Valefor sort de son mutisme. Ses traits sont songeurs mais sereins. Sa voix calme et posée.
« Nous approchons de la fermeture. Le temps manque pour faire toute la lumière sur cette affaire. Beaucoup de questions n’ont pas encore trouvé leur réponse.
Les amours d’Andréalphus et les intrigues de Blandine, je m’en contrefous, cela m’amuse plutôt. Mais pour le reste…
Crocell, vous avez attaqué Jésus, en violation de la première règle édictée par Dieu. Pourquoi ? Pourquoi prendre un tel risque ? Vous aviez forcément un but en voulant vous rendre au Paradis. On n’y va pas pour visiter comme le premier touriste venu.
Malphas, vous nous avez assuré ne pas avoir utilisé la clef que je vous ai remise. J’ai du mal à vous croire, mais je n’ai absolument aucun élément pour étayer cette intuition. Je ne peux donc que reconnaître, au choix, votre honnêteté ou votre remarquable habileté à avoir su rester discret tout au long de cette soirée.
Il y a aussi cette histoire de Triumvirat, dont je soupçonne fortement Dominique de faire partie. Crocell, étiez-vous le deuxième démon du trio ? Cela pourrait expliquer votre tentative d’assassinat sur Jésus, si, comme je le soupçonne, l’objectif de cette alliance contre-nature était de renverser l’ordre établi. Quant au dernier membre…
Baal… C’est donc entre vos mains qu’a fini la clef que j’ai confiée au soi-disant envoyé de Lucifer. Pourtant, j’ai du mal à imaginer que c’est vous qui vous êtes joué de moi. Non que je me crois trop intelligent pour pouvoir être ainsi doublé, je peux parfaitement être pris à mon propre jeu — je l’ai déjà été, et le serai certainement de nouveau à l’avenir. Cependant, vous dites vous-même préférer l’action aux intrigues et mépriser ces dernières, je me demande donc qui a joué les intermédiaires…
Le fait est, quoi qu’il en soit, que vous possédiez la clef. L’autre fait, c’est cette armée que vous avez levée. Les éléments les plus forts, les plus violents, les plus aguerris de l’Enfer… Vous persistez à ne pas vouloir nous dire à quel dessein vous les avez recrutés. Vous n’auriez aucune raison de nous le cacher si votre cible était parmi les anges ou les humains, car vous n’auriez alors fait que votre office de prince de la Guerre, tout comme j’ai rempli ma mission en jouant mon rôle de responsable du vol et des intrigues. J’en conclus que votre objectif devait être en Enfer. Or, à qui peut-on vouloir s’en prendre avec une troupe composée de l’élite des démons ? Le plus fort d’entre tous. Lucifer.
Je vous soupçonne d’avoir voulu fomenter un coup d’État. L’ironie étant que, dans cette hypothèse, votre projet a été avorté au dernier moment par Lucifer lui-même, venu réquisitionner votre armée pour son usage personnel. J’imagine aisément combien cela vous a rendu furieux. Je pense que vous vous êtes rué au Paradis pour vous passer les nerfs. Vous vous êtes frayé un chemin jusqu’au laboratoire de Dieu… mais je ne pense pas que vous ayez baissé la manette. Pas votre style. Je vous imagine plutôt, aveuglé par la rage, avoir eu envie d’en découdre avec Dieu lui-même.
Je pensais, originellement, que Jésus avait été blessé par la hache que maniait le prince démon cornu et rougeoyant qui avait été vu près du laboratoire. Puis, ayant appris que le fils de Dieu avait en fait été attaqué par Crocell, j’ai pensé m’être trompé… mais, maintenant, je me demande si mon hypothèse initiale n’était, finalement, pas la bonne. Car si le sang venait bien de la blessure infligée par Crocell, pourquoi n’en a-t-on retrouvé qu’en dessous de la manette ? Il y aurait dû y en avoir toute une traînée sur le chemin suivi par Jésus.
Les anges et les démons se régénèrent très vite. Peut-être que la blessure de la lance s’était déjà refermée à ce moment-là. Y a-t-il donc eu un second combat aux portes du laboratoire, entre un Baal furieux et cherchant à en découdre, et le fils de Dieu ? Une nouvelle blessure lui aurait-elle été infligée à ce moment-là ? Si mon hypothèse est vraie, seuls les deux protagonistes de ce combat savent ce qui s’est passé à son issue. Tout a pu arriver… Y compris un enclenchement de la manette par accident, dans le feu de l’affrontement. »
Le prince démon fait une pause. Son regard balaye la pièce d’un air absent, jusqu’à ce qu’il tombe sur le verre servi par Régis, auquel il n’avait pas fait attention jusqu’ici. Avec un « Ah ! » satisfait, il le prend en main.
« Je n’ai pas de preuves pour étayer ce scénario, autant dire qu’il ne sert pas à grand-chose. J’aurais pu laisser cette théorie recouverte d’un voile pudique, mais j’avais envie de partager ces réflexions avant que nous ne laissions le Patron à son bar et profitions de ces cinq années de trêve qui nous sont offertes. »
Et, sur ces derniers mots, Valefor lève son verre.
« Santé ! »
« Nous approchons de la fermeture. Le temps manque pour faire toute la lumière sur cette affaire. Beaucoup de questions n’ont pas encore trouvé leur réponse.
Les amours d’Andréalphus et les intrigues de Blandine, je m’en contrefous, cela m’amuse plutôt. Mais pour le reste…
Crocell, vous avez attaqué Jésus, en violation de la première règle édictée par Dieu. Pourquoi ? Pourquoi prendre un tel risque ? Vous aviez forcément un but en voulant vous rendre au Paradis. On n’y va pas pour visiter comme le premier touriste venu.
Malphas, vous nous avez assuré ne pas avoir utilisé la clef que je vous ai remise. J’ai du mal à vous croire, mais je n’ai absolument aucun élément pour étayer cette intuition. Je ne peux donc que reconnaître, au choix, votre honnêteté ou votre remarquable habileté à avoir su rester discret tout au long de cette soirée.
Il y a aussi cette histoire de Triumvirat, dont je soupçonne fortement Dominique de faire partie. Crocell, étiez-vous le deuxième démon du trio ? Cela pourrait expliquer votre tentative d’assassinat sur Jésus, si, comme je le soupçonne, l’objectif de cette alliance contre-nature était de renverser l’ordre établi. Quant au dernier membre…
Baal… C’est donc entre vos mains qu’a fini la clef que j’ai confiée au soi-disant envoyé de Lucifer. Pourtant, j’ai du mal à imaginer que c’est vous qui vous êtes joué de moi. Non que je me crois trop intelligent pour pouvoir être ainsi doublé, je peux parfaitement être pris à mon propre jeu — je l’ai déjà été, et le serai certainement de nouveau à l’avenir. Cependant, vous dites vous-même préférer l’action aux intrigues et mépriser ces dernières, je me demande donc qui a joué les intermédiaires…
Le fait est, quoi qu’il en soit, que vous possédiez la clef. L’autre fait, c’est cette armée que vous avez levée. Les éléments les plus forts, les plus violents, les plus aguerris de l’Enfer… Vous persistez à ne pas vouloir nous dire à quel dessein vous les avez recrutés. Vous n’auriez aucune raison de nous le cacher si votre cible était parmi les anges ou les humains, car vous n’auriez alors fait que votre office de prince de la Guerre, tout comme j’ai rempli ma mission en jouant mon rôle de responsable du vol et des intrigues. J’en conclus que votre objectif devait être en Enfer. Or, à qui peut-on vouloir s’en prendre avec une troupe composée de l’élite des démons ? Le plus fort d’entre tous. Lucifer.
Je vous soupçonne d’avoir voulu fomenter un coup d’État. L’ironie étant que, dans cette hypothèse, votre projet a été avorté au dernier moment par Lucifer lui-même, venu réquisitionner votre armée pour son usage personnel. J’imagine aisément combien cela vous a rendu furieux. Je pense que vous vous êtes rué au Paradis pour vous passer les nerfs. Vous vous êtes frayé un chemin jusqu’au laboratoire de Dieu… mais je ne pense pas que vous ayez baissé la manette. Pas votre style. Je vous imagine plutôt, aveuglé par la rage, avoir eu envie d’en découdre avec Dieu lui-même.
Je pensais, originellement, que Jésus avait été blessé par la hache que maniait le prince démon cornu et rougeoyant qui avait été vu près du laboratoire. Puis, ayant appris que le fils de Dieu avait en fait été attaqué par Crocell, j’ai pensé m’être trompé… mais, maintenant, je me demande si mon hypothèse initiale n’était, finalement, pas la bonne. Car si le sang venait bien de la blessure infligée par Crocell, pourquoi n’en a-t-on retrouvé qu’en dessous de la manette ? Il y aurait dû y en avoir toute une traînée sur le chemin suivi par Jésus.
Les anges et les démons se régénèrent très vite. Peut-être que la blessure de la lance s’était déjà refermée à ce moment-là. Y a-t-il donc eu un second combat aux portes du laboratoire, entre un Baal furieux et cherchant à en découdre, et le fils de Dieu ? Une nouvelle blessure lui aurait-elle été infligée à ce moment-là ? Si mon hypothèse est vraie, seuls les deux protagonistes de ce combat savent ce qui s’est passé à son issue. Tout a pu arriver… Y compris un enclenchement de la manette par accident, dans le feu de l’affrontement. »
Le prince démon fait une pause. Son regard balaye la pièce d’un air absent, jusqu’à ce qu’il tombe sur le verre servi par Régis, auquel il n’avait pas fait attention jusqu’ici. Avec un « Ah ! » satisfait, il le prend en main.
« Je n’ai pas de preuves pour étayer ce scénario, autant dire qu’il ne sert pas à grand-chose. J’aurais pu laisser cette théorie recouverte d’un voile pudique, mais j’avais envie de partager ces réflexions avant que nous ne laissions le Patron à son bar et profitions de ces cinq années de trêve qui nous sont offertes. »
Et, sur ces derniers mots, Valefor lève son verre.
« Santé ! »