[Destiny Quest] La Légion des Ténèbres
#88
Bragelonne a le mérite d'éditer un LDVELH qui n'a rien à voir avec les grands classiques de Folio Junior ou d'autres grandes séries françaises comme les Histoires à Jouer ou Haute Tension. Il s'agit ici d'un livre grand format comprenant trois cartes géographiques colorées, plus de 1000 longs paragraphes... et aucune autre illustration. Voilà pour les différences de forme.

Sur le fond, il existe bien une feuille d'aventure, des lancers de dés, des combats chiffrés. Par contre, pas de PFA et quand on meurt, on a la possibilité de revenir au début du paragraphe fatal pour retenter le duel ou un peu plus en amont de l'aventure.
Enfin, le système de choix ressemble aux cartes numérotées de Brennan, c'est à dire qu'on peut visiter des endroits précis dans l'ordre de notre choix. Chacune de ces "entrées" ouvre alors une mini-aventure qui peut ne comporter que 3 paragraphes (comme les monstres légendaires) ou
plus d'une cinquantaine pour certaines particulièrement soutenues (l'aventure sous-marine, le bal des vampires...).

Indépendamment de ces caractéristiques, la Légion des Ténèbres est un rpg version livre, pas vraiment un LDVELH. Les combats sont innombrables, les gains d'armement et d'or tout autant. Le personnage n'a de cesse de progresser grâce à ces équipements magiques toujours plus efficaces et le but est d'optimiser ces trouvailles en série.
Si les règles sont simples, l'aspect tactique est très élaboré, voire complexe, de par le grand nombre de pouvoirs à utiliser aux bons moments, sans compter les potions magiques que l'on peut boire en plein affrontement. Les résurrections automatiques font penser aux points de sauvegarde, la liberté de déplacement est faussée car il ne faut pas se rendre à certains endroits si l'on n'est pas assez expérimenté, il existe des boss de fin de niveau.

Bref la liste des ressemblances est infinie ; et pour cause, ce choix est complètement assumé de la part de l'auteur : il s'agit bien d'un rpg papier. Avec toutes les invraisemblances inhérentes à ce genre de jeu vidéo : des pièces d'or et des trésors sur chaque ennemi sans exception, une course à l'armement forcenée, qui en devient comique quand le héros fouille en pleine bataille le cadavre de sa victime, des combattants infatigables qui détruisent des dizaines de créatures à tour de bras
sans ciller, etc...

Personnellement, j'ai dû faire deux ou trois rpg en mode solo dans ma vie et je n'en pratique plus depuis huit ou neuf ans. Pourtant, j'ai passé des dizaines et des dizaines d'heure captivantes avec ce livre.

Ce LDVELH a le défaut d'être très exigeant. On ne peut pas y jouer juste pour passer le temps, ni le lire sans suivre les règles à la lettre. Surtout, il ne faut pas le prendre en main comme on prendrait un autre LDVELH.

Il faut prévoir beaucoup, beaucoup de temps. Etre prêt à lancer des dés à tours de bras. S'y plonger avec l'esprit en éveil, car nombreux seront les pouvoirs et capacités à prendre en compte lors de
combats se déroulant parfois sur une quinzaine d'assauts. Ainsi, pour gérer sans oubli mes capacités utilisables une fois par combat, je les notais chacune sur un petit bout de papier que je retournais après utilisation…
Ce n'est pas de la détente comme quand on lit un roman, il faut une déployer une concentration digne de celle d'une partie de jeu de plateau (et je ne parle pas de Jungle Speed).
Il faut aussi faire abstraction des incohérences évoquées plus haut ainsi que d'une liberté d'action très réduite car on ne fait les quêtes que dans un certains ordre si on veut survivre.
Tous ces défauts et ces contraintes restreignent la part de public qui va adhérer à ce concept.
Mais si l'on est dans la frange ciblée, alors on peut prendre son pied.

Le jeu est très bien pensé, on sent que ce livre a été efficacement playtesté et que l'auteur a poussé jusqu'au bout son concept.
Les règles sont très basiques pourtant. Une variante du système Défis Fantastiques, rapide à prendre en main et sans beaucoup de caractéristiques à tenir compte. Ce qui va y apporter une dimension
tactique inégalable est le nombre impressionnant de capacités que l'on va progressivement acquérir. Lesquelles choisir, à quel moment les
utiliser… voici les leviers qu'il va falloir en permanence manipuler pour vaincre des ennemis retors, qui eux-mêmes se démarquent par des pouvoirs originaux rendant les affrontements jamais monotones.

C'est un système très efficace. A certains moments on va enchaîner les victoires sans trop se fouler, jusqu'à se casser le nez dans une zone plus dangereuse qui va nous amener à changer notre fusil d'épaule pour passer l'obstacle et ainsi de suite.

Où j'ai été le plus bluffé, c'est par la maîtrise de la difficulté globale, tout au long du livre. Généralement, un système de combats et de progression va bien fonctionner au début. Mais il va trouver ses limites quand le héros se transforme en gros bill et qu'il pulvérise tout vers la fin de la campagne (l'Epée de Légende, Loup Solitaire...).
Ici la difficulté est présente du début à la fin, il n'y a jamais la sensation que le personnage est cheaté... ou alors elle ne dure jamais longtemps! Bien sûr, beaucoup de combats sont de simples formalités mais on va régulièrement tomber sur un adversaire contre lequel il va falloir
boire des potions pour s'en sortir et voir nos points de Santé approcher du 0 fatidique.

Le point de règles le plus agaçant à mon sens était la possibilité de ressusciter automatiquement, très dépréciateur en matière de stress. Je l'ai détourné en utilisant deux personnages parallèles : dès que je mourais avec l'un, je reprenais avec le second là où ce dernier était mort la fois précédente. Je pense que chacun de mes persos est mort environ 6 ou 7 fois ce qui n'est pas énorme par rapport à l'immensité de l'histoire. Mais ce LDVELH est tellement linéaire, les combats si fréquents et les paragraphes d'une longueur telle que j'ai passé plus d'un mois à la terminer en essayant d'y jouer chaque jour. Quand je parlais de durée de vie...

Mais si pour moi ce livre est un incontournable, c'est qu'il est d'une réelle qualité littéraire. Tout ce qui à mes yeux le rend infiniment supérieur à un rpg version jeu vidéo.

Cet aspect n'est pas flagrant au début. Un scénario plutôt convenu, quoique pas inintéressant, avec de nombreux clins d'oeil à des histoires, films ou romans célèbres. Nous sommes amnésique et devons découvrir notre passé. Peu à peu, on va s'apercevoir que celui-ci n'est pas flatteur. On va devenir une sorte d'être élu mais également un paria mal-aimé qui lutte contre sa nature profonde. Dit comme ça, ça rappelle du déjà vu (Total recall) mais c'est déjà bien plus profond que la
moyenne des LDVELH.

Les premières aventures sont d'une candeur désarmante, comme de simples introductions sans prétention pour apprivoiser le système de règles.
Mais déjà, on rencontre quelques personnes décrites avec un certain relief comme les deux femmes qui font le concours du plus beau légume (sans lapin-garou mais avec navet tueur), l'insupportable chaperon rouge ou la famille de rats qui rappelle Massacre à la Tronçonneuse. Les dialogues sont fins, réalistes. Les rapports avec les personnages plutôt développés. Sous l'aspect bourrin du jeu scintille une certaine maturité de plume.

C'est à partir de la seconde partie que les mini-aventures deviennent vraiment plus longues et captivantes.
Le bal du comte avec son charismatique et frimeur chasseur de sorcières et cette scène apocalyptique où les dizaines de nobles se tournent dans un même ensemble vers les paysans invités ; le couple de scientifiques perdu dans la lave ; les dryades xénophobes ; tous ces passages m'ont marqué l'esprit. Le must étant pour moi l'aventure sous-marine, un véritable hommage à New York 1997 avec nous dans le rôle de Snake Plissken. Les paragraphes évoquant l'ingestion des sangsues sont terrifiants, le tout magnifié par une description poussée des sensations du héros, de la gêne de la fille et de l'inhumanité du commanditaire.
Sincèrement, ce passage est brillamment écrit, j'avais l'impression de lire un bon roman.

Cette qualité de plume se retrouve dans la troisième et dernière partie.
Celle-ci se passe presque entièrement avec des morts-vivants et les paysages sont invariablement stériles, désolés. Avec ça, on peut craindre une grande lassitude pour le lecteur et un essoufflement dans l'originalité. Mais non car l'auteur donne un nouveau braquet à l'histoire en nous gratifiant de compagnons personnifiés, attachants et surtout qui ne vont pas disparaître dès la première confrontation! Les meutes de goule, de squelettes et de nécromanciens vont se briser sur l'enthousiasme de Caeleb le cavalier, la fierté de Nyms le spadassin et la foi de la prêtresse Lansbury qui, pour une fois, n'est pas un personnage féminin propre à briser le coeur du héros. Elle est plus âgée que nous, vit pour son dieu et sa vocation à lutter contre le mal, ce qui ne l'empêche pas d'être pourtant très humaine dans ses réactions.
Les réparties entre ces héros qui se charrient entre eux en plein milieu des combats apportent une légèreté bienvenue à une histoire très sombre, un peu comme dans les Indiana Jones, tout en facilitant l'immersion dans notre personnage. On a vraiment l'impression de faire partie d'un groupe
et que notre personnalité torturée est mise en relief par ces rapports humains.

J'ai donc été happé par ce livre-jeu, ce personnage de Névarin et cette histoire ou plutôt cet ensemble d'histoire, à un point qui m'a permis d'ignorer les défauts objectifs du bouquin : un final qui frise l'overdose de pouvoirs divins et de destructions cataclysmiques, des batailles qui traînent parfois en longueur (surtout vers la fin), un afflux de puissance chez le héros qui le rend moins humain et donc moins attachant (toujours vers la fin), quelques clins d'oeil limite (la course dans le cerveau géant hommage à la fin de Star Wars 4), un peu trop de Nevarins sur notre chemin...

Mais comment maintenir une qualité égale sur le long d'une aventure aussi conséquente?
J'ai été ébloui par la quantité de travail abattu par l'auteur et son imagination. Il a voulu créer quelque chose de très particulier, une expérience littéraire et ludique unique qu'il a, de mon point de vue, parfaitement réussie. Je comprends que ce pavé soit totalement indigeste pour la plupart. C'est à remettre à un public averti et, même dans ce cas, il ne correspondra pas à de nombreuses attentes. C'est une nouvelle espèce d'OVNI.

De mon côté, j'espère ardemment que Bragelonne aura l'envie de publier la suite.


P.S. : ce sujet ne devrait-il pas être dans la section "critiques"?
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RE: [DestinyQuest] Que vaut la série Destiny Quest? - par Fitz - 02/09/2013, 19:38



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