Bon. Par où commencer un retour sur un mastodonte pareil... On va tenter une approche structurelle.
L'aventure alterne entre trois types de structures, que je nommerai les passages Labyrinthe, les contes de Shéhérazade et les Tableaux.
Je vais pas m'étendre sur tout ce qui est Shéhérazade, parce que j'ai vraiment pas envie de vous les gâcher d'une révélation maladroite. C'est le cœur de l'aventure, ils sont tous très bien (même si j'ai bien sûr mes préférés), avec une maîtrise d'écriture incroyable et une variété dingue aussi bien dans les récits que dans les mécaniques de jeux. C'est vraiment du tout bon.
Les Tableaux, j'ai moins été convaincu. J'appelle ainsi tous les moments où on est un endroit et il faut fouiller partout (ou pas) pour débloquer les suites de l'aventure. Ça m'a pas mal rappelé les point-and-click où il faut cliquer partout, ce qui me laisse supposer que ça fonctionnerait sans doute beaucoup mieux avec de jolies illustrations et des numéros directement sur l'image. En l'état, ça prend la forme de blocs de textes assez vénères, avec plus d'une dizaine de choix dans un même paragraphe au sens premier du terme.
Les passages Labyrinthe, ce sont ces transitions oniriques entre Tableaux et contes de Shéhérazade, nécessitant l'emploi d'une logique toute symbolique pour débloquer la suite. Et... En fait, ils sont complètement éclipsés par leur destination. Si certains développent clairement des idées intéressantes (je pense à la bombe de peinture par exemple), elles ne le sont jamais autant que ce qui va suivre, ce qui de fait ne donne pas envie de s'y attarder.
De façon généreuse, l'aventure est une pièce montée parfois un peu trop généreuse. Il y aurait sans doute un débat à avoir si l'intégralité des filles de Mnemosyne, c'est pas un peu beaucoup pour une seule et même aventure. En général les structures qui se répètent préfèrent le 5+2 voire le 4+3, c'est-à-dire qu'on annonce 7 au départ, mais qu'en pratique le moule se rompt avant même la dernière voire encore plus tôt.
Mais, en vrai, je pense qu'encore une fois c'est surtout une question de présentation. Dans l'état, on a affaire à un bloc de 300 pages, et, à mon avis, un simple chapitrage explicite permettrait de mieux faire respirer tout ça. Surtout que ce chapitrage existe déjà sous la surface, avec des limites bien claires pour chaque sous-partie. Cela permettrait aussi de rendre plus confortable les retours en arrière pour le lecteur, en permettant de reprendre au début son bloc actuel d'un clic dans la table des matières ou via un lien direct, plutôt qu'après un détour par le 8 et un Ctrl+F+<numéro>+Entrée jusqu'au bon endroit.
C'est que des retours en arrière, on va en faire. Alors, oui, l'aventure n'est pas aussi difficile que le Labyrinthe original, notamment parce que tous les sous-ensembles sont indépendants. Ainsi, on ne se retrouve pas bloqué à la toute fin parce qu'on a raté un tout petit détail quelques heures plus tôt : Une fois qu'on est venu à bout d'une énigme, on peut la ranger de côté et se concentrer sur la suite sans crainte. Et chaque sous-ensemble faisant quelques dizaines de sections au plus, la combinatoire reste raisonnable (autrement dit, c'est humainement faisable d'essayer toutes les combinaisons).
Ensuite, ça veut pas dire que c'est facile. Chaque Labyrinthe, chaque Shéhérazade, possède sa logique propre. Parfois ça va tilter très vite, parfois il va falloir tester toutes les possibilités ou presque pour en venir à bout. Je dirais d'ailleurs que chaque lecteur aura ses moments qu'il trouvera facile, et ses moments qu'il trouvera incroyablement difficiles, et ce ne seront pas les mêmes pour tout le monde parce que tout le monde réfléchit différemment. Chercher à « mieux équilibrer » tout ça me paraît donc vain. En revanche, rendre l'échec aussi peu impactant que possible en permettant de réessayer aussi sec sans délai, ça, ça on peut.
Ça fait beaucoup de coupage de cheveux en quatre pour repousser le moment de parler du fond, sujet d'une complexité encore plus grande.
Il est impossible de ne pas évoquer le Labyrinthe original. Il est également impossible d'être objectif concernant une œuvre qu'on a lu 15 ans plus tôt, et qui a eu un impact aussi colossal dans le micro-monde des avh. Même si je la relisais, là, tout de suite, ça ne changerait rien aux connexions qui se sont formés dans mon cerveau à l'époque et qui sont encore là. Mon avis sera donc sans doute très différent de quelqu'un qui lui n'aurait jamais lu cette œuvre auparavant.
En gardant à l'esprit ce biais, mon ressenti personnel, c'est que l'aventure n'est jamais aussi bonne que quand elle ne fait justement pas du Labyrinthe. J'ai adoré toutes les Shéhérazade et le grand final, et trouvé le reste, certes de très bonne qualité, mais quand même un cran en-dessous, et parfois un peu superfétatoire.
Le thème de Labyrinthe, c'était la folie, mais pas tant au sens psychiatrique qu'à celui que lui donnaient les tragédiens de la Grèce Antique. Les neuf dernières heures de la nuit se veut beaucoup plus « réaliste », avec des enjeux plus ordinaires et plus concrets, et donc les moments de rêve théâtral m'ont paru moins bien fonctionner. C'est encore renforcé par le fait qu'ils n'ont pas une importance critique dans la narration, posant juste le décor pour la suite.
Je dirais donc que l'aventure ne perdrait rien, et gagnerait même, à un léger élagage. Je pense par exemple aux « gamelles », ces renvois brusques le 8 après que l'héroïne se soit cognée le crâne contre l'un ou l'autre objet, dont l'intérêt m'échappe un peu.
Bon, maintenant que j'ai vraiment pris le microscope pour trouver les défauts : Oui, c'est une excellente aventure d'un bout à l'autre, d'un niveau de qualité similaire à Fleurir en hiver. Je m'avancerai pas à dire si elle est meilleure ou moins bonne que celle-ci, ou que Labyrinthe, parce ce serait comparer le rhinocéros à l'hippopotame. S'il y a bien sûr des points communs, de structures, de thèmes, ce ne sont pas moins des créatures différentes, avec leurs propres particularités.
Bref, c'est à lire.
Typo :
Le lien cliquable du 66 est erroné (il renvoie sur le 56).
Divers :
Il y a clairement des références un peu partout. J'en ai reconnu quelques-unes (Voiture par exemple), la plupart m'ont échappé. Le 58 me fait d'ailleurs me dire que certaines doivent être à la limite du private joke entre initiés.
Ouvrir l'aventure sur un one-true-path vicieux est peut-être un peu brutal. C'est d'ailleurs un des rares endroits où on n'a vraiment aucune marge de manœuvre, la vis se desserrant un peu par la suite.
Complètement anecdotique, mais, au 52, j'avais trouvé le bon renvoi par accident :
L'aventure alterne entre trois types de structures, que je nommerai les passages Labyrinthe, les contes de Shéhérazade et les Tableaux.
Je vais pas m'étendre sur tout ce qui est Shéhérazade, parce que j'ai vraiment pas envie de vous les gâcher d'une révélation maladroite. C'est le cœur de l'aventure, ils sont tous très bien (même si j'ai bien sûr mes préférés), avec une maîtrise d'écriture incroyable et une variété dingue aussi bien dans les récits que dans les mécaniques de jeux. C'est vraiment du tout bon.
Les Tableaux, j'ai moins été convaincu. J'appelle ainsi tous les moments où on est un endroit et il faut fouiller partout (ou pas) pour débloquer les suites de l'aventure. Ça m'a pas mal rappelé les point-and-click où il faut cliquer partout, ce qui me laisse supposer que ça fonctionnerait sans doute beaucoup mieux avec de jolies illustrations et des numéros directement sur l'image. En l'état, ça prend la forme de blocs de textes assez vénères, avec plus d'une dizaine de choix dans un même paragraphe au sens premier du terme.
Les passages Labyrinthe, ce sont ces transitions oniriques entre Tableaux et contes de Shéhérazade, nécessitant l'emploi d'une logique toute symbolique pour débloquer la suite. Et... En fait, ils sont complètement éclipsés par leur destination. Si certains développent clairement des idées intéressantes (je pense à la bombe de peinture par exemple), elles ne le sont jamais autant que ce qui va suivre, ce qui de fait ne donne pas envie de s'y attarder.
De façon généreuse, l'aventure est une pièce montée parfois un peu trop généreuse. Il y aurait sans doute un débat à avoir si l'intégralité des filles de Mnemosyne, c'est pas un peu beaucoup pour une seule et même aventure. En général les structures qui se répètent préfèrent le 5+2 voire le 4+3, c'est-à-dire qu'on annonce 7 au départ, mais qu'en pratique le moule se rompt avant même la dernière voire encore plus tôt.
Mais, en vrai, je pense qu'encore une fois c'est surtout une question de présentation. Dans l'état, on a affaire à un bloc de 300 pages, et, à mon avis, un simple chapitrage explicite permettrait de mieux faire respirer tout ça. Surtout que ce chapitrage existe déjà sous la surface, avec des limites bien claires pour chaque sous-partie. Cela permettrait aussi de rendre plus confortable les retours en arrière pour le lecteur, en permettant de reprendre au début son bloc actuel d'un clic dans la table des matières ou via un lien direct, plutôt qu'après un détour par le 8 et un Ctrl+F+<numéro>+Entrée jusqu'au bon endroit.
C'est que des retours en arrière, on va en faire. Alors, oui, l'aventure n'est pas aussi difficile que le Labyrinthe original, notamment parce que tous les sous-ensembles sont indépendants. Ainsi, on ne se retrouve pas bloqué à la toute fin parce qu'on a raté un tout petit détail quelques heures plus tôt : Une fois qu'on est venu à bout d'une énigme, on peut la ranger de côté et se concentrer sur la suite sans crainte. Et chaque sous-ensemble faisant quelques dizaines de sections au plus, la combinatoire reste raisonnable (autrement dit, c'est humainement faisable d'essayer toutes les combinaisons).
Ensuite, ça veut pas dire que c'est facile. Chaque Labyrinthe, chaque Shéhérazade, possède sa logique propre. Parfois ça va tilter très vite, parfois il va falloir tester toutes les possibilités ou presque pour en venir à bout. Je dirais d'ailleurs que chaque lecteur aura ses moments qu'il trouvera facile, et ses moments qu'il trouvera incroyablement difficiles, et ce ne seront pas les mêmes pour tout le monde parce que tout le monde réfléchit différemment. Chercher à « mieux équilibrer » tout ça me paraît donc vain. En revanche, rendre l'échec aussi peu impactant que possible en permettant de réessayer aussi sec sans délai, ça, ça on peut.
Ça fait beaucoup de coupage de cheveux en quatre pour repousser le moment de parler du fond, sujet d'une complexité encore plus grande.
Il est impossible de ne pas évoquer le Labyrinthe original. Il est également impossible d'être objectif concernant une œuvre qu'on a lu 15 ans plus tôt, et qui a eu un impact aussi colossal dans le micro-monde des avh. Même si je la relisais, là, tout de suite, ça ne changerait rien aux connexions qui se sont formés dans mon cerveau à l'époque et qui sont encore là. Mon avis sera donc sans doute très différent de quelqu'un qui lui n'aurait jamais lu cette œuvre auparavant.
En gardant à l'esprit ce biais, mon ressenti personnel, c'est que l'aventure n'est jamais aussi bonne que quand elle ne fait justement pas du Labyrinthe. J'ai adoré toutes les Shéhérazade et le grand final, et trouvé le reste, certes de très bonne qualité, mais quand même un cran en-dessous, et parfois un peu superfétatoire.
Le thème de Labyrinthe, c'était la folie, mais pas tant au sens psychiatrique qu'à celui que lui donnaient les tragédiens de la Grèce Antique. Les neuf dernières heures de la nuit se veut beaucoup plus « réaliste », avec des enjeux plus ordinaires et plus concrets, et donc les moments de rêve théâtral m'ont paru moins bien fonctionner. C'est encore renforcé par le fait qu'ils n'ont pas une importance critique dans la narration, posant juste le décor pour la suite.
Je dirais donc que l'aventure ne perdrait rien, et gagnerait même, à un léger élagage. Je pense par exemple aux « gamelles », ces renvois brusques le 8 après que l'héroïne se soit cognée le crâne contre l'un ou l'autre objet, dont l'intérêt m'échappe un peu.
Bon, maintenant que j'ai vraiment pris le microscope pour trouver les défauts : Oui, c'est une excellente aventure d'un bout à l'autre, d'un niveau de qualité similaire à Fleurir en hiver. Je m'avancerai pas à dire si elle est meilleure ou moins bonne que celle-ci, ou que Labyrinthe, parce ce serait comparer le rhinocéros à l'hippopotame. S'il y a bien sûr des points communs, de structures, de thèmes, ce ne sont pas moins des créatures différentes, avec leurs propres particularités.
Bref, c'est à lire.
Typo :
Le lien cliquable du 66 est erroné (il renvoie sur le 56).
Divers :
Il y a clairement des références un peu partout. J'en ai reconnu quelques-unes (Voiture par exemple), la plupart m'ont échappé. Le 58 me fait d'ailleurs me dire que certaines doivent être à la limite du private joke entre initiés.
Ouvrir l'aventure sur un one-true-path vicieux est peut-être un peu brutal. C'est d'ailleurs un des rares endroits où on n'a vraiment aucune marge de manœuvre, la vis se desserrant un peu par la suite.
Complètement anecdotique, mais, au 52, j'avais trouvé le bon renvoi par accident :