24/07/2022, 01:34
Avertissement : j'ai produit un pavé, probablement bien trop long. Il y aura peut-être des erreurs ou des inexactitudes. Si tel devait être le cas, je vous prie par avance de bien vouloir m'en excuser.
Je suis embêté. En effet, alors que je viens d'achever ma relecture de Kintsugi et qu'indiscutablement nous avons affaire ici à une AVH de premier ordre, ma voix ne peut s'élever à l'unisson de celles louant la qualité irréprochable de ton remarquable travail, MerlinPinPin, qui, si elle est bien présente – la qualité –, n'est pas pour autant exempte de petites maladresses ici ou là. On va y revenir.
Néanmoins, et avant toute chose, je dis bravo. Deux fois bravo. Cent fois bravo ! Mille fois bravo !! Kintsuigi, alors qu'elle est réalisée et proposée en tant que nouvelle amateure, peut sans aucun doute, fièrement même dirais-je, prétendre au statut de récit professionnel au sein de la littéraction. Outre le respect du thème tenu de bout en bout, tout y est : la toile de fond, le scénario, les personnages, le style, l'implication du lecteur dans cette aventure, une analepse récursive à la structure déboîtée, et qui permet à son auteur d'interroger la mémoire, son statut, sa connaissance.
Le lecteur, en raison de la réception classique d'une œuvre littéraire et malgré les artifices propres à une écriture ergodique, s'attend toujours à une linéarité de principe, même si elle est reconstruite. Or, ici, ce n'est plus le cas et MerlinPinPin vient taquiner les auteurs de la mémoire que sont, pour ne citer que quelques uns des plus connus, Mauriac, Beauvoir, Simon, Perec ou Sarraute. Par mémoire, j'entends avant-tout l'objet de la faculté concernée, le souvenir, traité à l'intérieur d'une relation littéraire qui bien souvent emprunte au genre de l'auto-portrait ou de l'auto-fiction. Et de nous interroger : qu'est-ce que la mémoire, le souvenir, comment le retranscrire en mots, le toucher du doigt – de la plume – pour en reconstituer l'essence ?
Pari fou, pari impossible peut-être, auquel s'essaie MerlinPinPin avec brio en se servant de ses personnages comme pontages – souvenons-nous justement de la fameuse passerelle – entre des éléments disparates et confus afin de reconstituer un puzzle erratique : la réminiscence est difficile, incertaine, sujette à caution. C'est ce qui permet au récit d'en figurer la nature, de donner à se représenter dans son incertitude la matière du souvenir. C'est ainsi que les différents protagonistes viennent diluer notre certitude de l'événement. À l'exemple de l'enfant qui, au paragraphe 50, nous affirme : « Non. Papa, ça ne s’est pas passé comme ça. […] Si elle était aussi désespérée, c’est parce qu’elle avait perdu sa fille. Irène ! Tu te souviens, papa ? » ; alors qu'au paragraphe 15 ce même enfant (mais est-ce bien le même ?) demande : « Mais qu’est devenue la dame ? », ce qui renverse les valeurs : « Vous sursautez. Il ne se souvient pas ? » Celui qui se rappelait est devenu amnésique, celui qui avait oublié se rappelle à nouveau. Ou encore, ce très sibyllin passage : « Je suppose qu’il a dû se cacher. / Alors, il ne se souvient plus du visage de sa mère ? », mélangeant le carnet du vieillard et donc une relation à la mère possible, avec l'histoire de notre incarnation qui a aucun moment n'évoque de relations filiales.
Cette dérive des personnages met en lumière leur incapacité à être des référents perçus comme stables : ils sont parcellaires, multiples, fragmentés. Par conséquent, le bonnet rose ne pourrait-il se concevoir comme la matérialisation à la fois physique/diégétique et psychologique/sous-diégétique (c'est-à-dire dans une partie reconstituée mais non racontée) de l'évocation d'une fille qui aurait existé, mais sans que rien ne puisse venir l'appuyer avec certitude ? Ce bonnet renvoie à un réel que l'on tente de s'approprier mais qui est concomitamment imparfaitement réagencé par les personnages. La matérialité palpable, ancre de certitude, est alors brisée pour nous faire pénétrer dans le champ de l'expérience reconstituée qui finit par brouiller le réel pour ne plus se fixer que sur l'évocation du possible d'une enfant, que sur l'aspect parcellaire de l'état de mère.
On ne peut dès lors plus s'empêcher de noter la présence de l'être, du moi, à tous les niveaux de la vie, le mercenaire se voyant enfant, adulte et vieillard tout à la fois. Tuer le vieillard pour sauver le jeune garçon c'est sacrifier volontairement l'idée du souvenir, c'est-à-dire son évocation réputée certaine, pour la possibilité d'en reconstruire ou de ne plus en avoir, et ainsi accorder une primauté à l'être nouveau, ce que traduit d'ailleurs l'une des conclusions : « Je pense que c’est la fin cette fois. / Ou un nouveau commencement ».
Aux reflets des époques s'ajoute le jeu des doubles qui vient perturber l'analyse du lecteur, le plaçant, par ce procédé d'atténuation de la référentialité, à un niveau proche de la perte/l'absence de repère de celui qui raconte et de celui qui écoute : double du mercenaire, double meurtre d'enfant, double carnet, double visite des lieux, double cible, ce qui se décline également de manière extradiégétique dans les doubles chemins de réussite, la double fin, la récursivité répliquant incessamment une sorte d'histoire perpétuelle. Cette dilution du référent entraîne la constitution d'une mosaïque dont les souvenirs ne parviennent plus à coïncider par eux-mêmes et entre eux. C'est ainsi que cette mémoire tant quémandée n'est plus en mesure d'offrir le vécu du souvenir, mais seulement celui de ses évocations antérieures, faisant reposer le réel sur une idée forcément fantasmée du monde, puisque jamais certain de l'authenticité du référent remémoré.
Il y a peu de chose à dire sur la forme, celle-ci étant bien maîtrisée.
On pourra signaler rapidement que l'abréviation pour les nombres ordinaux se fait avec un « e » en exposant et que les siècles s'écrivent de préférence en petites capitales.
Pour les heures, toujours les séparer de leur déterminant par une espace : 6 h. Il n'y a jamais de point abréviatif après « h », sauf, évidemment, le point final. Au passage, j'avais lu que normalement le mot « okay » ou « 0 k, pour zero killed » s'abrégeait en O.K. Maintenant, l'étymologie du mot n'étant pas certaine, chacun doit pouvoir faire un peu comme il veut.
Au paragraphe 30, on peut lire : « Essayant désespérément de ne penser à rien pour ne pas attirer l’attention du monstre, au cas où celle-ci reniflerait votre mémoire ». Il me semble qu'il faut mettre « celui-ci ».
Toujours dans ce même paragraphe, le lecteur apprend ceci : « Des terreurs enfouies remontent de votre subconscient et vous submergent, vous empêchant de vous relever, retournant votre estomac, vous accablant de vomissements ininterrompus ». Il y a ici une rupture dans l'enchaînement des dépendances syntaxiques, ou pour le dire autrement, une anacoluthe. C'est l'estomac retourné qui provoque les vomissements. Il manque donc un sujet, comme « qui vous accable ». Maintenant, c'est peut être voulu pour conférer aux terreurs une force plus impactante.
Au paragraphe 36, nous pouvons lire : « Voilà que vous retrouvez acculé dans [...] ». Il manque un « vous ».
Memsine se retrouve mesmsine au paragraphe 50. J'aurais d'ailleurs préféré mnésine, plus facile à dire (et à se rappeler), enfin pour moi. Assez peu de mots français possèdent ce digramme : hamster, clamser, rumsteak, circumstellaire.
À la fin du paragraphe 2, les choix suivants nous sont donnés : « Si vous voulez ouvrir dès maintenant, allez au 15 si vous avez les codes CHI et HEL, rendez-vous au 35 si vous avez le code HEL et le code SEL2, mais pas le code CHI ni le code CHI2, et au 4 dans tous les autres cas. Si vous préférez patienter, allez au 8 si vous avez le code CHI2, au 39 sinon. » L'ensemble est très confus et j'ai dû relire ces instructions trois au quatre fois pour ne pas faire d'erreur. En effet, au début on a un « si », qui pose une condition, suivi de « allez ». Le « si » qui suit supposait pour moi une autre condition et donc un autre renvoi de section « si vous avez les codes CHI et HEL allez au 35 ». Mais en fait non. Il faut repartir en arrière, remonter la syntaxe pour comprendre les instructions. Il aurait été, je pense, plus clair d'écrire : « Si vous voulez ouvrir dès maintenant, trois options s'offrent à vous. Vous avez les codes CHI et HEL, allez au 15. Vous avez le code HEL et le code SEL2, mais pas le code CHI ni le code CHI2, aller au 35. Dans tous les autres cas, allez au 4. Si vous préférez patienter et que vous avez le code CHI2, allez au 8 ; sans quoi il vous faudra allez au 39. »
Je ne connais pas, ni n'ai trouvé la définition du mot perlitique. Un néologisme ?
Il y a beaucoup de nom pour l'endroit où nous nous trouvons bloqué : territoires abandonnés, terre d'agonie, condamnées, zone 425. Peut-être qu'une homogénéisation rendrait ce lieu mieux identifiable.
Si la présentation des dialogues n'est pas réglementaire, elle est claire et ne subit aucun écart. Moi, ça me va très bien. Il y aurait quelques virgules à revoir, mais rien de bien méchant, comme avec le paragraphe 20 : « Vous vous détournez avec dégoût, et empruntez le petit passage sans demander votre reste ».
J'ai beaucoup aimé les quelques images en stuc blanc veiné d'or qui rajoute un petit côté précieux à une histoire assez sombre.
L'univers présenté est d'une richesse incroyable et m'a particulièrement séduit. Les différents éléments qui le composent s'articulent très bien ensembles et permettent de faire découvrir au lecteur une anticipation dystopique glaçante, l'humanité perdant presque pratiquement le contrôle de sa mémoire. Elle est rabaissée au rang de l'animal qui agit d'abord et avant tout par instinct. Cette thématique, présente en filigrane, aurait méritée d'être davantage développée car le tragique lié à un tel état de fait est trop facilement évacué par la confiance des protagonistes en leur capacité musculaire automatique, comme au paragraphe 13 : « Après quelques tentatives, vous appuyant sur les bases solides de votre mémoire musculaire, vous parvenez effectivement à communiquer avec les secours », ou par le fait qu'en tant que nantis, ils conservent des comportements sociétaux hors de propos au vu de la situation (uriner dans une bouteille).
On ressent également une proximité avec les mondes cyberpunks : multinationales pharmaceutiques, drogue, dilution des perceptions, affadissement de la conscience, de la moral, perte des valeurs, notamment de celle de la vie humaine (cf. le dialogue dans le poste de radio, bien qu'un tel état de fait puisse sans le moindre problème se constater de nos jours ; c'est simplement la contextualisation qui amplifie cette attitude). Cela assoit ce décor au sein de références connues, permettant à MerlinPinPin de se passer de longues explications contextuelles. Nos connaissances intimes du sujet, littéraires, vidéoludiques ou cinématographiques, nous permettent assez aisément de nous représenter ce monde déliquescent, à la manière d'un Neuromancien ou d'un F.A.U.S.T., d'un Blade Runner ou d'un Time Out.
Comme si ce tableau n'était pas assez noir, quelque chose d'autre, d'insidieux, de délétère, comme une gangrène pourrissante rongeant lentement un monde à l'agonie, prend le lecteur à la gorge. Dédoublant ainsi la métaphore de la maladie, le parasitage monstrueux s'invite inopinément dans la narration. On peut y lire soit une métaphore de la métaphore : la Nouvelle peste est la métaphore d'une société qui a cessé de penser et qui s'autodétruit ; et les monstres ne sont que la métaphore active de la Nouvelle peste. On peut également y voir un référent au discours où la fin s'analyse dans le rapport signifiant (Nouvelle peste) et signifié (les monstres). L'idée générale qui se dégage de ce changement de paradigme énonciatif est de donner à voir la ruine du monde. La Nouvelle peste est acquise : on ne peut en représenter que des effets indirects qui, s'ils ressortent de la dramaturgie d'un monde qui s'éteint, ne permettent pas de conférer au récit la tension nécessaire à la mise en scène d'une aventure, d'une histoire. C'est pourquoi ce rôle est dévolu aux monstres comme instance antagoniste et directement identifiable.
On saluera d'ailleurs la diversité de ce bestiaire, entre mutation grotesque à la Love and Monster, évocation du zombie de type Resident Evil et choses informes, tentaculaires, dépassant l'entendement, et flirtant avec les entités du mythe de Cthulhu. Il y a là comme un inventaire tératologique qui place automatiquement le lecteur ainsi que le récit sur une pente téléologique, renvoyant la société ou les modèles sociaux, à leur propre fin, avec ce petit parfum d'apocalypse. On peut y trouver une référence ou un hommage à ces films, ces histoires, d'une menace inconnue qui vient mettre en péril non seulement notre mode de vie, mais notre existence même, tels Annihilation, livre et film qui ne sont pas sans rappeler La couleur tombée du ciel. L'absence ou le manque d'explication de ce foisonnement monstrueux ne me dérange pas, bien au contraire. C'est ce qui nous place au niveau du narrateur et nous permet dès lors de sentir la menace de manière plus directe et donc, plus fortement.
Il s'agit à présent de regarder l'aventure. Celle-ci est de bonne facture. Elle mêle astucieusement vengeance, enquête, mission et survie. Elle offre plusieurs points de vue, plusieurs déroulés, qui assurent la structure de la trame narrative et donnent ainsi la possibilité au lecteur de s'orienter assez aisément dans le fouillis des carcasses métalliques et l'imbroglio des champs mnémoniques. Il existe quatre fins, dont deux réellement conclusives et toutes apportent leur lot de satisfaction, mais aussi de pistes ouvertes, des mystères non résolus, ce qui permet de continuer de faire vivre l'histoire bien après son point final.
Néanmoins, comme cela a déjà été souligné, on peut s'interroger sur le fait de confier une grenade à un enfant de 10 ans. Cela m'a surpris, tellement que j'étais convaincu qu'il s'agissait de la bonne solution. C'est heureusement plus compliqué que cela. Ensuite, j'ai trouvé que l'environnement du train n'était pas assez détaillé (j'y reviendrai). Nous n'avons le droit qu'à une simple remarque au paragraphe 5 : « La moquette bleue, sur le sol, est tachée de sang ». Lorsque le mercenaire que nous incarnons monte dans ce train, il n'existe aucun autre être vivant à part les 4 du wagon qui nous occupe. Les autres passagers ne sont pas réels. Et donc leur disparition l'est tout autant. On les suppose vivant à un moment, et l'instant d'après, ils sont morts. En quelques minutes toute vie disparaît à l'intérieur de ce train. Aucun passager n'essaie de passer par notre wagon, presque aucun survivant n'est rencontré, aucune trace de leur existence n'est visible : affaires, barricades, cris... Sauf le paragraphe 5 donc et le 46.
Au paragraphe 12, je m'interroge sur la pertinence de choisir les échafaudages. On sait qu'un monstre gigantesque rampe dans les hauteurs. Il ne me viendrait pas à l'idée de me rapprocher de cette source de danger très potentiel, du moins pas sans une meilleure justification.
Enfin, entre le paragraphe 14 et le 21, l'homme à qui on emboîte le pas disparaît purement et simplement. C'est évidemment un problème de renvoi car deux autres paragraphes permettent d'accéder au 21, mais sans discussion avec l'homme en question. Peut-être lui faire prendre au 14 une direction que nous, nous ne voulons pas suivre.
J'ai déjà parlé des personnages et de leur fonction, de leur tempérament, je n'y reviens pas. J'en arrive donc à présent à ce qui m'a posé le plus de soucis : une ambiance à laquelle j'ai eu du mal à accrocher. Il y a à cela trois raisons principales.
La première vient du fait que toute l'aventure est une analepse, c'est-à-dire un retour en arrière dans une ligne narratrice. Nous savons donc que nous allons survivre. Je n'ai pas de solution toute faite pour palier à cet inconvénient, en sachant que cette structure autorise des architectures énonciatives passionnantes. C'est moins problématique dans un récit ordinaire (à la H.P.L.) que dans un récit dont nous sommes le protagoniste.
Le second est dû au manque cruel de descriptions ordinaires, de celles qui nous contextualisent les gens et l'environnement. La gare, les passagers, les raisons qui les poussent à faire un tel voyage, les wagons, les employés, tout cela est terriblement absent. Lorsque nous avançons dans les coursives du train, on n'a pas la moindre idée de ce à quoi elles ressemblent, de comment sont les gens. N'est décrit que l'essentiel pour comprendre la menace et pour planter une atmosphère angoissante – ce qui dans l'ensemble est réussit. Idem lorsque nous arrivons dans le corps du bâtiment, le hall principal, le hangar. Malgré les nombreuses relectures, je n'ai toujours pas d'idée précise de la configuration des lieux, des couleurs, des odeurs, des bruits qui agrémentent l'endroit. Tout reste trop vague, trop indistinct. Ainsi avec le paragraphe 24 où je ne sais pas où l'on se retrouve une fois monté sur les échafaudages. En hauteur, mais par rapport à quoi ? En extérieur ? Mais et le monstre rampant ? Pourquoi on peut redescendre de l'autre côté, atteindre une rampe et surtout, rebrousser chemin si les échafaudages mènent au hall B ? C'est peut-être moi qui visualise mal l'ensemble, mais cela m'a donné tout au long de l'aventure le sentiment d'évoluer dans un décor non terminé, non défini. Maintenant, c'est peut-être voulu afin de renforcer l'aspect flou et incertain d'une mémoire composite. Mais dans ce cas-là, cela reste gênant pour l'immersion du lecteur.
Enfin, demeure le dernier soucis, celui de la sémantique, dirais-je, du sens des mots, du sens des phrases. Alors ce n'est pas moi qui suis l'auteur. Tu as, MerlinPinPin, ta propre mélodie lorsque tu écris. Les remarques ci-dessous sont donc essentiellement d'ordre subjectif afin d'appuyer un ressenti, de mettre en évidence une difficulté. Il ne s'agit en aucun cas de remarques prescriptives. De plus, ce n'est pas non plus un relevé exhaustif, mais simplement les notes de ce qui a été constaté lors de ma relecture, qui s'est voulue une lecture enchaînant les bonnes sections pour parvenir à l'une des fins. Je mets en anti-révélateur ma progression, soit 33 numéros :
L'introduction : on commence par ce drôle de mot « Mais le prix à payer est toujours exubérant ». Exubérant, c'est surtout pour les plantes, la végétation. Chez l'humain, cela renvoie à une personne débordante, volubile, riche, vigoureuse. On s'attendrait plutôt à un prix exorbitant. « L’hiver répand son amnésie blanchâtre sur le sol rocailleux ». J'aime beaucoup. « Le monde disparaît silencieusement sous un voile de flocons indiscernables » : il est difficile de disparaître recouvert de quelque chose que l'on ne voit pas. « La chaleur qui le réconforte n’est qu’une caresse illusoire sur le linceul de votre peau » : si c'est illusoire, cela n'existe pas. Ce n'est pas la caresse, mais l'idée de cette dernière qui réconforte. Cela fonctionne sans problème lorsque les illusions sont connues (l'alcool qui réchauffe par exemple). Sinon, c'est une question de poésie, de ressenti. « Donnant vie à des terreurs à moitié oubliées au milieu d’un grand théâtre blanc » : très belle image. Page 4, au dernier paragraphe : « Et puis les montres […] et puis un jour ». Un petite répétition.
1 : « Sans memsine, elles finissent par s’effriter, par rétrécir jusqu’à devenir de vagues spectres brumeux que vous ne distinguez plus qu’en plissant les yeux » : cela fonctionne mal. Si je plisse les yeux, je ne vois quasiment plus rien et un savoir ne se voit pas ; se visualise à la limite. Il s'agit plutôt d'un mouvement automatique accompagnant la remontée du savoir.
45 : « Vous somnolez ainsi, bercé par le tangage, jusqu’à ce qu’un brutal et interminable crissement vous ramène à la réalité. Vous êtes tous projetés en avant sans ménagement ! » Ici, aucun problème de sens. Sauf que je ne ressens pas l'arrêt brutal. Au contraire même, tout s'étire. Je devrais être projeté à son commencement. Or nous le sommes une fois qu'il est fini. Les sensations ne coïncident pas avec la description. « Le visage qui se dessine de l’autre côté n’est pas un visage. » Si ce n'est pas un visage on ne peut pas écrire que c'est un visage. Il faudrait amener l'idée que l'on croit que c'est un visage avant de se rendre compte avec horreur que ce n'en est pas un, du genre « Ce que vous aviez considérez comme ». « Dans la faible lumière de l’aurore qui filtre à travers les excroissances de l’ombre » : quelles excroissances ? Quelles ombres ? « Chacun de vos visages arbore l’expression paniquée d’un damné, sculptée par un dément » : hyperbole peut-être un peu trop forte pour la scène. On ne comprend pas pourquoi une telle expression apparaît car cela n'a pas été suffisamment contextualisé en amont. « Son visage vide » : je croyais que justement, ce n'était pas un visage. « Vous restez silencieux, fasciné par cette aube de feu aux nuages de fumée noire qui fait pâlir l’aurore solaire. » Très bon, mais je trouve solaire de trop : l'aurore est normalement forcément due au soleil.
29 : « La plupart de ces monstres n’aiment guère la lumière du soleil et espèrent la nuit ». Je trouve que le verbe espérer s'accorde mal à ces créatures : attendre, patienter. « Ou leur lessive de luxe détache bien mieux le sang que l’eau saumâtre où vous trempez vos doigts » : le champ lexical de la lessive détonne étrangement. Je ne suis pas sûr que cela convienne à l'atmosphère recherchée.
11 : « On distingue presque à l’intérieur les mouvements saccadés d’un immense embryon. » Si l'on distingue presque, c'est que l'on ne distingue pas encore et donc que l'on ne voit rien.
43 : « Le sol se dérobe sous vos pieds comme une patinoire, couvert du liquide noirâtre et visqueux. » j'ai cru à ma lecture que le sol s'effondrait : on patine, on dérape. « Six, bientôt sept d’entre eux déchirent le cocon et se tortillent, sondant l’air autour d’eux. » Juste en passant : il y a deux fois « eux ».
3 : « Le vent souffle à travers les vitres brisées, illusion de présence. » Je ne comprends pas ce que cela veut dire. En quoi le vent qui souffle génère une illusion de présence ? Un rideau qui se gonfle, un chuintement comme une respiration ? « Devant vous, un escalier brinquebalant, en partie descellé, conduit à la partie supérieure du wagon et à l’armurerie. » On a deux fois « partie » : la section supérieure ? À moitié descellé ? « À l’intérieur, le placard du râtelier est demeuré ouvert, mais, à votre grand dam, presque vide. » J'aurais écrit « mais, à votre grand dam, il est presque vide ». « Vous apercevez sa réflexion dans la vitre devant lui ». Réflexion me semble assez maladroit : son reflet ? « Il porte une clé qui permet certainement d’accéder à certaines parties du train ». Certainement, certaines : répétition.
12 : « un spectacle finalement rassérénant », suivi de « Chassant ces pensées peu réjouissantes ». Il s'agit-là d'une étonnante construction, à la limite de la schizophrénie, entre apaisement et affliction. Pourquoi pas.
48 : « Un vent glacial charrie des grincements où vous semblez discerner ». Je pense que dans lesquels, voire au sein desquels serait plus approprié que le pronom relatif « où ». « Mer de ténèbres dont vous ne percevez que l’écume céruléenne » : je ne suis pas certain que ce choix de couleur soit le bon. Peut-être davantage un bleu acier, nocture, luzien, voire pétrole ou d'encre. « En approchant, vous constatez qu’une partie s’est effondrée » : une partie de quoi ? De l'entrée, du boyau, des boyaux, de quelle manière ? « Malgré vos efforts, le moindre de vos pas fait crisser le sol, la brume alentour répercutant l’écho ». Comment une brume peut-elle répercuter un écho ? Je ne dis pas que c'est impossible mais je ne vois pas à quoi correspond cette description qui me laisse perplexe.
47 : dans toute cette partie, je n'avais pas compris, lors de ma première lecture, l'action décrite. Je croyais que l'on perçait la membrane pour accéder au cadavre sous cette dernière et non pour entrer dans le train.
17 : « Vous la regardez, pétrifié ». Pourquoi sommes-nous pétrifié ? C'est finalement assez normal qu'elle ne se souvienne pas. Qu'est-ce qui justifierait cette tétanisation ? « Vous la regardez, sonné » : outre la répétition du motif, même question : pourquoi est-on ainsi sonné, K.O. ? On pourrait à la rigueur être frappé par ses propos, ce qui pourrait se justifier en quelques mots. Mais sonné, je ne vois pas pourquoi. « La mort d’un de vos compagnons, déchiqueté par un monstre, vous déchire le cœur » : déchiqueté et déchiré, ce n'est pas très heureux comme association ici, cela donne presque l'impression d'un bon mot.
30 : « la créature se tourne légèrement, vous faisant basculer en avant. Vous tombez juste entre ses jambes ». On est déjà à 4 pattes : comment peut-on basculer et tomber ? Éventuellement s'étaler, s'avachir. « Les images d’autres mercenaires, des compagnons à vous, disparaissant un à un » : pas très élégant. « d'autres mercenaires, vos compagnons, disparaissant ». « Vous tombez à genoux, incapable de résister à la noirceur qui se déverse sur vous » : physiquement impossible puisque l'on était déjà tombé entre ses jambes. Petit soucis de cohérence descriptive.
19 : à l'inverse, ici, la cohérence est bien respectée, mais on la suit mal. Il y a un éclair aveuglant, suivi de la vision obstruée, puis un paragraphe plus loin, nous sommes juste remis de notre cécité : on ne saisit pas bien que l'on a perdu la vue parce que l'éclair aveuglant est une colocation ordinaire et que la vision obstruée n'est pas forcément l'absence de vision. Ensuite et surtout parce que si dans un train pareil, on perdait la vue, même dix secondes, je pense que l'on paniquerait, mais grave de chez grave. D'ailleurs, comment fait-on pour voir l'adversaire s'avancer et ainsi choisir une action aussi difficile à réaliser que celle proposée ? Tout cela est un peu confus. « Aussitôt, d’atroces hurlements à peine étouffés assaillent vos oreilles » : pourquoi, qui viennent d'où ? L'indéfini « des hurlements » devrait être défini car on sait qui les pousse.
28 : « Animé d’un solide instinct de survie, vous vous précipitez, à bout de souffle ». J'ai le sentiment qu'il manque quelque chose à la phrase, un « y » peut-être, ou un « vous vous y engouffrez ». « Une silhouette se déplace, bondissant dans les airs, rapidement. Vous sentez presque l’haleine fétide de la créature ». Ce n'est pas possible. Si la créature est dans les airs, je ne peux pas sentir son haleine. Maintenant, il y a « presque ». Donc effectivement, je ne la sens pas. Cela reste quand même un peu maladroit. En fait, ici, c'est toute la scène d'action qui peine à convaincre. Je me la représente, mais je ne sens pas la menace, le danger, le souffle court de mon incarnation.
15 : « Et puis, vous n’êtes plus vraiment seul. Puis elle vous regarde » : répétition.
Quelques passages supplémentaires. Au paragraphe 4, « Vous vous retournez jusqu’à distinguer enfin les fentes des yeux d’un félin ». Se retourner est une action normalement rapide que viennent contredire jusqu'à distinguer et enfin, qui supposent de prendre du temps. On s'imagine donc mal ce que fait le personnage : il se tourne rapidement ou lentement ? Au paragraphe 7 : « le métal et la pierre ont fusionné pour donner naissance à des effusions de cristaux colorés » : étrange allitération. Au paragraphe 20, je ne suis pas convaincu par la métaphore de la lumière qui pleut, car les sèmes sont vraiment différents et je vois mal une lumière pleuvoir, même drûment. Cela pourrait le faire avec des photons.
J'espère ne pas avoir été trop sec dans mes commentaires. Si c'est le cas, toutes mes excuses.
L'AVH offre une mécanique de jeu classique : une douzaine de code à récupérer, un code spécial, une énigme, et deux objets à section secrète. Pour les codes, j'avoue que leur forme, capitale et troncation, me séduit moyennement, car cela nous fait un peu sortir de l'histoire, comme CHI. Des codes plus ancrés dans le réel m'auraient plu davantage, voire des codes dont il faut deviner que ce sont des codes. Sur le manche de la hache, il y aurait le nom de la marque par exemple. Je ne suis pas super fan des codes qui ne servent à rien. Mais je respecte les petites joies sadiques des auteurs. L'énigme ne m'a pas bloquée bien que je n'ai absolument pas vu qu'il s'agissait de morse. J'ai fait comme cela : O 1, ▲ 4 /▲ 3, O 2 : 14 et 32. Il faut soustraire 32-14 = 18. Chance absolue due aux hasards combinatoires des mathématiques ?
Pour terminer, passons rapidement l'aspect ludique de Kintsugi. Je pense que l'on peut raisonnablement dire qu'il est presque au maximum. Comme ce n'est pas un OTP, il n'est pas nécessaire de faire tous les paragraphes pour y parvenir. Mais l'aventure est redoutable. Vers la fin de la première séquence, je me suis retrouvé coincé parce que ma façon de retranscrire les numéros et les embranchements – sur PC et de manière linéaire – ne me permet que difficilement de voir les boucles qui autorisent de récupérer les bons codes. Il m'a fallu tout remettre sur papier pour avoir une vision globale. Mais la rejouabilité est excellente, le plaisir de jeu total et l'osmose littérature/jeu, une des meilleures qu'il m'ait été donnée de lire. L'architecture de l'ensemble est un petit bijou de précision et d'inventivité.
Pour résumer : œuvre de littéraction tout autant que de littérature, Kintsugi nous offre une réflexion sur la construction des souvenirs comme des représentations au sein d'un univers dystopique qui ferait les joies des amateurs de bons films de divertissement. À l'aide d'une histoire solide et de personnages suffisamment campés, le récit révèle ses mystères parcimonieusement, justifiant l'implication du lecteur pour parvenir aux différents dénouements proposés. Si la forme est excellente, on regrettera une atmosphère lointaine, au second plan, que l'on apprécie plus comme spectateur que comme protagoniste, tant en raison du choix de la narration que des difficultés rencontrées par l'écriture pour planter un décor et offrir une action cohérente et rythmée. Mais cela n'ôte en rien un plaisir de jeu total dans un univers que l'on a hâte de retrouver.
Ultime remarque : ta plume est excellente, MerlinPinPin. Il a fallu que j'aille sur le terrain redoutable du sens et du rythme pour y trouver à redire. Ce qui sous-entend que ce que tu nous proposes est d'un niveau tout à fait professionnel.
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Je suis embêté. En effet, alors que je viens d'achever ma relecture de Kintsugi et qu'indiscutablement nous avons affaire ici à une AVH de premier ordre, ma voix ne peut s'élever à l'unisson de celles louant la qualité irréprochable de ton remarquable travail, MerlinPinPin, qui, si elle est bien présente – la qualité –, n'est pas pour autant exempte de petites maladresses ici ou là. On va y revenir.
Néanmoins, et avant toute chose, je dis bravo. Deux fois bravo. Cent fois bravo ! Mille fois bravo !! Kintsuigi, alors qu'elle est réalisée et proposée en tant que nouvelle amateure, peut sans aucun doute, fièrement même dirais-je, prétendre au statut de récit professionnel au sein de la littéraction. Outre le respect du thème tenu de bout en bout, tout y est : la toile de fond, le scénario, les personnages, le style, l'implication du lecteur dans cette aventure, une analepse récursive à la structure déboîtée, et qui permet à son auteur d'interroger la mémoire, son statut, sa connaissance.
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Le lecteur, en raison de la réception classique d'une œuvre littéraire et malgré les artifices propres à une écriture ergodique, s'attend toujours à une linéarité de principe, même si elle est reconstruite. Or, ici, ce n'est plus le cas et MerlinPinPin vient taquiner les auteurs de la mémoire que sont, pour ne citer que quelques uns des plus connus, Mauriac, Beauvoir, Simon, Perec ou Sarraute. Par mémoire, j'entends avant-tout l'objet de la faculté concernée, le souvenir, traité à l'intérieur d'une relation littéraire qui bien souvent emprunte au genre de l'auto-portrait ou de l'auto-fiction. Et de nous interroger : qu'est-ce que la mémoire, le souvenir, comment le retranscrire en mots, le toucher du doigt – de la plume – pour en reconstituer l'essence ?
Pari fou, pari impossible peut-être, auquel s'essaie MerlinPinPin avec brio en se servant de ses personnages comme pontages – souvenons-nous justement de la fameuse passerelle – entre des éléments disparates et confus afin de reconstituer un puzzle erratique : la réminiscence est difficile, incertaine, sujette à caution. C'est ce qui permet au récit d'en figurer la nature, de donner à se représenter dans son incertitude la matière du souvenir. C'est ainsi que les différents protagonistes viennent diluer notre certitude de l'événement. À l'exemple de l'enfant qui, au paragraphe 50, nous affirme : « Non. Papa, ça ne s’est pas passé comme ça. […] Si elle était aussi désespérée, c’est parce qu’elle avait perdu sa fille. Irène ! Tu te souviens, papa ? » ; alors qu'au paragraphe 15 ce même enfant (mais est-ce bien le même ?) demande : « Mais qu’est devenue la dame ? », ce qui renverse les valeurs : « Vous sursautez. Il ne se souvient pas ? » Celui qui se rappelait est devenu amnésique, celui qui avait oublié se rappelle à nouveau. Ou encore, ce très sibyllin passage : « Je suppose qu’il a dû se cacher. / Alors, il ne se souvient plus du visage de sa mère ? », mélangeant le carnet du vieillard et donc une relation à la mère possible, avec l'histoire de notre incarnation qui a aucun moment n'évoque de relations filiales.
Cette dérive des personnages met en lumière leur incapacité à être des référents perçus comme stables : ils sont parcellaires, multiples, fragmentés. Par conséquent, le bonnet rose ne pourrait-il se concevoir comme la matérialisation à la fois physique/diégétique et psychologique/sous-diégétique (c'est-à-dire dans une partie reconstituée mais non racontée) de l'évocation d'une fille qui aurait existé, mais sans que rien ne puisse venir l'appuyer avec certitude ? Ce bonnet renvoie à un réel que l'on tente de s'approprier mais qui est concomitamment imparfaitement réagencé par les personnages. La matérialité palpable, ancre de certitude, est alors brisée pour nous faire pénétrer dans le champ de l'expérience reconstituée qui finit par brouiller le réel pour ne plus se fixer que sur l'évocation du possible d'une enfant, que sur l'aspect parcellaire de l'état de mère.
On ne peut dès lors plus s'empêcher de noter la présence de l'être, du moi, à tous les niveaux de la vie, le mercenaire se voyant enfant, adulte et vieillard tout à la fois. Tuer le vieillard pour sauver le jeune garçon c'est sacrifier volontairement l'idée du souvenir, c'est-à-dire son évocation réputée certaine, pour la possibilité d'en reconstruire ou de ne plus en avoir, et ainsi accorder une primauté à l'être nouveau, ce que traduit d'ailleurs l'une des conclusions : « Je pense que c’est la fin cette fois. / Ou un nouveau commencement ».
Aux reflets des époques s'ajoute le jeu des doubles qui vient perturber l'analyse du lecteur, le plaçant, par ce procédé d'atténuation de la référentialité, à un niveau proche de la perte/l'absence de repère de celui qui raconte et de celui qui écoute : double du mercenaire, double meurtre d'enfant, double carnet, double visite des lieux, double cible, ce qui se décline également de manière extradiégétique dans les doubles chemins de réussite, la double fin, la récursivité répliquant incessamment une sorte d'histoire perpétuelle. Cette dilution du référent entraîne la constitution d'une mosaïque dont les souvenirs ne parviennent plus à coïncider par eux-mêmes et entre eux. C'est ainsi que cette mémoire tant quémandée n'est plus en mesure d'offrir le vécu du souvenir, mais seulement celui de ses évocations antérieures, faisant reposer le réel sur une idée forcément fantasmée du monde, puisque jamais certain de l'authenticité du référent remémoré.
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Il y a peu de chose à dire sur la forme, celle-ci étant bien maîtrisée.
On pourra signaler rapidement que l'abréviation pour les nombres ordinaux se fait avec un « e » en exposant et que les siècles s'écrivent de préférence en petites capitales.
Pour les heures, toujours les séparer de leur déterminant par une espace : 6 h. Il n'y a jamais de point abréviatif après « h », sauf, évidemment, le point final. Au passage, j'avais lu que normalement le mot « okay » ou « 0 k, pour zero killed » s'abrégeait en O.K. Maintenant, l'étymologie du mot n'étant pas certaine, chacun doit pouvoir faire un peu comme il veut.
Au paragraphe 30, on peut lire : « Essayant désespérément de ne penser à rien pour ne pas attirer l’attention du monstre, au cas où celle-ci reniflerait votre mémoire ». Il me semble qu'il faut mettre « celui-ci ».
Toujours dans ce même paragraphe, le lecteur apprend ceci : « Des terreurs enfouies remontent de votre subconscient et vous submergent, vous empêchant de vous relever, retournant votre estomac, vous accablant de vomissements ininterrompus ». Il y a ici une rupture dans l'enchaînement des dépendances syntaxiques, ou pour le dire autrement, une anacoluthe. C'est l'estomac retourné qui provoque les vomissements. Il manque donc un sujet, comme « qui vous accable ». Maintenant, c'est peut être voulu pour conférer aux terreurs une force plus impactante.
Au paragraphe 36, nous pouvons lire : « Voilà que vous retrouvez acculé dans [...] ». Il manque un « vous ».
Memsine se retrouve mesmsine au paragraphe 50. J'aurais d'ailleurs préféré mnésine, plus facile à dire (et à se rappeler), enfin pour moi. Assez peu de mots français possèdent ce digramme : hamster, clamser, rumsteak, circumstellaire.
À la fin du paragraphe 2, les choix suivants nous sont donnés : « Si vous voulez ouvrir dès maintenant, allez au 15 si vous avez les codes CHI et HEL, rendez-vous au 35 si vous avez le code HEL et le code SEL2, mais pas le code CHI ni le code CHI2, et au 4 dans tous les autres cas. Si vous préférez patienter, allez au 8 si vous avez le code CHI2, au 39 sinon. » L'ensemble est très confus et j'ai dû relire ces instructions trois au quatre fois pour ne pas faire d'erreur. En effet, au début on a un « si », qui pose une condition, suivi de « allez ». Le « si » qui suit supposait pour moi une autre condition et donc un autre renvoi de section « si vous avez les codes CHI et HEL allez au 35 ». Mais en fait non. Il faut repartir en arrière, remonter la syntaxe pour comprendre les instructions. Il aurait été, je pense, plus clair d'écrire : « Si vous voulez ouvrir dès maintenant, trois options s'offrent à vous. Vous avez les codes CHI et HEL, allez au 15. Vous avez le code HEL et le code SEL2, mais pas le code CHI ni le code CHI2, aller au 35. Dans tous les autres cas, allez au 4. Si vous préférez patienter et que vous avez le code CHI2, allez au 8 ; sans quoi il vous faudra allez au 39. »
Je ne connais pas, ni n'ai trouvé la définition du mot perlitique. Un néologisme ?
Il y a beaucoup de nom pour l'endroit où nous nous trouvons bloqué : territoires abandonnés, terre d'agonie, condamnées, zone 425. Peut-être qu'une homogénéisation rendrait ce lieu mieux identifiable.
Si la présentation des dialogues n'est pas réglementaire, elle est claire et ne subit aucun écart. Moi, ça me va très bien. Il y aurait quelques virgules à revoir, mais rien de bien méchant, comme avec le paragraphe 20 : « Vous vous détournez avec dégoût, et empruntez le petit passage sans demander votre reste ».
J'ai beaucoup aimé les quelques images en stuc blanc veiné d'or qui rajoute un petit côté précieux à une histoire assez sombre.
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L'univers présenté est d'une richesse incroyable et m'a particulièrement séduit. Les différents éléments qui le composent s'articulent très bien ensembles et permettent de faire découvrir au lecteur une anticipation dystopique glaçante, l'humanité perdant presque pratiquement le contrôle de sa mémoire. Elle est rabaissée au rang de l'animal qui agit d'abord et avant tout par instinct. Cette thématique, présente en filigrane, aurait méritée d'être davantage développée car le tragique lié à un tel état de fait est trop facilement évacué par la confiance des protagonistes en leur capacité musculaire automatique, comme au paragraphe 13 : « Après quelques tentatives, vous appuyant sur les bases solides de votre mémoire musculaire, vous parvenez effectivement à communiquer avec les secours », ou par le fait qu'en tant que nantis, ils conservent des comportements sociétaux hors de propos au vu de la situation (uriner dans une bouteille).
On ressent également une proximité avec les mondes cyberpunks : multinationales pharmaceutiques, drogue, dilution des perceptions, affadissement de la conscience, de la moral, perte des valeurs, notamment de celle de la vie humaine (cf. le dialogue dans le poste de radio, bien qu'un tel état de fait puisse sans le moindre problème se constater de nos jours ; c'est simplement la contextualisation qui amplifie cette attitude). Cela assoit ce décor au sein de références connues, permettant à MerlinPinPin de se passer de longues explications contextuelles. Nos connaissances intimes du sujet, littéraires, vidéoludiques ou cinématographiques, nous permettent assez aisément de nous représenter ce monde déliquescent, à la manière d'un Neuromancien ou d'un F.A.U.S.T., d'un Blade Runner ou d'un Time Out.
Comme si ce tableau n'était pas assez noir, quelque chose d'autre, d'insidieux, de délétère, comme une gangrène pourrissante rongeant lentement un monde à l'agonie, prend le lecteur à la gorge. Dédoublant ainsi la métaphore de la maladie, le parasitage monstrueux s'invite inopinément dans la narration. On peut y lire soit une métaphore de la métaphore : la Nouvelle peste est la métaphore d'une société qui a cessé de penser et qui s'autodétruit ; et les monstres ne sont que la métaphore active de la Nouvelle peste. On peut également y voir un référent au discours où la fin s'analyse dans le rapport signifiant (Nouvelle peste) et signifié (les monstres). L'idée générale qui se dégage de ce changement de paradigme énonciatif est de donner à voir la ruine du monde. La Nouvelle peste est acquise : on ne peut en représenter que des effets indirects qui, s'ils ressortent de la dramaturgie d'un monde qui s'éteint, ne permettent pas de conférer au récit la tension nécessaire à la mise en scène d'une aventure, d'une histoire. C'est pourquoi ce rôle est dévolu aux monstres comme instance antagoniste et directement identifiable.
On saluera d'ailleurs la diversité de ce bestiaire, entre mutation grotesque à la Love and Monster, évocation du zombie de type Resident Evil et choses informes, tentaculaires, dépassant l'entendement, et flirtant avec les entités du mythe de Cthulhu. Il y a là comme un inventaire tératologique qui place automatiquement le lecteur ainsi que le récit sur une pente téléologique, renvoyant la société ou les modèles sociaux, à leur propre fin, avec ce petit parfum d'apocalypse. On peut y trouver une référence ou un hommage à ces films, ces histoires, d'une menace inconnue qui vient mettre en péril non seulement notre mode de vie, mais notre existence même, tels Annihilation, livre et film qui ne sont pas sans rappeler La couleur tombée du ciel. L'absence ou le manque d'explication de ce foisonnement monstrueux ne me dérange pas, bien au contraire. C'est ce qui nous place au niveau du narrateur et nous permet dès lors de sentir la menace de manière plus directe et donc, plus fortement.
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Il s'agit à présent de regarder l'aventure. Celle-ci est de bonne facture. Elle mêle astucieusement vengeance, enquête, mission et survie. Elle offre plusieurs points de vue, plusieurs déroulés, qui assurent la structure de la trame narrative et donnent ainsi la possibilité au lecteur de s'orienter assez aisément dans le fouillis des carcasses métalliques et l'imbroglio des champs mnémoniques. Il existe quatre fins, dont deux réellement conclusives et toutes apportent leur lot de satisfaction, mais aussi de pistes ouvertes, des mystères non résolus, ce qui permet de continuer de faire vivre l'histoire bien après son point final.
Néanmoins, comme cela a déjà été souligné, on peut s'interroger sur le fait de confier une grenade à un enfant de 10 ans. Cela m'a surpris, tellement que j'étais convaincu qu'il s'agissait de la bonne solution. C'est heureusement plus compliqué que cela. Ensuite, j'ai trouvé que l'environnement du train n'était pas assez détaillé (j'y reviendrai). Nous n'avons le droit qu'à une simple remarque au paragraphe 5 : « La moquette bleue, sur le sol, est tachée de sang ». Lorsque le mercenaire que nous incarnons monte dans ce train, il n'existe aucun autre être vivant à part les 4 du wagon qui nous occupe. Les autres passagers ne sont pas réels. Et donc leur disparition l'est tout autant. On les suppose vivant à un moment, et l'instant d'après, ils sont morts. En quelques minutes toute vie disparaît à l'intérieur de ce train. Aucun passager n'essaie de passer par notre wagon, presque aucun survivant n'est rencontré, aucune trace de leur existence n'est visible : affaires, barricades, cris... Sauf le paragraphe 5 donc et le 46.
Au paragraphe 12, je m'interroge sur la pertinence de choisir les échafaudages. On sait qu'un monstre gigantesque rampe dans les hauteurs. Il ne me viendrait pas à l'idée de me rapprocher de cette source de danger très potentiel, du moins pas sans une meilleure justification.
Enfin, entre le paragraphe 14 et le 21, l'homme à qui on emboîte le pas disparaît purement et simplement. C'est évidemment un problème de renvoi car deux autres paragraphes permettent d'accéder au 21, mais sans discussion avec l'homme en question. Peut-être lui faire prendre au 14 une direction que nous, nous ne voulons pas suivre.
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J'ai déjà parlé des personnages et de leur fonction, de leur tempérament, je n'y reviens pas. J'en arrive donc à présent à ce qui m'a posé le plus de soucis : une ambiance à laquelle j'ai eu du mal à accrocher. Il y a à cela trois raisons principales.
La première vient du fait que toute l'aventure est une analepse, c'est-à-dire un retour en arrière dans une ligne narratrice. Nous savons donc que nous allons survivre. Je n'ai pas de solution toute faite pour palier à cet inconvénient, en sachant que cette structure autorise des architectures énonciatives passionnantes. C'est moins problématique dans un récit ordinaire (à la H.P.L.) que dans un récit dont nous sommes le protagoniste.
Le second est dû au manque cruel de descriptions ordinaires, de celles qui nous contextualisent les gens et l'environnement. La gare, les passagers, les raisons qui les poussent à faire un tel voyage, les wagons, les employés, tout cela est terriblement absent. Lorsque nous avançons dans les coursives du train, on n'a pas la moindre idée de ce à quoi elles ressemblent, de comment sont les gens. N'est décrit que l'essentiel pour comprendre la menace et pour planter une atmosphère angoissante – ce qui dans l'ensemble est réussit. Idem lorsque nous arrivons dans le corps du bâtiment, le hall principal, le hangar. Malgré les nombreuses relectures, je n'ai toujours pas d'idée précise de la configuration des lieux, des couleurs, des odeurs, des bruits qui agrémentent l'endroit. Tout reste trop vague, trop indistinct. Ainsi avec le paragraphe 24 où je ne sais pas où l'on se retrouve une fois monté sur les échafaudages. En hauteur, mais par rapport à quoi ? En extérieur ? Mais et le monstre rampant ? Pourquoi on peut redescendre de l'autre côté, atteindre une rampe et surtout, rebrousser chemin si les échafaudages mènent au hall B ? C'est peut-être moi qui visualise mal l'ensemble, mais cela m'a donné tout au long de l'aventure le sentiment d'évoluer dans un décor non terminé, non défini. Maintenant, c'est peut-être voulu afin de renforcer l'aspect flou et incertain d'une mémoire composite. Mais dans ce cas-là, cela reste gênant pour l'immersion du lecteur.
Enfin, demeure le dernier soucis, celui de la sémantique, dirais-je, du sens des mots, du sens des phrases. Alors ce n'est pas moi qui suis l'auteur. Tu as, MerlinPinPin, ta propre mélodie lorsque tu écris. Les remarques ci-dessous sont donc essentiellement d'ordre subjectif afin d'appuyer un ressenti, de mettre en évidence une difficulté. Il ne s'agit en aucun cas de remarques prescriptives. De plus, ce n'est pas non plus un relevé exhaustif, mais simplement les notes de ce qui a été constaté lors de ma relecture, qui s'est voulue une lecture enchaînant les bonnes sections pour parvenir à l'une des fins. Je mets en anti-révélateur ma progression, soit 33 numéros :
L'introduction : on commence par ce drôle de mot « Mais le prix à payer est toujours exubérant ». Exubérant, c'est surtout pour les plantes, la végétation. Chez l'humain, cela renvoie à une personne débordante, volubile, riche, vigoureuse. On s'attendrait plutôt à un prix exorbitant. « L’hiver répand son amnésie blanchâtre sur le sol rocailleux ». J'aime beaucoup. « Le monde disparaît silencieusement sous un voile de flocons indiscernables » : il est difficile de disparaître recouvert de quelque chose que l'on ne voit pas. « La chaleur qui le réconforte n’est qu’une caresse illusoire sur le linceul de votre peau » : si c'est illusoire, cela n'existe pas. Ce n'est pas la caresse, mais l'idée de cette dernière qui réconforte. Cela fonctionne sans problème lorsque les illusions sont connues (l'alcool qui réchauffe par exemple). Sinon, c'est une question de poésie, de ressenti. « Donnant vie à des terreurs à moitié oubliées au milieu d’un grand théâtre blanc » : très belle image. Page 4, au dernier paragraphe : « Et puis les montres […] et puis un jour ». Un petite répétition.
1 : « Sans memsine, elles finissent par s’effriter, par rétrécir jusqu’à devenir de vagues spectres brumeux que vous ne distinguez plus qu’en plissant les yeux » : cela fonctionne mal. Si je plisse les yeux, je ne vois quasiment plus rien et un savoir ne se voit pas ; se visualise à la limite. Il s'agit plutôt d'un mouvement automatique accompagnant la remontée du savoir.
45 : « Vous somnolez ainsi, bercé par le tangage, jusqu’à ce qu’un brutal et interminable crissement vous ramène à la réalité. Vous êtes tous projetés en avant sans ménagement ! » Ici, aucun problème de sens. Sauf que je ne ressens pas l'arrêt brutal. Au contraire même, tout s'étire. Je devrais être projeté à son commencement. Or nous le sommes une fois qu'il est fini. Les sensations ne coïncident pas avec la description. « Le visage qui se dessine de l’autre côté n’est pas un visage. » Si ce n'est pas un visage on ne peut pas écrire que c'est un visage. Il faudrait amener l'idée que l'on croit que c'est un visage avant de se rendre compte avec horreur que ce n'en est pas un, du genre « Ce que vous aviez considérez comme ». « Dans la faible lumière de l’aurore qui filtre à travers les excroissances de l’ombre » : quelles excroissances ? Quelles ombres ? « Chacun de vos visages arbore l’expression paniquée d’un damné, sculptée par un dément » : hyperbole peut-être un peu trop forte pour la scène. On ne comprend pas pourquoi une telle expression apparaît car cela n'a pas été suffisamment contextualisé en amont. « Son visage vide » : je croyais que justement, ce n'était pas un visage. « Vous restez silencieux, fasciné par cette aube de feu aux nuages de fumée noire qui fait pâlir l’aurore solaire. » Très bon, mais je trouve solaire de trop : l'aurore est normalement forcément due au soleil.
29 : « La plupart de ces monstres n’aiment guère la lumière du soleil et espèrent la nuit ». Je trouve que le verbe espérer s'accorde mal à ces créatures : attendre, patienter. « Ou leur lessive de luxe détache bien mieux le sang que l’eau saumâtre où vous trempez vos doigts » : le champ lexical de la lessive détonne étrangement. Je ne suis pas sûr que cela convienne à l'atmosphère recherchée.
11 : « On distingue presque à l’intérieur les mouvements saccadés d’un immense embryon. » Si l'on distingue presque, c'est que l'on ne distingue pas encore et donc que l'on ne voit rien.
43 : « Le sol se dérobe sous vos pieds comme une patinoire, couvert du liquide noirâtre et visqueux. » j'ai cru à ma lecture que le sol s'effondrait : on patine, on dérape. « Six, bientôt sept d’entre eux déchirent le cocon et se tortillent, sondant l’air autour d’eux. » Juste en passant : il y a deux fois « eux ».
3 : « Le vent souffle à travers les vitres brisées, illusion de présence. » Je ne comprends pas ce que cela veut dire. En quoi le vent qui souffle génère une illusion de présence ? Un rideau qui se gonfle, un chuintement comme une respiration ? « Devant vous, un escalier brinquebalant, en partie descellé, conduit à la partie supérieure du wagon et à l’armurerie. » On a deux fois « partie » : la section supérieure ? À moitié descellé ? « À l’intérieur, le placard du râtelier est demeuré ouvert, mais, à votre grand dam, presque vide. » J'aurais écrit « mais, à votre grand dam, il est presque vide ». « Vous apercevez sa réflexion dans la vitre devant lui ». Réflexion me semble assez maladroit : son reflet ? « Il porte une clé qui permet certainement d’accéder à certaines parties du train ». Certainement, certaines : répétition.
12 : « un spectacle finalement rassérénant », suivi de « Chassant ces pensées peu réjouissantes ». Il s'agit-là d'une étonnante construction, à la limite de la schizophrénie, entre apaisement et affliction. Pourquoi pas.
48 : « Un vent glacial charrie des grincements où vous semblez discerner ». Je pense que dans lesquels, voire au sein desquels serait plus approprié que le pronom relatif « où ». « Mer de ténèbres dont vous ne percevez que l’écume céruléenne » : je ne suis pas certain que ce choix de couleur soit le bon. Peut-être davantage un bleu acier, nocture, luzien, voire pétrole ou d'encre. « En approchant, vous constatez qu’une partie s’est effondrée » : une partie de quoi ? De l'entrée, du boyau, des boyaux, de quelle manière ? « Malgré vos efforts, le moindre de vos pas fait crisser le sol, la brume alentour répercutant l’écho ». Comment une brume peut-elle répercuter un écho ? Je ne dis pas que c'est impossible mais je ne vois pas à quoi correspond cette description qui me laisse perplexe.
47 : dans toute cette partie, je n'avais pas compris, lors de ma première lecture, l'action décrite. Je croyais que l'on perçait la membrane pour accéder au cadavre sous cette dernière et non pour entrer dans le train.
17 : « Vous la regardez, pétrifié ». Pourquoi sommes-nous pétrifié ? C'est finalement assez normal qu'elle ne se souvienne pas. Qu'est-ce qui justifierait cette tétanisation ? « Vous la regardez, sonné » : outre la répétition du motif, même question : pourquoi est-on ainsi sonné, K.O. ? On pourrait à la rigueur être frappé par ses propos, ce qui pourrait se justifier en quelques mots. Mais sonné, je ne vois pas pourquoi. « La mort d’un de vos compagnons, déchiqueté par un monstre, vous déchire le cœur » : déchiqueté et déchiré, ce n'est pas très heureux comme association ici, cela donne presque l'impression d'un bon mot.
30 : « la créature se tourne légèrement, vous faisant basculer en avant. Vous tombez juste entre ses jambes ». On est déjà à 4 pattes : comment peut-on basculer et tomber ? Éventuellement s'étaler, s'avachir. « Les images d’autres mercenaires, des compagnons à vous, disparaissant un à un » : pas très élégant. « d'autres mercenaires, vos compagnons, disparaissant ». « Vous tombez à genoux, incapable de résister à la noirceur qui se déverse sur vous » : physiquement impossible puisque l'on était déjà tombé entre ses jambes. Petit soucis de cohérence descriptive.
19 : à l'inverse, ici, la cohérence est bien respectée, mais on la suit mal. Il y a un éclair aveuglant, suivi de la vision obstruée, puis un paragraphe plus loin, nous sommes juste remis de notre cécité : on ne saisit pas bien que l'on a perdu la vue parce que l'éclair aveuglant est une colocation ordinaire et que la vision obstruée n'est pas forcément l'absence de vision. Ensuite et surtout parce que si dans un train pareil, on perdait la vue, même dix secondes, je pense que l'on paniquerait, mais grave de chez grave. D'ailleurs, comment fait-on pour voir l'adversaire s'avancer et ainsi choisir une action aussi difficile à réaliser que celle proposée ? Tout cela est un peu confus. « Aussitôt, d’atroces hurlements à peine étouffés assaillent vos oreilles » : pourquoi, qui viennent d'où ? L'indéfini « des hurlements » devrait être défini car on sait qui les pousse.
28 : « Animé d’un solide instinct de survie, vous vous précipitez, à bout de souffle ». J'ai le sentiment qu'il manque quelque chose à la phrase, un « y » peut-être, ou un « vous vous y engouffrez ». « Une silhouette se déplace, bondissant dans les airs, rapidement. Vous sentez presque l’haleine fétide de la créature ». Ce n'est pas possible. Si la créature est dans les airs, je ne peux pas sentir son haleine. Maintenant, il y a « presque ». Donc effectivement, je ne la sens pas. Cela reste quand même un peu maladroit. En fait, ici, c'est toute la scène d'action qui peine à convaincre. Je me la représente, mais je ne sens pas la menace, le danger, le souffle court de mon incarnation.
15 : « Et puis, vous n’êtes plus vraiment seul. Puis elle vous regarde » : répétition.
Quelques passages supplémentaires. Au paragraphe 4, « Vous vous retournez jusqu’à distinguer enfin les fentes des yeux d’un félin ». Se retourner est une action normalement rapide que viennent contredire jusqu'à distinguer et enfin, qui supposent de prendre du temps. On s'imagine donc mal ce que fait le personnage : il se tourne rapidement ou lentement ? Au paragraphe 7 : « le métal et la pierre ont fusionné pour donner naissance à des effusions de cristaux colorés » : étrange allitération. Au paragraphe 20, je ne suis pas convaincu par la métaphore de la lumière qui pleut, car les sèmes sont vraiment différents et je vois mal une lumière pleuvoir, même drûment. Cela pourrait le faire avec des photons.
J'espère ne pas avoir été trop sec dans mes commentaires. Si c'est le cas, toutes mes excuses.
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L'AVH offre une mécanique de jeu classique : une douzaine de code à récupérer, un code spécial, une énigme, et deux objets à section secrète. Pour les codes, j'avoue que leur forme, capitale et troncation, me séduit moyennement, car cela nous fait un peu sortir de l'histoire, comme CHI. Des codes plus ancrés dans le réel m'auraient plu davantage, voire des codes dont il faut deviner que ce sont des codes. Sur le manche de la hache, il y aurait le nom de la marque par exemple. Je ne suis pas super fan des codes qui ne servent à rien. Mais je respecte les petites joies sadiques des auteurs. L'énigme ne m'a pas bloquée bien que je n'ai absolument pas vu qu'il s'agissait de morse. J'ai fait comme cela : O 1, ▲ 4 /▲ 3, O 2 : 14 et 32. Il faut soustraire 32-14 = 18. Chance absolue due aux hasards combinatoires des mathématiques ?
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Pour terminer, passons rapidement l'aspect ludique de Kintsugi. Je pense que l'on peut raisonnablement dire qu'il est presque au maximum. Comme ce n'est pas un OTP, il n'est pas nécessaire de faire tous les paragraphes pour y parvenir. Mais l'aventure est redoutable. Vers la fin de la première séquence, je me suis retrouvé coincé parce que ma façon de retranscrire les numéros et les embranchements – sur PC et de manière linéaire – ne me permet que difficilement de voir les boucles qui autorisent de récupérer les bons codes. Il m'a fallu tout remettre sur papier pour avoir une vision globale. Mais la rejouabilité est excellente, le plaisir de jeu total et l'osmose littérature/jeu, une des meilleures qu'il m'ait été donnée de lire. L'architecture de l'ensemble est un petit bijou de précision et d'inventivité.
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Pour résumer : œuvre de littéraction tout autant que de littérature, Kintsugi nous offre une réflexion sur la construction des souvenirs comme des représentations au sein d'un univers dystopique qui ferait les joies des amateurs de bons films de divertissement. À l'aide d'une histoire solide et de personnages suffisamment campés, le récit révèle ses mystères parcimonieusement, justifiant l'implication du lecteur pour parvenir aux différents dénouements proposés. Si la forme est excellente, on regrettera une atmosphère lointaine, au second plan, que l'on apprécie plus comme spectateur que comme protagoniste, tant en raison du choix de la narration que des difficultés rencontrées par l'écriture pour planter un décor et offrir une action cohérente et rythmée. Mais cela n'ôte en rien un plaisir de jeu total dans un univers que l'on a hâte de retrouver.
Ultime remarque : ta plume est excellente, MerlinPinPin. Il a fallu que j'aille sur le terrain redoutable du sens et du rythme pour y trouver à redire. Ce qui sous-entend que ce que tu nous proposes est d'un niveau tout à fait professionnel.
Goburlicheur de chrastymèles