Arcane
#1
Arcane est une série d'animation récente, dont la première saison (9 épisodes de 40 minutes) vient de s'achever.

C'est une œuvre estampillée Netflix, ce qui veut tout dire, semble-t-il. Netflix a massacré Saint Seiya, ils ont fait de Carmen Sandiego une gentille, ils ont remplacé la médiocrité d'origine de "Musclor" par une médiocrité toute moderne, et on sent bien qu'ils ne font encore là que s'échauffer et qu'ils peuvent et vont creuser bien plus profond. Bref, le fait de regarder une nouvelle série d'animation Netflix se situe sur ma liste de priorités quelque part entre regarder l'intégralité de Derrick sous-titré en wolof et apprendre à danser le french cancan.

Il faut ajouter à cela que c'est une adaptation d'un jeu vidéo populaire (League of Legends). La dernière fois qu'il y a eu une bonne adaptation en série ou en film d'un jeu vidéo, je m'en souviens très distinctement, c'était il y a jamais ça n'est jamais arrivé au mieux l'adaptation aura 2-3 scènes sympas perdues au milieu d'un océan de nullité et c'est déjà pas si fréquent.

Bref, tout ça pour dire qu'Arcane était d'entrée de jeu condamnée à être une série banale et sans saveur...

...mais qu'il est apparemment possible d'échapper à son destin, car c'est au contraire une excellente série, remarquable à tous points de vue.

L'aspect visuel est très beau et parfois remarquablement créatif ; la musique est très bonne ; il y a des scènes d'action très sympas. Mais j'ai été encore plus marqué par la qualité des personnages et de l'histoire.

Arcane se passe dans une cité profondément divisée entre un quartier aisé et un quartier défavorisé, et il aurait été incroyablement facile pour les scénaristes de peindre tout ça en noir et blanc, avec des gentils au grand cœur et des méchants purement négatifs. Mais ils ont au contraire mis là-dedans énormément de nuances et de réalisme. Les personnages négatifs peuvent être néanmoins très humains, les personnages positifs sont loin d'être parfaits et commettent parfois des erreurs dévastatrices, et la frontière entre le bien et le mal n'est pas toujours très nette. Les personnages évoluent ou révèlent des aspects d'eux-mêmes qui n'étaient pas immédiatement apparents. Certaines relations sont particulièrement riches.

C'est une histoire où il y a des problèmes évidents, mais pas de solutions simples. Les actions ont facilement des conséquences négatives imprévues, mais c'est également vrai de la passivité. Arcane se déroule dans un monde dur, où l'idéalisme ne survit pas facilement. Tout cela est très appréciable (ce qui ne veut pas dire que c'est toujours facile à encaisser par le spectateur).

Il n'y a pas des masses d'humour et c'est tant mieux : comme l'illustrent d'innombrables films hollywoodiens, le recours incessant à l'humour est une excellente façon de saboter une histoire par ailleurs sérieuse. Il y a en revanche beaucoup de moments émouvants... et parfois éprouvants.

Bref, je recommande vivement la série. Elle a apparemment nécessité quatre ans de travail et le moins qu'on puisse dire est que le résultat en vaut la peine.
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#2
Non, mais c'est pas n'importe quel jeu. C'est League of Legends. C'est le jeu vidéo le plus jeu vidéo de tous les jeux vidéo, au sens qu'il aligne tous les clichés les moins glorieux du genre.

Pensé comme un Starcraft 2 autour de la compétition professionnelle (esport), il a repris du sport traditionnel type football la communication hyperbolique, les affaires de gros sous, le dopage (les gros événements voient les participants jouer en quasi continu pendant des jours, ils ne tournent pas qu'au café), une tolérance voire un encouragement de comportements malsains dans les tribunes et même parfois sur le terrain (sexisme omniprésent, insultes à foison...).

De cet ensemble gigantesque et protéiforme qu'est le jeu vidéo, il choisit de reprendre tel quel et sans imagination les codes graphiques de l'époque Lara Croft (dont, le saviez-vous, le marketing était géré par Ian Livingstone ; oui oui, celui des livres-jeux ; oui, j'ai choisi cet exemple uniquement pour pouvoir caser cette photo compromettante), tout en filles en 8 et en garçons en V (« Barbie et Schwarzy »), avec en prime une couche de peinture fraîche flashy dégueulasse façon « je découvre les effets sous Photoshop ».

Pas besoin d'aller chercher loin pour des exemples, voici les deux premiers personnages du jeu dans l'ordre alphabétique (qui n'est pas forcément celui dans lequel ils ont été créés) et ils cochent absolument toutes les cases.

Ah, et le business model de League of Legends, c'est de vendre contre du vrai argent des accessoires cosmétiques et des costumes alternatifs pour que les joueurs puissent personnaliser « leurs » personnages. C'est exactement le même principe que le tuning d'une voiture, et le résultat y ressemble beaucoup aussi, tout en absence de sobriété.


Pour en revenir à la série Arcane elle-même, son scénario a été écrit en interne par des gens étroitement liés à la licence LoL (c'est l’abréviation officielle, c'est pas une blague de ma part) et donc théoriquement peu susceptibles de prendre des risques avec, son animation confiée à une petite boîte spécialisée dans les clips (certes très jolis) dont c'est le premier travail de cette envergure, et son lancement effectuée dans un déluge de « marketing à 360° » tout en réclames baveuses sur tous les supports qu'ils ont pu trouver en interne comme en externe.

À ce stade, c'est plus une tentative maladroite, c'est une expérience pour voir ce qui se passe si on prend tous les ingrédients possibles pour arriver à un désastre et qu'on mélange.


En réalité, si on creuse, le tableau n'est pas si noir. Le budget exact de la sériée n'a pas été révélé, mais les estimations sont de l'ordre de grandeur d'un film Disney, entre 50 et 100 millions de dollars. La durée de développement a été, comme toujours, trop courte surtout vers la fin, mais tout de même confortable par rapport aux habitudes du secteur de l'animation et du jeu vidéo (on parle d'environ une demi-douzaine d'années entre le lancement du projet et la diffusion, et d'au moins deux ans rien qu'à cravacher pour produire les images finales). Les affiches officielles révèlent des personnages retravaillés pour leur donner des proportions et un grain moins extrêmes que leur équivalents dans le jeu.

De façon plus indirecte, le fait que l'histoire de l'univers de League of Legends soit pour ainsi dire une page blanche avec juste quelques points à respecter (« il nous faut faut une fille aux cheveux bleus avec des explosifs ») laisse finalement une liberté enviable aux créatifs, surtout quand cela s'accompagne d'un budget qu'ils n'auraient sans doute jamais pu espérer avoir pour un projet non lié à une licence. Et que ce soit le premier très gros projet d'un peu tout le monde, leur vitrine pour la suite donc, annonce aussi que les petits plats seront mis dans leurs grands.


Sinon oui, la série est très bien. Comme pas mal de gens, ça m'arrache un peu la gueule de devoir dire du bien d'une série qui a League of Legends dans son titre officiel, parce que bon, LoL c'est vraiment pas un pan du jeu vidéo que j'apprécie, mais... Bah la série est objectivement très bien. C'est même probablement l'une des meilleures productions audiovisuelles de l'année, et ça se permet même de poser un nouveau standard en terme de qualité d'animation.

Les retours que j'ai, c'est d'ailleurs que ça s’apprécie d'autant plus si on ne connaît pas le produit original, ce qui permet de mieux ignorer les quelques clins d’œil trop appuyés à sa matière première radioactive au profit de toutes les bonnes choses apportées par la série elle-même.

C'est un accident industrielle cette série. Sauf qu'au lieu de couvrir toute la zone de déchets toxiques, tu sais pas trop comment, l'explosion a à la place créé un diamant brut.
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#3
Bon. Il va bien falloir évoquer la seconde (et dernière, même si des séries dérivées sont prévues) saison d'Arcane, dont la diffusion s'est achevée voilà deux semaines.

Mais pour cela, histoire d'avoir un point de comparaison (et aussi de repousser le moment douloureux), on va d'abord reparler de la saison 1.

Je vais me concentrer sur sa fin (finis coronat opus, tout ça), c'est-à-dire ses trois derniers épisodes. Et histoire de pas partir dans tous les sens, on va même se limiter à trois scènes. Pas forcément les plus importantes, mais qui ont l'avantage d'avoir un dénominateur commun évident facilitant la comparaison : ce sont toutes les trois des scènes de bagarre.

La bagarre, il était impossible d'y échapper en raison du matériau de base. LoL, c'est quelque chose comme 99% de bagarre et 1% de capitalisme (on achète des trucs pour être plus fort à la bagarre). Ça se bagarre sur la grand-voie, ça se bagarre dans les bois, ça se bagarre contre des petites créatures, ça se bagarre contre de gros monstres, ça se bagarre entre membres de la même équipe sur le chat... Bref c'est le cœur du jeu, et donc un sujet difficile à éviter.

Comment est-ce qu'Arcane 1 gérait cet héritage ?

Déjà, avec parcimonie. Ces trois scènes, de plus pas excessivement longues, constituent l'intégralité des scènes de combat du triplet final. Alors, il y a d'autres moments avec de la violence. Mais il n'y a vraiment que ces trois séquences, une par épisode, qui sont des combats esthétisés, en face à face, avec des échanges de coups.

Ensuite, prenons les choses dans l'ordre.

Épisode 7, Jinx contre Ekko. À ce stade, autant Jinx on commence à bien la cerner, autant Ekko, on l'a à peine entrevu. Ce combat est donc l'occasion de caser un maximum d'informations sur leur évolution, leurs personnalités, leurs relations passées et présentes, sans même recourir au dialogue (ils sont trop occupés à s'entretuer pour bavasser), uniquement par le visuel et la musique.

Bien sûr, il y avait probablement d'autres façons d'amener ces éléments. Mais c'est se poser la mauvaise question. La présence de bagarre n'étant pas négociable, les scénaristes et les animateurs ont retourné ça dans tous les sens pour tirer le meilleur parti de cette nécessité, pas seulement esthétiquement mais aussi narrativement.

Le final de l'épisode 8 est d'ailleurs totalement dans la même veine, mais va dix fois plus loin. Vraiment, la première fois que je l'ai vu, au milieu de la scène, j'étais en train de me dire "C'est bon, c'est mort, on a eu huit bons épisodes, mais la réalité du produit de départ nous a rattrapé et je regarde désormais League of Legends – The Animated Series."

Parce que vraiment, ça commence piou-piou-boum-boum. Tout le monde il a eu un power-up, y'a des lasers, des explosions, des ennemis sans visage... C'est droit dans le cliché de ce qu'on attend d'une série tirée d'un pareil jeu vidéo.

Et puis il y a une bascule. Une pirouette, permettant à cette scène, probablement désirée par une partie du public mais aussi et surtout par les gens filant l'argent (qui aimeraient bien qu'on vende leur jeu à un moment donné), de s'intégrer naturellement à l'histoire, et même que ce soit un élément central du scénario du dernier épisode. Épisode qui est une pure tragédie théâtrale, comportant notamment une scène où un type monologue sur le mémorial de son frère. Autant dire que c'est quand même un sacré exploit d'écriture de mêler ça habilement à des combats fluo.

Tout ça, ça vient pas de nulle part. Ce qui revient quand on consulte une partie de l'énorme documentation disponible à propos de la série (j'ai clairement pas tout vu/lu ; rien que le making-off doit faire deux heures), c'est qu'elle a été l'incarnation de l'adage « vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ». Le scénario a été retravaillé un nombre incalculable, les animateurs participaient activement au processus créatif, poussant pour des changements pour que ça soit plus fluide, plus détaillé, plus riche, notamment en terme de langage corporel. Un énorme travail, beaucoup d'allers-retours, de discussions, d'ajustements, pour tirer le maximum de chaque minute.

Ah, mais attendez, j'ai oublié de vous parler de la scène de bagarre de l'épisode 9.

C'est de la merde.

Oui, si j'ai beaucoup passé la brosse à reluire précédemment, il faut savoir redescendre sur terre. Tout n'est pas évidemment à un tel niveau de qualité tout le temps. Et ce dernier combat de la série, il traîne en milieu d'épisode et n'a pour rôle que de montrer les nouveaux gadgets colorés qu'ont obtenus certains personnages. Narrativement, c'est le néant, au point que la gagnante n'a pas sitôt posé les gants qu'elle se fait aussitôt assommer et ramener de force dans le scénario principal. Grosse ficelle que l'on excusera, car abrégeant un moment gênant au profit d'un excellent final.

Je n'évoque cependant pas ce moment que pour être médisant. C'est important de rappeler que le tout n'est pas la somme de ses parties, qu'on peut facilement excuser voire ignorer une faiblesse si l'ensemble est de bonne facture, et qu'on peut avoir recours à des procédés narratifs assez nazes pour la bonne cause.

Parce que c'est très important pour cracher sur la saison 2, où le ratio est inversé, avec certaines scènes très belles en elles-mêmes dans un ensemble catastrophique.

Crevons l'abcès. J'ai insisté précédemment sur le fait que la saison 1 avait été polie à l'extrême, profitant de conditions de création presque miraculeuses, où on a globalement laissé les créatifs entre eux avec plein d'argent pendant presque une décennie.

Pour faire la saison 2, ils ont eu trois ans. Et ça se voit. Ça se voit énormément. Ils ont pas eu le temps de remettre sur le métier les potards jusqu'à en faire quelque chose. Désormais, quand tu as une scène pour vendre un nouveau jouet, c'est une scène pour vendre un nouveau jouet. L'histoire s'arrête, et elle reprend après.

Exemple typique : à la fin de l'épisode 2-3, tu as une scène de baston interminable, et, après, tu as un personnage qui explicite un truc qu'il aurait sans doute été tout à fait possible d'intégrer dans la narration graphique du combat avec plus de temps pour accorder les violons.

De façon générale, la série s'effrite totalement. Tu sens que les scripts étaient écrits à la va-vite chez Riot aux US, puis expédiés tels quels à Fortiche en France avec pour instructions de se débrouiller par eux-mêmes pour sauver les meubles.

Alors, ils ont fait de l'excellent boulot. Cette saison 2 est absolument magnifique, peut-être même plus belle que la saison 1. En revanche, on a perdu toute cette richesse d'informations issue d'une véritable collaboration. Le rythme a beau être effréné, chaque épisode est finalement beaucoup moins dense. C'est comme un bouquin auquel il manquerait des pages.

Et puis ça empire.

La première moitié de la saison 2 vit en effet encore sur les restes de la 1. Il est assez facile de deviner à l’œil les scènes qui ont été conçues avant qu'on leur dise d'écraser le champignon, elles sont entrecoupées de moments bâclés, et l'ensemble se tient mal, mais il y a encore un peu d'idée, ça marchouille encore un peu. C'est pas fou mais disons que c'est rattrapable.

À partir d'à peu près la moitié de la saison, les réserves sont vides et la série devient sa propre fanfic. Je sais même plus s'ils se relisaient à ce stade. Les personnages perdent toute humanité, stéréotypes super-héroïques se comportant comme le scénario a besoin qu'ils se comportent. On t'introduit du multivers, et puis ça se conclue sur une baston géante à la Avengers, avec tout le monde qui vient faire son gimmick de League of Legends à la queue-leu-leu...

En même temps, pouvait-on en espérer plus ?

Ce dernier quart, c'est finalement peu ou prou ce que tout le monde aurait imaginé il y a cinq ans à l'annonce d'une série animée League of Legends. Peut-être que c'est ce qu'elle avait été toujours destinée à devenir et que c'est bel et bien tout le reste qui est un accident qui n'aurait jamais dû exister.

Cependant, aux graines disséminées ça et là, on ne peut pas s'empêcher de se rappeler qu'elle avait le potentiel d'être tellement plus. La saison 1 se concluait sur la chanson What could have been. La saison 2 aura décidé de l'incarner.
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