24/05/2018, 16:01
Can You Brexit Without Breaking Britain?
Livre-jeu en anglais, au format papier ou numérique, de 865 paragraphes.
Difficile de commenter ce livre-jeu qui s’avère être un ovni bien ambitieux. Je ne vais pas m’appesantir sur les auteurs que les connaisseurs de ldvelh connaissent bien : Dave Morris et Jamie Thomson. Les contributions des deux auteurs au genre sont multiples. Et pour ce qui est des collaborations, on retiendra le dernier opus de l’Épée de Légende, le Repaire des Morts-Vivants, et surtout la série Fabled Lands qu’on peut découvrir en français depuis peu. Mais ici, dans Can You Brexit, pas d’univers de fantasy, et c’est loin de Harkuna, de Legend et d’Orb que nous emmènent les deux auteurs, plus précisément en Grande-Bretagne, en 2017, dans la peau du premier ministre qui vient tout juste d’activer l’article 50 ouvrant la voie au départ du pays de l’Union Européenne d’ici deux ans.
Notre mission consiste à mener au mieux les négociations avec les institutions de l’UE, dans l’intérêt du RU, mais aussi du nôtre (après tout, nous incarnons un politicien). Pour cela nous avons deux ans.
Face à un tel synopsis, difficile d’imaginer à quoi s’attendre. L’utilisation du concept de livre interactif en dehors du cadre du divertissement pur n’a, à ma connaissance, jamais donné grand-chose de remarquable, que ce soit d’un point de vue des livres éducatifs, et rien à ma connaissance concernant des livres de vulgarisation à destination des adultes. Nous avons donc affaire ici à une œuvre unique et difficilement rattachable à ce qui existe. Déjà, soyons claire, il s’agit d’un ldvelh dans la grande tradition, que ce soit dans ses dimensions (865 paragraphes), et sa construction. Ainsi, nous avons une véritable feuille d’aventure, où nous tiendrons compte de nos caractéristiques et de la progression de notre quête.
Pour ce qui est des caractéristiques, nous en avons quatre. Elles ont une valeur située entre 1 et 100. Nous avons :
Autre point de notre FA, c’est une liste de 10 points auxquels vous serez confrontez durant les deux années qui suivent :
Ainsi, la première partie de chaque semestre, bien qu’optionnelle, est cruciale, car c’est là qu’on pourra recueillir les informations sur les différents sujets. Autant dire tout de suite que si on n’est pas un minimum intéressée par la politique. Cette phase de documentation revêt différentes formes selon les sujets : échanges avec des conseillers, rêves, dialogues avec votre dentiste, quand ce n’est pas avec dieu… A en croire les explications données par Dave Morris sur son blog, il a initialement rédigé l'introduction, mais Jamie Thomson l'a en partie réécrites pour les rendre moins fastidieuses à lire, avec des éléments humoristiques, réorientant la narration vers quelque chose de plus divertissant. Ainsi, les échanges sont ponctués de mots d’esprit, de références (que je suis loin de toujours saisir), d’anecdotes. Heureusement j'ai envi de dire. Notre personnage, tout comme nos interlocuteurs ont une vraie personnalité, ce qui contribue à rendre un peu plus digeste une masse d’informations contradictoires. Durant cette phase, nos scores varieront très peu.
La seconde partie de chaque semestre est autrement plus passionnante. C’est concrètement là que nous prenons nos décisions, influençant les différentes caractéristiques significativement et la progression des 10 points problématiques. On notera que décider de travailler un des points ne conduira pas forcément à sa résolution immédiate, et que nombre de nos choix auront des conséquences au long terme. Pour gérer les aspects mécaniques, on retrouve le système de mots de code, qu’on a pu connaitre dans les Destins par exemple, et de cases à cocher associées aux paragraphes, comme dans Fabled Lands. La façon dont interagissent les différents points est donc cruciale, et c’est donc quelque chose de très complexe que nous sommes à résoudre. A chaque début de semestre, nous serons confrontés à une phase préliminaire où nous ferons face à des imprévus, dont certains sont la conséquence de nos actions passées. Là aussi nous auront la possibilité de faire des choix et d’influencer la progression de l’histoire.
Enfin, une fois les deux ans terminés, nous sommes confrontés à la partie finale, composée de deux phases successives. Sans trop en dire, la première concerne notre propre avenir politique, la seconde nous amène en 2021 et nous confronte aux résultats à moyen terme de nos négociations. On notera qu’arriver à la fin n’est pas garanti, dans la mesure où nous sommes sur un siège éjectable.
Autant dire qu’une telle mécanique est très complexe, comparable à celle de Fabled Lands. Et, de l’expérience que j’en ai eue, elle est parfaitement mise en œuvre. Pas de bugs, pas d’erreur de renvois, c’est vraiment nickel de ce point de vu. S’il y a des bugs, j’ai eu la chance de passer à côté. En fait, c’est un véritable travail d’orfèvres d’un point de vu litéractif. L’outil du livre interactif est parfaitement utilisé pour faire passer des connaissances sur un sujet complexe, à tel point qu’il constitue enfin la preuve qu’un livre-jeu peut être un excellent outil de formations.
Car, si la structure et l’organisation du livre est parfaite, le fond, de mon point de vue, suit plutôt bien. Le sujet est bien entendu polémique et fumeux, tant au RU qu’en France d’ailleurs. Les auteurs semblent assumer une position ‘Remain’, opposée au Brexit donc, Dave Morris allant même jusqu’à affirmer sur son blog être partisan d’un fédéralisme européen. Ainsi, le risque aurait été de poser les choses d’une façon trop partisane, voire méprisante vis-à-vis des partisans du ‘Leave’, on pourra se souvenir du débat public en France en 2005 lors du referendum sur le projet de constitution européenne par exemple. Mais ici, les auteurs évitent très bien cet écueil. La critique, souvent acerbe, cible essentiellement les politiciens (des deux partis) et la presse, pas le citoyen de base. Pas de mépris de classe et de positions hautaines hélas trop fréquentes quand les questions politiques en général, et sur l’UE en particulier sont posées. Il y a d’ailleurs aussi une forte critique de l’UE, notamment dans sa bureaucratie et la lourdeur de son fonctionnement, points faibles qui seront d’ailleurs notre principal levier pour mener les négociations à notre avantage. Bon, je vais quand même me permettre une petite critique politique. C'est que ce qui ressort de ce livre, c'est le gros problème politique selon moi, à savoir le détachement total des élites politiques des citoyens, et leur incapacité à incarner la volonté du peuple qu'elle sont sensées représenter. Et cet aspect est un peu évacué trop facilement, à coup de 'les gens veulent le beurre et l'argent du beurre' et autres points de vue qui voudraient que les décideurs doivent faire comprendre à leurs administrés, et pas l'inverse. Or ce sujet qui me semble être au cœur de la crise politique que connaissent les démocraties occidentales.
Pour faire un point sur mon parcours dans ce livre, j’ai pu arriver au bout de l’histoire du premier coup, avec une autorité et une popularité élevée. Le niveau économique est tout juste passable, et les relations avec l’UE sont plus orageuses que jamais, tant j’ai été un négociateur intraitable. J’ai par contre été bien aidé par la chance. En effet, le livre n’est pas exempt de hasard, avec l’utilisation de tirages à pile ou face. J’ai notamment échappé de justesse à la trahison d’un pire démagogue que moi. Pour ce qui est de l’économie, j’ai été amené par l’UE devant la cour internationale pour le litige quant au droit de sortie. Les auteurs ont ici invité le destin d’une façon amusante en nous proposant de choisir entre trois chansons aux titres signifiant la même chose : Time Will Tell, Lap of the Gods, et Que sera, sera. J’ai ici fait le bon choix, et éviter de justesse la ruine au pays.
Cette aventure est donc très intéressante à plus d’un titre. La construction est pour ainsi dire parfaite et exemplaire. Sa valeur en matière d’apport de connaissances est élevé, même si il faut relativiser au fait que ça ne concerne a priori pas le francophone de base comme cela pourrait intéresser un britannique évidemment, et qu’il faut un minimum s’intéresser à la politique bien entendu. Il reste que nombre d’aspects fonctionnels de l’UE concernent directement ceux qui habitent un pays qui en fait partie, c'est donc instructif de ce point de vue. A cela s’ajoute l’aspect politique-fiction. Je sais que les séries politiques comme House of Cards et Baron Noir ont le vent en poupe, même si je ne m’y suis jamais intéressé. L’aspect carrière politique personnelle, bien que secondaire finalement, en demeure pas moins bien géré, et peut donc à lui seul intéresser un lecteur-joueur.
Livre-jeu en anglais, au format papier ou numérique, de 865 paragraphes.
Difficile de commenter ce livre-jeu qui s’avère être un ovni bien ambitieux. Je ne vais pas m’appesantir sur les auteurs que les connaisseurs de ldvelh connaissent bien : Dave Morris et Jamie Thomson. Les contributions des deux auteurs au genre sont multiples. Et pour ce qui est des collaborations, on retiendra le dernier opus de l’Épée de Légende, le Repaire des Morts-Vivants, et surtout la série Fabled Lands qu’on peut découvrir en français depuis peu. Mais ici, dans Can You Brexit, pas d’univers de fantasy, et c’est loin de Harkuna, de Legend et d’Orb que nous emmènent les deux auteurs, plus précisément en Grande-Bretagne, en 2017, dans la peau du premier ministre qui vient tout juste d’activer l’article 50 ouvrant la voie au départ du pays de l’Union Européenne d’ici deux ans.
Notre mission consiste à mener au mieux les négociations avec les institutions de l’UE, dans l’intérêt du RU, mais aussi du nôtre (après tout, nous incarnons un politicien). Pour cela nous avons deux ans.
Face à un tel synopsis, difficile d’imaginer à quoi s’attendre. L’utilisation du concept de livre interactif en dehors du cadre du divertissement pur n’a, à ma connaissance, jamais donné grand-chose de remarquable, que ce soit d’un point de vue des livres éducatifs, et rien à ma connaissance concernant des livres de vulgarisation à destination des adultes. Nous avons donc affaire ici à une œuvre unique et difficilement rattachable à ce qui existe. Déjà, soyons claire, il s’agit d’un ldvelh dans la grande tradition, que ce soit dans ses dimensions (865 paragraphes), et sa construction. Ainsi, nous avons une véritable feuille d’aventure, où nous tiendrons compte de nos caractéristiques et de la progression de notre quête.
Pour ce qui est des caractéristiques, nous en avons quatre. Elles ont une valeur située entre 1 et 100. Nous avons :
- Authority : elle décrit le contrôle que nous avons sur notre propre parti. Vous êtes en effet menacer par ceux qui sont censés être vos soutiens : ceux qui s’opposent, ou sont trop tièdes, vis-à-vis de positions, et les ambitieux qui soutiennent vos positions, mais aimeraient les porter à votre place. L’Autorité vous permet de tenir en respect tout ce petit monde. Montrer vous faible, et vous aurez le droit à une belle batterie de couteaux dans le dos, combien même cela nuirait au pays et aux négociations.
- Good Will : elle décrit l’état de vos relations avec les institutions de l’UE, notamment la Commission européenne, mais aussi de façon général, avec les 27 autres pays. Plus vous serez féroces en négociation, plus ce score diminuera.
- Economy : comme son nom l’indique, c’est un indicateur de la santé économique du RU.
- Popularity : elle décrit la façon dont l’electorat britannique vous perçoit. Très sensible aux propos de la presse, qui scrutera chacune de vos décision, et n’hésitera pas à tirer à boulet rouges si vous allez dans un sens qui lui déplait.
Autre point de notre FA, c’est une liste de 10 points auxquels vous serez confrontez durant les deux années qui suivent :
- la façon dont on aura convenu de mener les négociations,
- la situation des citoyens UE au RU et vice-versa
- les lois sur l’immigration
- la défense et la sécurité commune,
- les nouveaux accords commerciaux avec l’UE,
- les accords commerciaux avec les pays hors UE
- les droits de sortie,
- l’assurance maladie,
- la tenue de nouvelles élections générales,
- le possible tenu d’un second referendum.
Ainsi, la première partie de chaque semestre, bien qu’optionnelle, est cruciale, car c’est là qu’on pourra recueillir les informations sur les différents sujets. Autant dire tout de suite que si on n’est pas un minimum intéressée par la politique. Cette phase de documentation revêt différentes formes selon les sujets : échanges avec des conseillers, rêves, dialogues avec votre dentiste, quand ce n’est pas avec dieu… A en croire les explications données par Dave Morris sur son blog, il a initialement rédigé l'introduction, mais Jamie Thomson l'a en partie réécrites pour les rendre moins fastidieuses à lire, avec des éléments humoristiques, réorientant la narration vers quelque chose de plus divertissant. Ainsi, les échanges sont ponctués de mots d’esprit, de références (que je suis loin de toujours saisir), d’anecdotes. Heureusement j'ai envi de dire. Notre personnage, tout comme nos interlocuteurs ont une vraie personnalité, ce qui contribue à rendre un peu plus digeste une masse d’informations contradictoires. Durant cette phase, nos scores varieront très peu.
La seconde partie de chaque semestre est autrement plus passionnante. C’est concrètement là que nous prenons nos décisions, influençant les différentes caractéristiques significativement et la progression des 10 points problématiques. On notera que décider de travailler un des points ne conduira pas forcément à sa résolution immédiate, et que nombre de nos choix auront des conséquences au long terme. Pour gérer les aspects mécaniques, on retrouve le système de mots de code, qu’on a pu connaitre dans les Destins par exemple, et de cases à cocher associées aux paragraphes, comme dans Fabled Lands. La façon dont interagissent les différents points est donc cruciale, et c’est donc quelque chose de très complexe que nous sommes à résoudre. A chaque début de semestre, nous serons confrontés à une phase préliminaire où nous ferons face à des imprévus, dont certains sont la conséquence de nos actions passées. Là aussi nous auront la possibilité de faire des choix et d’influencer la progression de l’histoire.
Enfin, une fois les deux ans terminés, nous sommes confrontés à la partie finale, composée de deux phases successives. Sans trop en dire, la première concerne notre propre avenir politique, la seconde nous amène en 2021 et nous confronte aux résultats à moyen terme de nos négociations. On notera qu’arriver à la fin n’est pas garanti, dans la mesure où nous sommes sur un siège éjectable.
Autant dire qu’une telle mécanique est très complexe, comparable à celle de Fabled Lands. Et, de l’expérience que j’en ai eue, elle est parfaitement mise en œuvre. Pas de bugs, pas d’erreur de renvois, c’est vraiment nickel de ce point de vu. S’il y a des bugs, j’ai eu la chance de passer à côté. En fait, c’est un véritable travail d’orfèvres d’un point de vu litéractif. L’outil du livre interactif est parfaitement utilisé pour faire passer des connaissances sur un sujet complexe, à tel point qu’il constitue enfin la preuve qu’un livre-jeu peut être un excellent outil de formations.
Car, si la structure et l’organisation du livre est parfaite, le fond, de mon point de vue, suit plutôt bien. Le sujet est bien entendu polémique et fumeux, tant au RU qu’en France d’ailleurs. Les auteurs semblent assumer une position ‘Remain’, opposée au Brexit donc, Dave Morris allant même jusqu’à affirmer sur son blog être partisan d’un fédéralisme européen. Ainsi, le risque aurait été de poser les choses d’une façon trop partisane, voire méprisante vis-à-vis des partisans du ‘Leave’, on pourra se souvenir du débat public en France en 2005 lors du referendum sur le projet de constitution européenne par exemple. Mais ici, les auteurs évitent très bien cet écueil. La critique, souvent acerbe, cible essentiellement les politiciens (des deux partis) et la presse, pas le citoyen de base. Pas de mépris de classe et de positions hautaines hélas trop fréquentes quand les questions politiques en général, et sur l’UE en particulier sont posées. Il y a d’ailleurs aussi une forte critique de l’UE, notamment dans sa bureaucratie et la lourdeur de son fonctionnement, points faibles qui seront d’ailleurs notre principal levier pour mener les négociations à notre avantage. Bon, je vais quand même me permettre une petite critique politique. C'est que ce qui ressort de ce livre, c'est le gros problème politique selon moi, à savoir le détachement total des élites politiques des citoyens, et leur incapacité à incarner la volonté du peuple qu'elle sont sensées représenter. Et cet aspect est un peu évacué trop facilement, à coup de 'les gens veulent le beurre et l'argent du beurre' et autres points de vue qui voudraient que les décideurs doivent faire comprendre à leurs administrés, et pas l'inverse. Or ce sujet qui me semble être au cœur de la crise politique que connaissent les démocraties occidentales.
Pour faire un point sur mon parcours dans ce livre, j’ai pu arriver au bout de l’histoire du premier coup, avec une autorité et une popularité élevée. Le niveau économique est tout juste passable, et les relations avec l’UE sont plus orageuses que jamais, tant j’ai été un négociateur intraitable. J’ai par contre été bien aidé par la chance. En effet, le livre n’est pas exempt de hasard, avec l’utilisation de tirages à pile ou face. J’ai notamment échappé de justesse à la trahison d’un pire démagogue que moi. Pour ce qui est de l’économie, j’ai été amené par l’UE devant la cour internationale pour le litige quant au droit de sortie. Les auteurs ont ici invité le destin d’une façon amusante en nous proposant de choisir entre trois chansons aux titres signifiant la même chose : Time Will Tell, Lap of the Gods, et Que sera, sera. J’ai ici fait le bon choix, et éviter de justesse la ruine au pays.
Cette aventure est donc très intéressante à plus d’un titre. La construction est pour ainsi dire parfaite et exemplaire. Sa valeur en matière d’apport de connaissances est élevé, même si il faut relativiser au fait que ça ne concerne a priori pas le francophone de base comme cela pourrait intéresser un britannique évidemment, et qu’il faut un minimum s’intéresser à la politique bien entendu. Il reste que nombre d’aspects fonctionnels de l’UE concernent directement ceux qui habitent un pays qui en fait partie, c'est donc instructif de ce point de vue. A cela s’ajoute l’aspect politique-fiction. Je sais que les séries politiques comme House of Cards et Baron Noir ont le vent en poupe, même si je ne m’y suis jamais intéressé. L’aspect carrière politique personnelle, bien que secondaire finalement, en demeure pas moins bien géré, et peut donc à lui seul intéresser un lecteur-joueur.