11/11/2015, 17:20
Premières impressions, à infirmer ou confirmer
Elle est là. Enfin. Les mains tremblantes d'excitation, on découvre la boîte de laque noire, massive, frappée d'un dragon à l'or fin. Fébrile, on ouvre : parfum d'encens, doux toucher de la soie épaisse... Délicatement, on tourne les pages... C'est parti.
C'est du lourd. Plus de 900 paragraphes et un travail de plusieurs années. Prendre la suite de la mythique quête du Prêtre Jean, c'est le scénario casse-gueule assuré diront certains. L'ami Ashim, négligeant ces oiseaux de mauvaise augure, relève ses manches et le défi. Alors, qu'en est-il ?
L'introduction est longue, riche et intéressante, parfaite pour ceux qui ne connaitraient pas encore cette saga et elle plaira également aux vieux routards du Prêtre Jean. Une sorte de synthèse, de résumé, fort utile.
Le formidable travail de recherche et d'érudition de l'auteur est à saluer et bien bas, c'est indéniable. Un truc de fous, qui donne le tournis, une masse colossale d'informations, de données, de détails, qui force le respect.
J'ai beaucoup apprécié un certain humour qui, distillé par petites pointes ici et là, pimente agréablement la personnalité du Prêtre Jean. Bravo pour certains noms comme Houd Ini ou la rivière Kouaï... J'ai tilté sur "vous êtes donc un voyageur, plutôt solitaire même" (je n'ai plus la phrase exacte en tête). Si c'est une allusion à ma modeste personne, j'en suis flatté. Si ce n'est pas une allusion à ma modeste personne, c'est que je me la pète un peu trop... Un passage où l'on manque être renversé par un char ne serait-il pas un clin d'oeil à un passage de La cité des voleurs ?
Pas mal de combats sont enrichis de manière bienvenue, comme celui dans le quartier des teinturiers, avec les spadassins qui se cachent derrière les tissus déployés par exemple. On a l'impression que l'on va s'empêtrer dans ces grands tissus qui pendent ici et là, se prendre les pieds dedans, j'ai beaucoup aimé cette idée. Certains adversaires sont originaux comme la femme à l'éventail de fer que l'on voit bien en chef de société secrète ou d'une guilde d'assassins. La remarque sur la lame en acier du héros alors que les chinois de l'époque n'utilisaient que le bronze ou le cuivre est une sacrée trouvaille, là franchement, chapeau bas, fallait y penser !
On voyage beaucoup, en compagnie ou seul, les itinéraires sont variés, tout comme les endroits traversés. C'est donc riche, complexe, fourni.
Mais...
Deux problèmes majeurs m'apparaissent et qui sont liés : une trop grande somme d'informations et la façon dont elles sont amenées.
Par moments, on discute simplement avec un marchand ou des compagnons de voyage et on a l'impression que nos interlocuteurs nous récitent La Chine du VI ème siècle pour les nuls en 12 volumes... On a un paragraphe très long, trop long, on se prend en pleine figure une masse de données, d'informations presque encyclopédiques que je n'ai pu m'empêcher de trouver fastidieuses au bout d'un moment. On a l'impression que notre interlocuteur nous récite du "par coeur", la façon dont on reçoit ces détails n'est pas assez vivante, je trouve. Et par moments, ça prend trop le pas sur le plaisir, l'aventure, le côté ludique de l'avh. Le contraste me parait trop grand entre des paragraphes de longueur moyenne, denses et dynamiques et des paragraphes fleuve où on a l'impression de passer à un roman.
Autre bémol, un manque d'immersion par moments. Je m'explique : on a pas grand-chose sur ce que ressent notre personnage, surtout en ville. Certes, le Prêtre Jean a pas mal bourlingué maintenant et même à travers le temps. Il n'empêche qu'on a souvent l'impression qu'il traverse certains endroits en spectateur, en figurant. J'aurais beaucoup plus exploité des endroits comme les marchés, par exemple :
"Vous caressez d'une main curieuse les rouleaux de soie et les épais brocarts d'un étal. Tant de couleurs, d'odeurs et de parfums ! Quel contraste avec le silence des grands espaces traversés jusqu'ici ! Les sens sollicités de tous côtés, vous déambulez à travers la foule, levant les yeux vers les remparts où claque la soie safran des étendards. Perdu dans votre rêverie, vous n'avez que le temps de vous garer pour éviter le passage d'un lourd chariot de bronze qui manque vous renverser..."
Malheureusement, on a souvent :"vous passez devant tel étal. Vous prenez telle rue. Vous voilà à tel endroit." Du coup, j'ai eu beaucoup de mal à m'approprier le personnage, que j'ai plus vu comme un personnage extérieur à moi-même et dont je suivrais les aventures en spectateur. Le fait d'interpeller fréquemment le lecteur (qu'allez-vous faire maintenant, Prêtre Jean ? Quel sera votre choix, Prêtre Jean ?) ne fait qu'accentuer cette impression. Pour résumer, disons que j'aurais apprécié un personnage plus... "impliqué" dans l'histoire, quelques remarques sur ce qu'il ressent, comment il perçoit ce qui l'entoure, ses impressions, ses sentiments...
Pour finir, un doute (pour chipoter). Le passage de la colline avec les tigres. Une colline couverte de pins et nimbée de brumes. Sauf erreur de ma part, je vois plus un tigre dans un paysage de mangrove, de forêt tropicale et d'étendues d'eau stagnantes, comme en Inde ou au Pakistan. Une forêt de pins me paraît trop "nordique" pour notre fauve rayé (à moins d'un tigre de Mandchourie ou d'un tigre de l'Amour ?) A vérifier, c'est juste une supposition de ma part.
Mes bémols peuvent paraître un peu durs, mais ils ne doivent certainement pas occulter tout le reste, c'est à dire le formidable travail accompli pour écrire cette AVH et qui, encore une fois, force le respect. Il n'y a nullement à rougir de cette suite dans laquelle le Prêtre Jean n'aurait pas hésité à inscrire la trace de ses pas, assurément.
Je dirais au final que le fond est (très) solide mais que la forme pourrait mieux amener et mieux mettre en valeur le formidable travail effectué en amont.
En tous cas, bravo et merci pour avoir relevé le défi et nous avoir proposé cette histoire ! 10 000 ans de bonheur pour Ashimbabbar, digne Fils du Ciel et Chevaucheur du Dragon !
Anywhere out of the world