25/04/2022, 17:07
« Mais au fait, pourquoi ça s'appelle Love Letter ? »
Ces quelques mots à peine prononcés, un silence de plomb s'abat sur la tablée. Chaque membre de l'assistance regarde les autres en chiens de faïence, incertain de la réponse et peu enclin à révéler son ignorance.
Finalement, l'un d'eux se décide pour un coup de bluff :
« Il était une fois un royaume où vivait une princesse, qui, comme tous les princesses, était la plus belle femme du monde*. Les prétendants à son cœur se bousculaient à l'entrée de son château, chargés de présents et de lettres d'amour. Un ballet incessant de nobliaux et de trouvères, une foule d'inconnus forçant galamment le passage devant des gardes désemparés, un inarrêtable maelström de romance soufflant jours et nuits.
Bref, un chaos idéal pour conspirer. Sous couvert de bagatelles, les conjurés se réunissaient dans les endroits et aux horaires les plus improbables, unis dans leur sentiment que le roi Soitrétréfuté Soivrémenpafuté l'Ambivalent avait fait son temps, beaucoup moins quant à l'identité de celui destiné à le remplacer.
Il y a la faction de sa fille, qui trouve quand même que les gens vivent vieux aujourd'hui et aimerait bien porter la couronne avant d'avoir un pied dans la tombe.
Il y a la faction du ministre Aka Ranteset le Loyal (à ses intérêts), un modéré, cherchant à satisfaire les traditionalistes en conservant le système du pouvoir héréditaire et les modernes en remplaçant la famille en place par une dynastie jeune et dynamique (la sienne).
Il y a le général, qui se dit que quand même le pouvoir civil est chose trop sérieuse pour le laisser aux civils.
Il y a les thaumaturges et les prêtresses, simples conduits parfaitement objectifs de la volonté divine, fâchés que le roi actuel n'écoute que d'une oreille leurs conseils au lieu de les boire comme de l'ambroisie.
Il y a les clowns, qui pour l'instant font pas grand-chose, mais le jour où leur messie Saaalah reviendra, tout le royaume s'inclinera devant eux. En tout cas, c'est ce qu'ils se racontent entre eux, le soir, en se démaquillant, terrassés de fatigue et perclus d'humiliation.
Et il y a la garde, à pied et chevaleresque, enchaînant les arrestations arbitraires et souvent infructueuses sous l'influence des tuyaux frelatés que leur fournissent certains conspirateurs soucieux de se débarrasser de la concurrence en interne.
Parmi ces délateurs professionnels, on citera par exemple Jehan, dont la principale préoccupation semble avant tout d'éliminer le ministre et éventuellement seulement ensuite de monter sur le trône pour établir un Grand Secrétariat**. Tentatives jusqu'ici plutôt compromises, la faute à des magiciens mercenaires ayant une fâcheuse tendance à renégocier leur contrat à la hausse avec leur cible.
On notera aussi l'intriguant Outremer, que les factions religieuses ont à la bonne. Un peu trop parfois, comme lors de ce triste incident où le général et la princesse ont toqué à la porte de l'abbaye pour lui proposer l'offre de sa vie, et que la sœur intendante n'a pas voulu les laisser rentrer parce que c'était carême.
Et puis il y a tous les autres, moins constants dans leurs stratégies, mais tous aussi fourbes et pernicieux.
Bref, une magnifique histoire d'amour. »
*Axiome central de la princessométrie, branche des mathématiques dédiée à l'étude des paradoxes provoqués par la coexistence simultanée de plusieurs princesses, chacune plus belle que toutes les autres.
**C'est comme un Grand Ministère, sauf que y'a pas de ministres, le grade le plus haut c'est Secrétaire d'État.
Ces quelques mots à peine prononcés, un silence de plomb s'abat sur la tablée. Chaque membre de l'assistance regarde les autres en chiens de faïence, incertain de la réponse et peu enclin à révéler son ignorance.
Finalement, l'un d'eux se décide pour un coup de bluff :
« Il était une fois un royaume où vivait une princesse, qui, comme tous les princesses, était la plus belle femme du monde*. Les prétendants à son cœur se bousculaient à l'entrée de son château, chargés de présents et de lettres d'amour. Un ballet incessant de nobliaux et de trouvères, une foule d'inconnus forçant galamment le passage devant des gardes désemparés, un inarrêtable maelström de romance soufflant jours et nuits.
Bref, un chaos idéal pour conspirer. Sous couvert de bagatelles, les conjurés se réunissaient dans les endroits et aux horaires les plus improbables, unis dans leur sentiment que le roi Soitrétréfuté Soivrémenpafuté l'Ambivalent avait fait son temps, beaucoup moins quant à l'identité de celui destiné à le remplacer.
Il y a la faction de sa fille, qui trouve quand même que les gens vivent vieux aujourd'hui et aimerait bien porter la couronne avant d'avoir un pied dans la tombe.
Il y a la faction du ministre Aka Ranteset le Loyal (à ses intérêts), un modéré, cherchant à satisfaire les traditionalistes en conservant le système du pouvoir héréditaire et les modernes en remplaçant la famille en place par une dynastie jeune et dynamique (la sienne).
Il y a le général, qui se dit que quand même le pouvoir civil est chose trop sérieuse pour le laisser aux civils.
Il y a les thaumaturges et les prêtresses, simples conduits parfaitement objectifs de la volonté divine, fâchés que le roi actuel n'écoute que d'une oreille leurs conseils au lieu de les boire comme de l'ambroisie.
Il y a les clowns, qui pour l'instant font pas grand-chose, mais le jour où leur messie Saaalah reviendra, tout le royaume s'inclinera devant eux. En tout cas, c'est ce qu'ils se racontent entre eux, le soir, en se démaquillant, terrassés de fatigue et perclus d'humiliation.
Et il y a la garde, à pied et chevaleresque, enchaînant les arrestations arbitraires et souvent infructueuses sous l'influence des tuyaux frelatés que leur fournissent certains conspirateurs soucieux de se débarrasser de la concurrence en interne.
Parmi ces délateurs professionnels, on citera par exemple Jehan, dont la principale préoccupation semble avant tout d'éliminer le ministre et éventuellement seulement ensuite de monter sur le trône pour établir un Grand Secrétariat**. Tentatives jusqu'ici plutôt compromises, la faute à des magiciens mercenaires ayant une fâcheuse tendance à renégocier leur contrat à la hausse avec leur cible.
On notera aussi l'intriguant Outremer, que les factions religieuses ont à la bonne. Un peu trop parfois, comme lors de ce triste incident où le général et la princesse ont toqué à la porte de l'abbaye pour lui proposer l'offre de sa vie, et que la sœur intendante n'a pas voulu les laisser rentrer parce que c'était carême.
Et puis il y a tous les autres, moins constants dans leurs stratégies, mais tous aussi fourbes et pernicieux.
Bref, une magnifique histoire d'amour. »
*Axiome central de la princessométrie, branche des mathématiques dédiée à l'étude des paradoxes provoqués par la coexistence simultanée de plusieurs princesses, chacune plus belle que toutes les autres.
**C'est comme un Grand Ministère, sauf que y'a pas de ministres, le grade le plus haut c'est Secrétaire d'État.