De la conversion du papier en numérique
#1
Attention pavé ! J'étais parti pour un message court, et je crois que je tiens presque un nouvel article pour Littéraction. À l'origine, j'ai surtout mis cela à l'écrit pour tenter de clarifier mes réflexions, je présente donc mes excuses par avance si cela est un peu confus.

*****

Ce n'est pas un secret que je m'intéresse énormément, bien que sporadiquement, au développement numérique des avh. J'entends par là des aventures où l'inventaire, les affrontements, les codes... seraient gérés numériquement. Le lecteur n'aurait besoin de se munir d'une feuille de papier et d'un crayon que s'il désire noter des choses à titre personnel et non parce que le texte lui demande.

Il y a de cela bien longtemps (l'année dernière si vous préférez), je me disais que produire une aventure numérique était chose facile. On prend une bonne avh existante, on cache les mécanismes, on rajoute des liens cliquables partout, et, hop, magie, on a une super aventure numérique. Sauf que, dans la pratique j'ai découvert un certain nombre d'écueils :

La difficulté

Problème
La difficulté actuelle des aventures actuelles est calibrée en fonction du fait que le lecteur connaît certains mécanismes. Par exemple, si à un moment, je dois noter un mot et que plus tard on me demande si j'ai ce mot, je saurais qu'il y a une corrélation directe entre les deux événements, même si le lien est loin d'être évident. Pour prendre un exemple récent, à la fin de Chrysalide, il existe un passage où on nous demande de vérifier un tas de codes, et l'échec nous attend si on s'est mal débrouillé. On connaît l'origine des codes que l'on possède, on peut donc comprendre le raisonnement qui se cache derrière et agir en conséquence dans les essais suivants.

Par exemple, si dans une aventure d'espionnage, j'acquière le code « Schmilblick » en effectuant une action louche en public, dont j'ignore si elle a été remarquée, et qu'à la fin, les gardes m'arrêtent après que le texte m'ait demandé si j'avais le code, pas besoin d'être grand clerc pour comprendre la logique.

Mais si je cache les mécanismes sans mettre la moindre explication, que se passe-t-il ? J'arrive à la fin, et d'un coup je perds. Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas laquelle de mes nombreuses actions passées a causé ma perte. Si la causalité n'est pas évidente, je n'ai plus qu'à réessayer au hasard les chemins en priant pour découvrir le bon. C'est pour le moins pénible. Si vous ne me croyez pas, essayez les aventures du site http://www.ffproject.com/, où des pans entiers d'aventures peuvent être dissimulées tant que vous n'avez pas trouvé par hasard le bon objet.

Solutions possibles
Expliciter certains mécanismes
Tout n'a pas besoin d'être caché. Par exemple, à la fin du Château du Sorcier, le nombre d'ennemis restants dépend de nos actions passées. On peut imaginer un décompte graphique, où on part d'un ensemble de 50 groupes d'adversaires, et on soustrait explicitement en fonction de nos réussites (-5 vaincus par les bestioles des souterrains, -10 par notre propre soin dans divers combats, +2 pour les renforts extérieurs etc.). Je trouve cela plus amusant et instructif d'avoir un résultat explicite de mes choix passés, même si cela fait quelque peu trembler le quatrième mur. Cependant, dans une aventure plutôt légère comme celle-ci, cela ne me choque pas.

Aiguiller le joueur
Certaines histoires interactives proposent un système d'indices, plus ou moins explicites, lorsque l'on est vaincu. Une sorte de paragraphe 14 qui est aussi un oracle si vous préférez. Quand cela est bien fait, cela encourage le joueur à recommencer sans trop lui en dire. Quand c'est mal fait... cela va du totalement inutile au spoiler qui gâche le plaisir de la recherche.

Adapter la difficulté
Simplifier les dépendances et les causalités. Expliciter les raisons des réussites et des échecs. Faire en sorte que le joueur perçoive la logique derrière les choses et ainsi l'accepte. Facile à dire, moins facile à faire, car cela nécessite de travailler la structure de l'aventure, et peut aboutir à une avh, qui, en format papier, peut paraître trop facile ou trop guidé (redondance d'informations plus grande).

Les machines ne jouent pas aux dés

Problème
Les chiffres montrent que les lecteurs trichent beaucoup, surtout lorsqu'ils jouent de vieux LVH qui n'ont pas été testés (la plupart des DF par exemple). Mais même en dehors de l'équilibrage, beaucoup de personnes n'aiment pas dépendre des dés. Converti au format informatique, ce syndrome est démultiplié. Voir le destin de votre personnage dépendre du bon vouloir d'un générateur de nombres aléatoires est pour le moins une pilule difficile à avaler.

Solutions possibles

Supprimer le hasard
Remplacer un combat aux dés par des affrontements scénarisés (comme le combat final du premier tome de la Voie du Tigre) ou une simple perte d'endurance romancée (Le Château du Sorcier) est une solution éprouvée, et généralement appréciée par la communauté. De fait, ces dernières années, beaucoup d'essais ont été faits en faveur d'une suppression partielle ou totale du hasard sur le format purement papier.

Jouer avec le hasard
Une astuce qui m'a été remontée par Salla et que je n'ai pas expérimenté moi-même : dans les aventures sur smartphones de Tin Man Games, les dés se lancent en secouant la machine. Mais lorsque ceux-ci s'apprêtent à se stabiliser, il y a un court laps de temps où le joueur peut re-donner un petit coup à son téléphone pour les forcer à pivoter encore un peu, histoire d'éviter qu'ils s'arrêtent sur un malencontreux double un contre le boss final par exemple. J'aime beaucoup cette idée d'autoriser une petite forme de triche. Des idées alternatives très intéressantes ont été également évoquées un peu partout (commencer le jeu avec un certain nombre de relances autorisés par exemple) pour re-transformer le hasard en élément ludique.


Quel format choisir ?
Cela peut paraître difficilement concevable, mais même dans le minuscule microcosme de la littérature interactive numérique, on réussit à avoir plusieurs courants d'idées. Allez, on fait un petit tour de ce que je connais, mais il y en a probablement d'autres.

Le classique

Principe
Du texte et des choix cliquables. L'essence du livre-jeu. Et consultable depuis n'importe quel navigateur (page HTML classique).

Avantages
Le plus facile à faire

Défauts
Un peu trop dépouillé. En fait, aussi bizarre que cela puisse paraître, j'ai tendance à trouver les PDF (avec liens cliquables) actuellement produits par la communauté plus attractifs et confortables que certaines de ses versions par la faute de fonctionnalités manquantes : impossibilité de sauvegarder, interface (affichage des caractéristiques notamment) pas forcément optimale ni configurable...

Exemples
Choice of Games, Fighting Fantasy Project

L'imitation de livre

Principe
Tout est fait pour donner un aspect de livre papier à une création numérique. Les numéros de paragraphes sont conservés, les mécanismes sont apparents, et même le rendu graphique est similaire.

Avantages
Comme un livre-jeu papier

Défauts
On n'exploite clairement pas toutes les possibilités du numérique. Par exemple, une aventure comme Quand souffle la tempête qui s'appuie sur les mécanismes cachés grâce au numérique ne serait pas exportable.

Exemples
Les livres de Tin Man Games, Seventh Sense

Le très graphique

Principe

On a toujours ou presque une image affichée à l'écran, façon diaporama. Des images d'appoint peuvent être présentes pour illustrer les personnages principaux ou certains événements importants.

Avantages
On peut vendre du rêve assez facilement avec quelques captures d'écran bien choisies, voire un trailer vidéo du feu de dieu. Accessoirement, c'est le domaine où la technologie disponible est actuellement la plus poussée (on peut facilement faire des interfaces avec le logiciel Ren'Py, alors qu'il faut pleurer pour avoir une barre de PV affiché en continu avec ChoiceScript).

Défauts
Dans la pratique, seule une infime portion de l'histoire est illustrée, et les mêmes images sont réutilisées à outrance. Cela peut faire illusion tant que l'on reste dans des scènes calmes... mais pour les scènes d'action, faute de budget, la célèbre technique de l'écran noir avec les bruitages d'armes sera utilisée, ce qui enlève grandement de l'intérêt et est plutôt ridicule. De façon générale, à moins qu'une armée de dessinateurs bénévoles et talentueux ne se découvrent un intérêt soudain pour les livres-jeux, les possibilités sont très limitées par le peu de ressources graphiques librement disponibles.

Également, le système ne fonctionne encore bien que comme application lourde, donc un programme à installer sur sa machine, ce qui peut bloquer les gens.

Exemples
Les Visual Novels en général (Exemples de jeux indépendants)

Personnellement, ma préférence personnelle va au pur texte, mais avec la nécessité d'une interface réfléchie et bien faite pour l'aventure, sinon cela n'aurait aucun intérêt. Par exemple, pour Les Noyés, il faut concevoir un moyen ergonomique de répartir ses hommes (Cliquer-déposer des petites icônes de bonhommes sur une carte ?), et pouvoir consulter ces informations à tout moment.

D'un point de vue technique, je me demande si l'utilisation de Ren'Py en mode NVL simple, c'est-à-dire juste une arrière-plan fixe et le texte en surimpression par-dessus (exemple), ne serait pas le plus simple, car cela permet d'exploiter un grand nombre de fonctionnalités existantes (il y a un module de carte cliquable déjà existant par exemple).

*****

Y a-t-il vraiment des courageux pour avoir lu tout cela ? Si oui, je serais intéressé par leur avis sur les questions suivantes :
*Quelle aventure actuellement disponible sur Littéraction leur paraît le plus adapté à une conversion numérique ?
*Sous quelle forme la voit-il une fois transformée ? D'un point de vue graphique bien sûr, mais surtout au niveau des mécanismes. Par exemple, si l'aventure comporte des combats, vaut-il mieux une retranscription telle quelle, avec dés ? Les transformer en perte d'endurance scénarisée, avec un texte descriptif supplémentaire à l'avenant ? Qu'est-ce qui mériterait d'être caché dans les caractéristiques du héros (par exemple, un score de folie pour une avh lovecraftienne) ou au contraire explicité ?
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#2
(27/01/2013, 21:07)Skarn a écrit : *Quelle aventure actuellement disponible sur Littéraction leur paraît le plus adapté à une conversion numérique ?
*Sous quelle forme la voit-il une fois transformée ? D'un point de vue graphique bien sûr, mais surtout au niveau des mécanismes. Par exemple, si l'aventure comporte des combats, vaut-il mieux une retranscription telle quelle, avec dés ? Les transformer en perte d'endurance scénarisée, avec un texte descriptif supplémentaire à l'avenant ? Qu'est-ce qui mériterait d'être caché dans les caractéristiques du héros (par exemple, un score de folie pour une avh lovecraftienne) ou au contraire explicité ?

*sans trop réfléchir, les avhs qui demandent une gestion importante de la feuille d'aventure :

- Les Noyés par exemple, avec le décompte du temps assez fastidieux, et la répartition des équipiers.

- sinon, je ressors mon idée stupide de pseudo Marais Aux Scorpions-like avec clairières aléatoires interchangeables.


*combats :
Avec les ldvelhs, il y a :
- ceux qui essayent toujours de jouer loyalement, et qui l'ont dans le baba si les stats des adversaires sont injouables.
- ceux qui ne font que lire sans jeter les dés
- la population intermédiaire dont je fais partie : je joue loyalement si j'estime avoir une chance très raisonnable de succès.

A priori je penche pour un système souple. J'aimerais que l'on me propose le choix de lecture seule ou de lecture-jeux. J'aimerais également avoir la possibilité de lancer mes propres dés (je sais, c'est bizarre, mais c'est ludique) et donc de tricher. Par conséquent j'apprécierais un système paramétrable (et à chaque moment du jeu) où l'on nous demande :
- si l'on veut que le programme lance les dés à notre place
- si l'on préfère donner nous-même le résultat du combat : on se contenterait d'indiquer combien on a perdu de PV.

* caractéristiques du héros et connaissance du lecteur :
à vue de nez, cela me rappelle un peu les discussion qu'on avait eu autour des différents systèmes de règles (carac ou pas carac ?).
Si il y a des carac :
- Je trouve que c'est plus intuitif car on a l'impression de visualiser sa progression. Par ex, en récoltant un bonus qui donne +1 en HAB, on est content. Je suis donc pour des caracs visibles.

Des carac cachées pour un cthulhu ? Plutôt contre : je trouve justement que de compter les points de peur est flippant dans le manoir de l'enfer. Mais dans le Manoir on connaît la limite fatale du décompte. Il pourrait être intéressant d'avoir une zone de danger intermédiaire peut avant la zone fatale, où certaines actions seraient impossibles avec un score de peur/folie trop élevées, sans pour autant mourir de peur. Les limites de cette zone intermédiaires serraient, elles, un peu cachées et fluctuantes, histoire de rajouter une part d'incertitude : tout dépendra du sang-froid nécessaire à la réalisation de certaine tâche.

Enfin, tout ça varie en fonction de l'avh. Une petite peut très bien se passer de carac. Une saga, avec des bonus à récolter, a tout intérêt à en avoir.
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#3
Les rendus pour Tin Man Games sont vraiment géniaux, ça fait baver. Ce qui serait génial ce serait un générateur qui permettrait d'obtenir ce type de résultat avec dés virtuels, pages qui se tournent voire d'ajouter des sons et des musiques à son avh. Un Advelh new generation en quelque sorte.

Une prise en charge par un logiciel permettrait en outre des règles beaucoup plus complexes et efficaces. Je pense aussi que des règles connues mais chiantes comme la gestion de la régénération des LS du premier cycle y trouveraient leur compte.
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#4
Le support numérique prend de plus en plus d'importance dans le microcosme de la littérature. Il n'est pas rare de voir des gens lire des livres ou des documents sur des tablettes ou des liseuses.
Je n'ai pas envie de refaire tout un débat du genre : le mail va-t-il tuer le courrier ? Chacun a su trouver sa place. Je pense qu'entre le numérique et le livre, ce sera pareil. Sauf que dans le cas des LDVELH, de nouveaux horizons peuvent se profiler.

En dehors de l'imagination, qu'est ce qui pose les limites d'une AVH classique ? Principalement sa taille, car elle est contingentée par des contraintes matérielles. On imagine mal un livre qui ferait 2000 pages (en dehors d'une encyclopédie, bien sûr).
Seconde conséquence directe, donc, l'histoire, même interactive, ne peut trop s'éparpiller. Ou alors, si elle s'éparpille, elle se raccourcit d'autant dans la longueur. C'est logique. Question de place disponible.
Le format numérique s'affranchit de ces considérations. Un IPad ne sera pas plus épais si l'AVH est fournie. Il devient donc possible de créer de véritables jeux de rôle littéraires, prenants et offrant plusieurs scénarios, des possibilités multiples et élargies. A cet égard, de nouvelles règles seront sans doute encore à inventer pour bénéficier de cette capacité.

Bien sûr, il ne s'agit pas de faire l'apologie des histoires longues. C'est un débat que nous avons déjà eu sur ce forum. Certains aiment, d'autres non. Mais le numérique en offre en tous cas la possibilité.
Une possibilité que l'on peut aisément entrevoir, puisque, je suppose, la grande majorité d'entre nous télécharge des AVH sur litteraction et les lit directement depuis un support informatique.
Je tiens d'ailleurs à saluer un récit récent "quand souffle la tempête", qui répond intégralement à mon propos basé sur les limites repoussées et les innovations à découvrir.
Cette AVH se paye le luxe de comporter plusieurs histoires en une seule, dont la trame et la conclusion se modifient selon le scénario de départ !
Bien évidemment, l'histoire n'est "accessible" que depuis son support spécifique : le numérique.

Il y a là un virage à négocier. Le genre traditionnel perdurera. Mais un nouveau genre, avec ses spécificités, pourrait bien émerger. Après tout, cette génération virtuelle pourrait bien dépoussiérer un genre aux contours définis depuis maintenant plus de trente ans !
Ainsi passe la gloire du monde
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#5
Je pense que, étant donné la lente prudence des grands éditeurs et leurs multiples hésitations (J'y vais, j'y vais pas ? On part sur une édition papier ou numérique ? On oublie le papier, peut-être qu'on garde le numérique si ça coûte pas trop cher... Oh et puis finalement on en reparle dans deux ans...), les livres-jeux n'ont pas leur avenir en format papier.

D'une part parce que le numérique est un support plus adapté que le papier (navigation facilitée, règles gérées automatiquement).
D'autre part, et c'est la principale raison, parce que le numérique nécessite un investissement bien inférieur à l'édition papier (pas de frais d'imprimerie, de transport, de stockage...), et qu'il n'y a pas besoin de toute l'infrastructure d'un grand éditeur. Les petites structures qui tenteront l'avenir du numérique seront mêmes avantagées par rapport aux grosses, du fait de leur souplesse et de leur réactivité. Enfin, les amoureux des livres-jeux ayant souvent un profil geek, publier des livres interactifs sur tablette (et éventuellement ordinateurs pour ceux qui n'ont pas non plus de smartphones) ne réduira pas trop le nombres d'acheteurs potentiels.

A la limite, je dirais que le livre-jeu pourra revenir en format papier si son rebond dans le monde numérique obtient de très bons résultats, ce qui rendrait les gros éditeurs moins frileux.
[Image: litteraction5.png]Littéraction.fr
Le site de livres-jeux dont VOUS êtes l'auteur !
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