Conférence sur l’écriture non linéaire à Paris le 13 février 2023
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Quelques pensées, sans doute très anodines, mais que j'ai envie de partager :

Il me semble qu'effectivement, lorsqu'il cite Inform, FibreTigre constate lui-même que ça n'apporte paradoxalement pas grand-chose de très excitant malgré la grande liberté apparente. Parce que, selon lui, les joueurs ne veulent pas tant que ça être "créatifs" ex nihilo mais plutôt construire une solution originale à un problème donné via des choix qui leur seraient déjà proposés. Je trouve d'ailleurs que les arguments développés par Skarn à ce sujet sont concrets et pertinents : ils correspondent bien à ma propre expérience décevante avec ce genre de support.

Un point qui m'a frappé et qui revient deux ou trois fois dans la conférence, c'est à quel point les jeux (et livres) qui nous marquent sont ceux qui nous parlent de l'humain. Même un personnage très éloigné de nous, tant qu'il possède une épaisseur, finit par nous concerner par ses émotions, ses questionnements. Or c'est clairement ce qui me plaît et m'attire dans les œuvres de notre communauté. Je rejoins totalement Gwalchmei en ce sens.

Certains jeux vidéos en apparence très éloignés du "livre" (je pense à The Last Of Us 2, notamment, alors qu'il s'agit d'un jeu de tir et d'infiltration sans possibilité réelle de dialogue) parviennent alors à raconter une histoire suffisamment forte pour être inoubliable (The Witcher 3, plus dialogué, est quant à lui formidable par la profondeur de ses quêtes - principales ou secondaires : comment oublier le Baron ?).
C'est peut-être aussi parce qu'ils s'approchent du genre cinématographique et que l'émotion passe d'une manière quasiment directe, viscérale ou/et magnifiée par une mise en scène intelligente. Mais le thème de TLOU 2 (les questionnements sur la vengeance) est quand même sacrément puissant.

En ce qui concerne les jeux "systémiques" qui visent à immerger un personnage dans un environnement réactif, et au fait que le lecteur se raconte en quelque sorte sa propre histoire à partir des différents éléments qu'il connecte, comme dans l'image du bol de céréales (pardon, je mélange beaucoup de choses), je ne pense pas être véritablement séduit par l'idée pour le moment. De mon point de vue, au-delà de son miroir sur l'humain, ce qui caractérise une œuvre d'art est sa capacité à donner du sens au chaos.
Bien sûr, on peut toujours "trouver" du sens par nous-mêmes - comme dans notre propre vie, après tout - (cela me fait penser aux récits à fins ouvertes, ou à ces films qui engendrent une décennie d'interprétations différentes parce qu'ils n'ont pas livré toutes les clés). Mais j'ai l'intuition qu'un auteur agence toujours, de manière inconsciente, les éléments d'une (bonne) histoire selon une architecture qui dégage une vision du monde, sa perception réordonnée de l'existence pour le dire simplement. Et que c'est cette organisation cohérente et signifiante de tous les événements qui fait la force d'une histoire. Or cela manquerait forcément à des éléments pris de manière aléatoire ou à un jeu purement systémique (le monde a un ordre, mais les événements sont finalement dépourvus de dessein, de cette cohérence secrète). Bien sûr, j'ai conscience qu'il s'agit là d'une vision classique qu'on peut justement vouloir briser. Qu'il faut briser pour explorer autre chose. Pourtant je pense toujours revenir en tant qu'auteur, et que lecteur, à une narration centrée sur l'histoire et ses développements...
Cette idée d'histoire sans début ni fin que FibreTigre évoque pour clore son exposé me fait un peu penser à la série "kaléïdoscope" sur Netflix (que je ne conseille pas ^^). La série propose huit épisodes censés pouvoir être regardés dans n'importe quel ordre. Mais les développeurs conseillent de finir par un épisode bien spécifique ("blanc"), les inversions proposées n'apportant en réalité que peu de choses d'un point de vue narratif (il s'agit juste de suivre les personnages à des époques différentes avant un casse). Il s'agit donc d'un concept un peu mensonger, sans doute éloigné de ce qu'on pourrait créer de tel. Que ce concept ait pu servir d'appât sur une plateforme grand public montre toutefois que les gens sont à la recherche d'expériences nouvelles y compris sur la structure narrative.

Enfin, un passage de la conférence, encore très intéressant, évoque l'évolution du monde au-delà de la "bulle de réalité" perçue directement par notre personnage. Et ça me fait penser à Chrysalide. Je me souviens encore m'être émerveillé devant l'impression solide que le monde suivait son cours pendant que mes deux héros tentaient d'accomplir leur délicate mission. Particulièrement, en refaisant une tentative, de voir combien l'auteur avait soigné le déroulement chronologique des événements et le déplacement des "PNJ" pendant toute la soirée, chacun suivant sa logique propre. Cela a conforté ma sensation de me trouver face à un univers réel. Je pense que ce sont des éléments importants à prendre en compte lorsqu'on écrit une AVH, lorsque bien sûr le scénario s'y prête.

En tous cas, je conseille à tous de visionner la conférence (et +) car les concepts expliqués par FibreTigre sont clairement du genre à infuser pendant des années et à venir nourrir notre créativité et notre motivation !
(je note d'ailleurs ses remarques sur le coût de la traduction selon le nombre de mots ainsi que les limites qu'il conseille de ne pas dépasser... et je m'abstiendrai donc de compter ceux de mes futures AVH pour ne pas déprimer Mrgreen )
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RE: Conférence sur l’écriture non linéaire à Paris le 13 février 2023 - par MerlinPinPin - 19/02/2023, 00:45



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