Livres-jeux sur Rôliste TV
#1
Discussion livres-jeux entre Rôliste TV, shamutanti, MarkTwain et Ayms. Je crois que cette émission devient un rendez-vous annuel pour faire un point sur l'actualité des livres-jeux maintenant.

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#2
Merci pour le partage, j’ai beaucoup aimé cette émission, vue en podcast. Intervenants clairs et passionnés, un bon moment bien animé, ça m’a fait ma soirée !

Il y a un point qui m’a interpellé (car c’est à mon avis le principe fondamental de la construction de l’émotion, du souvenir), lorsque plusieurs des invités (notamment Mark) évoquent l’aspect contextuel lié à la découverte des LDVELH (et Laurent « Shamutanti » aussi). Je crois beaucoup à ça. Au moment. Pour moi, une œuvre (littéraire, musicale, picturale, n’importe quelle création artistique d’ailleurs) demeure la rencontre insécable entre trois composantes : le créateur de l’œuvre, l’observateur (lecteur, joueur, auditeur, spectateur…) et un contexte « environnemental ». Dans cette dernière composante, j’y mets un ensemble de choses qui peuvent paraitre très subjectives et qui vont de l’état émotionnel de celui qui « reçoit » l’œuvre à « l’environnement du moment » au sens large (familial, politique, social, sociétal…). Il existe aussi surement une fraction plus indéfinissable. Le tout forme un assemblage précis, plus ou moins harmonieux et durable, détermine en fait si la rencontre a lieu, ou pas (j’occulte pour diverses raisons des éléments purement factuels comme la technique, le style, etc). En d’autres termes, comment s’organisent notre construction émotionnelle et par extension l’élaboration du souvenir ? Comment arrive-t-on à la conclusion qu’une œuvre nous a plu, ou pas ? Notre jugement est-il parfaitement lié à nos envies, nos gouts ou il y a-t-il une partie de l’équation qui nous échappe complément, car extérieure à nous (l’environnement) donnant à l’existence même une dimension aléatoire vertigineuse.

Le souvenir, c’est l’empreinte de cette émotion quelque part dans notre cerveau. À un moment, dans le chat de cette vidéo, Paragraphe 14 évoque un LDVELH qu’il a relu récemment, des années après l’avoir découvert (et apprécié à l’époque) et ne cache pas désormais sa désillusion.  C’est exactement ça.  Son souvenir de lecture est bien lié à une émotion particulière et unique qui l’a rendue très plaisant dans un contexte passé et précis (émotionnel, environnemental), mais désormais, il ne reste que l’objet littéraire, nu, débarrassé de son aura, laissant les défauts, invisibilisés à l’époque, se révéler en plein jour.

Les trois composantes que j’évoquais ne sont pas toujours réparties de la même manière (n’ont pas le même poids à chaque fois, ce n’est pas 1/3 1/3 1/3). Mais c’est parfois contre-intuitif de se dire que nos gouts, le fait qu’on apprécie une œuvre, comporte quelque chose d’aléatoire, de non maitrisable et de parfaitement intuitif (car lié à l’émotion et l’environnement). En fait, on ne sollicite que très rarement le côté réflexif du cerveau, alors qu’on pourrait croire que c’est lui qui est en toute occasion éveillé et invité sur l’autel de la conscience afin de juger avec rigueur et objectivité un fait, une œuvre.

Je pourrai regarder 50 fois « Heat » et trouver ce film toujours aussi badass. J’ai un vague souvenir de l’avoir vu au cinéma, mais j’aime ce film pour ce qu’il est. Il y a en revanche des morceaux de musique que je n’écoute plus, mais si j’entends quelques notes, je sais exactement ce que je faisais, pensais où vivais la première fois que je les ai découverts. Et ça ouvre souvent une boite à souvenirs qu’on croyait close.

La plupart des LDVELH, je les ai lus au cours des années 80, dans un contexte familial bien particulier. Je me souviens de l’émotion que j’éprouvais en les lisant, de la porte de sortie que ça m’offrait et la stimulation exacerbée de l’imaginaire que ça générait. Mais je n’en ai relu presque aucun depuis. Pire, et j’ai dû raconter ça à Fitz en buvant un rhum (peut-être), je n’ai jamais terminé les « Loup Solitaire », série que je j’affectionnais pourtant plus que tout. Ils sont tous là dans ma bibliothèque et malgré ça, je me suis arrêté à la fin du 11ème tome ! Je me dis, « j’ai encore le temps ». En fait ça va au-delà. Je me persuade que si je termine la série, alors je refermerai le chapitre de cette partie de mon enfance/adolescence. Ainsi elle s’éteindra à jamais et deviendra justement un souvenir qui au fil des ans sera de plus en plus confus, indéfinissable. Mais ce n’est qu’illusion. Je suis sûr que l’adulte vieillissant que je suis devenu trouverais la lecture des tomes restant de la série vraiment fade ! la magie d’alors a sans doute disparue. Mieux vaut ne pas gâcher l’espoir, laisser dans les pages et les paragraphes de la "Traversée Infernale" toute la joie et l’émotion que j’y avais projetées !

Peut-être passe-t-on notre temps à tenter de revivre des émotions passées en ressayant désespérément les mêmes choses, et on n’y parvient pas (ou rarement). C’est pour cela que si c’est compliqué d’exister uniquement dans le moment présent. Parce qu’on occulte que tout évolue, bouge autour de nous, en nous. Que le contexte n’est plus le même désormais et ne sera plus jamais le même. La nostalgie, la mélancolie c’est un peu l’enfance qui s’enfuit et qu’on ne rattrapera pas.

Je me demande souvent comme j’apprécierai de lire par exemple « Le Seigneur des anneaux » si je devais le découvrir pour la première fois aujourd’hui, dans l’époque et le contexte actuel (après les films, les jeux et toute l’exploitation médiatique). Est-ce que je prendrai la même claque magistrale qu’en étant adolescent en 1987 ? Il me faudrait bien admettre que je ne suis plus le garçon de 14 ans qui pousse la porte de cette petite librairie qui vient d’ouvrir en ville, un exemplaire de Bilbo le Hobbit à la main et qui demande innocemment au gardien des lieux si ce Monsieur Tolkien a écrit « autre chose" ! De voir son visage s’illuminer et d’une main sure prendre trois tomes dans des rayonnages…
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#3
mon cher Gwalch, je rebondis pour abonder en ton sens
en suivant cette vidéo hier soir, et en relevant comme toi cette remarque très pertinente, comme une évidence, de paragraphe14, est remonté d'emblée ce souvenir de ma découverte des ldvelh, la Traversée infernale, et des énormes claques que j'ai reçues en le dévorant en un après-midi
ce deuxième tome de Loulou Soso venait de paraître, j'avais donc 13 ans, et il a été le premier d'une ample collection dans ma bibliothèque, tant j'ai adoré les différentes séries proposées et leurs univers respectifs (sauf les DF, trop courts pour mon goût)
puis, durant ma vingtaine, j'ai revendu, donné, dispersé cette collection, car je ne relisais plus ces volumes (eh oui, j'avais acheté un PC...)
et puis, je ne retrouvais déjà plus cette saveur, cette madeleine des débuts... j'étais passé à autre chose, j'aurais... grandi ? évolué ?

il y a quelques années, j'ai déniché sur T411 cette collection de PDF de la grosse majorité des ldvelh Gallimard, plus deux ou trois séries tronquées d'autres éditions (prêtre Jean, par exemple) que je me suis empressé de télécharger avec un sourire gourmand : j'avais de nouveau envie d'y jouer et j'en étais très content, j'allais retrouver cette saveur si particulière de mon adolescence, cette fébrilité, cette liberté !
et puis... non
même la Traversée infernale m'a semblé fade... pas naze comme le troisième cycle de Loulou, mais... fade (ces temps-ci, j'arrive même pas à avoir envie de finir le tome 21)
bien sûr, j'ai eu plaisir, mais sans excès, à rejouer Sorcellerie, les Brennan, les chroniques crétoises, les portes interdites et autres, mais l'expérience est, pour moi, globalement plus frustrante que ludique et savoureuse

en fait, je crois que ces livres historiques étaient plutôt des jeux imprimés, sans littérature, adressés aux ados : nous découvrions de nouveaux mondes imaginaires en y étant intégrés, c'était tellement nouveau et rafraîchissant !
et je fais maintenant une comparaison avec ce qui se trouve sur Litteraction : voilà, ce me semble, ce qui devrait réellement être les ldvelh véritablement historiques !
règles, histoires, styles, univers, maturité, travail des auteurs, minutie, équilibrage : voilà des auteurs qui devraient être connus et reconnus, qui devraient vivre de leur art, voilà de vrais livres-jeux, voilà ce que j'aime lire et jouer du haut de mes 51 ans
j'aurais... grandi ? évolué ?

oui, l'émotion, oui, l'environnement, oui, l’œuvre, et oui aussi, et surtout, le cheminement du spectateur, son expérience, son vécu, ses attentes, ses aspirations
durant ma jeunesse, j'ai lu au moins cinq ou six fois l'Odyssée, alors que j'ai mis trente ans au bas mot pour réussir à finir une fois l'Iliade : aujourd'hui, je considère (personnellement) que ce dernier est autrement meilleur que l'autre
j'ai mis des années à m'accaparer Frank Zappa et King Crimson, alors que je ne supporte plus Téléphone

oui, j'ai sûrement grandi ou, tout du moins, évolué
mais c'est pas ça qui est génial, après tout !?! car heureusement, subsistent la curiosité, la recherche et l'ouverture d'esprit
Le trolley part, minou !
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#4
L'émission part pour parler de résurgence, mais elle en vient aussi effectivement à parler des expériences de chacun. Le témoignage de Ayms est intéressant, notamment en mettant en avant sur une perspective où il n'y aurait pas tant de discontinuité que ça. Il y a bien eu un déclin durant la première moitié des années 90, mais la flamme ne s'est jamais tout à fait éteinte. C'est une perspective bien plus sympathique que celle de mort et résurrection.

Concernant ce que tu soulèves Gwalchmei, je suis d'accord avec toi, et je dirais que c'est encore plus marqué dans le cadre d'œuvre littéraire que dans celui de l'audiovisuel, du cinéma, ou même de la musique. Car la construction de l'expérience se fait à partir des connaissances du lecteur, qui pourrait être une quatrième composante de l'expérience de lecture (ou une partie très importante de la troisième, le contexte). Une foret comme la forêt des Ténèbres ou celles qui parsèment les collines de Shamutanti, ou encore les forêts de la terre du milieu ressemblaient aux quelques bois et parcs qui parsemaient les environs de ma maison d'enfance et de mon école en zone périurbaine, pas aux forêts primaires de la Nouvelle-Zélande. Pareil pour les villes médiéval, la ville de Provins que j'avais visité avec mon école était le template de toutes les villes visitées lors de mes aventures littéractives.

Maintenant, aujourd'hui j'ai d'autres références, d'autres inspirations, d'autres visions pour reconstruire les univers à partir des plans que sont les descriptions imaginaires, que ce soient celles lapidaires des Défis Fantastiques ou celles bien plus étoffées d'un Tolkien. Et je pense qu'un enfant d'aujourd'hui aura, lui aussi, plus de références visuelles que je n'en avais au même âge, tant nous sommes inondés d'images variées, entre le cinéma, les séries et les jeux vidéos.

Citation :Je me demande souvent comme j’apprécierai de lire par exemple « Le Seigneur des anneaux » si je devais le découvrir pour la première fois aujourd’hui, dans l’époque et le contexte actuel (après les films, les jeux et toute l’exploitation médiatique). Est-ce que je prendrai la même claque magistrale qu’en étant adolescent en 1987 ? Il me faudrait bien admettre que je ne suis plus le garçon de 14 ans qui pousse la porte de cette petite librairie qui vient d’ouvrir en ville, un exemplaire de Bilbo le Hobbit à la main et qui demande innocemment au gardien des lieux si ce Monsieur Tolkien a écrit « autre chose" ! De voir son visage s’illuminer et d’une main sure prendre trois tomes dans des rayonnages…

Un ado de 14 ans a aujourd'hui bien plus de références dans le domaine de la fantasy, même en littérature avec des sagas bien plus calibrée et aura un regard très différent, moins candide, je pense. Et pareil pour les livres-jeux. D'où l'importance de chacun de partager son expérience propre. Ce qui est regrettable, c'est qu'on ne connait pas l'expérience des plus jeunes, notamment sur les forums. J'ai l'impression qu'il n'y a pas de gens de moins de 30 ans dans nos communautés internet.
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#5
Rrraaa oui, tellement Gwalchmei! A propos de cet état d'esprit à un instant T de notre vie qui va nous faire ressentir l'art d'une manière hyper subjective.

Entre 23 et 32 ans, j'étais un fan inconditionnel de Radiohead. La découverte tardive de ce groupe fut une claque. J'écoutais tout, les faces B, du plus vieux au plus récent. J'étais sous le charme de cet univers. Ma passion était un peu exagérée, mais objectivement, c'est du haut niveau sur tous les domaines : musique, paroles, originalité...
Mais à présent, je ne retrouve plus que par poussière la flamme. Non pas de l'avoir trop écouté. Mais à l'époque, ça correspondait à ma sensibilité torturée, cette musique faisait écho à mes tourments intérieurs. A présent que je me sens plus apaisé, plus heureux peut-être, je comprends enfin certaines critiques qui voyaient dans Radiohead une musique déprimante, triste, trop mélancolique.
Donc on peut toujours parler de qualités intrinsèques, le coeur, les circonstances et les affinités seront toujours les plus fortes.

Pour en revenir aux LDVELH, je ne suis quand même pas d'accord à 100% pour dire que tous les LDVELH anciens étaient trop enfantins ou mal fichus pour plaire à des adultes non nostalgiques. Certaines séries comme La Voie du Tigre, Chroniques Crétoises ou Destins ont été très plaisantes à relire récemment. Elles regorgent d'une inventivité à rendre jaloux beaucoup de fictions ou d'objets ludiques de notre époque. J'ai un immense respect pour ceux qui ont montré la voie.
Même Loup Solitaire. Je crois que c'est Grattepapier qui s'était étonné de voir que j'affectionnais beaucoup cette série, avec son héros trop passe-partout, sans âme. Mais en vrai, je me suis évadé comme pas permis avec l'univers à rallonge de Dever, ses pays, ses peuples, ses monstres, le tout servi par un système de campagne plein de défauts certes, mais qui n'a jamais été égalé en matière de LDVELH.
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