Tout a commencé par un gros coup de bol. J'ai attaqué cette histoire sans trop savoir où je mettais les pieds et où je devais aller. La chance a cependant voulu que je tombe sur le chemin donnant un aperçu du contenu du hangar du premier coup. Je me suis égaré ensuite, comme de bien entendu, mais ça m'a donné l'avantage de rapidement être en mesure d'identifier les symptômes. Au bout d'une poignée d'essais, il était ainsi devenu évident que l'aventure proposait plusieurs voies avec des différences irréconciliables : Leurs histoires divergeaient trop et ne pouvaient plus espérer refaire une par la suite.
Je me suis figé. J'appréhendais déjà ce que cela annonçait. Oui, en théorie, cela aurait pu être le signe d'une aventure assez courte mais très libre avec plein de fins différentes. Mais je savais au fond de moi que ça ne serait pas le cas. Je connaissais le bonhomme, je l'avais déjà affronté durant la fameuse
guerre du Vietnam de 2004 et à plusieurs reprises par la suite. Si les chemins ne pouvaient plus espérer se retrouver, c'est que l'un d'eux devait mourir. Et quand le processus se répète régulièrement... Oui, c'était ça. Un
one-true-path.
Oh, clairement pas un one-true-path fainéant. Plutôt un descendant direct de
La Créature de 1986, un ouvrage capable de réserver des dizaines et des dizaines de sections à chacun de ses culs-de-sac, les étoffant de choix, d'énigmes, de fins variées.
J'avais beau avoir vite identifié le monstre, j'ai tout de même été un tant déconcerté par son camouflage, particulièrement retors.
Je vais prendre un exemple pour mieux expliquer ce tour de magie. Imaginons une pièce, avec deux portes de sortie, gauche et droite, qui mènent à deux pièces distinctes, qui mènent ensuite à la même troisième pièce, qui elle a à nouveau deux portes. Le bon chemin est gauche, puis gauche.
Une aventure simple nous demanderait de noter une information quand on entre à gauche la première fois, puis nous demanderais quand on choisit gauche la seconde fois si on a noté l'information en question. Quelque chose du genre :
Citation :1
Gauche -> 2
Droite -> 3
2
Notez Cool.
-> 4
3
-> 4
4
Gauche si t'as Cool -> 5
Gauche si t'as pas Cool -> 6
Droite -> 7
5
Victoire
6
T'es mort
7
T'es mort
La Créature, plus tordue, nous dirait comment bondir à la bonne section plus loin en ignorant les choix proposés :
Citation :1
Gauche -> 2
Droite -> 3
2
Ajoute 1 à la prochaine section où on te propose d'aller à gauche.
-> 4
3
-> 4
4
Gauche -> 6
Droite -> 7
5
Victoire
6
T'es mort
7
T'es mort
Xer, ça ressemble à ça :
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Spoiler
Citation :1
Gauche -> 2
Droite -> 3
2
-> 8
3
-> 4
4
Gauche -> 6
Droite -> 7
5
Victoire
6
T'es mort
7
T'es mort
8
Gauche -> 5
Droite -> 7
Autrement dit, les sections sont dupliquées entre le bon chemin et les autres, avec juste quelques lignes en plus ou en moins, et un des renvois qui change (le bon). C'est ainsi super facile de passer quinze fois à côté de la bonne solution, parce qu'on a l'impression que c'est un truc qu'on a déjà tenté auparavant et qui avait lamentablement échoué. Sauf qu'en fait non, les circonstances sont différentes, et la section par laquelle on passe l'est également, subtilement.
Heureusement, en vieux briscard paranoïaque, je me suis mis à noter les numéros de sections dès que les premiers relents de l'OTP, et cette astuce m'est au final assez vite apparue. Ça n'empêche que ouah quoi. Autant j'admire l'épure des mécaniques apparentes au lecteur, lequel peut théoriquement se passer de feuille d'aventure (en pratique prendre des notes est nécessaire si on veut progresser), autant ça engendre une difficulté particulièrement dingue, qui nécessite d'être en permanence attentif et de bien faire attention aux plus petites différences.
Ce n'est pas tout à fait la première fois que je croise cette astuce de construction (elle était déjà présente dans l'intro du
Labyrinthe de 2007 par exemple), mais jamais auparavant je ne l'avais vu utilisée de façon aussi filée : La première moitié de l'aventure emploie régulièrement cette structure.
(la seconde moitié de l'aventure est aussi un OTP, mais aux rouages plus classiques et visibles ; en contrepartie, il redouble d'efforts sur la longueur et la consistance des fausses pistes)
Bon, mettons de côté la difficulté.
Les Xer sont effectivement des humains masqués : Ils ont une apparence différente pour permettre des illustrations originales et transporter de suite le lecteur dans un autre monde mais fondamentalement ils agissent très exactement comme des humains. Pas un problème pour moi, c'est assez classique dans la fantasy, et une astuce à laquelle je ne dédaigne pas recourir moi-même.
Il me semble qu'il y a des bugs de continuité légers, avec le texte qui suppose qu'on a fait certaines actions alors que pas forcément, en particulier quand on sert de l'OTP à mi-chemin, avec un raccrochage de wagons parfois étrange. Je n'en ai malheureusement pris la peine de noter qu'un exemple, qui est en plus sur la route principale :
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Spoiler
Au 257, le texte semble un peu perdu sur le fait que l'on sache ou non ce que représente le tatouage (c'est probable que oui si on est arrivé jusqu'ici mais en rien obligatoire).
Même si l'essentiel est dit, le paragraphe final est bizarrement court, et une bien maigre récompense après tant d'efforts.
Je serai un plus critique sur le style que Fitz. Autant on sent la maîtrise sur tout ce qui est militaire, autant c'est parfois plus brouillon lors par exemple des discussions civiles. Rien cependant qu'une (nouvelle) passe de relecture ne puisse corriger, comme les étourderies à droite à gauche.
L'histoire est généreuse, nous offrant en environ 500 sections : des missions d'espionnage, des missions diplomatiques, des batailles et même une enquête policière, le tout aux quatre coins de la carte.
La contrepartie, c'est que certains éléments sont parfois un peu dilués. N'importe lequel des quatre pays aurait pu faire à lui seul le sujet de l'avh, là on fait les quatre, forcément certains éléments ne sont pas exploités à leur plein potentiel.
En résumé, que dire... Bah, la difficulté quoi. Je crois me souvenir d'une réplique de Sukumvit, citant lui-même quelqu'un d'autre, qui disait : Si tu mets une scène de cul d'une page dans un roman qui en fait 500, les gens évoqueront systématiquement la scène de cul en premier en discutant ce livre. J'ai envie d'y rajouter : Si ton livre-jeu est plus corsé qu'un expresso, ce sera toujours sa difficulté qui sera au cœur des conversations.
C'est pas vraiment juste pour l’œuvre mais c'est assez vrai en terme de ressenti. Il suffit de regarder les discussions sur La Créature. Y'a des trouvailles scénaristiques et ludiques absolument géniales dans La Créature (autour des deux vapeurs initiales notamment). Mais ce sera quand même le mot difficulté qui va revenir toutes les trois lignes. Ça monopolise complètement l'attention, de façon presque primale, et j'ai vraiment du mal, surtout à chaud, à voir au-delà.