02/12/2024, 18:33
L'émeute du futur est un livre-jeu qui indéniablement existe. La preuve, je le tiens entre mes mains. Je l'ai même lu et peux ainsi confirmer sa nature, avec 381 sections numérotées reliées entre elles par des « rendez-vous au », pour un total d'un peu moins de 500 pages de texte.
J'endosse cependant ici le rôle de John Hunter tentant de convaincre le monde scientifique occidental de l'existence de l'ornithorynque sur sa simple bonne parole. Parce que, bien qu'il soit sorti en 2023 et qu'on soit désormais presque en 2025, ce livre semble n'être référencé ni ici, ni sur la Taverne, ni chez aucun des recenseurs habituels.
De façon générale, c'est un livre très discret. Si on cherche explicitement son nom, on voit qu'il est commandable chez son éditeur et les gros libraires en ligne, et c'est à peu près tout. Je soupçonne que le comité des bons conseils n'avait pas particulièrement ambition à ce que son œuvre circule au-delà des réseaux militants où elle a dû naître.
Mais vous me connaissez. Moi, je suis un roublard avec des contacts. Ça a été compliqué, et honnêtement je prends un risque en vous parlant de tout ça et...
Bon, d'accord. Il était à la bibliothèque. Je suis juste tombé dessus par le plus grand des hasards en furetant au rayon SF.
Bon, mais une fois remis de la surprise de sa simple existence, qu'est-ce vaut ce bouquin ?
Au niveau des influences, c'est clairement la filière classique, en droite ligne depuis les années Mitterrand. Des choix fréquents, des PFAs, des illustrations à l'encre, et même des jets de dés.
Brennan a sans doute été la principale source d'inspiration. Tout l'aspect humoristique évidemment. Mais pas que. Ainsi, comme dans Quête du Graal, on a des règles non triviales – avec des scores, un inventaire, du combat... – qui se tiennent à peu près. Et, de même que dans les QdG, le livre sera le premier surpris que vous les respectiez, limite il se foutra de votre gueule pour ça.
De façon plus anecdotique, j'ai également remarqué vers la fin un passage complètement repompé sur Rendez-vous avec la M.O.R.T.
Sur le fond, c'est l'histoire d'une manif' promenade qui s'emballe dans le futur proche de 2050. Et encore, si on vire quelques robots, je pense qu'on peut rapprocher l'action à 2030 sans problème tant c'est dans la ligne droite du présent.
Après un début qui se cherche encore pas mal, et avant une fin qui n'a plus le temps (on enchaîne les gauche-droite mortels et les ultimes péripéties sont expédiées en peu de mots), j'ai plutôt été agréablement surpris par le tronçon central. Si le comité n'est bien sûr pas du côté de la police, le texte n'est pas non plus hagiographique envers les manifestants. On a droit à des descriptions bien mordantes de communautés autogérées effectivement dans leur monde à elles, des assemblées où beaucoup trop d'alcool circule à défaut d'ordre du jour, des syndicats s'accrochant un peu trop à leur image d'interlocuteur raisonnable...
Bon, je vous rassure, on pète quand même la gueule aux flics au final. Mais les PFAs les concernant étant nettement moins subtils, « protégez-moi de mes amis, mes ennemis je m'en charge » reste le mot d'ordre.
Comme suggéré plus tôt, je suis parti du principe que c'était pas vraiment un livre qui avait vocation à être joué, je sauterai donc l'évaluation de la difficulté. Quand à la liberté d'action, elle est assez correcte en-dehors de la cavalcade finale, avec souvent deux chemins pour atteindre l'étape obligatoire suivante. À noter l'usage d'un plan numéroté lors la traversée de la vieille ville (un endroit hostile pour nous, car normalement réservé à l'usage exclusif des touristes).
Pour ce qui est de l'écriture... Mouais. Disons qu'on sent que c'est un ouvrage quasiment auto-édité. Outre les coquilles, il y a parfois plus d'enthousiasme que de maîtrise dans la construction des phrases, lesquelles se concluent trop souvent par un ou plusieurs points d'exclamation.
À noter un plaidoyer touchant de cet ouvrage en faveur du point médian. Faisant partie de cette catégorie de jeux où on incarne un avatar direct du lecteur ou de la lectrice, il essaye de faire les accords en accord avec cette inconnue. Et à défaut d'avoir la maîtrise littéraire suffisante (et le temps, parce que c'est quand même un sacré boulot) pour esquiver toutes les tournures genrées, a recours à l'écriture inclusive... à l'ancienne. Avec des (e).
Et bien, au bout d'un certain nombre de « vous êtes entré(e) », je pense que même le plus acharné des opposants au ·e sera en train de militer pour son introduction, parce que c'est quand même indéniablement un moindre mal par rapport à cette avalanche de parenthèses.
Niveau illustration, l'idée de parodier des affiches de propagande maoiste est bonne. Le résultat est cependant assez brouillon. C'est probablement un style que maîtrisait mal le dessinateur (lui non-anonyme ; c'est un certain Jules Lasbleiz), les illustrations ne l'adoptant pas étant nettement plus réussies, en particulier la Mort façon guérilléra cubaine au 93 (l'équivalent du 14).
Au final, un livre-jeu finalement assez « sérieux » (dans sa structure, son histoire), qui n'a rien de honteux, mais n'est pas non plus au niveau d'un Disruption.