Robert Jordan
#6
Cela fait plaisir de lire des avis argumentés.

Tu as lâché après the Shadow Rising, Salla, et je te suis sur la difficulté de suivre la série, d’autant plus dans la version français qui divise chaque tome en deux, ce qui est regrettable mais malheureusement nécessaire. Il faut savoir qu’on « gagne » environ 20 % de texte lorsqu’on traduit de l’anglais vers le français. J’ai pour ma part eu la chance de découvrir la série sur le tard, alors que les onze premiers tomes étaient déjà sortis, et en VO.

Ce qui m’a plu, c’est d’abord la profondeur incroyable de l’univers. Le nombre de personnages est énorme, et je ne parle que des personnages qui prennent une part active à l’intrigue. À côté d’eux, il y a également une multitude de personnage secondaires, aperçus ou mentionnés de temps à autre mais jamais oubliés, ce qui tisse de nombreux liens entre les tomes et renforce l’excellente cohérence de l’ensemble de l’œuvre. Les intrigues sont régulièrement vues du point de vue d’un personnage différent, et cela apporte un certain nombre d’éclairages différents sur l’histoire et une diversité des plus plaisantes.

Le background est extrêmement étoffé lui aussi. Le monde de la Roue du Temps est constitué de nombreux pays (sans compter toutes les anciennes nations dont on nous parle au fil de l’histoire, ni le pays de Shara ou des Seanchan), et chacun, à un moment ou à un autre, est détaillé dans son histoire, ses coutumes, ses lois, l’accent de ses habitants (qui se ressent jusque dans les dialogues, l’illianien étant assez savoureux je trouve), etc. Tous sont plus marqués les unes que les autres. Le choc des cultures est d’ailleurs un thème récurrent dans l’œuvre de Jordan, l’uniformité est vraiment loin.

Enfin l’Histoire avec un grand H n’est pas un reste. L’univers actuel découle entièrement de l’Âge des légendes, et l’intrigue est en très grande partie basée sur le Karaethon cycle, dont le mystère est révélé, vers par vers, au fur et à mesure que le récit progresse. Les allusions au passé foisonnent et contribuent pour une grande part à engendrer un univers riche et cohérent.

Je te rejoins sur les sources d’inspiration de Jordan, cela dit. Beaucoup ne sont que des clins d’œil : le nom des Forsaken, la légende de Mosk (Moskow) et Merk (America), le Fisher king du jeu de sha’rah, qui n’est autre que le roi-pêcheur de Chrétien de Troyes. Certaines sont des hommages volontaires (le début de la série est de l’aveu même de Jordan inspiré du départ de Frodon et ses compagnons dans le Seigneur des Anneaux). D’autres enfin font furieusement penser à d’autres œuvres comme Dune, en effet. Mais contrairement à toi je trouve que l’alchime est vraiment bien réalisée. Aucun emprunt n’est gratuit, tous sont développés et s’intègrent à l’univers. Je pense que tu t’en serais rendu compte à la lecture des tomes suivants où le background est de plus en plus approfondi. Au passage, si Rand a effectivement la part belle dans les tomes qui suivent celui où tu t’es arrêté, ce n’est plus du tout le cas dans les derniers.

Je reviens sur les personnages et sur la remarque d’Outremer concernant les rapports de force, à laquelle je souscris tout à fait. Sauf que pour ma part, je trouve ça très réaliste — et bien souvent relevé par un humour assez savoureux lorsque les personnages en viennent à se contredire inconsciemment. Il en est de même dans notre monde. Ce serait irréaliste si ce rapport de force débouchait forcément sur un couple dominé/dominant, mais c’est loin d’être le cas, la plupart du temps c’est le statu quo (la rencontre entre Moiraine et Lan dans New Spring est assez édifiante à ce point de vue), à l’exception notable du personnage de Cadsuane, toutefois, qui m’agace d’ailleurs prodigieusement.

Quant aux sévices corporels, ils ne sont pas réservés aux femmes, Rand en prend plein la gueule et d’autres personnages masculins également (me viennent à l’esprit Jaichim Carridin et le warder de Cabriana Mecandes, mais il y en a d'autres). En réalité ce ne sont pas les femmes qui sont la cible de ce rabaissement fréquent, mais les Aes Sedai, et c’est normal, ça participe à un autre truc que j’adore dans la Roue du Temps, à savoir le nombre de factions en présence et le jeu du pouvoir qui se déroule entre elles, le rapport de force entre deux camps étant souvent chamboulé par un tiers, ce qui crée un climat d’incertitude – pour ne pas dire de suspense – très prenant. Les Aes Sedai étant par définition extrêmement puissantes, il est normal que Jordan invente des moyens d’équilibrer leur pouvoir via les Seanchan et leur concept de damane, nulle pulsion SM de sa part.

Enfin, un point sur lequel je ne suis absolument pas d’accord, c’est ta première critique sur Jordan, Outremer. En aucun cas on ne peut l’accuser de faire durer la série pour le fric, et ce pour un tas de raisons. D’abord, comme tu le dis, il y a beaucoup d’intrigues qui sont éludées et qui n’ont droit qu’à un chapitre ou un prologue d’un tome, tant elles sont nombreuses. Si Jordan avait voulu, il aurait pu faire trente tomes sans problèmes en donnant la même place à toutes. Or, il a toujours (j’insiste sur ce mot) dit que la série compterait douze tomes, pas un de plus, même si le dernier devait faire en taille le double des tomes précédents. C’est là une attitude typique d’artiste, totalement aberrante d’un point de vue marketing. J’ajoute que le succès est venu assez tard (vers le septième tome, je crois), et qu’au moment où les livres devenaient des best-sellers, Jordan apprenait sa maladie qui l’a emporté en septembre dernier. À aucun moment, donc, il n’avait intérêt à faire prolonger la série dans un but commercial.

Si le récit avance lentement, c'est d'une part du à tout ce que j'ai écrit plus haut, le nombre des intrigues, des personnages, et toutes les imbrications entre elles/eux, et aussi au style de Jordan. On peut ne pas aimer les longues descriptions détaillées qui forment en effet une grande partie des chapitres. Personnellement, j'aime beaucoup, je trouve que ça imprègne d'autant plus le lecteur de l'univers. Ça demande peut-être un certain effort, mais on en est récompensé au bout du compte, certains mystères de la série pouvant être résolus uniquement en s'attardant sur la description de telle ou telle scène. (Je n'en dis pas plus pour ne pas spoiler.)

La série n'est pas exempte de défaut, on peut trouver les personnages caricaturaux, en ce qui me concerne je leur trouve juste une forte personnalité. Souvent semblable chez les femmes mais le background (Aes Sedai omniprésentes) veut ça. Je ne trouve pas que ce soit mieux dans Dune, ce serait même plutôt pire. On peut trouver le fond de l'intrigue (lutte entre le bien et le mal) manichéen, et c'est aussi mon cas, c'est l'un des défauts que je trouve à la série. Un autre point qui m'a déçu, c'est la fin abrupte (oui oui, vous avez bien lu) des tomes 5 et 6, qui tranche tellement avec le développement patient et détaillé des chapitres précédents. Quelques uns en plus n'auraient pas été plus mal.

Il y a pas mal de trucs que je n’ai pas dit, mais ce sera pour plus tard. Là je vais retourner bosser parce que ce n’est pas très sérieux ce que je fais. ^^
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Messages dans ce sujet
Robert Jordan - par H.d.V - 18/06/2008, 15:44
RE: Jordan - par Salla - 18/06/2008, 16:40
RE: Robert Jordan - par Outremer - 19/06/2008, 01:45
RE: Robert Jordan - par VIK - 19/06/2008, 08:04
RE: Robert Jordan - par Salla - 19/06/2008, 08:49
RE: Robert Jordan - par Jehan - 19/06/2008, 10:30
RE: Robert Jordan - par Outremer - 19/06/2008, 17:29
RE: Robert Jordan - par Meneldur - 19/06/2008, 13:30
RE: Robert Jordan - par Jehan - 19/06/2008, 13:51
RE: Robert Jordan - par Meneldur - 19/06/2008, 14:18
RE: Robert Jordan - par Jehan - 19/06/2008, 19:37
RE: Robert Jordan - par Meneldur - 22/06/2008, 21:57
RE: Robert Jordan - par Jehan - 24/06/2008, 12:23
RE: Robert Jordan - par Plume.pipo - 24/06/2008, 16:08



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