HeartQuest
#1
Il existe deux caractéristiques générales qui n'ont rien d'exceptionnel chez les protagonistes des AVH modernes, mais que leurs prédécesseurs de l'époque classique possédaient beaucoup plus rarement :

1) Le fait de posséder une identité réellement développée (non seulement un nom, mais un passé, une personnalité, des désirs à long terme, etc.)

2) Le fait d'être clairement féminin (je dis "clairement", car les particularités linguistiques de l'anglais signifient que le sexe des héros anonymes du genre DF pouvait souvent se montrer ambigu, même si ladite ambiguïté penchait en pratique très fort du côté masculin)

Quand on se penche sur les LDVH publiés par Gallimard dans les années 80, il y a peu de protagonistes qui remplissent la première condition, et encore moins la seconde. Caïthness l’élémentaliste est peut-être la seule à cocher les deux cases.

Et pourtant, cinq ans avant l’héroïne de Gildas Sagot, six livres-jeux parus en anglais offraient déjà chacun la possibilité d’incarner une héroïne à l’identité détaillée.

On ne s’en souvient guère de ce côté-ci de l’Atlantique, mais TSR (la société qui possédait initialement Donjons & Dragons) avait réagi très rapidement à l’invention des livres-jeux classiques par Jackson et Livingstone. Dès juin 1982, une première série de LDVH D&D, baptisée « Endless Quest », commençait à paraître. Plusieurs autres séries n’ont pas tardé à suivre, parmi lesquelles « HeartQuest », dont la courte existence a débuté fin 1983.

Explorer des donjons et pourfendre des dragons à grands coups de dés étaient à l’époque des activités très majoritairement masculine, mais comme TSR n’était pas allergique à la thune, il y a eu des efforts pour intéresser une part croissante du public féminin à l’univers D&D. HeartQuest s’inscrit dans cette tentative et emploie à cette fin une approche dont la couverture de son premier tome donnera une idée assez claire :

[Image: 97UM0nv.png]

Au cas où le gros cœur en haut à gauche ne suffirait pas à annoncer la couleur, la série précise bien : « Pick a path to romance and adventure ». Et c’est une description tout à fait honnête. Ces LDVH sont réellement des aventures D&D (les héroïnes y sont confrontées à des magiciens, des monstres et divers autres périls), mais ce sont tout autant des histoires d’amour !

L’héroïne va immanquablement rencontrer tôt dans l’histoire un love interest (certains livres ont deux candidats possibles) qui va ensuite généralement l’accompagner tout du long. Les livres visant un jeune public, l’accent est bien sûr mis sur le romantisme et il n’y a rien de véritablement érotique. Comme les auteurs (majoritairement des femmes) ne pouvaient évidemment pas prendre leur temps au même degré que dans un roman non-interactif, ces relations débutent et progressent assez vite.

Les héroïnes sont des adolescentes de 15 à 17 ans. Certaines sont d’extraction tout à fait ordinaire, d’autres ont des ascendances illustres. Plusieurs possèdent des pouvoirs magiques ou vont en acquérir au cours de l’histoire. Dans chacun des livres, on se retrouve à lutter contre une menace pesant contre la région, généralement un grand méchant du genre dragon ou sorcier, possédant une variété de serviteurs. Mais l’héroïne a toujours des raisons personnelles de se lancer à l’aventure. L’enlèvement d’un proche par les méchants est une motivation particulièrement populaire, qui a lieu dans quatre des six livres !

Les livres possèdent un caractère littéraire appuyé, avec des sections très longues, des interactions développées, des scénarios à rebondissement, etc.

Et le système de jeu, me demanderez-vous ? Eh bien… il n’y en a pas. Ce sont des aventures auxquelles on joue sans dés ni crayon.

Les choix à faire portent le plus souvent sur le comportement immédiat de l’héroïne : faire confiance à un individu ou non, combattre un monstre ou le fuir, et caetera. Les choix liés au déplacement sont relativement encadrés et ils ont un but précis : dans le deuxième livre, par exemple, on nous offre le choix entre trois façons différentes de pénétrer dans un manoir habité par des monstres. Et il y a parfois aussi certains choix qui portent sur l’avenir à plus long terme de l’héroïne (notamment son avenir romantique, bien sûr).

N’allez pas croire, juste parce qu’il s’y trouve des histoires d’amour et pas de points de vie, qu’il s’agit d’aventures gentillettes aux risques limités ! Les PFA sont fort nombreux et, même s’ils ne sont pas tous synonymes de mort violente, les héroïnes peuvent tout de même périr de bien des façons différentes.

Le texte nous offre généralement une quantité raisonnable d’informations pour éclairer nos choix, mais il existe des exceptions. Les pouvoirs/objets magiques dont disposent les héroïnes ont une tendance regrettable à être décrits de façon si vague qu’on ne sait pas bien ce qu’on peut ou non accomplir avec eux.

Le nombre de sections n’est pas bien clair car celles-ci ne sont pas numérotées (les renvois utilisent les numéros des pages et la majorité des sections font plusieurs pages). Je soupçonne qu’aucune des aventures ne dépasse les 60-70 sections.

La durée de jeu varie pas mal d’un livre à l’autre. Dans le premier de la série, il est possible d’atteindre l’une des fins idéales en traversant seulement cinq sections ! Parmi les autres, certains peuvent être assez brefs (bien que pas au même degré) lorsqu’ils s’efforcent d’offrir au joueur des itinéraires substantiellement différents. D’autres ont une durée de vie plus longue, mais sont généralement plus linéaires.

Et qu'est-ce que ça vaut, à l'arrivée ? En ce qui me concerne - mais je suis évidemment très éloigné du public que visait la série - les aventures ne se porteraient que mieux si elles n'incluaient pas des histoires d'amour (ou si celles-ci n'étaient qu'esquissées). En-dehors de cela, leurs qualités littéraires les rendent plutôt sympathiques à parcourir. La série avait quoi qu'il en soit le mérite indéniable de l'originalité considérant son époque de publication.
[+] 1 personne remercie Outremer pour ce message !
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#2
Citation :On ne s’en souvient guère de ce côté-ci de l’Atlantique, mais TSR (la société qui possédait initialement Donjons & Dragons) avait réagi très rapidement à l’invention des livres-jeux classiques par Jackson et Livingstone. Dès juin 1982, une première série de LDVH D&D, baptisée « Endless Quest », commençait à paraître. Plusieurs autres séries n’ont pas tardé à suivre, parmi lesquelles « HeartQuest », dont la courte existence a débuté fin 1983.

Citation :Le nombre de sections n’est pas bien clair car celles-ci ne sont pas numérotées (les renvois utilisent les numéros des pages et la majorité des sections font plusieurs pages). Je soupçonne qu’aucune des aventures ne dépasse les 60-70 sections.

La durée de jeu varie pas mal d’un livre à l’autre. Dans le premier de la série, il est possible d’atteindre l’une des fins idéales en traversant seulement cinq sections ! Parmi les autres, certains peuvent être assez brefs (bien que pas au même degré) lorsqu’ils s’efforcent d’offrir au joueur des itinéraires substantiellement différents.

Les deux éléments sont probablement liés. Le format que tu décris semble être, de ce que j'en ai compris car il s'agit d'une série surtout connue de l'autre côté de l'Atlantique, celui des Choose Your Own Adventure.

Or, en 1982, on n'a pas Internet. Le Sorcier ne sortira officiellement aux USA que fin 1983. Quelques exemplaires de la version anglaise ont sans doute trouvé leur chemin jusqu'au siège de TSR avant cela mais, dans l'idée, la plupart des américains, y compris celles et ceux qui vont écrire des livres-jeux D&D, ne l'ont jamais vu.

Et donc, quand on leur demande de faire un gamebook, ils s'inspirent de ce que eux connaissent : les CYOA. D'où faible nombre de sections, plus longues, et des livres favorisant parfois excessivement la non-linéarité au détriment de la durée.
[+] 1 personne remercie Skarn pour ce message !
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