J’ai beau être matinal, j’ai mal.
Difficile d’être plus matinal, d’ailleurs. Minuit doit être à peine passé. Nous sommes chez la prêtresse de Phandalin. Pierre lui avait rendu visite à notre arrivée. Je ne sais pas trop comment elle a accueilli notre petit troupe, étant donné que j’étais pas tellement en état de me rendre compte de quoi que ce soit en arrivant.
J’ai conduit mes compagnons à l’entrée cachée dans la forêt que Carpe m’avait montrée. Nous avons pénétré dans le souterrain. Ce dernier débouchait sur une sorte de caverne fendue dans sa longueur par une crevasse, parcourue par un vent froid qui ne respirait guère le naturel et charriait aux narines une odeur de chair en décomposition…
Pierre portait la lanterne, mais c’est moi qui éclairais le chemin. Au détour d’un pilier, je suis tombé nez à nez avec une créature cheloue et verdâtre dotée d’un unique œil. On aurait dit un gros lézard, bipède, cyclope… et télépathe, car j’entendais ce qu’il me disait alors que ce qui lui servait de bouche restait hermétiquement clos. Perturbant. N’étant pas un elfe raciste, j’ai essayé d’engager la conversation. Bon, vu qu’au-delà de : « Ami ? Ennemi ? Manger ? » les notions restant dans le champ de son entendement semblaient quelque peu limitées, la conversation a vite tourné en rond. Il devait quand même être doté d’une certaine intelligence, puisque, se voyant à un contre quatre, ils ne nous a pas attaqués.
Le nothic (c’est le nom de ces créatures) avait l’agaçante manie de me menacer de révéler mon secret si on ne lui filait pas à bouffer. Quel secret, enfin ? Je suis un véritable livre ouvert ! C’est juste pas de ma faute si certaines pages sont collées. En revanche, il semble qu’Anarondo nous cache quelque chose… J’aurais peut-être dû l’introduire auprès de mon nouvel ami, mais comme ce dernier insistait pour manger l’elfe, valait mieux éviter.
Car oui, j’ai bien insisté sur le fait que, en tant que membre des Redbrands, j’étais son ami. Je ne suis pas sûr à cent pour cent de l’avoir convaincu… Pourtant, j’ai dit la vérité ! Enfin, dans un certain contexte, c’est la plus pure vérité. Mais pour être sûrs d’être tranquilles, on lui a quand même filé tout ce qu’on avait de bouffe pour carnivore dans nos sacs, et je lui ai promis de lui en ramener d’autre à l’occasion.
Nous avons ensuite repris notre escapade donjonnesque. Nous sommes tout d’abord tombés sur un groupe de quatre Redbrands éméchés, qui n’ont pas fait un pli. J’aurais aimé que Pierre n’achève pas le dernier en le givrant, afin de pouvoir causer un peu avec lui du bon vieux temps, mais bon… Après ça on est tombés sur une salle de gardes qui puait la mort, où, au milieu de quatre lits de camp, de couvertures et d’un tas de vaisselle sale, trois gobelours s’amusaient à martyriser un gobelin chétif et tout dépenaillé, qui s’est d’ailleurs évanoui en nous voyant débarquer. Une nature émotive.
C’est là que j’ai eu une brillante idée : tirer une flèche sur le premier venu puis foncer me planquer sous l’un des lits pendant que les copains finissaient le travail. Le problème avec un plan aussi brillant, c’est qu’il faut compter sur un minimum de coopération… Or, si mes compagnons ont été exemplaires, le lit, lui, a décidé qu’il n’était pas assez solide pour résister au coup de bâton hérissé de piquants que lui a asséné l’une des créatures. Aïe.
Écrabouillé et sur le point de fusionner avec le sommier, j’ai cru m’évanouir, l’esprit en proie à des hallucinations. J’ai entendu des phrases qui n’avaient aucun sens. On aurait dit un badaud en train de négocier avec un poissonnier sur un marché, si le marché était une taverne et le poissonnier un joueur invétéré. Ça ressemblait à : « Poisse, un critique… Attends, le bonus, il est pas doublé, lui, normalement. Ça fait deux points de dégâts en moins. Et les dés, ils sont pas doublés non plus, c’est juste que tu les lances deux fois. Ah, c’est ce que tu as fait ? Tant pis. Comment ça marche, sa double attaque, au juste, c’est un effet de l’arme ? Ah, c’est sa compétence ? Alors du coup, le deuxième dé, il est pas doublé ! Je le retire… Yes ! Je repasse au-dessus de zéro ! »
J’abrège la suite : Pierre a mis le feu aux poils des gobelours et aux couvertures, Goth et Wulf les ont civilisés, et j’ai sorti mon Argument Ultime pour remporter l’échange de politesses avec celui qui m’avait souhaité la bienvenue de manière virile. Les quelques possessions des créatures sont allées rejoindre celles des Redbrands précédents dans le sac que Goth avait acheté plus tôt dans la journée, et où il avait décidé de fourguer tout le butin qu’on chouraverait sans se préoccuper d’y jeter un œil avant qu’on ne soit sortis.
Le gobelin a fini par reprendre connaissance, et nous avons alors fait celle de Pendouille. Je ne veux pas savoir comment il s’est retrouvé affublé d’un tel nom… Ceci dit, il s’est révélé très serviable : on n’a même pas eu besoin de le menacer pour qu’il accepte de nous servir de guide. Je lui ai demandé s’il savait où se trouvaient les cryptes, puisque c’est là qu’étaient censés être les prisonniers, et il a commencé à nous guider à travers les couloirs. Il nous a aussi révélé que ses maîtres venaient de Cragmaw Castle ! Ce qui signifie, incidemment, que ceux qui ont enlevé Gundren travaillent avec les Redbrands… L’ennui, c’est que quand on lui a demandé où ça se trouvait, il nous a répondu qu’il n’y avait que les gobelours qui le savaient. Oups.
Juste après la bataille, j’avais ramassé le corps du gobelours litophobe pour aller le donner à manger au nothic, parce que je suis un vrai ami et que je tiens mes promesses. Ça mange salement, un nothic. Mon présent ne l’a malgré tout pas empêché de vouloir manger Pendouille lorsqu’il nous a vus avec lui. Je l’ai grondé en lui disant que Pendouille était notre ami, et il s’est mis à bouder, l’ingrat.
Cette fois, c’est moi qui étais le porteur de l’ann… De la lanterne. Le gobelin nous a menés au bout d’un couloir en cul-de-sac, avant de se gratter la tête, confus. J’ai eu tôt fait de repérer une porte secrète. J’ai eu un peu de mal à l’ouvrir, car elle était conçue pour sortir du cellier où nous avons débarqué après l’avoir franchie, pas pour y rentrer.
Visiblement, on se trouvait dans les caves du manoir. Outre une grande citerne, de nombreux tonneaux remplis de victuailles étaient entreposés. On en a profité pour refaire le plein de barbaque, parce que les régimes végétariens, très peu pour moi. Il y avait aussi, attenant à la réserve, ce qui était apparemment un dortoir, mais on s’est dit qu’on allait foutre la paix à ceux qui se trouvaient dedans, pour une fois. Pendouille (bon sang, ce nom…) nous a menés dans un couloir poussiéreux au bout duquel se trouvait une porte sur laquelle une gravure devenue verte avec le temps représentait un ange. Wulf et moi nous sommes avancés pour l’examiner, mais on avait dû un peu trop forcer sur la becquetance, car le sol s’est effondré sous nos pieds au beau milieu du corridor. Heureusement, si on est toujours aussi mauvais pour détecter les pièges, on reste suffisamment doués pour les éviter, puisque nos réflexes nous ont évité de finir dix pieds plus bas.
Le raffut a réveillé les Redbrands qu’on avait laissés tranquilles. À vous dégoûter de faire de bonnes actions. Ils étaient trois, et ils ont déboulé devant Pierre et Goth. Les deux ont bien tenté de les rassurer quant à notre présence tout à fait normale, mais comme c’était pas super crédible, Pierre a fini par essayer de les convaincre avec un cône de feu. Goth s’est efforcé de le protéger, mais le mago a quand même pris un coup. Il s’est vengé en terrassant l’un des bandits : il a juste posé la main sur lui, et c’était comme si la foudre l’avait touché… Même si je l’aime beaucoup, j’éviterai de lui serrer la main, à l’avenir.
Wulf et moi, coincés de l’autre côté du trou, nous sommes efforcés d’aider nos compagnons du mieux que nous le pouvions avec nos flèches. Bon, Wulf est clairement meilleur que moi arc en main, vu qu’il a réussi à en dégommer un alors que je ratais tout… C’était un peu sa nuit, il faut dire : à chaque fois qu’il y a eu de la baston, il a été d’une efficacité redoutable.
C’est là que j’ai eu une idée brillante : comme je n’étais pas très efficace à distance, j’ai décidé de franchir acrobatiquement et avec classe le trou qui me séparait de mes camarades pour aller les aider… et aussi parce qu’il m’avait semblé reconnaître un visage familier parmi les trois bandits, et que ça commençait à me chagriner qu’on zigouille tous mes vieux amis avant que je puisse échanger des cordialités avec eux.
Je me suis donc mis à courir sur l’étroite corniche qui restait sur le côté du couloir pour atteindre l’autre bord… Malheureusement, je n’avais pas anticipé la fourberie du mobilier local. Après le lit (qui était sûrement de mèche avec elle, maintenant que j’y pense), la corniche a décidé qu’elle était d’humeur glissante, et j’ai fini, littéralement, au fond du trou. Aïe.
Heureusement que j’avais bu la potion de soins qu’il me restait après mes embarrassants démêlés de literie. Je n’étais pas super vaillant, mais j’étais toujours debout. Il en faut plus pour abattre un hobbit ! (Je vous ai dit que j’étais un hobbit ?)
Les bruits de la bataille se sont progressivement tus, et Wulf m’a lancé une corde pour m’aider à remonter. L’un des Redbrands avait malheureusement réussi à s’enfuir. Pierre a lancé son rat à sa poursuite, pour voir où il se rendait. Oui, il a un rat, maintenant. Je ne veux pas chercher à savoir. Les yeux du rongeur lui ont appris que le type détalait vers le Géant endormi. Était-ce pour se planquer ou prévenir d’éventuels collègues ?
On ne sait pas, et on n’avait pas vraiment le temps de creuser la question. À l’aide de mon matériel d’escalade, on a attaché une corde de part et d’autre du mur pour que tout le monde puisse nous rejoindre de ce côté du couloir. Pendouille compris, qui a oublié ses réticences quand j’ai suggéré à Goth de le lancer par-dessus le trou. De l’autre côté de la porte trônaient trois sarcophages, et, affalés contre eux, trois squelettes en armure. Probablement les gardiens dont on avait entendu parler plus tôt…
C’est là que j’ai eu une brillante idée. Oui, elle a marché, pourquoi vous posez la question ? Goth et moi avons chacun pris une des flasques d’huile qui nous servent à allumer la lanterne, et on les a intégralement vidées sur les squelettes avant que Pierre ne les brûle vifs. Enfin, morts. Enfin… Bref. Ça ne les a toutefois pas empêchés de se relever pour nous accueillir d’une manière des plus chaleureuses, mais les flammes, la lame de Goth et une très jolie flèche de Wulfwig les ont vite ramenés à leur état naturel.
J’ai alors vu quelque chose que je ne suis pas sûr de jamais revoir un jour : Anarondo a sorti son épée ! Bon, il a raté son coup, mais tout de même, ça surprend.
Sur les couvercles de pierre des sarcophages était sculptée l’effigie de ses occupants : deux hommes et une femme, vêtus des atours des nobles. On aurait pu ouvrir pour voir s’ils avaient quelque chose de valeur avec eux, mais on n’en a rien fait. Piller des tombes, c’est pas trop notre kif.
Je me suis alors dirigé vers l’une des deux portes qui se trouvaient de l’autre côté du caveau tandis que Goth allait écouter à l’autre… C’est à ce moment que cette dernière s’est ouverte à la volée, et qu’ont surgi deux Redbrands. Complètement pris par surprise, nous les avons vus, impuissants, mettre Goth à terre avant de foncer, l’un sur Pendouille, l’autre sur moi… J’ai vu des étoiles, et puis la nuit.
Quand je me suis réveillé, j’étais dans la chambre que j’occupe actuellement. Mes compagnons m’ont raconté la suite. Wulf est venu à bout des deux bandits, Pendouille s’étant aussi courageusement qu’involontairement sacrifié pour lui offrir un répit salvateur. Goth a pu être ranimé grâce à une potion de soins trouvée sur l’un des deux Redbrands (avec des ennemis pareils, on a plus besoin d’amis, je vous jure). L’une des portes donnait sur une armurerie, dans laquelle ils ne se sont pas privés de piocher. L’autre débouchait sur la prison, où se trouvaient une femme, un garçon et une fille. Il s’agissait de l’épouse et des enfants du sculpteur du village, qui s’était fait tuer par la bande de Glasstaff. En fouillant dans son sac, Goth a trouvé, dans la bourse d’un des gobelours éliminés auparavant, une clef de fer qui ouvrait les cellules. Pierre s’est servi de sa main magique pour reconfectionner le garde-fou bricolé avec la corde pour permettre à tout le monde de franchir de nouveau le trou. Je me demande comment le guerrier a fait pour arriver à traverser avec le poids mort que j’étais sur son dos, d’ailleurs. Tout ce petit monde est alors revenu sur nos pas. Mes amis m’ont confié aux bons soins de sœur Garaele pour me faire reprendre conscience… Comme je suis réglo, je lui ai payé la potion de soins qu’elle m’a fait ingurgiter. Je n’avais toutefois pas assez sur moi, alors je lui ai filé trente pièces d’or en lui promettant de lui ramener les vingt manquantes le lendemain.
Pendant que la prêtresse s’occupait de nourrir les enfants, Mirna, leur mère, nous a imploré de lui ramener la dépouille de son mari. J'ai un peu peur de l’état dans lequel on va le retrouver, mais bon, c’est la moindre des choses… Goth, Wulfwig et Anarondo discutent de la suite du plan pendant que j’écris. Je ne suis pas vraiment en état de faire autre chose. Goth aimerait qu’on retourne dans le manoir pour s’occuper de Glasstaff, arguant qu’en toute logique, il est toujours en train de pioncer. D’un côté, je suis pas chaud, surtout qu’on ne sait pas ce qu’est devenu le Redbrand qui nous a échappé… De l’autre, ça me fait mal de dire adieu à cent pièces d’or…
Difficile d’être plus matinal, d’ailleurs. Minuit doit être à peine passé. Nous sommes chez la prêtresse de Phandalin. Pierre lui avait rendu visite à notre arrivée. Je ne sais pas trop comment elle a accueilli notre petit troupe, étant donné que j’étais pas tellement en état de me rendre compte de quoi que ce soit en arrivant.
J’ai conduit mes compagnons à l’entrée cachée dans la forêt que Carpe m’avait montrée. Nous avons pénétré dans le souterrain. Ce dernier débouchait sur une sorte de caverne fendue dans sa longueur par une crevasse, parcourue par un vent froid qui ne respirait guère le naturel et charriait aux narines une odeur de chair en décomposition…
Pierre portait la lanterne, mais c’est moi qui éclairais le chemin. Au détour d’un pilier, je suis tombé nez à nez avec une créature cheloue et verdâtre dotée d’un unique œil. On aurait dit un gros lézard, bipède, cyclope… et télépathe, car j’entendais ce qu’il me disait alors que ce qui lui servait de bouche restait hermétiquement clos. Perturbant. N’étant pas un elfe raciste, j’ai essayé d’engager la conversation. Bon, vu qu’au-delà de : « Ami ? Ennemi ? Manger ? » les notions restant dans le champ de son entendement semblaient quelque peu limitées, la conversation a vite tourné en rond. Il devait quand même être doté d’une certaine intelligence, puisque, se voyant à un contre quatre, ils ne nous a pas attaqués.
Le nothic (c’est le nom de ces créatures) avait l’agaçante manie de me menacer de révéler mon secret si on ne lui filait pas à bouffer. Quel secret, enfin ? Je suis un véritable livre ouvert ! C’est juste pas de ma faute si certaines pages sont collées. En revanche, il semble qu’Anarondo nous cache quelque chose… J’aurais peut-être dû l’introduire auprès de mon nouvel ami, mais comme ce dernier insistait pour manger l’elfe, valait mieux éviter.
Car oui, j’ai bien insisté sur le fait que, en tant que membre des Redbrands, j’étais son ami. Je ne suis pas sûr à cent pour cent de l’avoir convaincu… Pourtant, j’ai dit la vérité ! Enfin, dans un certain contexte, c’est la plus pure vérité. Mais pour être sûrs d’être tranquilles, on lui a quand même filé tout ce qu’on avait de bouffe pour carnivore dans nos sacs, et je lui ai promis de lui en ramener d’autre à l’occasion.
Nous avons ensuite repris notre escapade donjonnesque. Nous sommes tout d’abord tombés sur un groupe de quatre Redbrands éméchés, qui n’ont pas fait un pli. J’aurais aimé que Pierre n’achève pas le dernier en le givrant, afin de pouvoir causer un peu avec lui du bon vieux temps, mais bon… Après ça on est tombés sur une salle de gardes qui puait la mort, où, au milieu de quatre lits de camp, de couvertures et d’un tas de vaisselle sale, trois gobelours s’amusaient à martyriser un gobelin chétif et tout dépenaillé, qui s’est d’ailleurs évanoui en nous voyant débarquer. Une nature émotive.
C’est là que j’ai eu une brillante idée : tirer une flèche sur le premier venu puis foncer me planquer sous l’un des lits pendant que les copains finissaient le travail. Le problème avec un plan aussi brillant, c’est qu’il faut compter sur un minimum de coopération… Or, si mes compagnons ont été exemplaires, le lit, lui, a décidé qu’il n’était pas assez solide pour résister au coup de bâton hérissé de piquants que lui a asséné l’une des créatures. Aïe.
Écrabouillé et sur le point de fusionner avec le sommier, j’ai cru m’évanouir, l’esprit en proie à des hallucinations. J’ai entendu des phrases qui n’avaient aucun sens. On aurait dit un badaud en train de négocier avec un poissonnier sur un marché, si le marché était une taverne et le poissonnier un joueur invétéré. Ça ressemblait à : « Poisse, un critique… Attends, le bonus, il est pas doublé, lui, normalement. Ça fait deux points de dégâts en moins. Et les dés, ils sont pas doublés non plus, c’est juste que tu les lances deux fois. Ah, c’est ce que tu as fait ? Tant pis. Comment ça marche, sa double attaque, au juste, c’est un effet de l’arme ? Ah, c’est sa compétence ? Alors du coup, le deuxième dé, il est pas doublé ! Je le retire… Yes ! Je repasse au-dessus de zéro ! »
J’abrège la suite : Pierre a mis le feu aux poils des gobelours et aux couvertures, Goth et Wulf les ont civilisés, et j’ai sorti mon Argument Ultime pour remporter l’échange de politesses avec celui qui m’avait souhaité la bienvenue de manière virile. Les quelques possessions des créatures sont allées rejoindre celles des Redbrands précédents dans le sac que Goth avait acheté plus tôt dans la journée, et où il avait décidé de fourguer tout le butin qu’on chouraverait sans se préoccuper d’y jeter un œil avant qu’on ne soit sortis.
Le gobelin a fini par reprendre connaissance, et nous avons alors fait celle de Pendouille. Je ne veux pas savoir comment il s’est retrouvé affublé d’un tel nom… Ceci dit, il s’est révélé très serviable : on n’a même pas eu besoin de le menacer pour qu’il accepte de nous servir de guide. Je lui ai demandé s’il savait où se trouvaient les cryptes, puisque c’est là qu’étaient censés être les prisonniers, et il a commencé à nous guider à travers les couloirs. Il nous a aussi révélé que ses maîtres venaient de Cragmaw Castle ! Ce qui signifie, incidemment, que ceux qui ont enlevé Gundren travaillent avec les Redbrands… L’ennui, c’est que quand on lui a demandé où ça se trouvait, il nous a répondu qu’il n’y avait que les gobelours qui le savaient. Oups.
Juste après la bataille, j’avais ramassé le corps du gobelours litophobe pour aller le donner à manger au nothic, parce que je suis un vrai ami et que je tiens mes promesses. Ça mange salement, un nothic. Mon présent ne l’a malgré tout pas empêché de vouloir manger Pendouille lorsqu’il nous a vus avec lui. Je l’ai grondé en lui disant que Pendouille était notre ami, et il s’est mis à bouder, l’ingrat.
Cette fois, c’est moi qui étais le porteur de l’ann… De la lanterne. Le gobelin nous a menés au bout d’un couloir en cul-de-sac, avant de se gratter la tête, confus. J’ai eu tôt fait de repérer une porte secrète. J’ai eu un peu de mal à l’ouvrir, car elle était conçue pour sortir du cellier où nous avons débarqué après l’avoir franchie, pas pour y rentrer.
Visiblement, on se trouvait dans les caves du manoir. Outre une grande citerne, de nombreux tonneaux remplis de victuailles étaient entreposés. On en a profité pour refaire le plein de barbaque, parce que les régimes végétariens, très peu pour moi. Il y avait aussi, attenant à la réserve, ce qui était apparemment un dortoir, mais on s’est dit qu’on allait foutre la paix à ceux qui se trouvaient dedans, pour une fois. Pendouille (bon sang, ce nom…) nous a menés dans un couloir poussiéreux au bout duquel se trouvait une porte sur laquelle une gravure devenue verte avec le temps représentait un ange. Wulf et moi nous sommes avancés pour l’examiner, mais on avait dû un peu trop forcer sur la becquetance, car le sol s’est effondré sous nos pieds au beau milieu du corridor. Heureusement, si on est toujours aussi mauvais pour détecter les pièges, on reste suffisamment doués pour les éviter, puisque nos réflexes nous ont évité de finir dix pieds plus bas.
Le raffut a réveillé les Redbrands qu’on avait laissés tranquilles. À vous dégoûter de faire de bonnes actions. Ils étaient trois, et ils ont déboulé devant Pierre et Goth. Les deux ont bien tenté de les rassurer quant à notre présence tout à fait normale, mais comme c’était pas super crédible, Pierre a fini par essayer de les convaincre avec un cône de feu. Goth s’est efforcé de le protéger, mais le mago a quand même pris un coup. Il s’est vengé en terrassant l’un des bandits : il a juste posé la main sur lui, et c’était comme si la foudre l’avait touché… Même si je l’aime beaucoup, j’éviterai de lui serrer la main, à l’avenir.
Wulf et moi, coincés de l’autre côté du trou, nous sommes efforcés d’aider nos compagnons du mieux que nous le pouvions avec nos flèches. Bon, Wulf est clairement meilleur que moi arc en main, vu qu’il a réussi à en dégommer un alors que je ratais tout… C’était un peu sa nuit, il faut dire : à chaque fois qu’il y a eu de la baston, il a été d’une efficacité redoutable.
C’est là que j’ai eu une idée brillante : comme je n’étais pas très efficace à distance, j’ai décidé de franchir acrobatiquement et avec classe le trou qui me séparait de mes camarades pour aller les aider… et aussi parce qu’il m’avait semblé reconnaître un visage familier parmi les trois bandits, et que ça commençait à me chagriner qu’on zigouille tous mes vieux amis avant que je puisse échanger des cordialités avec eux.
Je me suis donc mis à courir sur l’étroite corniche qui restait sur le côté du couloir pour atteindre l’autre bord… Malheureusement, je n’avais pas anticipé la fourberie du mobilier local. Après le lit (qui était sûrement de mèche avec elle, maintenant que j’y pense), la corniche a décidé qu’elle était d’humeur glissante, et j’ai fini, littéralement, au fond du trou. Aïe.
Heureusement que j’avais bu la potion de soins qu’il me restait après mes embarrassants démêlés de literie. Je n’étais pas super vaillant, mais j’étais toujours debout. Il en faut plus pour abattre un hobbit ! (Je vous ai dit que j’étais un hobbit ?)
Les bruits de la bataille se sont progressivement tus, et Wulf m’a lancé une corde pour m’aider à remonter. L’un des Redbrands avait malheureusement réussi à s’enfuir. Pierre a lancé son rat à sa poursuite, pour voir où il se rendait. Oui, il a un rat, maintenant. Je ne veux pas chercher à savoir. Les yeux du rongeur lui ont appris que le type détalait vers le Géant endormi. Était-ce pour se planquer ou prévenir d’éventuels collègues ?
On ne sait pas, et on n’avait pas vraiment le temps de creuser la question. À l’aide de mon matériel d’escalade, on a attaché une corde de part et d’autre du mur pour que tout le monde puisse nous rejoindre de ce côté du couloir. Pendouille compris, qui a oublié ses réticences quand j’ai suggéré à Goth de le lancer par-dessus le trou. De l’autre côté de la porte trônaient trois sarcophages, et, affalés contre eux, trois squelettes en armure. Probablement les gardiens dont on avait entendu parler plus tôt…
C’est là que j’ai eu une brillante idée. Oui, elle a marché, pourquoi vous posez la question ? Goth et moi avons chacun pris une des flasques d’huile qui nous servent à allumer la lanterne, et on les a intégralement vidées sur les squelettes avant que Pierre ne les brûle vifs. Enfin, morts. Enfin… Bref. Ça ne les a toutefois pas empêchés de se relever pour nous accueillir d’une manière des plus chaleureuses, mais les flammes, la lame de Goth et une très jolie flèche de Wulfwig les ont vite ramenés à leur état naturel.
J’ai alors vu quelque chose que je ne suis pas sûr de jamais revoir un jour : Anarondo a sorti son épée ! Bon, il a raté son coup, mais tout de même, ça surprend.
Sur les couvercles de pierre des sarcophages était sculptée l’effigie de ses occupants : deux hommes et une femme, vêtus des atours des nobles. On aurait pu ouvrir pour voir s’ils avaient quelque chose de valeur avec eux, mais on n’en a rien fait. Piller des tombes, c’est pas trop notre kif.
Je me suis alors dirigé vers l’une des deux portes qui se trouvaient de l’autre côté du caveau tandis que Goth allait écouter à l’autre… C’est à ce moment que cette dernière s’est ouverte à la volée, et qu’ont surgi deux Redbrands. Complètement pris par surprise, nous les avons vus, impuissants, mettre Goth à terre avant de foncer, l’un sur Pendouille, l’autre sur moi… J’ai vu des étoiles, et puis la nuit.
Quand je me suis réveillé, j’étais dans la chambre que j’occupe actuellement. Mes compagnons m’ont raconté la suite. Wulf est venu à bout des deux bandits, Pendouille s’étant aussi courageusement qu’involontairement sacrifié pour lui offrir un répit salvateur. Goth a pu être ranimé grâce à une potion de soins trouvée sur l’un des deux Redbrands (avec des ennemis pareils, on a plus besoin d’amis, je vous jure). L’une des portes donnait sur une armurerie, dans laquelle ils ne se sont pas privés de piocher. L’autre débouchait sur la prison, où se trouvaient une femme, un garçon et une fille. Il s’agissait de l’épouse et des enfants du sculpteur du village, qui s’était fait tuer par la bande de Glasstaff. En fouillant dans son sac, Goth a trouvé, dans la bourse d’un des gobelours éliminés auparavant, une clef de fer qui ouvrait les cellules. Pierre s’est servi de sa main magique pour reconfectionner le garde-fou bricolé avec la corde pour permettre à tout le monde de franchir de nouveau le trou. Je me demande comment le guerrier a fait pour arriver à traverser avec le poids mort que j’étais sur son dos, d’ailleurs. Tout ce petit monde est alors revenu sur nos pas. Mes amis m’ont confié aux bons soins de sœur Garaele pour me faire reprendre conscience… Comme je suis réglo, je lui ai payé la potion de soins qu’elle m’a fait ingurgiter. Je n’avais toutefois pas assez sur moi, alors je lui ai filé trente pièces d’or en lui promettant de lui ramener les vingt manquantes le lendemain.
Pendant que la prêtresse s’occupait de nourrir les enfants, Mirna, leur mère, nous a imploré de lui ramener la dépouille de son mari. J'ai un peu peur de l’état dans lequel on va le retrouver, mais bon, c’est la moindre des choses… Goth, Wulfwig et Anarondo discutent de la suite du plan pendant que j’écris. Je ne suis pas vraiment en état de faire autre chose. Goth aimerait qu’on retourne dans le manoir pour s’occuper de Glasstaff, arguant qu’en toute logique, il est toujours en train de pioncer. D’un côté, je suis pas chaud, surtout qu’on ne sait pas ce qu’est devenu le Redbrand qui nous a échappé… De l’autre, ça me fait mal de dire adieu à cent pièces d’or…