18/02/2023, 11:47
Allez, je tente de lancer un modeste débat !
J’avoue que je tique un peu sur ce point, qui est au mieux à nuancer, sinon vraiment daté. Que les DF (et la plupart des LDVELH) de notre jeunesse nous enjoignaient à incarner des « coquilles vides », certes il n’y a pas trop de contestation là-dessus.
Les « héros » d’alors n’étaient pas immoraux ou moraux, ils étaient « amoraux ». Ils avaient rarement un passé étoffé, pas de perspectives autres (et rien de plus urgent à faire) que de mener à bien la quête qu’ils s’apprêtaient à accomplir en notre compagnie (ou l’inverse). Ils étaient l'instrument nécessaire, mais parfaitement désincarné. Un outil, un prétexte plus qu'un personnage avec une personnalité éprouvée.
Ils n’avaient pas vraiment de consistance, n’existaient qu’au travers de l’aventure proposée, restaient parfaitement interchangeable, oubliable.
Mais c’était aussi le cas pour pas mal de JdR de l’époque et notamment D&D où la dimension psychologique des personnages, leurs considérations éthiques, se résumaient à peau de chagrin. A part « l‘alignement » (bon/neutre/chaotique), très manichéen et qui ne voulait pas dire grand-chose en fait, tout était orienté vers un aspect purement ludique lié à la montée en puissance de nos personnages à grand renfort d’objets magiques, de pièces d’or et autres possessions matérielles.
Une vision essentialiste donc, réductrice presque.
Occire une bande de gobelins, de brigands ou terrasser un dragon n’étaient des actes qui ne se percevaient que par le prisme de l’expérience que l’on allait recueillir en retour et éventuellement du danger encouru. Mais il ne me semble pas m’être inquiété de la moralité à tuer d’autres hommes (peut-être après tout que ces brigands n’étaient que de pauvres paysans, poussés par la faim et qui avaient embrassé une vie de maraude afin de nourrir leurs familles éplorées désormais…. Je m’égare).
Bien sûr des séries comme « Loup Solitaire » ou la « Quête du Graal » ont cherché à établir des destinées davantage ancrées dans un monde plus détaillé, structuré. Mais on était loin encore d'un "The Witcher 3" par exemple où l'on sent le dilemme permanent de Geralt, son refus du manichéisme justement... Ce qui rend les choix d'autant plus forts car porteurs d'autre chose qu'une simple finalité. Ces choix ont des conséquences, tangibles ou non, mais titillent notre esprit et amènent dans une autre dimension en catalysant l'immersion !
Ce long laïus pour dire que « oui », il était de tradition de se glisser lors de nos lectures dans des « coquilles vides » mais plus par choix des auteurs (une certaine facilité aussi), lignes éditoriales, contexte sociétal et cible visée (ça s’adressait surtout à des adolescents et ça devait rester politiquement correct tout en embrassant les codes éculés de l’héroic-fantasy ou d’autres univers très fortement connotés ou stéréotypés).
On ne voyait surement pas l’intérêt d’aller plus loin, c’était bien comme ça, le jeu (en général) s’adressait aux enfants, aux adolescents, devait rester quelque chose de simple, accessible et il n’y avait pas vraiment de prétention littéraire (voir philosophique) derrière tout ça.
C’était du consommable, ludique mais qui n’impliquait pas le joueur au-delà d’une simple aventure classique. Il n’y avait pas de volonté (pas d’intérêt aussi) à prendre des risques, de chercher à défendre des opinions, alerter ou éveiller les consciences.
Mais ce n’est plus cas ! Sinon, ça serait rayer d’un trait de plume tout de ce qui se fait (ici notamment) depuis quinze/vingt ans dans le domaine de la littérature interactive ! Si on regarde simplement les aventures ayant concourues cette année au YAZ, on ne peut pas dire qu’on interprète des « coquilles vides » qui, par nos choix, vont prendre quelque peu consistance (car cet argument dont je n’ai pas parlé jusque-là est d’ailleurs aussi critiquable : les héros des DF quels que soient nos choix ne prenaient pas plus d’épaisseur à la fin du bouquin ! On avait tué le mage, sauvé le village des hommes-lézards, gagné un tournoi, choisi la porte de droite plutôt que celle de gauche… Et point ! Il n’y avait aucune portée morale ou psychologique à ça. Et encore une fois, c’était la norme dans le monde du jeu -de rôle ou vidéo- à l’époque).
Pour moi, le genre littéraire « interactif » évolue comparativement à celui de la BD depuis les années 60 où l’offre est désormais foisonnante, les styles, thèmes et sujets abordés extrêmes variés.
Si je passe en revue donc les AVH de cette année, dans vecteur XX1, on interprète une jeune femme avec ses aspirations propres, ses désirs, ses doutes, ses problèmes familiaux parfois conflictuels et au premier abord c’est vraiment loin de mes préoccupations de pré-boomer… Et pourtant ça ne m’a pas gêné une seconde (légèrement troublé peut-être lors du rendez-vous au restaurant avec l’instituteur, ce qui contribue à l’intérêt d’ailleurs de l’AVH). Et que dire de Trente Deniers ! Retors, opportuniste, immoral à souhait, cynique. C’est loin d’être une coquille vide pour le coup et pour cetain sa personnalité peut être dérangeante ! Pourtant c’est un plaisir aussi à lire même si on peut penser que c’est un triste sire mais tellement stimulant à jouer. Et puis la bande de coquins de « L’ombre et l’épée » qui cherchent simplement à survivre dans une époque de misère et de peste. On est loin du cliché des chevaliers vertueux en armures rutilantes… Ou encore la singularité du personnage principal « D’écume et de Sang » ! A chaque fois, il y a un parti-pris, un cadre, un contexte fort et pour autant, on ne sent pas corseté par une indépassable individualité des protagonistes.
Personnage fort et liberté d’action n’est donc pas forcément antinomique.
Tous ces personnages sont déjà étoffés, ont un véritable passé et une psychologie parfois complexe, un caractère déjà forgé qui préempte nos choix. La lecture/jeu s’apparente alors plus à une coopération, une synergie entre lecteur/personnage même quand les aspirations morales de ces « avatars » peuvent « rebuter » de prime abord. On apprivoise le héros proposé si tenté qu’on accepte sa mentalité, son tempérament.
Peut-être car l’aspect commercial ne s’impose pas et donc la liberté des auteurs est totale. On n’aime pas tel ou tel personnage car trop loin de nous ? Pas grave, il y a pléthore de choix disponibles pour le lecteur sur Litteraction. La liberté des auteurs a été le moteur de cette émancipation et a permis, il me semble, de sortir des sentiers battus pour s’aventurer librement vers d’autres paradigmes.
En somme, il n’y a pas tant que cela de différences entre littérature classique et interactive, c’est juste une mécanique différente, mais le moteur reste et restera toujours l’imagination de l’auteur, sa créativité…
Et c’est là ou je veux en venir. Je trouve qu’il y a un renversement intéressant qui s’opère. Le genre que nous défendons s’émancipe largement du fait de son caractère de niche, confidentiel là ou la littérature destinée au grand public (cf. les écrivains à succès contemporains), nous sert très souvent des redondances, situations opportunes liées à des modes, des attentes, des études de marché, ce qui conduit à des stéréotypes, des clones et pour le coup à une armée de personnages qui sont assurément des coquilles vides !
(17/02/2023, 10:34)grattepapier a écrit : - Dans le récit normal, le caractère du personnage principal est affirmé et l'histoire découle de son personnage; dans le récit interactif c'est le contraire : c'est l'histoire qui définit le personnage, c-à-d que le caractère du personnage est neutre (c'est une coquille vide) et sera défini par les choix du lecteur
J’avoue que je tique un peu sur ce point, qui est au mieux à nuancer, sinon vraiment daté. Que les DF (et la plupart des LDVELH) de notre jeunesse nous enjoignaient à incarner des « coquilles vides », certes il n’y a pas trop de contestation là-dessus.
Les « héros » d’alors n’étaient pas immoraux ou moraux, ils étaient « amoraux ». Ils avaient rarement un passé étoffé, pas de perspectives autres (et rien de plus urgent à faire) que de mener à bien la quête qu’ils s’apprêtaient à accomplir en notre compagnie (ou l’inverse). Ils étaient l'instrument nécessaire, mais parfaitement désincarné. Un outil, un prétexte plus qu'un personnage avec une personnalité éprouvée.
Ils n’avaient pas vraiment de consistance, n’existaient qu’au travers de l’aventure proposée, restaient parfaitement interchangeable, oubliable.
Mais c’était aussi le cas pour pas mal de JdR de l’époque et notamment D&D où la dimension psychologique des personnages, leurs considérations éthiques, se résumaient à peau de chagrin. A part « l‘alignement » (bon/neutre/chaotique), très manichéen et qui ne voulait pas dire grand-chose en fait, tout était orienté vers un aspect purement ludique lié à la montée en puissance de nos personnages à grand renfort d’objets magiques, de pièces d’or et autres possessions matérielles.
Une vision essentialiste donc, réductrice presque.
Occire une bande de gobelins, de brigands ou terrasser un dragon n’étaient des actes qui ne se percevaient que par le prisme de l’expérience que l’on allait recueillir en retour et éventuellement du danger encouru. Mais il ne me semble pas m’être inquiété de la moralité à tuer d’autres hommes (peut-être après tout que ces brigands n’étaient que de pauvres paysans, poussés par la faim et qui avaient embrassé une vie de maraude afin de nourrir leurs familles éplorées désormais…. Je m’égare).
Bien sûr des séries comme « Loup Solitaire » ou la « Quête du Graal » ont cherché à établir des destinées davantage ancrées dans un monde plus détaillé, structuré. Mais on était loin encore d'un "The Witcher 3" par exemple où l'on sent le dilemme permanent de Geralt, son refus du manichéisme justement... Ce qui rend les choix d'autant plus forts car porteurs d'autre chose qu'une simple finalité. Ces choix ont des conséquences, tangibles ou non, mais titillent notre esprit et amènent dans une autre dimension en catalysant l'immersion !
Ce long laïus pour dire que « oui », il était de tradition de se glisser lors de nos lectures dans des « coquilles vides » mais plus par choix des auteurs (une certaine facilité aussi), lignes éditoriales, contexte sociétal et cible visée (ça s’adressait surtout à des adolescents et ça devait rester politiquement correct tout en embrassant les codes éculés de l’héroic-fantasy ou d’autres univers très fortement connotés ou stéréotypés).
On ne voyait surement pas l’intérêt d’aller plus loin, c’était bien comme ça, le jeu (en général) s’adressait aux enfants, aux adolescents, devait rester quelque chose de simple, accessible et il n’y avait pas vraiment de prétention littéraire (voir philosophique) derrière tout ça.
C’était du consommable, ludique mais qui n’impliquait pas le joueur au-delà d’une simple aventure classique. Il n’y avait pas de volonté (pas d’intérêt aussi) à prendre des risques, de chercher à défendre des opinions, alerter ou éveiller les consciences.
Mais ce n’est plus cas ! Sinon, ça serait rayer d’un trait de plume tout de ce qui se fait (ici notamment) depuis quinze/vingt ans dans le domaine de la littérature interactive ! Si on regarde simplement les aventures ayant concourues cette année au YAZ, on ne peut pas dire qu’on interprète des « coquilles vides » qui, par nos choix, vont prendre quelque peu consistance (car cet argument dont je n’ai pas parlé jusque-là est d’ailleurs aussi critiquable : les héros des DF quels que soient nos choix ne prenaient pas plus d’épaisseur à la fin du bouquin ! On avait tué le mage, sauvé le village des hommes-lézards, gagné un tournoi, choisi la porte de droite plutôt que celle de gauche… Et point ! Il n’y avait aucune portée morale ou psychologique à ça. Et encore une fois, c’était la norme dans le monde du jeu -de rôle ou vidéo- à l’époque).
Pour moi, le genre littéraire « interactif » évolue comparativement à celui de la BD depuis les années 60 où l’offre est désormais foisonnante, les styles, thèmes et sujets abordés extrêmes variés.
Si je passe en revue donc les AVH de cette année, dans vecteur XX1, on interprète une jeune femme avec ses aspirations propres, ses désirs, ses doutes, ses problèmes familiaux parfois conflictuels et au premier abord c’est vraiment loin de mes préoccupations de pré-boomer… Et pourtant ça ne m’a pas gêné une seconde (légèrement troublé peut-être lors du rendez-vous au restaurant avec l’instituteur, ce qui contribue à l’intérêt d’ailleurs de l’AVH). Et que dire de Trente Deniers ! Retors, opportuniste, immoral à souhait, cynique. C’est loin d’être une coquille vide pour le coup et pour cetain sa personnalité peut être dérangeante ! Pourtant c’est un plaisir aussi à lire même si on peut penser que c’est un triste sire mais tellement stimulant à jouer. Et puis la bande de coquins de « L’ombre et l’épée » qui cherchent simplement à survivre dans une époque de misère et de peste. On est loin du cliché des chevaliers vertueux en armures rutilantes… Ou encore la singularité du personnage principal « D’écume et de Sang » ! A chaque fois, il y a un parti-pris, un cadre, un contexte fort et pour autant, on ne sent pas corseté par une indépassable individualité des protagonistes.
Personnage fort et liberté d’action n’est donc pas forcément antinomique.
Tous ces personnages sont déjà étoffés, ont un véritable passé et une psychologie parfois complexe, un caractère déjà forgé qui préempte nos choix. La lecture/jeu s’apparente alors plus à une coopération, une synergie entre lecteur/personnage même quand les aspirations morales de ces « avatars » peuvent « rebuter » de prime abord. On apprivoise le héros proposé si tenté qu’on accepte sa mentalité, son tempérament.
Peut-être car l’aspect commercial ne s’impose pas et donc la liberté des auteurs est totale. On n’aime pas tel ou tel personnage car trop loin de nous ? Pas grave, il y a pléthore de choix disponibles pour le lecteur sur Litteraction. La liberté des auteurs a été le moteur de cette émancipation et a permis, il me semble, de sortir des sentiers battus pour s’aventurer librement vers d’autres paradigmes.
En somme, il n’y a pas tant que cela de différences entre littérature classique et interactive, c’est juste une mécanique différente, mais le moteur reste et restera toujours l’imagination de l’auteur, sa créativité…
Et c’est là ou je veux en venir. Je trouve qu’il y a un renversement intéressant qui s’opère. Le genre que nous défendons s’émancipe largement du fait de son caractère de niche, confidentiel là ou la littérature destinée au grand public (cf. les écrivains à succès contemporains), nous sert très souvent des redondances, situations opportunes liées à des modes, des attentes, des études de marché, ce qui conduit à des stéréotypes, des clones et pour le coup à une armée de personnages qui sont assurément des coquilles vides !