéroclite, avec un aspect quelque peu fourre-tout, mais demeure néanmoins divertissante car les temps morts sont rares et les relectures proposent à chaque fois de nouvelles aventures.
Tout devient plus linéaire à partir de la rencontre avec le seigneur local, moment-clé de l'histoire. Si auparavant on évoluait sans véritable but, le scénario prend alors quelque consistance avec cette mission qui nous échoit de récupérer le sceau avant l'attaque de l'usurpateur. Il est même question d'un traître, d'assassins lancés à nos trousses, les exactions cruelles du méchant sont décrites avec réalisme pour nous insuffler un sentiment de vengeance. Bref, l'histoire gagne en épaisseur ce qu'elle perd en variété de chemins possibles.
La structure du livre est donc assez particulière mais pas déplaisante puisque elle propose deux aspects qui se complètent bien. Comme la linéarité est faible au début et plus forte à la fin, l'alchimie est très efficace dans le cadre des nouvelles tentatives.
Et des essais multiples, il y en aura pourvu que l'on essaie de respecter les règles du jeu.
La difficulté est bien équilibrée pour la longueur du bouquin et par rapport à sa faible linéarité générale. Il n'est pas difficile de terminer l'aventure car aucun objet ou indice n'est indispensable mais les PFA sont assez nombreux, tout comme les possibilités de perdre la vie suite à un mauvais choix, sans lancer de dés pour nous sauver. Quant à la perte par points d'Endurance réduits à 0, elle arrive régulièrement vu que les possibilités d'en regagner sont rares et que le combat final est bien ardu. A ce propos, difficile de gagner l'aventure sans des scores supérieurs à la moyenne en sabre long à cause de ce dernier duel. Même s'il existe des moyens d'augmenter ces totaux au cours de l'aventure.
L'aspect ludique n'est pas déplaisant mais très imparfait, comme dans toutes les autres séries dirigées par Doug Headline malheureusement.
Pas déplaisant car les choix à faire sont variés, ne débouchent pas souvent sur des morts injustes et que les possibilités tactiques lors des rencontres à risque sont nombreuses (la longue séquence face aux ninjas est à ce titre excellente). Mais concrètement, les combats sont dirigés par des règles terriblement bancales.
Nous disposons de scores d'attaque et de défense pour 7 techniques de combat différentes, selon que l'on utilise un sabre long, un sabre court, une lance, etc... Tout ceci est très appétissant pour tout joueur qui se respecte mais tourne finalement au jus de boudin.
Déjà, les armes diverses, arts martiaux, le sable XL, l'arc ou les lances sont sous-utilisés par rapport aux sabres long et court. La technique ichi est tellement efficace qu'on aurait pu se dispenser d'indiquer les caractéristiques des adversaires et de lancer les dés.
Mais surtout, les combats peuvent vite devenir fastidieux, voire injouables, si votre score de Défense est élevé et votre score d'Attaque trop faible. On arrive alors à des situations où les protagonistes se touchent très difficilement en se causant que des dégâts minimes (lancers de dés innombrables à prévoir et combat qui dure des plombes, pire que dans un Loup Ardent, si, si...) et dans un cas extrême (genre 2 en attaque et 12 en défense face à un adversaire qui a 7 et 7), on peut envisager un combat où les assaillants ne peuvent jamais se blesser! Les auteurs ont-ils vraiment testé leurs règles?
Quant à l'Honneur qui ne doit pas tomber trop bas (comme dans le DF l'Epée du Samouraï), il est inutile. Les pertes d'Honneur sont rarissimes.
Dommage que les règles ne tiennent pas la route sinon ce LDVELH aurait frisé l'excellence. Il reste malgré cela original, divertissant et intelligent.
La plume n'est pas extraordinaire mais suffisamment bonne pour immerger le lecteur dans l'ambiance exotique de ce Japon à la sauce fantasy. Les illustrations sont assez nombreuses, de qualité inégales mais proposant quelques jeux d'ombre et de lumière étonnants. Elles sont globalement assez sombres. Celle du lombric géant face à Yasaka m'a entre autres beaucoup plu. Le héros est d'ailleurs fréquemment représenté (comme dans le Prêtre Jean) même si ses traits n'ont rien de remarquable.
J'allais oublier un point essentiel! Ce livre est truffé d'erreurs de renvoi. Pire que dans l'Horreur dans la Vallée! C'est très pénible et ça sent désagréablement l'amateurisme.