Les livres-jeux Donjons & Dragons sont fort peu connus en France (la majorité d’entre eux n’y ayant jamais été publiée). Il y en a pourtant eu un certain nombre qui ont paru pendant la deuxième moitié des années 80. En jouant à certains d'entre eux, j'ai été surpris de découvrir qu'à peu près aucun ne relevait du porte/monstre/trésor. Un comble pour du D&D à cette époque !
Par comparaison avec les Défis Fantastiques, les LDVH D&D (du moins ceux auxquels j'ai joué) possédaient en général un caractère littéraire plus travaillé. Le summum en la matière est peut-être le surprenant Knight of the Living Dead, où on incarne un paladin ramené à l'existence sous la forme d'un mort-vivant partiellement amnésique.
Mais pour cette fois, je vais plutôt vous parler de la trilogie "Kingdom of Sorcery" : Sceptre of Power, The Sorcerer's Crown et Clash of the Sorcerers. Écrite en 1986 par un auteur nommé Morris Simon, elle se déroule dans un monde d'héroic fantasy non-identifié. On y incarne un jeune homme nommé Carr Delling, fils d'un puissant archimage qui a disparu mystérieusement peu de temps après sa naissance. Lorsque sa mère meurt de maladie, Carr décide d'enquêter sur ce qui est arrivé à son père et de devenir à son tour un grand magicien. Cette quête personnelle va vite prendre des dimensions plus vastes, pour la raison que les univers D&D, quels qu'il soit, regorgent toujours d'objets magiques surpuissants qu'il faut absolument empêcher de tomber dans de mauvaises mains (et que lesdites mauvaises mains sont également nombreuses).
Les livres ont un nombre relativement modestes de sections (entre 210 et 240), mais il faut noter que ces sections sont considérablement plus longues que ce qu'on peut trouver dans un Défis Fantastique ou un Loup Solitaire. Cela reflète le fait que la trilogie consacre bien plus d'attention à son aspect "livre" que ne le faisaient la grande majorité des LDVH de l'époque. L'histoire s'attache à mettre en valeur l'état d'esprit du protagoniste, à développer les autres personnages, à inclure des conversations, à travailler l'atmosphère, etc.
Bon, mais dans les faits (me demanderez-vous), qu'est-ce que ça donne ? Eh bien disons que la trilogie souffre de problèmes significatifs qui la rendent en fin de compte plutôt décevante.
Contrairement à ce qu'on pourrait s'imaginer, ce n'est pas trop la faute du système de jeu. On a trois caractéristiques (Intelligence, Dextérité et Charisme) qui sont essentiellement fixes, mais qu'on peut ajuster un peu en répartissant entre elles des points bonus. Les tests de caractéristiques sont très classiques : 2D + la valeur de la caractéristique, et on réussit si le résultat est supérieur ou égal au chiffre de la difficulté. Dans certains cas, le fait de manquer de chance sur un unique jet de dés peut être fatal ! Heureusement, les tests de caractéristiques ne sont pas exagérément fréquents.
Notre héros possède évidemment des points de vie... mais ce score ne sert objectivement pas à grand-chose, vu qu'on a fort rarement l'occasion de perdre ne serait-ce qu'un seul PV. En fait, dans les deux premiers livres, je me demande s'il est concrètement possible de tomber à 0 PV.
Les livres ne sont pas faciles pour autant, car les PFA ne manquent pas. Ils peuvent être la conséquence d'un test raté, mais la plupart de ceux sur lesquels je suis tombé résultaient d'un simple choix de comportement où je n'avais pas réussi à deviner ce que l'auteur voulait que je fasse (oui, je sais, c'est le karma). J'ai perdu deux fois dans le premier livre ; la première fois, j'essayais d'éviter à un innocent de se faire lyncher par une foule qui en avait après moi, et j'ai bien réussi mais c'est moi qu'elle a lynché à la place ; la deuxième fois, je me suis permis de ne pas accepter instantanément la mission ultra-périlleuse que des quasi-inconnus voulaient me confier (je n'ai même pas vraiment refusé, j'ai juste voulu être sûr qu'on ne m'envoyait pas à l'abattoir) et cet accès de prudence m'a valu d'être instantanément renié et abandonné par tout le monde, mettant un terme définitif à mes études magiques qui venaient de commencer.
Le deuxième livre est encore plus impitoyable et commence sérieusement à approcher du genre de difficulté qu'on trouve dans un DF. Au début de l'aventure, alors qu'on doit enquêter sur la nouvelle menace qui vient de surgir pour menacer la région, on a le choix entre cinq options pour entamer nos investigations ; sur les cinq, deux nous conduisent presque instantanément à un PFA et deux autres signifient qu'on perdra inévitablement par la suite.
L'auteur consacre bien des efforts à développer l'aspect littéraire du LDVH, mais le résultat n'est peut-être pas à la hauteur de l'investissement. Le fait que le cœur du scénario (des objets magiques surpuissants à récupérer et des sorciers maléfiques à arrêter) soit archi-classique n'est pas un réel problème. Il est en revanche fâcheux que les méchants soient si médiocres, peu impressionnants et peu mémorables (mention spécial au livre 3, qui juge utile d'inclure une tarrasque - l'un des monstres les plus notoirement puissants de tout D&D - uniquement pour qu'elle n'accomplisse rien du tout et se fasse tuer avec une facilité qui ravale un exploit légendaire au rang d'anecdote banale). Quant aux personnages qui sont de notre côté, ils ne se montrent pas follement intéressants.
Le principal problème de la trilogie, c'est qu'elle sabote complètement le principal élément qui aurait dû lui permettre de se montrer sympathique : le fait qu'on joue un magicien.
Au début du premier livre, le but qu'on se fixe est précisément d'apprendre à utiliser la magie ; on ne connaît initialement aucun sort, mais on aura au fil du temps l'occasion d'en apprendre plusieurs. Dans le deuxième livre (qui se déroule cinq ans plus tard), on est devenu un magicien confirmé et on connaît près d'une vingtaine de sorts. Dans le troisième livre (encore cinq ans plus tard), on commence à devenir sérieusement puissant et on a à notre disposition plus d'une trentaine de sortilèges.
Lorsqu'on lit dans les règles que chaque sort ne peut être utilisé qu'une seule fois au cours d'une aventure donnée, on peut en déduire logiquement que le principal défi tactique des aventures va être de déterminer quand il vaut mieux utiliser tel ou tel sortilège pour obtenir le meilleur résultat. C'est un système qu'on trouve dans divers LDVH, comme L'œil du dragon, Le marais aux scorpions, La citadelle du chaos et plusieurs autres.
Mais en fait... non. Au contraire, même, l'usage de la magie est franchement rare et ne donne qu'exceptionnellement au joueur l'occasion de se livrer à des choix tactiques.
Dans le premier livre, lors de la tentative qui m'a permis d'atteindre la fin, j'ai appris trois sorts, j'en ai lancé un seul et... ça n'a servi absolument à rien (c'était un sort de Lumière pour éclairer l'intérieur d'une crypte, mais si on ne peut pas le lancer, quelqu'un d'autre le fait à notre place et le résultat est exactement le même).
Dans le deuxième livre, c'est encore plus frustrant, car notre grimoire est bien plus rempli. Vous savez combien de fois j'ai lancé un sort lors de la tentative où j'ai enfin découvert un chemin permettant de réussir l'aventure ? Zéro. ZÉ-RO ! Pendant cinq années, mon héros s'est usé la santé à étudier la magie, il n'a eu l'occasion de rien faire d'autre (pas même de flirter avec la jeune barde caractérielle mais jolie qu'on rencontre dans le livre 1), et à l'arrivée, sa maîtrise des arts mystiques ne lui sert absolument à rien ?! Mais allez vous faire voir chez les drows !
Lors de mon avant-avant-dernière tentative, j'ai même eu l'impression que l'auteur se payait franchement ma tronche. Après avoir espionné le grand méchant de ce livre et observé l'objet magique qui est la source de son pouvoir, je me rends à l'académie de magie dont le méchant est issu pour obtenir des informations. Et là, surprise ! pour la première fois du livre, mon héros se rappelle qu'il est un magicien et commence à utiliser des sorts pour se faciliter la vie ! En l'espace de 4-5 paragraphes successifs, il lance Détection de la Magie et évite ainsi un piège placé sur la porte principale, puis utilise un autre sort pour escalader le mur jusqu'à un étage supérieur, et enfin lance Ouverture pour déverrouiller une porte fermée magiquement. Et après ce passage, pendant lequel j'ai eu pour la première fois le sentiment d'être un vrai magicien... je me suis mangé un PFA absolument impossible à éviter si on se rend à cette académie.
Le héros se sert un poil plus de la magie lors du troisième et dernier livre, mais il n'y a vraiment pas de quoi s'emballer pour autant.
En bref, vous l'aurez compris, ce n'est pas une grosse perte que cette trilogie n'ait pas été traduite en français.
Par comparaison avec les Défis Fantastiques, les LDVH D&D (du moins ceux auxquels j'ai joué) possédaient en général un caractère littéraire plus travaillé. Le summum en la matière est peut-être le surprenant Knight of the Living Dead, où on incarne un paladin ramené à l'existence sous la forme d'un mort-vivant partiellement amnésique.
Mais pour cette fois, je vais plutôt vous parler de la trilogie "Kingdom of Sorcery" : Sceptre of Power, The Sorcerer's Crown et Clash of the Sorcerers. Écrite en 1986 par un auteur nommé Morris Simon, elle se déroule dans un monde d'héroic fantasy non-identifié. On y incarne un jeune homme nommé Carr Delling, fils d'un puissant archimage qui a disparu mystérieusement peu de temps après sa naissance. Lorsque sa mère meurt de maladie, Carr décide d'enquêter sur ce qui est arrivé à son père et de devenir à son tour un grand magicien. Cette quête personnelle va vite prendre des dimensions plus vastes, pour la raison que les univers D&D, quels qu'il soit, regorgent toujours d'objets magiques surpuissants qu'il faut absolument empêcher de tomber dans de mauvaises mains (et que lesdites mauvaises mains sont également nombreuses).
Les livres ont un nombre relativement modestes de sections (entre 210 et 240), mais il faut noter que ces sections sont considérablement plus longues que ce qu'on peut trouver dans un Défis Fantastique ou un Loup Solitaire. Cela reflète le fait que la trilogie consacre bien plus d'attention à son aspect "livre" que ne le faisaient la grande majorité des LDVH de l'époque. L'histoire s'attache à mettre en valeur l'état d'esprit du protagoniste, à développer les autres personnages, à inclure des conversations, à travailler l'atmosphère, etc.
Bon, mais dans les faits (me demanderez-vous), qu'est-ce que ça donne ? Eh bien disons que la trilogie souffre de problèmes significatifs qui la rendent en fin de compte plutôt décevante.
Contrairement à ce qu'on pourrait s'imaginer, ce n'est pas trop la faute du système de jeu. On a trois caractéristiques (Intelligence, Dextérité et Charisme) qui sont essentiellement fixes, mais qu'on peut ajuster un peu en répartissant entre elles des points bonus. Les tests de caractéristiques sont très classiques : 2D + la valeur de la caractéristique, et on réussit si le résultat est supérieur ou égal au chiffre de la difficulté. Dans certains cas, le fait de manquer de chance sur un unique jet de dés peut être fatal ! Heureusement, les tests de caractéristiques ne sont pas exagérément fréquents.
Notre héros possède évidemment des points de vie... mais ce score ne sert objectivement pas à grand-chose, vu qu'on a fort rarement l'occasion de perdre ne serait-ce qu'un seul PV. En fait, dans les deux premiers livres, je me demande s'il est concrètement possible de tomber à 0 PV.
Les livres ne sont pas faciles pour autant, car les PFA ne manquent pas. Ils peuvent être la conséquence d'un test raté, mais la plupart de ceux sur lesquels je suis tombé résultaient d'un simple choix de comportement où je n'avais pas réussi à deviner ce que l'auteur voulait que je fasse (oui, je sais, c'est le karma). J'ai perdu deux fois dans le premier livre ; la première fois, j'essayais d'éviter à un innocent de se faire lyncher par une foule qui en avait après moi, et j'ai bien réussi mais c'est moi qu'elle a lynché à la place ; la deuxième fois, je me suis permis de ne pas accepter instantanément la mission ultra-périlleuse que des quasi-inconnus voulaient me confier (je n'ai même pas vraiment refusé, j'ai juste voulu être sûr qu'on ne m'envoyait pas à l'abattoir) et cet accès de prudence m'a valu d'être instantanément renié et abandonné par tout le monde, mettant un terme définitif à mes études magiques qui venaient de commencer.
Le deuxième livre est encore plus impitoyable et commence sérieusement à approcher du genre de difficulté qu'on trouve dans un DF. Au début de l'aventure, alors qu'on doit enquêter sur la nouvelle menace qui vient de surgir pour menacer la région, on a le choix entre cinq options pour entamer nos investigations ; sur les cinq, deux nous conduisent presque instantanément à un PFA et deux autres signifient qu'on perdra inévitablement par la suite.
L'auteur consacre bien des efforts à développer l'aspect littéraire du LDVH, mais le résultat n'est peut-être pas à la hauteur de l'investissement. Le fait que le cœur du scénario (des objets magiques surpuissants à récupérer et des sorciers maléfiques à arrêter) soit archi-classique n'est pas un réel problème. Il est en revanche fâcheux que les méchants soient si médiocres, peu impressionnants et peu mémorables (mention spécial au livre 3, qui juge utile d'inclure une tarrasque - l'un des monstres les plus notoirement puissants de tout D&D - uniquement pour qu'elle n'accomplisse rien du tout et se fasse tuer avec une facilité qui ravale un exploit légendaire au rang d'anecdote banale). Quant aux personnages qui sont de notre côté, ils ne se montrent pas follement intéressants.
Le principal problème de la trilogie, c'est qu'elle sabote complètement le principal élément qui aurait dû lui permettre de se montrer sympathique : le fait qu'on joue un magicien.
Au début du premier livre, le but qu'on se fixe est précisément d'apprendre à utiliser la magie ; on ne connaît initialement aucun sort, mais on aura au fil du temps l'occasion d'en apprendre plusieurs. Dans le deuxième livre (qui se déroule cinq ans plus tard), on est devenu un magicien confirmé et on connaît près d'une vingtaine de sorts. Dans le troisième livre (encore cinq ans plus tard), on commence à devenir sérieusement puissant et on a à notre disposition plus d'une trentaine de sortilèges.
Lorsqu'on lit dans les règles que chaque sort ne peut être utilisé qu'une seule fois au cours d'une aventure donnée, on peut en déduire logiquement que le principal défi tactique des aventures va être de déterminer quand il vaut mieux utiliser tel ou tel sortilège pour obtenir le meilleur résultat. C'est un système qu'on trouve dans divers LDVH, comme L'œil du dragon, Le marais aux scorpions, La citadelle du chaos et plusieurs autres.
Mais en fait... non. Au contraire, même, l'usage de la magie est franchement rare et ne donne qu'exceptionnellement au joueur l'occasion de se livrer à des choix tactiques.
Dans le premier livre, lors de la tentative qui m'a permis d'atteindre la fin, j'ai appris trois sorts, j'en ai lancé un seul et... ça n'a servi absolument à rien (c'était un sort de Lumière pour éclairer l'intérieur d'une crypte, mais si on ne peut pas le lancer, quelqu'un d'autre le fait à notre place et le résultat est exactement le même).
Dans le deuxième livre, c'est encore plus frustrant, car notre grimoire est bien plus rempli. Vous savez combien de fois j'ai lancé un sort lors de la tentative où j'ai enfin découvert un chemin permettant de réussir l'aventure ? Zéro. ZÉ-RO ! Pendant cinq années, mon héros s'est usé la santé à étudier la magie, il n'a eu l'occasion de rien faire d'autre (pas même de flirter avec la jeune barde caractérielle mais jolie qu'on rencontre dans le livre 1), et à l'arrivée, sa maîtrise des arts mystiques ne lui sert absolument à rien ?! Mais allez vous faire voir chez les drows !
Lors de mon avant-avant-dernière tentative, j'ai même eu l'impression que l'auteur se payait franchement ma tronche. Après avoir espionné le grand méchant de ce livre et observé l'objet magique qui est la source de son pouvoir, je me rends à l'académie de magie dont le méchant est issu pour obtenir des informations. Et là, surprise ! pour la première fois du livre, mon héros se rappelle qu'il est un magicien et commence à utiliser des sorts pour se faciliter la vie ! En l'espace de 4-5 paragraphes successifs, il lance Détection de la Magie et évite ainsi un piège placé sur la porte principale, puis utilise un autre sort pour escalader le mur jusqu'à un étage supérieur, et enfin lance Ouverture pour déverrouiller une porte fermée magiquement. Et après ce passage, pendant lequel j'ai eu pour la première fois le sentiment d'être un vrai magicien... je me suis mangé un PFA absolument impossible à éviter si on se rend à cette académie.
Le héros se sert un poil plus de la magie lors du troisième et dernier livre, mais il n'y a vraiment pas de quoi s'emballer pour autant.
En bref, vous l'aurez compris, ce n'est pas une grosse perte que cette trilogie n'ait pas été traduite en français.