[m-yaz 2019] L'horizon est gommé (Outremer)
#32
J’ai adoré.

Le style d’Outremer est toujours aussi beau, probablement supérieur à bien des auteurs confirmés. J’aime énormément son écriture toute en sous-entendus (les cerises et le safran…), sa faculté à donner vie à un univers en quelques lignes, la richesse de son vocabulaire, la fluidité de ses phrases… C’est toujours un tel régal à lire !

J’ai éclaté de rire sur la première phrase, « La mer pue », tant c’était inattendu. Je me suis demandé s’il n’y avait pas un message caché quant au sentiment de l’auteur vis-à-vis du thème de ces mini-Yaz, mais je surinterprète certainement. ; )

Le système de jeu m’a fait penser à Ora Est Labora, mais là où j’avais galéré il y a deux ans, ici, j’ai trouvé que les clés de compréhension étaient plus facilement accessibles, sans doute en grande partie parce que le récit ne nécessite pas de savoir que Néron était roux.

On est sur une double lecture permanente, et à plusieurs niveaux. Double lecture du protagoniste principal lui-même, mais aussi double lecture entre ses réflexions et les « métaréflexions » du lecteur, car tout le sel du jeu consiste à déterminer ce qui relève de la réalité et de l’illusion, en se basant sur les expériences directement vécues par le personnage, mais aussi sur des indices littéraires semés çà et là, et qui, eux, s’adressent au joueur. Je pense aux changements de couleur et de police de caractères du texte, bien sûr, mais pas que. On touche là à une forme de quintessence de la ludolittérature : le jeu est le récit lui-même, le texte est un labyrinthe dans les méandres duquel on erre en s’efforçant d’en deviner la forme pour aller dans la bonne direction.

Ça nécessite un effort de lecture plus conséquent que pour des A.V.H. plus ludiques — disons plutôt aux systèmes de jeu plus classiques, à base de règles, de codes, d’aléatoire… —, mais la limpidité de l’écriture rend cet effort presque naturel. Vous l’aurez compris, j’ai pris énormément de plaisir à lire L’Horizon est gommé.

Attention, à partir d’ici, je divulgâche.

J’ai atteint le paragraphe 50 à ma deuxième lecture. L’A.V.H. étant classée « très difficile » sur Littéraction, je suis plutôt content de moi.

Ma première tentative s’est pourtant achevée très vite. Devant les molosses, partant du principe qu’il s’agissait de robots délabrés, je me suis approché en pensant qu’ils n’étaient pas dangereux, et mal m’en a pris. Il est vrai que si on y fait attention, c’est leur apparence qui est décrite comme esquintée, il n’est pas précisément marqué qu’ils sont hors d’usage…

Du reste, maintenant, je ne suis plus sûr de savoir si ce passage décrivait plus fidèlement la réalité que celui d’avant, dans lequel ils sont présentés comme des animaux de chair et de sang… mais j’y reviendrai.

Pour ma seconde tentative, j’ai commencé par prendre le même chemin (tout simplement parce que le détour me paraissait plus discret qu’entrer directement dans la ville). Dès le commencement, on est confronté à la double vision qu’a Merle de son environnement, et si on peut mettre ça sur le dos d’un rêve au début, il apparaît rapidement que c’est davantage que ça. Les premiers temps, on s’interroge… Double personnalité ? Perception altérée de la réalité ? Histoire se déroulant dans deux temporalités différentes ?…

La récurrence des passages où on ingurgite les fameuses gélules m’ont fait pencher vers la deuxième hypothèse. Ça, ainsi qu’une remarque de Cerise au début de l’aventure, lorsqu’elle dit avoir rêvée être ensevelie et n’être peut-être « réellement (qu’)un cadavre ». J’y ai vu un indice, et j’ai supposé que les deux compagnes du héros étaient le fruit de son imagination, façon Fight Club.

Retour aux molosses. Cette fois, je les descends tout de suite. Ce ne sont que des machines (pensé-je), donc pas de culpabilité à ressentir, et il n’y a visiblement guère de témoins pour entendre les détonations.

Lorsque vient le choix de visiter l’entrepôt ou le laboratoire médical, le second me paraît plus dangereux que le premier, étant donné l’instabilité, assez claire à ce stade du récit, du héros. Néanmoins, je me dis qu’il y a peut-être moyen d’obtenir des réponses quant à la raison de son état, donc je m’y dirige en me disant que je n’en suis qu’à ma deuxième lecture, donc que c’est encore un bon moment pour explorer.

Là, un choix étrange… Mode ataraxique ou palingénésique ? Je ne connaissais pas ce second terme, mais en en lisant une définition, il m’a paru qu’il devait promettre un résultat plus violent que le premier. Or, j’étais dans l’optique de secouer le héros pour essayer de le faire sortir de son état d’halluciné, j’ai donc pris la seconde option. Sans conséquence visible immédiate.

Entre parenthèses, j’ai bien aimé le faux choix « Voulez-vous prendre une gélule ou vous abstenir ? » à ce moment. Ça m’a fait sourire et penser à un passage du troisième tome des Chroniques crétoises raconté par Outremer, le fameux : « Avez-vous la faveur de Poséidon ? » qui ne sert à rien…

Vient le moment de grimper l’échelle. Avec un personnage aussi instable, je me dis qu’il est plus prudent de ne pas rester trop longtemps dans une position aussi dangereuse, et donc (paradoxalement) d’aller vite. Au moment de choisir entre prendre la main de Cerise ou m’accrocher au barreau, j’opte pour le barreau, pensant toujours, à ce moment-là, que la femme qui me fait face est probablement un délire de mon esprit.

La suite semble confirmer mon raisonnement. Les mots prononcés par Cerise sans que ses lèvres ne bougent, et quelques scènes similaires par la suite, comme si on était devant un hologramme qui se mettait petit à petit à bugger par intermittences…

Vient la scène du couloir, et ce paragraphe qui nous offre un large panel de réactions face à l’individu…

J’opte pour la rage, comptant sur l’adrénaline pour agir comme un électrochoc sur mon personnage halluciné qui me semble sombrer de plus en plus dans son état léthargique.

Je ne sais pas si c’est le bon choix, mais le récit continue, et je me retourne vers mes deux compagnes. À ce stade, je les crois toujours des illusions, en revanche je pense que Merle les a réellement connues, et qu’il peuple son présent avec leur souvenir.

Et justement, vient la scène du souvenir. Je me rappelle des informations données dans la première section, disant que c’est en partie grâce à notre aide que Safran a découvert sa sexualité, donc je me dirige vers la section correspondante. La scène est très jolie, d’ailleurs, et la métaphore de la paire de ciseaux particulièrement belle.

Au tour de Cerise. Dans l’intro, il est dit qu’elle nous a déjà mis en danger plusieurs fois, j’opte donc pour l’expédition où elle nous aurait égaré. Toujours pas de X, donc je me dis que je suis sur le bon chemin…

Et là, j’ai un premier doute. Le masque à gaz de Safran paraissait n’être qu’une illusion dans la scène précédente, juste notre main plaquée sur la bouche. Mais dans cette scène, il semble que Merle fasse réellement usage de l’ordinateur de sa comparse pour sortir de ce piège… Alors, quel est le réel ? Me suis-je trompé jusque-là ? Pourtant, il semble que je m’en sorte convenablement pour le moment. Peut-être ai-je simplement eu de la chance.

Une balle dans la tête du type, et on continue.

Est-ce que je pense être seul ? Malgré mes doutes, je reste sur mon hypothèse initiale… Débute un paragraphe au ton fataliste… mais, tiens, ce mot qui ressort presque imperceptiblement, « porte » ? Un lien !

(Ça aussi, ça m’a fait penser au troisième tome des Chroniques crétoises, et son P.F.A. déguisé qui demande qu’on consulte l’oracle… Inspiration ou simple coïncidence ?)

Je triche alors un peu et défile la page jusqu’à la fin de la section… Oui, c’était un P.F.A., du moins ça l’aurait été si je n’avais pas repéré le lien caché. La même idée que dans le Trésor des fonds saumâtres ; décidément !

Derrière cette porte, je retrouve mes deux amies, dans une scène évocatrice. Crise de rire (de démence ?), convulsions… Tiens, finalement, l’injection aura servi à quelque chose : je n’ai pas besoin de me rappeler du nombre de gélules ingurgitées tout du long… Idée que je trouve géniale ; un tantinet vicieuse, mais géniale. ^^ Je n’ai pas encore regardé ce que donnaient les chemins que je n’ai pas pris, car j’avais envie d’écrire ce commentaire à chaud, du coup je ne sais pas encore ce qu’auraient donné les autres réponses. J’irai farfouiller quand j’aurai fini, et peut-être que je rajouterai un second commentaire derrière.

Quoi qu’il en soit, la fin ne confirme qu’à moitié mon raisonnement. Merle était bien sous l’emprise d’hallucinations… mais pas autant que je le pensais, puisque les personnages de Safran et Cerise se révèlent finalement bel et bien réels… Du coup, je me demande si je n’ai pas simplement eu beaucoup de chance dans mes choix. J’en saurai sans doute un peu plus après relecture.

Pour conclure, j’aime beaucoup le message du paragraphe final, l’« espoir réaliste » qui s’en dégage. Sans renier, loin de là, le potentiel destructeur de l’humanité, il apporte aussi un point de vue autre que « On va tous mourir de toute façon », montre qu’il y a des raisons de lutter pour améliorer les choses même dans les moments les plus sombres, et que si la situation actuelle n’est pas brillante, au fond, l’a-t-elle jamais été ?… Le monde n’est ni noir, ni blanc, il est gris. D’un gris plus foncé à certaines époques qu’à d’autres, mais il y a moyen de l’éclaircir, même un petit peu, même si cela prend du temps, si on s’en donne la peine.

Et pour terminer ce long message, je me permets de nouveau d’indiquer quelques fautes repérées au fil de ma lecture :

que votre arme est bien chargé
des grincements irréguliers vous blesse les tympans
plusieurs des pattes mécaniques se met en mouvement
Chaque époque digère et remplace celle qui l'a précédé
Vos talons et vos bras martèlent frénétiquement le plancher de mois massif

J’ai aussi repéré une inversion : un lien vers le paragraphe 13 mène en fait vers le 31… mais, pour le coup, je me suis demandé s’il ne s’agissait pas là aussi d’un indice quand à la vision perturbée qu’a le protagoniste de la réalité…
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RE: L'horizon est gommé (Outremer) - par Skarn - 15/06/2019, 20:05
RE: L'horizon est gommé (Outremer) - par Fitz - 27/06/2019, 07:44
RE: L'horizon est gommé (Outremer) - par Salla - 28/06/2019, 13:31
RE: L'horizon est gommé (Outremer) - par Jehan - 06/07/2019, 23:42
RE: L'horizon est gommé (Outremer) - par Jehan - 08/07/2019, 12:15



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