J'ai l'impression que la conférence se veut avant tout placée sous le signe des limites théoriques. C'est-à-dire plus ce qu'on peut faire que ce qui présente un intérêt à être fait.
Je pense par exemple à la parenthèse sur Inform et les jeux textuels à interpréteur en général. Il est vrai que cela offre sur le papier une liberté d'actions sans commune mesure avec la concurrence. Par exemple, si on trouve une bouteille, on peut la ramasser, l'examiner, la lancer, jongler avec, boire son contenu, la placer en équilibre sur notre caboche, et ainsi de suite.
Sauf qu'en fait, bof bof quoi. Bon, déjà, dans la pratique, à l'heure actuelle, on va vite se heurter à la limite humaine que seul un minuscule nombre d'interactions sont réellement gérées, ne serait-ce que parce qu'il faut les écrire une par une et que le temps dont disposent les humains sur cette terre n'est pas illimité. Et donc on va se manger des « Je ne comprends pas. » et autres « Ce n'est pas une bonne idée. » très rapidement.
Mais, même en admettant que ce soit un jeu à la pointe de la technologie, avec une intelligence artificielle derrière capable d'écrire à la volée des scénarios additionnels pour toute action n'ayant jamais été tenté auparavant... Et bien, passé le court émerveillement du début à propos de cette prouesse technologique, on va vite s'emmerder avec cette bouteille. Ça reste une bouteille, un objet en soi pas beaucoup plus intéressant en virtuel que dans la vraie vie.
Oh, il y a sans doute des choses très intéressantes à faire avec une bouteille spécifiquement dans le contexte du jeu. Par exemple, aller arroser le haricot magique pour qu'il pousse jusqu'au ciel. Mais ajouter plein d'autres possibilités parfaitement banales voire ennuyeuses n'apporte finalement rien à l'expérience du joueur.
Et là, on entre dans cette phase où cette liberté absolue, de plaisante, devient horripilante, à désespérément chercher les quelques possibilités parmi l'infini où il va enfin se passer quelque chose d'intéressant avec cette satanée bouteille. Perso, de mon expérience des jeux à interpréteur de l'IFComp, je tiens pas dix minutes avant d'abandonner et de repartir vers des jeux avec une liberté beaucoup plus restreinte et pourtant un plaisir de jeu beaucoup plus grand.
Le Ageless-Faceless-Gender-Neutral-Culturally-Ambiguous-Adventure-Person, c'est un peu le même délire je dirais. De ne pas être contraint par un quelconque passé est objectivement une condition nécessaire à une liberté absolue. En revanche, est-ce que cette liberté absolue apporte vraiment quelque chose, est-ce qu'au final ce qu'on gagne en en sacrifiant une partie n'a pas plus de valeur que ce qu'on y perd, là, là y'a clairement il y a débat.
Quid des livres-jeux dans tout ça ?
Et bah je dirais que le choix est déjà fait pour nous en fait. Le format papier est très limitant. Dans la conférence, il est dit qu'un jeu comme Disco Elysium, c'est un million de mots. Un bouquin de 100 000 mots, c'est déjà un beau pavé. Et en plus, non seulement on n'a aucun aucun à côté pour faire passer des éléments supplémentaires, comme de la musique ou des images (plus que ponctuelles et statiques), mais on doit encore dépenser une partie de nos mots pour gérer les éléments mécaniques. Dès le départ, il y a pas photo que la liberté absolue, on peut encore moins la promettre que la concurrence.
À partir de là, nos options en tant qu'auteurs sont de fait limitées. Ça n'a de fait déjà plus grand sens de complètement anonymiser le protagoniste au nom de la liberté.
Ça peut cependant en avoir si on choisit de partir sur du pur jeu, avec les mécaniques au centre et l'histoire en simple emballage (sujet il me semble pas trop abordé par la conférence, qui parle surtout de comment de raconter des histoires).
C'est d'ailleurs effectivement l'option historique, les tous premiers Défis Fantastiques ne se voyant jamais que comme l'adaptation solo d'un jeu d'exploration et de gestion de ressources (Endurance, Repas, Or). Dans un tel contexte, avoir un héros bien défini a à peu près autant d'importance que de connaître la biographie du type chevauchant un sanglier géant dans Scythe. Autrement dit, je suis sûr qu'il y a moyen d'en tirer une super histoire, mais, voilà, en contexte, on s'en fiche un peu en vrai.
Cet effacement partiel ou total de certains détails, c'est encore aujourd'hui une option valide, par exemple dans un livre-jeu centré sur la résolution d'énigmes (Escape et co) ou avec un aspect gestion très poussé (Can You Brexit Without Breaking Britain?).
Et je dirais d'ailleurs pas que c'est la solution de facilité. Tout le contraire en fait. En particulier de nos jours où, quand on se vend comme un jeu, on se prend la concurrence de grosso modo quarante ans d'évolution du jeu vidéo et vingt ans d'évolution du jeu de société. Ah, c'est sûr, Le Labyrinthe de la Mort, au début des années 80, à côté du Monopoly, c'était vraiment une expérience de jeu inédite. De nos jours, pour ne citer vraiment que le premier titre me traversant le crâne, je dirais qu'il ne reste plus grand-chose de la proposition ludique du Labyrinthe qu'un Room 25 ne fasse pas en mieux.
Autrement dit, c'est pas facile de surnager dans une telle concurrence. Il faut vraiment une proposition originale, de la qualité, et un apport fort du papier. Par exemple, dans Can You Brexit?, il y a tout un aspect très didactique, avec beaucoup de longs passages détaillant le fonctionnement de l'Union Européenne et du Royaume-Uni, c'est-à-dire quelque chose pour lequel le format livre reste le plus adapté. S'il n'y avait eu que de la gestion mécanique d'un pays imaginaire, je ne sais pas si, malgré tout le talent de Dave Morris, il serait resté dans les mémoires.
À l'inverse, faire un livre-jeu avec à la fois une vraie histoire et de vrais éléments de jeu, ça permet d'éviter l'affrontement frontal, de sinuer entre deux eaux, en se montrant plus ludique qu'un livre et plus livresque qu'un jeu.
De là à dire que c'est plus facile, faut peut-être pas exagérer. Ça a ses propres écueils de marier histoire et jeu harmonieusement. Mais disons que ça me paraît pas illogique que ce soit justement ce qui a le vent en poupe après l'explosion ludique de la dernière décennie qui a vu une démultiplication de l'offre et de qualité, aussi bien en numérique qu'en cartonnée.
Et à partir du moment où on tient à mettre le mot livre dans livre-jeu, c'est difficile de justifier par exemple un protagoniste transparent, tout comme ça serait difficile si c'était un livre non-jeu. D'où acte.
Bref, tout ça pour dire que la théorie c'est bien beau, mais qu'on reste quand même tributaire, consciemment ou pas, des contraintes du réel, dont l'environnement dans lequel se déroule la création. Et actuellement, je dirais que celui-ci pousse naturellement vers des personnages forts dans les livres-jeux.
[il y aurait probablement plein de choses à rajouter sur cette histoire d'environnement, et notamment l'évolution des paradigmes de narration en faveur d'histoires de plus en plus centrées sur des personnages auxquels ils arrivent des choses plutôt qu'une sorte de récit global avec des acteurs dedans, un peu à la Fondation ; mais je m'y connais vraiment pas assez pour m'avancer et ce message est de toute façon déjà beaucoup trop long]
Je pense par exemple à la parenthèse sur Inform et les jeux textuels à interpréteur en général. Il est vrai que cela offre sur le papier une liberté d'actions sans commune mesure avec la concurrence. Par exemple, si on trouve une bouteille, on peut la ramasser, l'examiner, la lancer, jongler avec, boire son contenu, la placer en équilibre sur notre caboche, et ainsi de suite.
Sauf qu'en fait, bof bof quoi. Bon, déjà, dans la pratique, à l'heure actuelle, on va vite se heurter à la limite humaine que seul un minuscule nombre d'interactions sont réellement gérées, ne serait-ce que parce qu'il faut les écrire une par une et que le temps dont disposent les humains sur cette terre n'est pas illimité. Et donc on va se manger des « Je ne comprends pas. » et autres « Ce n'est pas une bonne idée. » très rapidement.
Mais, même en admettant que ce soit un jeu à la pointe de la technologie, avec une intelligence artificielle derrière capable d'écrire à la volée des scénarios additionnels pour toute action n'ayant jamais été tenté auparavant... Et bien, passé le court émerveillement du début à propos de cette prouesse technologique, on va vite s'emmerder avec cette bouteille. Ça reste une bouteille, un objet en soi pas beaucoup plus intéressant en virtuel que dans la vraie vie.
Oh, il y a sans doute des choses très intéressantes à faire avec une bouteille spécifiquement dans le contexte du jeu. Par exemple, aller arroser le haricot magique pour qu'il pousse jusqu'au ciel. Mais ajouter plein d'autres possibilités parfaitement banales voire ennuyeuses n'apporte finalement rien à l'expérience du joueur.
Et là, on entre dans cette phase où cette liberté absolue, de plaisante, devient horripilante, à désespérément chercher les quelques possibilités parmi l'infini où il va enfin se passer quelque chose d'intéressant avec cette satanée bouteille. Perso, de mon expérience des jeux à interpréteur de l'IFComp, je tiens pas dix minutes avant d'abandonner et de repartir vers des jeux avec une liberté beaucoup plus restreinte et pourtant un plaisir de jeu beaucoup plus grand.
Le Ageless-Faceless-Gender-Neutral-Culturally-Ambiguous-Adventure-Person, c'est un peu le même délire je dirais. De ne pas être contraint par un quelconque passé est objectivement une condition nécessaire à une liberté absolue. En revanche, est-ce que cette liberté absolue apporte vraiment quelque chose, est-ce qu'au final ce qu'on gagne en en sacrifiant une partie n'a pas plus de valeur que ce qu'on y perd, là, là y'a clairement il y a débat.
Quid des livres-jeux dans tout ça ?
Et bah je dirais que le choix est déjà fait pour nous en fait. Le format papier est très limitant. Dans la conférence, il est dit qu'un jeu comme Disco Elysium, c'est un million de mots. Un bouquin de 100 000 mots, c'est déjà un beau pavé. Et en plus, non seulement on n'a aucun aucun à côté pour faire passer des éléments supplémentaires, comme de la musique ou des images (plus que ponctuelles et statiques), mais on doit encore dépenser une partie de nos mots pour gérer les éléments mécaniques. Dès le départ, il y a pas photo que la liberté absolue, on peut encore moins la promettre que la concurrence.
À partir de là, nos options en tant qu'auteurs sont de fait limitées. Ça n'a de fait déjà plus grand sens de complètement anonymiser le protagoniste au nom de la liberté.
Ça peut cependant en avoir si on choisit de partir sur du pur jeu, avec les mécaniques au centre et l'histoire en simple emballage (sujet il me semble pas trop abordé par la conférence, qui parle surtout de comment de raconter des histoires).
C'est d'ailleurs effectivement l'option historique, les tous premiers Défis Fantastiques ne se voyant jamais que comme l'adaptation solo d'un jeu d'exploration et de gestion de ressources (Endurance, Repas, Or). Dans un tel contexte, avoir un héros bien défini a à peu près autant d'importance que de connaître la biographie du type chevauchant un sanglier géant dans Scythe. Autrement dit, je suis sûr qu'il y a moyen d'en tirer une super histoire, mais, voilà, en contexte, on s'en fiche un peu en vrai.
Cet effacement partiel ou total de certains détails, c'est encore aujourd'hui une option valide, par exemple dans un livre-jeu centré sur la résolution d'énigmes (Escape et co) ou avec un aspect gestion très poussé (Can You Brexit Without Breaking Britain?).
Et je dirais d'ailleurs pas que c'est la solution de facilité. Tout le contraire en fait. En particulier de nos jours où, quand on se vend comme un jeu, on se prend la concurrence de grosso modo quarante ans d'évolution du jeu vidéo et vingt ans d'évolution du jeu de société. Ah, c'est sûr, Le Labyrinthe de la Mort, au début des années 80, à côté du Monopoly, c'était vraiment une expérience de jeu inédite. De nos jours, pour ne citer vraiment que le premier titre me traversant le crâne, je dirais qu'il ne reste plus grand-chose de la proposition ludique du Labyrinthe qu'un Room 25 ne fasse pas en mieux.
Autrement dit, c'est pas facile de surnager dans une telle concurrence. Il faut vraiment une proposition originale, de la qualité, et un apport fort du papier. Par exemple, dans Can You Brexit?, il y a tout un aspect très didactique, avec beaucoup de longs passages détaillant le fonctionnement de l'Union Européenne et du Royaume-Uni, c'est-à-dire quelque chose pour lequel le format livre reste le plus adapté. S'il n'y avait eu que de la gestion mécanique d'un pays imaginaire, je ne sais pas si, malgré tout le talent de Dave Morris, il serait resté dans les mémoires.
À l'inverse, faire un livre-jeu avec à la fois une vraie histoire et de vrais éléments de jeu, ça permet d'éviter l'affrontement frontal, de sinuer entre deux eaux, en se montrant plus ludique qu'un livre et plus livresque qu'un jeu.
De là à dire que c'est plus facile, faut peut-être pas exagérer. Ça a ses propres écueils de marier histoire et jeu harmonieusement. Mais disons que ça me paraît pas illogique que ce soit justement ce qui a le vent en poupe après l'explosion ludique de la dernière décennie qui a vu une démultiplication de l'offre et de qualité, aussi bien en numérique qu'en cartonnée.
Et à partir du moment où on tient à mettre le mot livre dans livre-jeu, c'est difficile de justifier par exemple un protagoniste transparent, tout comme ça serait difficile si c'était un livre non-jeu. D'où acte.
Bref, tout ça pour dire que la théorie c'est bien beau, mais qu'on reste quand même tributaire, consciemment ou pas, des contraintes du réel, dont l'environnement dans lequel se déroule la création. Et actuellement, je dirais que celui-ci pousse naturellement vers des personnages forts dans les livres-jeux.
[il y aurait probablement plein de choses à rajouter sur cette histoire d'environnement, et notamment l'évolution des paradigmes de narration en faveur d'histoires de plus en plus centrées sur des personnages auxquels ils arrivent des choses plutôt qu'une sorte de récit global avec des acteurs dedans, un peu à la Fondation ; mais je m'y connais vraiment pas assez pour m'avancer et ce message est de toute façon déjà beaucoup trop long]