[m-yaz 2022] Carac, Les origines
#9
Que voilà un étrange objet littéraire. Il associe malheureusement, à d'indéniables qualités, des défauts patents, voire rédhibitoires. Et c'est bien regrettable car il y a là un concept, tiré des jeux vidéo si j'ai bien compris, qui me semble audacieux et porteur de grandes promesses. Mais une bonne idée ne suffit pas toujours. Néanmoins, je salue le travail de fourmi que cela a dû être pour que toutes les possibilités proposées tiennent la route. Chapeau ! Et le thème est particulièrement bien respecté.

La forme est agréable. Une présentation sobre, avec une police de taille 16, nous permettant d'imprimer le livre-jeu – ce que j'ai fait pour les règles et les annexes (je passe sur les problèmes d'erratas que j'ai dû réécrire à la main). On a aussi une petite carte en couleur sympathique, vraiment, un calendrier qui l'est un peu moins, des fiches de personnage, de la troupe. J'aime bien tout cela, tout ce matériel et c'est pour moi un aspect très positif (pour ceux qui se rappellent : si vous achetez au poids).
Il y a par contre un certain nombre de coquilles, comme « Atiel » ou « terre battu », ainsi que des phrases à la limite de l'intelligibilité, telles au paragraphe 11 : « Les étages sont plus silencieux, mais si certaines nuits sont difficiles au premier », ou au paragraphe 15 : « Vous entrez dans un impitoyable donjon, où une demeure très sécurisée comme le Palais, qui, s’il recèle de nombreux trésors, abrite également de nombreux dangers ». On repère également quelques soucis d'homophonie comme au paragraphe 2 : « Le roi bondit pour éviter le souffle toxique et décocha une flèche d’en l’œil de la gorgone » et je pense que la syntaxe nécessiterait à quelques endroits d'être reprise ou vérifiée. On a le cas avec la structure de verbes tels « construire » (construire de et construire en), ou au paragraphe 40, avec « mourir de » : une personne « meurt du poison ». Ce syntagme pose un problème de référentiel. Pour rappel, « du » est la contraction de « de le », ce qui sous-entend qu'il s'agit d'un déterminant défini. Mais poison ne peut ici remplir cette fonction. Cela ne poserait pas de problème avec « mourir du cancer » car la maladie est identifiée, ou mourir du cyanure, éventuellement. Je ne développe pas le soucis lié au complément du nom (normalement, un inanimé, difficilement envisageable dans ce cas de figure, d'où la tournure mourir d'un empoisonnement au... qui suppose le sème [+ animé]) et il me semble qu'une simple relative permet de résoudre la difficulté syntaxique : « Elle est morte, manifestement tuée par le poison que... ».
Enfin, il y a pas mal de répétitions, cela a déjà été noté, comme au paragraphe 10, où l'on croise des croisés qui partent en croisade, et de la même manière au paragraphe 16 où se dessine une tour sombre dans un bois sombre auréolé d'une brume sombre.
J'ai bien aimé l'originalité de la description des démons, mi-chair, mi-métal, incandescents. La volonté littéraire est présente, mais engoncé dans un carcan normatif (lancez, consultez, il vous coûtera...) et conditionnel (si, si, sinon...) que j'ai trouvé assez indigeste.
Une question en passant : pourquoi Carac ? Quand je lis ce mot ainsi écrit, je pense à l'abréviation de « caractéristique ». C'est voulu ? Parce que pour moi, Karak, c'était très bien.

L'ensemble s'essaie à quelques descriptions qui viennent poser un cadre, mais cela ne va malheureusement pas plus loin. Résultat, on passe surtout du temps à lire des instructions, des lignes d'option, des tableaux d'événement. Cela tue littéralement l'ambiance. Ce point est d'autant plus à souligner que l'on incarne non pas un personnage, ce qui aurait permis de s'investir dans l'histoire, mais un gestionnaire de troupe. Les membres de cette dernière ne sont que des fonctions avec des nombres, remplaçables, et nos interactions avec les protagonistes sont pour le moins rachitiques. Il n'y a pas d'âme, pas de substance et donc pas d'implication. Et c'est réellement dommage parce que les environnements sont intéressants et les ressorts scénaristiques de l'histoire auraient probablement autorisé un investissement plus sérieux, comme de choisir son camp, de pactiser ici ou là, de ressentir la trahison, l'échec, le goût du fer dans la bouche. Au lieu de cela, l'action est esquissée en quelques phrases lapidaires. On nous dit : « Pas facile de se rendre en prison, mais vous y êtes. Vous voyez la princesse, fière. Vous avez le code Clé : vous rentrez dans la cellule, sinon vous êtes venu pour rien. Vous avez le code Bave, elle vous crache au visage et les gardes vous arrêtent. Vous avez …, etc. » Il n'y a aucune intensité dramatique, aucun enjeu n'est important, et l'histoire glisse peu à peu de nos mains.

Si l'aventure manque cruellement d'ampleur émotionnelle, sa contextualisation est intéressante et on sent que l'ensemble des quêtes et des intrigues a été pensé dans un vrai soucis de cohérence narrative pour que la réussite des missions se bâtisse par une gestion ordonnée des Indices à suivre, saupoudrée d'un peu de chance. Il y a tout un arrière-plan que l'on aurait aimé voir développer, avec pour conclusion une fin moins ouverte, ou plutôt, devrais-je dire, plus déterminable (je choisis le Vautour, le Régent, la Princesse). Ici, c'est plutôt l'impression du total de points réalisé au flipper qui vaut réussite. Si l'idée d'un monde à arpenter est stimulante, elle empêche, me semble-t-il, de s'impliquer dans le substrat de l'aventure, toute solution se valant, à l'aune de la survie, de l'enrichissement, de la puissance. Il s'agit donc davantage de gérer une montée en XP que de résoudre les enjeux narratifs de l'histoire.

Les règles sont abondantes et donnent l'impression d'être solides. Mais j'avoue que je n'ai pas tout compris. La réputation n'est pas expliquée dans le fascicule des règles, ni les flèches ; je perçois mal la différence entre Indice et Code ; je ne conçois pas vraiment ce que sont des Tablettes. Des sortilèges ? Je n'ai pas l'impression que l'on en rencontre des masses au cours du jeu, sauf à les acheter. Dans la feuille de Mercenaires, je n'ai pas non plus saisi à quoi renvoie Bivouaque et ce que représente les trois petits carrés avant le nom du mercenaire. Et surtout le niveau des épreuves/combats me paraît bien ardu. J'ai joué 5 heures et je n'ai réussi aucune épreuve ni aucun combat. Rien. Aurais-je mal constitué ma troupe ? Au début du jeu, j'avais 5 en Attaque et 4 en Compétence. Il y a, je crois, un équilibre qui n'a peut-être pas été trouvé. Mais l'ensemble me paraît sérieux.
J'aime beaucoup la prise en compte des déplacements, du calendrier, de la nourriture, de l'état de santé, des choix à opérer pour sélectionner les personnages, pour les optimiser. C'est un aspect du jeu que j'apprécie à partir du moment où il ne phagocyte pas la narration et la ludicité. Et c'est malheureusement là qu'il échoue : on gère pour gérer et non pour soutenir l'aventure ou le plaisir de jouer.
En passant, j'ai probablement manqué un renvoi de section, mais je n'ai pas vu de possibilité pour accéder au paragraphe 24 (et si on y arrive, je suppose que l'absence de renvoi indique que l'on retourne au paragraphe d'où l'on vient).

J'en arrive à présent au point noir de Carac : le manque de ludicité. Par ludicité, j'entends la rencontre de l'histoire vécue avec le jeu proposé. Or, ici, au fur et à mesure du jeu, ma frustration n'a fait que croître. Outre le fait que j'ai échoué à tous mes tests, j'ai aussi réussi après ces 5 heures de jeu, à me retrouver avec zéro trésorerie, zéro réputation, zéro équipement, zéro flèche, zéro nourriture et des tonnes d'Indice dont je ne pouvais jamais me servir car il me manquait toujours quelque chose. À la toute fin, j'en suis venu à tricher pour voir si je pouvais réussir une quête, mais les conditions étaient tellement infernales (vaincre la manticore) que j'ai abandonné, de guerre lasse.
J'ai l'impression que c'est un problème de masse critique. Il faut parvenir, par chance ou par un chemin (choix de démarrage) bien spécifique, à engranger un capital de départ pour que peu à peu les différentes quêtes se mettent à devenir réalisables, atteignables et qu'ainsi, les éléments du jeu entrent enfin en résonance pour offrir une sorte de fluidité dans la réalisation des missions. J'en étais particulièrement loin.


Pour conclure : un concept intéressant servi par des règles originales et détaillées. Mais l'entrée en jeu problématique, associée à l'absence d'investissement ressenti dû en grande partie à une gestion envahissante et une ambiance inexistante, font de Carac une expérience conceptuelle probablement stimulante mais aux antipodes du plaisir de lire, de s'amuser, d'accomplir. Il est plus que probable que le format des 50 paragraphes ne soit pas son habitat naturel et qu'il faille tout remettre à plat en passant par une augmentation substantielle des sections ; ce que j'attendrais avec impatience.
Goburlicheur de chrastymèles
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Messages dans ce sujet
Carac, Les origines - par frogeaters - 18/06/2022, 18:55
RE: Cara, Les origines - par Flam - 29/06/2022, 17:24
RE: Cara, Les origines - par frogeaters - 30/06/2022, 13:11
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RE: Cara, Les origines - par frogeaters - 06/07/2022, 16:47
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RE: Cara, Les origines - par frogeaters - 21/07/2022, 14:41
RE: Cara, Les origines - par Flam - 30/07/2022, 17:26



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