13/06/2025, 20:08
Attention : c'est un petit peu long.
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L’IA générative – si je peux me permettre cette réflexion avant de rentrer dans le vif du sujet – m’apparaît comme le grand défi que l’art devra surmonter au cours des décennies à venir. Voir des machines sans conscience réaliser en un instant des « œuvres » capables de faire illusion peut naturellement engendrer la frustration et le découragement.
Et ce n’est pas seulement vrai pour les artistes, mais aussi pour les spectateurs/lecteurs. Le fait de ne pas être certain qu’il y a réellement une pensée intelligente derrière ce qu’on lit peut inspirer un vrai sentiment d’aliénation.
Je ne vais pas prétendre qu’il existe des méthodes sûres pour identifier un texte rédigé par IA, mais disons cependant qu’il y a des indices. L’IA peut voler le contenu de tous les textes qui existent, ça ne lui confère pas pour autant la moindre sensibilité ou inspiration. Elle ne sait ni choisir le mot ou la tournure qui exprimera idéalement une pensée, ni harmoniser les phrases entre elles, ni réussir un trait d’esprit.
Bien sûr, il y a des tas d’humains qui - tout en n'ayant plus la fraîcheur des débutants - ne savent pas non plus faire tout ça. Mais les maladresses stylistiques de l’IA se manifestent généralement de façon un peu différente. Je vais illustrer mon propos avec quelques exemples tirés de la présente AVH.
Commençons par l’introduction et son incontournable scène de cul. D’entrée de jeu, la phrase « Bercée par les ressacs de l’océan vert, vous vous abandonnez aux caresses doucereuses du pelage angora entre vos cuisses musclées » est d'une lourdeur à faire hésiter le lecteur concernant son origine. L’indice, à mon avis, réside dans l’emploi erroné du mot « doucereuses » : on y perçoit la présence de l’auteur, qui s'est probablement imaginé que c'était une fusion de « douces » et « langoureuses ». Une IA aurait été capable de commettre le reste de cette phrase, mais je ne crois pas qu’elle serait allé chercher cet adjectif-là.
Phrase suivante : « Votre gémissement indécent accueille la nuit tombante, alors que la brise venant des falaises d’émeraude tente désespérément d’évaporer la sueur qui dégouline littéralement le long de votre peau d’ébène. » Alors bon, il n’y a rien qui va dans cette succession de maladresses, par comparaison avec laquelle la recette des beignets à la crème semblerait d’un érotisme torride. Mais IA ou pas ? L’indice est sans doute à trouver dans la longueur inutile de la phrase, l’IA préférant généralement se montrer plus brève.
Peu après cette scène, on a droit à « L’épaisse corne de vos pieds vous protège la poussière de cristal brillante. L’eau tiède et huileuse vous repousse avec force. Vous vous immergez jusqu’à la poitrine en bandant vos muscles », une succession de phrases où on comprend ce qui se passe non pas grâce aux tournures employées mais malgré elles. L’humanité de cet enchaînement cacophonique apparaît cette fois plus clairement : une IA n’irait pas inventer un truc pareil.
Il y aurait bien sûr beaucoup à dire sur les scènes d’action, dont le caractère peu inspiré et pas toujours limpide n’est évidemment pas arrangé par l’insertion répétée d’éléments techniques. Un exemple parmi d’autres : « Bondissant de concert, vous abattez un planton chacune. La riposte ne se fait pas attendre (essuyez une salve de deux tirs simultanés). Vous vous esquivez un tir du deuxième larron chargeant son voisin (essuyez un tir). Au moment de l’impact, vous utilisez le corps comme bouclier. Le soldat assassine son compagnon d’arme pendant que vous ripostez avec l’arme du défunt. » Là encore, on devine qu’il y a derrière tout ça un auteur humain avec dans la tête une idée bien précise de la façon dont se déroule sa scène d’action, mais il a atrocement échoué à l’exprimer de façon efficace, dynamique ou même claire (d’autant qu’il ne s’est pas relu, mais c’est presque anecdotique).
Une AVH possède bien sûr d’autres caractéristiques que le style. Passons donc à un sujet différent : l’aspect mécanique. Comme les IA n’ont à ma connaissance pas encore été employées pour créer des règles de livres-jeux, la comparaison va s’arrêter là.
Encore que… si je demandais à une IA de concevoir un système détaillé de répartition des impacts en combat, elle aurait sans doute été également capable de décider que les tirs ennemis réussis n’avaient qu’une chance sur six de toucher le torse, c’est-à-dire la même probabilité que la tête et chacun des quatre membres.
Elle aurait peut-être aussi pu décider que les bras ont plus de points d’armure que les jambes « pour simuler le fait qu’ils sont plus en mouvement que les jambes, donc plus difficiles à toucher ». C’est-à-dire qu’il y a des points d’armure qui simulent le fait que certains des tirs qui nous touchent aux bras ne nous touchent pas vraiment. Mais ces tirs qui théoriquement nous manquent sont en pratique gérés comme tous les autres, et on peut même les dévier vers d’autres parties de notre armure avec le déflecteur.
Une IA, selon toute probabilité, n’aurait pas non vu d’incohérence logique à ce que l’héroïne puisse activer un système défensif pour annuler ou dévier un impact après avoir subi ledit impact (ou sinon, c’est qu’elle sait anticiper l’endroit où un tir donné va la frapper un centième de seconde plus tard, mais dans ce cas-là ce n’est pas une mercenaire, c’est une Jedi).
Il y a un désir manifeste de donner aux combat un caractère plein de tension et d'incertitude : chaque fois qu'on rencontre une mention du genre "essuyez X tirs", on est censé interrompre notre lecture, effectuer les jets de dés correspondant et éventuellement utiliser nos systèmes de défense. En pratique - ça ne surprendra pas grand-monde - le fait de se fader plusieurs interruptions rapprochées pendant une scène d'action ne rend pas la lecture de celle-ci plus trépidante, bien au contraire. Et, puisque définir ce qui constitue une section numérotée dans une mini-AVH est apparemment une question à la mode, je propose un critère qui me semble de bon sens : une section unique doit pouvoir être lue entièrement par le joueur avant de lui demander de faire le moindre choix.
Le contenu de l’aventure est très répétitif. On passe l’essentiel de notre temps à progresser dans un environnement mal décrit et peu atmosphérique, à tirer sur des ennemis qui ne sont pas non plus follement marquants.
La quantité de choix est raisonnable, mais la rejouabilité n’en est pas moins faible. Étant donné le système de jeu, il est en effet très improbable de perdre longtemps avant la fin du livre. Et dans votre seconde partie, même en sélectionnant des options bien différentes, vous allez retrouver beaucoup de contenu déjà vu (on sent que la fonction copier/coller n’a pas chômé). La possibilité de recruter une alliée en cours de route apporte la seule variation un peu significative ; et encore, ça ne change pas autant le déroulement des évènements qu’on s’y attendrait.
N’oublions pas de parler de la fin. À la manière du légendaire dénouement des Rôdeurs de la Nuit, il nous y est révélé que notre mission, c’est de la blague depuis le début ! Notre employeur est le propriétaire de la station dans laquelle il nous demandait de nous infiltrer, il nous a fait massacrer ses gardes, bousiller ses robots, démolir ses systèmes de défense et piétiner ses champs de rutabagas uniquement pour nous tester.
Ah oui, et on est une clone qu’il a créée – avec plusieurs centaines d’autres – pour devenir une super-guerrière. C’est comme ça.
Il a juste négligé un petit détail en nous créant, c’est de nous implanter un moyen de nous contrôler. Tiens, à ce sujet, est-ce que ça nous dérangerait beaucoup de le laisser apporter quelques modifications à notre cerveau ?
Notre employeur/créateur n’a pas tellement prévu ce qui se passerait si on répondait non. C'est ballot, ça ! Il nous jette bien une autre clone dans les pattes, mais une fois qu’on s’est occupée d’elle, il n’y a absolument plus rien entre lui et nous.
Parce que oui, le mec ne nous a pas dévoilé ses intentions par l’intermédiaire d’un écran tout en restant lui-même bien en sécurité dans une autre partie de la station, voire dans un vaisseau situé à l’extérieur. Non non, il est là, c’est-à-dire qu’il est vraiment là en personne, juste dans la pièce d’à côté. Tout seul, sans arme, derrière une porte qui s’ouvre automatiquement lorsqu’on s’en approche. Il faut six lignes pour parvenir jusqu’à lui et lui faire sauter le caisson.
Les méchants des livres-jeux se distinguent certes souvent par leur imprévoyance, mais celui-ci mérite la Grand-Croix du Balthus Allergique au Soleil avec Palmes en Forme de Rideaux.
En un mot comme en mille, mon opinion concernant cette mini-AVH n'est donc pas positive.
L’IA générative – si je peux me permettre cette réflexion avant de rentrer dans le vif du sujet – m’apparaît comme le grand défi que l’art devra surmonter au cours des décennies à venir. Voir des machines sans conscience réaliser en un instant des « œuvres » capables de faire illusion peut naturellement engendrer la frustration et le découragement.
Et ce n’est pas seulement vrai pour les artistes, mais aussi pour les spectateurs/lecteurs. Le fait de ne pas être certain qu’il y a réellement une pensée intelligente derrière ce qu’on lit peut inspirer un vrai sentiment d’aliénation.
Je ne vais pas prétendre qu’il existe des méthodes sûres pour identifier un texte rédigé par IA, mais disons cependant qu’il y a des indices. L’IA peut voler le contenu de tous les textes qui existent, ça ne lui confère pas pour autant la moindre sensibilité ou inspiration. Elle ne sait ni choisir le mot ou la tournure qui exprimera idéalement une pensée, ni harmoniser les phrases entre elles, ni réussir un trait d’esprit.
Bien sûr, il y a des tas d’humains qui - tout en n'ayant plus la fraîcheur des débutants - ne savent pas non plus faire tout ça. Mais les maladresses stylistiques de l’IA se manifestent généralement de façon un peu différente. Je vais illustrer mon propos avec quelques exemples tirés de la présente AVH.
Commençons par l’introduction et son incontournable scène de cul. D’entrée de jeu, la phrase « Bercée par les ressacs de l’océan vert, vous vous abandonnez aux caresses doucereuses du pelage angora entre vos cuisses musclées » est d'une lourdeur à faire hésiter le lecteur concernant son origine. L’indice, à mon avis, réside dans l’emploi erroné du mot « doucereuses » : on y perçoit la présence de l’auteur, qui s'est probablement imaginé que c'était une fusion de « douces » et « langoureuses ». Une IA aurait été capable de commettre le reste de cette phrase, mais je ne crois pas qu’elle serait allé chercher cet adjectif-là.
Phrase suivante : « Votre gémissement indécent accueille la nuit tombante, alors que la brise venant des falaises d’émeraude tente désespérément d’évaporer la sueur qui dégouline littéralement le long de votre peau d’ébène. » Alors bon, il n’y a rien qui va dans cette succession de maladresses, par comparaison avec laquelle la recette des beignets à la crème semblerait d’un érotisme torride. Mais IA ou pas ? L’indice est sans doute à trouver dans la longueur inutile de la phrase, l’IA préférant généralement se montrer plus brève.
Peu après cette scène, on a droit à « L’épaisse corne de vos pieds vous protège la poussière de cristal brillante. L’eau tiède et huileuse vous repousse avec force. Vous vous immergez jusqu’à la poitrine en bandant vos muscles », une succession de phrases où on comprend ce qui se passe non pas grâce aux tournures employées mais malgré elles. L’humanité de cet enchaînement cacophonique apparaît cette fois plus clairement : une IA n’irait pas inventer un truc pareil.
Il y aurait bien sûr beaucoup à dire sur les scènes d’action, dont le caractère peu inspiré et pas toujours limpide n’est évidemment pas arrangé par l’insertion répétée d’éléments techniques. Un exemple parmi d’autres : « Bondissant de concert, vous abattez un planton chacune. La riposte ne se fait pas attendre (essuyez une salve de deux tirs simultanés). Vous vous esquivez un tir du deuxième larron chargeant son voisin (essuyez un tir). Au moment de l’impact, vous utilisez le corps comme bouclier. Le soldat assassine son compagnon d’arme pendant que vous ripostez avec l’arme du défunt. » Là encore, on devine qu’il y a derrière tout ça un auteur humain avec dans la tête une idée bien précise de la façon dont se déroule sa scène d’action, mais il a atrocement échoué à l’exprimer de façon efficace, dynamique ou même claire (d’autant qu’il ne s’est pas relu, mais c’est presque anecdotique).
Une AVH possède bien sûr d’autres caractéristiques que le style. Passons donc à un sujet différent : l’aspect mécanique. Comme les IA n’ont à ma connaissance pas encore été employées pour créer des règles de livres-jeux, la comparaison va s’arrêter là.
Encore que… si je demandais à une IA de concevoir un système détaillé de répartition des impacts en combat, elle aurait sans doute été également capable de décider que les tirs ennemis réussis n’avaient qu’une chance sur six de toucher le torse, c’est-à-dire la même probabilité que la tête et chacun des quatre membres.
Elle aurait peut-être aussi pu décider que les bras ont plus de points d’armure que les jambes « pour simuler le fait qu’ils sont plus en mouvement que les jambes, donc plus difficiles à toucher ». C’est-à-dire qu’il y a des points d’armure qui simulent le fait que certains des tirs qui nous touchent aux bras ne nous touchent pas vraiment. Mais ces tirs qui théoriquement nous manquent sont en pratique gérés comme tous les autres, et on peut même les dévier vers d’autres parties de notre armure avec le déflecteur.
Une IA, selon toute probabilité, n’aurait pas non vu d’incohérence logique à ce que l’héroïne puisse activer un système défensif pour annuler ou dévier un impact après avoir subi ledit impact (ou sinon, c’est qu’elle sait anticiper l’endroit où un tir donné va la frapper un centième de seconde plus tard, mais dans ce cas-là ce n’est pas une mercenaire, c’est une Jedi).
Il y a un désir manifeste de donner aux combat un caractère plein de tension et d'incertitude : chaque fois qu'on rencontre une mention du genre "essuyez X tirs", on est censé interrompre notre lecture, effectuer les jets de dés correspondant et éventuellement utiliser nos systèmes de défense. En pratique - ça ne surprendra pas grand-monde - le fait de se fader plusieurs interruptions rapprochées pendant une scène d'action ne rend pas la lecture de celle-ci plus trépidante, bien au contraire. Et, puisque définir ce qui constitue une section numérotée dans une mini-AVH est apparemment une question à la mode, je propose un critère qui me semble de bon sens : une section unique doit pouvoir être lue entièrement par le joueur avant de lui demander de faire le moindre choix.
Le contenu de l’aventure est très répétitif. On passe l’essentiel de notre temps à progresser dans un environnement mal décrit et peu atmosphérique, à tirer sur des ennemis qui ne sont pas non plus follement marquants.
La quantité de choix est raisonnable, mais la rejouabilité n’en est pas moins faible. Étant donné le système de jeu, il est en effet très improbable de perdre longtemps avant la fin du livre. Et dans votre seconde partie, même en sélectionnant des options bien différentes, vous allez retrouver beaucoup de contenu déjà vu (on sent que la fonction copier/coller n’a pas chômé). La possibilité de recruter une alliée en cours de route apporte la seule variation un peu significative ; et encore, ça ne change pas autant le déroulement des évènements qu’on s’y attendrait.
N’oublions pas de parler de la fin. À la manière du légendaire dénouement des Rôdeurs de la Nuit, il nous y est révélé que notre mission, c’est de la blague depuis le début ! Notre employeur est le propriétaire de la station dans laquelle il nous demandait de nous infiltrer, il nous a fait massacrer ses gardes, bousiller ses robots, démolir ses systèmes de défense et piétiner ses champs de rutabagas uniquement pour nous tester.
Ah oui, et on est une clone qu’il a créée – avec plusieurs centaines d’autres – pour devenir une super-guerrière. C’est comme ça.
Il a juste négligé un petit détail en nous créant, c’est de nous implanter un moyen de nous contrôler. Tiens, à ce sujet, est-ce que ça nous dérangerait beaucoup de le laisser apporter quelques modifications à notre cerveau ?
Notre employeur/créateur n’a pas tellement prévu ce qui se passerait si on répondait non. C'est ballot, ça ! Il nous jette bien une autre clone dans les pattes, mais une fois qu’on s’est occupée d’elle, il n’y a absolument plus rien entre lui et nous.
Parce que oui, le mec ne nous a pas dévoilé ses intentions par l’intermédiaire d’un écran tout en restant lui-même bien en sécurité dans une autre partie de la station, voire dans un vaisseau situé à l’extérieur. Non non, il est là, c’est-à-dire qu’il est vraiment là en personne, juste dans la pièce d’à côté. Tout seul, sans arme, derrière une porte qui s’ouvre automatiquement lorsqu’on s’en approche. Il faut six lignes pour parvenir jusqu’à lui et lui faire sauter le caisson.
Les méchants des livres-jeux se distinguent certes souvent par leur imprévoyance, mais celui-ci mérite la Grand-Croix du Balthus Allergique au Soleil avec Palmes en Forme de Rideaux.
En un mot comme en mille, mon opinion concernant cette mini-AVH n'est donc pas positive.