Interview de Paul Mason
#12
Bon, je me suis motivé pour traduire l'interview, qui attendait depuis un moment - cela dit, puisque personne ne s'en plaignait, ça ne devait pas être si urgent que ça. Voici donc.

I/ À propos de vous

1. Quelles études avez-vous suivies ?

J'ai été dans une grammar school anglaise très ancienne (fondée en 1540), mais ce n'était pas une école privée. Ensuite, j'ai étudié le management à l'université de Warwick, mais cela ne m'intéressait pas vraiment. C'était l'époque où il y avait 20% de chômeurs en Angleterre à cause de Margaret Thatcher, et j'avais choisi cette branche parce qu'il me semblait qu'elle pourrait me donner un travail. Ce qui ne fut pas le cas.

Après m'être installé au Japon comme enseignant, j'ai passé une maîtrise en sciences humaines (spécialisé en littérature) à l'université d'État de Californie, Dominguez Hills.

Je voudrais maintenant passer un doctorat en sémiologie sociale, en considérant que je puisse trouver un superviseur adéquat.

2. Pourriez-vous nous donner un aperçu général de vos travaux autres que les livres-jeux ?

« Travaux » ? À part la nouvelle de détective chinois qui a été ma thèse de maîtrise, je n'ai pas vraiment écrit beaucoup. Quelques travaux académiques, bien sûr, mais rien d'intéressant.

Si vous entendez « job », alors j'ai été éditeur et infographiste en Angleterre, et après mon arrivée au Japon, je suis devenu professeur d'anglais et universitaire (j'ai aussi été doubleur pour des publicités, et même pour un pachinko Star Trek).

3. Quels sont vos intérêts dans la vie ?

Le bonheur. Ce qui inclut ma famille, la lecture, la bonne chère (vous comprenez maintenant pourquoi j'ai quitté le Royaume-Uni). J'aimerais pouvoir ajouter le jeu de rôle, mais je n'ai pas pu y jouer depuis plusieurs années.

4. Quels sont vos films préférés ? Quelle musique écoutez-vous ? Quels livres lisez-vous ?

J'ai beaucoup de mal à spécifier un type de films que j'aime, ou même à lister mes préférés. Ce que je n'aime pas sont les films de Disney, ou les films typiquement hollywoodiens. J'aime assez les films hong-kongais, mais je suis loin d'être objectif.

Mes goûts musicaux s'étendent du rock progressif que j'écoutais enfant jusqu'au plus récents indépendants (si les simili-Radiohead peuvent être décrits ainsi), en passant par le punk et le post-punk.
À l'université, j'essayais d'écouter des trucs qui étaient « hors-normes », alors en plus de Cabaret Voltaire et des Residents, j'essayais de la musique expérimentale de divers types. Mais je pense aujourd'hui que je n'étais alors qu'un poseur, et aujourd'hui, j'écoute par exemple Glenn Branca plus pour le plaisir que pour l'image.

Livres : j'ai abandonné la fantasy il y a quelque temps, lorsqu'elle me semblait uniquement vouée à ressasser les mêmes clichés. Une grande partie de mes lectures ne sont pas des fictions. En ce qui concerne les fictions, je dirais que j'aime ce que fait David Mitchell (le seul nominé au prix Booker que j'aie rencontré), mais je ne déroge généralement pas à mes habitudes pour lire des livres à la mode. Pour me relaxer, j'aime la série Falco de Lindsey Davis (des enquêtes policières sous la Rome antique).

II/ À propos des LDVH

1. Lisiez-vous d'autres livres-jeux que les vôtres ?

Avant d'écrire mon premier, bien sûr, j'ai dû. Mais je connaissais déjà bien l'idée, parce qu'il existait toute une branche de « donjons solo » durant les premiers jours de Donjons&Dragons, et c'est de là que Livingstone & Jackson ont tiré l'idée. Cependant, je préfère généralement l'interaction sociale que permet le jeu de rôle, et je ne peux donc pas me décrire comme un fan de livres-jeux. Je suis trop impatient pour faire un bon lecteur de livres-jeux.

2. Quel est votre auteur de livres-jeux favoris ?

Dave Morris.

3. Quel est votre livre-jeu favori ?

Heart of Ice. Je l'aime tellement que lorsqu'il a été épuisé, je l'ai réédité.

4. Avez-vous rencontré d'autres auteurs ? En connaissez-vous personnellement ?

Eh bien, j'ai bien sûr rencontré Steve Williams. Et puisque je travaillais pour eux, j'ai rencontré Livingstone et Jackson. J'ai même un droit à un voyage à Nottingham à l'arrière de la Porsche de Ian, une fois. Et je suis allé chez lui plus tard pour un repas, et pour discuter d'un jeu téléphonique.

Lorsque j'ai commencé à travailler pour Games Workshop en 1985, mon supérieur immédiat était Peter Darvill-Evans, et Clive Bailey and Jon Sutherland travaillaient avec moi. Oh, et bien sûr Marc Gascoigne, que j'avais connu avant Games Workshop, grâce à des fanzines. Je me souviens être allé à une fête chez Jamie Thomson pendant que j'étais à Games Workshop, mais je ne l'ai vraiment connu que quelques années plus tard, lorsque j'ai commencé à jouer à Tekumel (créé par Dave Morris) avec Jamie, Mark Smith et Oliver Johnson. Oh, et je connaissais Graham Staplehurst, avec qui j'ai co-écrit les livres de la série Robin of Sherwood, grâce à des fanzines. Ce sont les seuls que je vois pour le moment.

5. Que pensez-vous des livres-jeux aujourd'hui ?

Quels livres-jeux ?

Je pense que Wizard ne va pas tarder à s'effondrer, et ce sera la fin des livres-jeux en anglais. En ce qui concerne les autres langues, je n'ai pas vu d'argent venant de Gallimard depuis des années, mais peut-être que ce n'est dû qu'au fait que Steve Jackson a racheté les droits sur les traductions des DF à Penguin, ce qui me semble discutable d'un point de vue légal.

III/ À propos de vos LDVH :

1. Quelles ont été vos sources d'inspiration pour écrire vos LDVH ?

Les mêmes que pour tout le monde : des souvenirs, et des passions qui semblent coller. Les Mercenaires du Levant s'inspirait de façon assez explicite par tous les films de sword&sorcery qui ont suivi Conan, dans lesquels le village du héros est rasé lorsqu'il est enfant. Le Chasseur de Mages s'inspirait de façon assez explicite du film Warlock, quoiqu'il me semble qu'il trouve son origine dans une idée en l'air de Steve Williams au sujet d'une convention ou d'une compétition de sorciers.

2. Comment se passait l'écriture et l'édition d'un LDVH à l'époque ?

De la même façon que tous les autres livres. Puffin (une branche de Penguin) était un éditeur régulier. Les auteurs signaient un contrat (ce qui était remarquable est que le contrat était basé sur une proposition plutôt que sur un livre achevé), ils l'écrivaient, le rendaient, et attendaient ensuite qu'il fasse son chemin à travers le long processus d'édition, de lecture d'épreuves, etc. De façon surprenante, je me rappelle que nous devions écrire nous-même les textes des quatrièmes de couverture.

3. Comment avez-vous collaboré avec Steve Williams ?

J'ai travaillé avec lui au magazine Warlock, et nous nous trouvions donc dans le même bureau. Nous avons écrit une aventure pour Warlock appelée Deathtrap on Legs, et cela paraissait amusant. Aussi, lorsque Steve Jackson nous demanda d'écrire l'une des quatre aventures d'une collection de RPG DF, nous lui avons dit que nous écririons les quatre. Il a accepté, et cela a donné The Riddling Reaver.
Steve avait un ordinateur et je n'en avais pas, aussi écrivions-nous chez lui, l'ordinateur sur la table de la cuisine. C'était l'été, et nous buvions de la Long Life (une marque de bière) et de la Southern Confort avec du ginger ale (je ne referais plus ça aujourd'hui). Nous écrivions vraiment ensemble. Il n'y a que quelques paragraphes, et de grandes parties des derniers livres, qui ont été écrits séparément. C'est une façon très inhabituelle de collaborer entre auteurs.

4. Pourquoi la plupart de vos livres sont-ils des one-true-path ?

Parce qu'il semblait devoir en être ainsi pour les livres-jeux que nous avions envisagé pour la série. Et (cette excuse étant particulièrement valable pour Les Mercenaires du Levant) parce que lorsque Steve et moi éditions Warlock, toutes les lettres que nous recevions nous disaient que les lecteurs aimaient les livres « difficiles ». Nous avons accepté cela sans nous poser de questions, et en conséquence avons rendu les livres aussi « difficiles » (et les one-true-path sont plsu difficiles) que possible. Je pense aujourd'hui que c'était une erreur.

5. Pourquoi avoir choisi les Îles du Levant comme théâtre de L'Ancienne Prophétie et des Mercenaires du Levant ?

Parce que je ne voulais pas situer ces histoires dans des lieux déjà établis. Cela aurait demandé trop de recherches, et en fait, je ne les aimais pas beaucoup. Les Îles du Levant étaient mentionnées sur la carte de Titan, mais rien n'avait encore été écrit dessus, et je les ai donc modelées comme je le voulais.

6. Existe-t-il une carte détaillée des Îles du Levant ?

Non.

7. Aimiez-vous les règles des DF, ou bien ne les utilisiez-vous que parce que vous y étiez obligé ?

Je les utilisais parce que j'y étais obligé. Sinon, j'aurais probablement créé des règles plus complexes, mais cela aurait été une erreur.

8. La limite de 400 paragraphes vous gênait-elle ?

Oui, et c'est pourquoi je l'ai dépassée plus d'une fois. J'ai été encore plus gêné par la limite de taille des paragraphes introduite dans les livres les plus tardifs (càd dans The Wailing World, qui n'a jamais été publié).

9. Avez-vous des projets de DF qui n'ont pas été publiés ?

Oui. J'ai écrit le tout début de The Wailing World. J'ai donné les détails sur le groupe Yahoo! et je pense qu'ils sont toujours disponibles.

10. Pensez-vous pouvoir être amené à écrire de nouveaux DF pour Wizard Books ? L'aimeriez-vous ?

Ils ne « m'amèneront » jamais à faire cela. Je pense qu'il est plus qu'évident qu'ils ne me « laisseraient » pas le faire. En théorie, écrire un nouveau DF ne me dérangerait pas, mais dans la pratique, je ne peux pas me le permettre, étant donné que je n'ai pas assez de temps libre. Et en fait, la série chez Wizard ne tardera probablement pas à s'arrêter.

Pour finir, une question liée aux règles des DF se pose ici :
http://games.groups.yahoo.com/group/fighting_fantasy_gamebooks/message/2418. Nous aimerions savoir ce que vous en pensez.


En ce qui me concerne, la règle est mal écrite. Une épée magique peut clairement augmenter votre HABILETE au-delà de son niveau initial, sinon elle n'aurait aucun intérêt. Je pense que ce qu'ils essaient de dire est que vous ne pouvez pas augmenter votre véritable total d'HABILETE (ce qui est de toute façon stupide, et j'ai délibérément brisé cette règle dans Les Mercenaires du Levant), mais vous pouvez ajouter des bonus à votre total actuel d'HABILETE – comme l'épée magique. Elle n'augmente pas votre HABILETE propre, mais elle augmente votre HABILETE effective pour certaines tâches.

Addenda

La question : « Que pensez-vous des livres-jeux aujourd'hui ? » était supposée signifier « Quel regard posez-vous sur les livres-jeux, maintenant que dix ans se sont écoulés depuis leur disparition ? »

Ah, je vois ce que vous voulez dire.

Eh bien, je vois les livres-jeux comme un phénomène intéressant d'une certaine période. Je déteste dire ça, mais je pense qu'ils partagent avec les jeux de rôle sur table un aspect éphémère. Dans les faits, ils furent tous deux tués par les ordinateurs. Les ordinateurs peuvent faire la même chose que les livres-jeux (et les RPG), et mieux. D'un autre côté, il m'arrive de chérir les éléments que les ordinateurs ne peuvent pas offrir. J'aime les livres. J'aime la physicalité ; j'aime la simplicité.

Les livres-jeux font partie de la culture populaire, sans aucune prétention artistique, et je trouve pourtant que certains aspects dans la façon dont ils construisent une narration très excitants et stimulants. J'aime en particulier la façon dont ils disent clairement que le lecteur participe à la création d'une histoire. C'est vrai pour toutes les histoires, mais c'est généralement dissimulé par le culte de l'auteur.
D'un autre côté, les livres-jeux rendent plus évidente l'importance de la contribution créative du lecteur. Plus à ce sujet dans ma réponse à la question suivante.

J'ai sans doute plus de sympathie envers les livres-jeux aujourd'hui qu'à leurs débuts, ou même lorsque j'en écrivais. Je pense qu'on pourrait faire beaucoup d'autres choses avec eux, mais je ne pense pas qu'elles existeront jamais : la créativité qui pourrait faire quelque chose a été canalisée dans les entreprises informatiques.

Lequel de vos livres préférez-vous ? Pourquoi ?

Tout dépend de la signification de « préférer ». À la réflexion, je pense qu'il s'agit du Chasseur de Mages. Je ne crois pas qu'il soit considéré comme mon meilleur, mais de tous mes livres, c'est le seul que j'aime vraiment lire. Il représente une première application de ma théorie que la clé des livres-jeux n'est pas les chemins divergents, mais les chemins convergeants. Par cela, j'entends qu'un paragraphe auquel on peut accéder par plus d'un paragraphe peut avoir des sens totalement différents selon ce qui s'est passé auparavant. Je trouve qu'il s'agit d'une idée très excitante. Lorsque j'ai vraiment relu Le Chasseur de Mages après l'avoir écrit, j'ai découvert des histoires et des intrigues que je n'avais pas écrites de façon consciente : elles sont juste nées de la façon dont j'ai essayé d'écrire le livre. Il existe un concept littéraire des « lacunae » : ce sont les trous dans la narration que le lecteur remplit lui-même. Ils sont importants dans les livres-jeux, et je pensais qu'en travaillant là-dessus, et en faisant attention à la façon dont j'écrivais les paragraphes avec plusieurs chemins y menant, je pourrais produire un livre qui serait plus réactif à l'imagination du lecteur. Comme je l'ai dit, je ne sais pas si cela a marché pour les lecteurs de livres-jeux, mais ça a un peu marché pour moi.

Avez-vous des anecdotes particulières au sujet de vos livres-jeux ?

Oh, beaucoup, comme un acteur à la retraite, mais elles sont pour la plupart sans grand intérêt. Comme la façon dont Steve et moi incluions les femmes dans nos histoires : Lady Carolina (The Riddling Reaver) était basée sur la petite amie de Steve, mais comme ils se séparèrent pendant l'écriture des Esclaves de l'Éternité, elle meurt dans ce livre. L'ambassadrice Keiko des Mercenaires du Levant était ma petite amie (aujourd'hui ma femme depuis 14 ans), et l'illustration qui la représente se base sur une véritable photo.

Et je suppose que vous connaissez l'histoire du Ver de Boue des Mercenaires du Levant ? Il était supposé avoir 6 points d'HABILETE, et être un adversaire rude pour un jeune garçon. Mais Marc Gascoigne l'a boosté à 12. Comment les fermiers des Îles du Levant sont-ils supposé cultiver du riz si des créatures aussi imbattables vivent dans leurs champs ?

Êtes-vous toujours en contact avec Steve Jackson, Ian Livingstone, ou d'autres auteurs de livres-jeux ?

Pas Steve, ni Ian. J'ai reçu une lettre de Steve me disant qu'il possédait désormais les droits sur les traductions des DF, ce qui m'a paru plutôt douteux. Il m'a envoyé un chèque, avec une description peu adéquate de ses raisons. Son comportement me paraît très suspicieux : on dirait qu'il a agi ainsi pour pouvoir affirmer plus tard que j'avais accepté un marché douteux en acceptant le chèque. Je crois que j'ai encore le chèque quelque part, donc on ne peut pas dire que j'aie accepté le marché.

J'ai vu Steve Williams une fois ou deux, et j'ai échangé des mails avec son frère (jumeau) il n'y a pas si longtemps. J'ai des relations plus suivies avec Dave Morris.
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