Livres-jeu numériques, partie 1 : les cousins
À l'heure où la survie de la presse écrite passera peut-être par le passage au tout numérique, via les liseuses et les tablettes graphiques, qu'en est-il des soubressauts du livre dont vous êtes le héros dans le monde des 0 et des 1 ? Désireux de mettre les choses au clair, j'ai commencé à écumer le net à la recherche des différentes initiatives, soulevant une problèmatique plus complexe que ce à quoi je m'attendais. Pour m'y retrouver, je me suis forcé à structurer ma pensée en une série d'articles. Voici le premier.
Cousins numériques du livre dont vous êtes le héros
L'évolution de la littérature interactive vers le numérique ne date pas d'hier. Dans les faits, numérique et papier sont en effet naît au même moment. Un peu d'histoire.
En 1975, Gary Gygax et Dave Arneson publient la première version de Donjons et Dragons. L'influence de ce jeu de rôle sur la communauté geek sera incroyablement rapide et profonde. Dès l'année suivante, William Crowther crée la première fiction interactive numérique, The Colossal Cave. Une simple exploration de donjon, avec des objets à trouver et à utiliser au bon endroit. L'interface est la ligne de commande, le lecteur tape ses actions, comme "marcher sud" ou "prendre clé", puis prie pour que la machine le comprenne et ne plante pas. Très basique, pas forcèment très intuitif, mais les bases du LVH sont déjà là : utilisation de la deuxième personne, division de l'aventure en blocs séparés par des choix. En terme de littérature, on est cependant encore loin du compte, en partie à cause des limitations des machines de l'époque. Pour les curieux, vous pouvez y jouer gratuitement et légalement en français ici.
Exemple de partie de The Colossal Cave, via l'interpréteur Parchment. Les entrées utilisateur sont en gris clair.
En parallèle, le premier Choose Your Own Adventure paraît en 1976. Destiné à un public jeune, usant du tutoiement en français, les choix sont fortement espacés et l'histoire est décousue, avec des rebondissements improvisés. Il faudra attendre 1982 avant que Le Sorcier de la Montagne de Feu ne révolutionne le paysage du livre-jeu. Tout imparfait qu'il soit, il combine un style d'écriture moins enfantin que la concurrence, une volonté de cohérence de l'histoire et du lieu et un système de règles fonctionnel et efficace. Pour l'histoire des LVH en eux-mêmes, je vous renvoie cependant sur l'article dédié de la deuxième fanzine, téléchargeable ici, beaucoup plus complet.
Les fictions interactives continueront à se développer durant toute la pré-histoire de l'informatique grand public. Certains commenceront d'ailleurs à proposer une liste de choix possibles au lecteur, les rapprochant encore plus du LVH. Puis viendront les images, les animations, et le genre mutera majoritairement vers le jeu d'aventure en pointer-et-cliquer, comme la célèbre série des Monkey Island. Il reste cependant des communautés de passionnés qui continuent à faire vivre le genre. Je ne suis pas spécialiste, mais Wikipédia me conseille IFiction-Fr pour les francophones, et Infinite Story pour les anglophones.
Il existe cependant une variante de la fiction interactive qui continue à se vendre dans un pays bizarre, le Japon, sous le nom de Visual Novel. Le genre naît vers 1983 et n'est dans un premier temps constitué que de jeux de drague érotiques. Presque 30 ans après, cet héritage reste encore très marqué et concentre la majeure partie de la production. Cependant, le genre est sorti du bois via quelques exceptions de bonne qualité, qui ont ensuite été adaptés sur d'autres supports beaucoup plus connus du grand public : mangas et animes.
Alors qu'un LVH se centre surtout sur les actions de son héros, les VN gravite autour des interactions entre les personnages. La narration s'effectue à la première personne, avec un avatar plus ou moins marqué. Les choix sont à prendre dans une liste de propositions et sont souvent fortement espacés. Leur influence est également plus restreinte, le genre jouant beaucoup plus sur l'incrémentation et la décrémentation de compteurs qui n'interviendront qu'à quelques endroits précis. Il existe même un sous-genre sur lequel je ne m'étendrai pas, le kinectic novel, qui est un visual novel... sans les choix.
Des bonnes surprises en terme de jeu ne sont cependant pas à exclure, en particulier du côté de la communauté amateure. L'anglophone se réunit sur le forum de Ren'Py, logiciel libre et gratuit de création de VN, l'équivalent de notre célèbre ADVELH. La communauté francophone, qui totalise une poignée de traductions et de créations originales, semble par contre éclatée.
Il est intéressant de voir que ces différents genres, nés dans un même bouillement à la fin à la limite entre les années 70 et 80, partagent finalement énormément de points communs. Cependant, leurs fans respectifs se connaissent finalement assez peu. Je pense que chacun y gagnerait si ces cousins germains se rapprochaient quelque peu, ne serait-ce que par le poids d'une communauté unie de la littérature interactive. Mais avant de parler de cette utopie, annonçons donc le prochain article, qui rentrera dans le vif du sujet, en parlant cette fois des logiciels de lecture augmentée de livres-jeu.
Cet article est sous licence Creative Commons BY. N'hésitez donc à le reprendre, à le modifier et à le réutiliser.
Annexe :
Résumé de la chronologie
PS : cette étude a été faite au gré de mes tribulations plus ou moins orientées sur le net. En l'occurence, il se peut que je sois complètement passé à côté de quelque chose d'important. Dans ce cas, n'hésitez pas à me le signaler. De même, j'attends vos remarques, commentaires, questions et réflexions sur le sujet.
PPS : pour le prochain article, je serais intéressé de connaître les retour d'utilisateurs du forum sur les LVH via smartphones et tablettes, ne possèdant ni l'un ni l'autre.
À l'heure où la survie de la presse écrite passera peut-être par le passage au tout numérique, via les liseuses et les tablettes graphiques, qu'en est-il des soubressauts du livre dont vous êtes le héros dans le monde des 0 et des 1 ? Désireux de mettre les choses au clair, j'ai commencé à écumer le net à la recherche des différentes initiatives, soulevant une problèmatique plus complexe que ce à quoi je m'attendais. Pour m'y retrouver, je me suis forcé à structurer ma pensée en une série d'articles. Voici le premier.
Cousins numériques du livre dont vous êtes le héros
L'évolution de la littérature interactive vers le numérique ne date pas d'hier. Dans les faits, numérique et papier sont en effet naît au même moment. Un peu d'histoire.
En 1975, Gary Gygax et Dave Arneson publient la première version de Donjons et Dragons. L'influence de ce jeu de rôle sur la communauté geek sera incroyablement rapide et profonde. Dès l'année suivante, William Crowther crée la première fiction interactive numérique, The Colossal Cave. Une simple exploration de donjon, avec des objets à trouver et à utiliser au bon endroit. L'interface est la ligne de commande, le lecteur tape ses actions, comme "marcher sud" ou "prendre clé", puis prie pour que la machine le comprenne et ne plante pas. Très basique, pas forcèment très intuitif, mais les bases du LVH sont déjà là : utilisation de la deuxième personne, division de l'aventure en blocs séparés par des choix. En terme de littérature, on est cependant encore loin du compte, en partie à cause des limitations des machines de l'époque. Pour les curieux, vous pouvez y jouer gratuitement et légalement en français ici.
Exemple de partie de The Colossal Cave, via l'interpréteur Parchment. Les entrées utilisateur sont en gris clair.
En parallèle, le premier Choose Your Own Adventure paraît en 1976. Destiné à un public jeune, usant du tutoiement en français, les choix sont fortement espacés et l'histoire est décousue, avec des rebondissements improvisés. Il faudra attendre 1982 avant que Le Sorcier de la Montagne de Feu ne révolutionne le paysage du livre-jeu. Tout imparfait qu'il soit, il combine un style d'écriture moins enfantin que la concurrence, une volonté de cohérence de l'histoire et du lieu et un système de règles fonctionnel et efficace. Pour l'histoire des LVH en eux-mêmes, je vous renvoie cependant sur l'article dédié de la deuxième fanzine, téléchargeable ici, beaucoup plus complet.
Les fictions interactives continueront à se développer durant toute la pré-histoire de l'informatique grand public. Certains commenceront d'ailleurs à proposer une liste de choix possibles au lecteur, les rapprochant encore plus du LVH. Puis viendront les images, les animations, et le genre mutera majoritairement vers le jeu d'aventure en pointer-et-cliquer, comme la célèbre série des Monkey Island. Il reste cependant des communautés de passionnés qui continuent à faire vivre le genre. Je ne suis pas spécialiste, mais Wikipédia me conseille IFiction-Fr pour les francophones, et Infinite Story pour les anglophones.
Il existe cependant une variante de la fiction interactive qui continue à se vendre dans un pays bizarre, le Japon, sous le nom de Visual Novel. Le genre naît vers 1983 et n'est dans un premier temps constitué que de jeux de drague érotiques. Presque 30 ans après, cet héritage reste encore très marqué et concentre la majeure partie de la production. Cependant, le genre est sorti du bois via quelques exceptions de bonne qualité, qui ont ensuite été adaptés sur d'autres supports beaucoup plus connus du grand public : mangas et animes.
Alors qu'un LVH se centre surtout sur les actions de son héros, les VN gravite autour des interactions entre les personnages. La narration s'effectue à la première personne, avec un avatar plus ou moins marqué. Les choix sont à prendre dans une liste de propositions et sont souvent fortement espacés. Leur influence est également plus restreinte, le genre jouant beaucoup plus sur l'incrémentation et la décrémentation de compteurs qui n'interviendront qu'à quelques endroits précis. Il existe même un sous-genre sur lequel je ne m'étendrai pas, le kinectic novel, qui est un visual novel... sans les choix.
Des bonnes surprises en terme de jeu ne sont cependant pas à exclure, en particulier du côté de la communauté amateure. L'anglophone se réunit sur le forum de Ren'Py, logiciel libre et gratuit de création de VN, l'équivalent de notre célèbre ADVELH. La communauté francophone, qui totalise une poignée de traductions et de créations originales, semble par contre éclatée.
Il est intéressant de voir que ces différents genres, nés dans un même bouillement à la fin à la limite entre les années 70 et 80, partagent finalement énormément de points communs. Cependant, leurs fans respectifs se connaissent finalement assez peu. Je pense que chacun y gagnerait si ces cousins germains se rapprochaient quelque peu, ne serait-ce que par le poids d'une communauté unie de la littérature interactive. Mais avant de parler de cette utopie, annonçons donc le prochain article, qui rentrera dans le vif du sujet, en parlant cette fois des logiciels de lecture augmentée de livres-jeu.
Cet article est sous licence Creative Commons BY. N'hésitez donc à le reprendre, à le modifier et à le réutiliser.
Annexe :
Résumé de la chronologie
- 1974 : première publication de Dungeons & Dragons
- 1975 : première fiction interactive numérique, The Colossal Cave
- 1976 : premier Choose Your Own Adventure
- 1982 : publication de The Warlock of Firetop Mountain
- 1983 : premier Visual Novel
PS : cette étude a été faite au gré de mes tribulations plus ou moins orientées sur le net. En l'occurence, il se peut que je sois complètement passé à côté de quelque chose d'important. Dans ce cas, n'hésitez pas à me le signaler. De même, j'attends vos remarques, commentaires, questions et réflexions sur le sujet.
PPS : pour le prochain article, je serais intéressé de connaître les retour d'utilisateurs du forum sur les LVH via smartphones et tablettes, ne possèdant ni l'un ni l'autre.