Voilà plusieurs jours que je me lève sans avoir une armée de notifications dans ma boîte mail, de sujets de discussion à répondre, de dizaines d'histoires entrecroisées à démêler. Cela me laisse une impression bizarre. J'ai encore le réflexe de jeter un œil à chaque fois que j'ai un creux, mais même cela tend à disparaître.
L'heure du bilan à tête reposée est donc arrivée. Après cette ultime bafouille, et les réponses aux éventuelles questions, je pourrais reprendre des activités normales comme lire et commenter les aventures du Yaz' 2014.
Pour commencer, une petite introduction sur
La Légende des 5 Anneaux (
Legend of the Five Rings - L5R).
C'est un jeu de cartes à collectionner (JCC) qui fête ses 20 ans cette année, et qui s'était caractérisé dès le départ par une prise de position assez originale. Là où un
Magic the Gathering ne s'interrogeait pas trop sur la consistance de son univers, L5R se déroulait dans un monde de fantasy bien défini, très librement inspiré du Japon médiéval (histoire de samouraïs), avec des concepts pris ici et là dans l'Asie en général (un peuple inspiré des Mongols notamment), et une petite couche de relecture très occidentale (symbolique du lion par exemple).
L'idée était, et est toujours, que le monde évolue au fur et à mesure des nouvelles extensions, et que les joueurs victorieux lors des tournois officiels peuvent influer sur ces changements. Cela va de choix mineurs pour des tournois mineurs (décider si c'est X ou Y qui va participer à tel événement et donc apparaître sur l'illustration de la carte) à de très importants pour certaines séries de tournois mondiaux (identité du futur empereur).
Assez rapidement, un jeu de rôle a été dérivé du jeu de cartes, et connu un très grand succès, éclipsant souvent son homologue. C'est particulièrement vrai en France, où la pratique du JCC est minoritaire mais les tables de L5R très demandées.
Vingt ans d'évolution continue, pour un univers, c'est long. Surtout avec la nécessité de créer des nouveaux événements régulièrement pour que le jeu de cartes perdure, les choix parfois contestables des gagnants à prendre en compte, le talent varié des différents contributeurs, le fait que de purs mécanismes de cartes doivent trouver une explication ou une autre dans le jeu de rôle...
Cela fait que ce n'est pas un JdR facile à prendre en main, surtout pour le MJ, qui doit faire des choix d'interprétation et, en cas d'éléments contradictoires, décider sur lesquels il veut appuyer et lesquels il préfère ignorer discrètement. S'il est très facile d'être attiré par L5R, il est aussi aisé de ne pas y trouver son compte lorsqu'on y le pratique effectivement, à cause de cette variété des possibles, de cet éventail d'interprétations.
Pour donner un exemple, je suis quelqu'un d'assez cynique qui joue beaucoup sur l'apparence (courtisans qui s'échangent régulièrement des insultes voilées sans jamais franchir la ligne, utilisation des dettes d'honneur comme une bonne excuse pour envahir le voisin...), d'autres ont une vision nettement plus romantique voire utopique, tandis que certains se focalisent vraiment sur les événements nettement moins reluisants ayant lieu dans l'ombre (symbolisés par les ninjas) et quelques-uns font carrément du D&D bourrin avec des samouraïs magiciens.
Cette Winter Court est donc un défi à plusieurs niveaux, car les multiples MJ devaient trouver un moyen de contenter tout le monde. Même si l'intrigue principale était évidemment politique, il y a eu un très grand nombre de scénarios secondaires tournant autour d'autres thèmes : un complot visant un personnage important que les PJ devaient démanteler, de multiples représentations artistiques (poésie, chant, arrangement floral...), un gros monstre lâché en plein milieu de la ville... et une quantité absolument démente d'amourettes et de mariages !
Pari plutôt réussi donc, malgré la légère artificialité d'une telle concentration d'événements en un temps si court (un mois dans le jeu), et des arcs avortés par cause de manque de temps d'un côté ou de l'autre.
Un autre défi était justement l'interprétation de l'univers, avec des événements parfois contradictoires sur lesquels il fallait trancher. Par exemple, mon personnage s'est intéressé à un moment donné à la possibilité de soigner la Souillure de l'Outremonde (une horrible malédiction) et j'ai ainsi, totalement involontairement, ouvert une sacrée boîte de Pandore. La réponse finale pourrait se résumer à « en théorie non, en pratique les exceptions soi-disant exceptionnelles ne manquent pas ».
De ce point de vue là, ça a été nettement plus compliqué. En particulier, le clan du Phoenix a vu une de ses histoires principales
gelée, mais les exemples divers ne manquent pas. Je ne pense pas qu'il était possible de faire beaucoup mieux malheureusement, tant l'univers de L5R est chaotique et accuse son constant agrandissement sans réel contrôle. Enfin, même avec un monde parfaitement cohérent, le simple fait qu'il y ait autant de joueurs/MJs rendait impossible l'inexistence de ce genre de problèmes.
Ensuite, il y a le problème des fuseaux horaires. Bon, autant le dire tout de suite, valait mieux être américain pour jouer dans les meilleurs conditions. En effet, si la majorité de la cour constitue en des dialogues entre un nombre limitée de protagonistes, qui peuvent se permettre d'avancer lentement, avec des messages parfois séparés de près de 24 heures, il existe tout de même des situations où être devant son clavier au bon moment est un avantage indéniable. Par exemple, l'attaque du gros monstre était en temps limité (environ 3 heures réelles par scène), pour des raisons pratiques (sinon, cela aurait pu durer éternellement). Mais ces intervalles se passaient tous durant la soirée aux États-Unis, soit le creux de la nuit en Europe. En semaine. Autant dire qu'il y a eu des déçus, dont les personnages sont gentiment restés les bras ballants alors que la ville se faisait détruire autour d'eux.
Le dernier problème est bien évidemment l'humain. Plus d'une centaine de personnes, soumis à un certain stress pendant deux mois, cela provoque des risques de dérapage et de craquage. Il y au des moments assez difficiles, et les MJs ne sont pas tout à fait irréprochables là-dessus.
Ainsi, le personnage dont j'évoque le bannissement dans le message précédent était en réalité l'un d'eux sous un faux-nez, qui voulait démontrer ce qui se passerait si des PJ poussaient un peu trop loin leur admiration pour la princesse impériale. Sauf qu'aucun PJ n'était au courant de cela, et qu'il y a eu des tensions malencontreuses chez les joueurs qui trouvaient ce châtiment injuste.
De même, le MJ du clan Lion a lâché l'éponge assez vite, sans jamais être vraiment remplacé, et un autre MJ a profité de la situation pour imposer des pénalités totalement absurdes à leurs membres, comme une perte d'honneur sèche et importante pour avoir viré de leur ambassade manu militari un type bourré qui dégobillait des insultes en continu ! Un grand nombre de joueurs Lion ont claqué la porte après cela, dont deux
power players (personnes avec le temps libre et la facilité d'écriture nécessaires pour devenir des incontournables), ce qui a laissé ce clan exsangue.
Il y a eu un certain nombre d'autres points sujets à débat qui ont laissé pas mal d'amertume. Mais, globalement, en-dehors de ces quelques pics, l'ambiance est toujours restée très bonne, avec des joueurs courtois, n'hésitant pas à envoyer des MP après que leurs personnages aient eu des phrases un peu dures pour bien rappeler la distinction joueur/personnage, et de très intéressants débats hors-jeu sur la narration, l'évolution de l'univers, la difficulté de jongler avec des résultats imposées par des cartes... Clairement une chouette communauté, compréhensive et cultivée.
Version courte. C'était vachement bien. Bien sûr, comme toujours, il est plus simple de lister les sujets de râlerie ponctuels que les bons points généraux, mais cela n'empêche pas tout l'événement d'avoir été extrêmement sympathique, et instructif. Ne serait-ce qu'en me forçant à écrire l'équivalent d'un roman ou deux en anglais (je dois faire des efforts conscients pour écrire en français tant j'ai pris l'habitude de rédiger dans la langue de Shakespeare).
Résumer toutes les histoires qui ont été racontées me prendrait un bottin, donc je vais plutôt attendre de voir s'il y a des questions à ce sujet. Je sais qu'un résumé officiel des événements importants est en préparation (on a eu à écrire un rapport à ce sujet) mais j'ignore quand il paraîtra.
Également, je pense que maintenant je pourrais jouer/maîtriser du L5R dans mon sommeil maintenant. Ne serait-ce que parce que j'ai une chouette galerie de PNJ à exploiter (comprendre : reprendre les PJ de cette WC sans vergogne).
PS : Mon personnage, c'était
lui. Pour faire simple, un type du camp des méchants opposé à leur arme principale (la malédiction corruptrice évoquée plus haut) pour des raisons personnelles (être aimée dévorée par elle) et qui est devenu, presque malgré lui, le chef de la faction progressive de ce clan, celle défendant l'idée qu'il serait peut-être temps de de se débarrasser de cette horreur qui fait autant sinon plus de mal à nous qu'aux autres (une de ses quêtes secondaires est résumée
ici - ce lien risque de mourir assez vite car tous les messages hors-jeu sont supposés être supprimés sous peu).