La Croisière de l'Enfer
#1
Ce LDVELH semble à première vue exclusivement destiné aux adolescents, et on ne parle pas que du titre caricatural. L'auteur, Andy Rowski, est une ancienne nominée aux miss France qui est devenue ensuite une célébrité dans les réseaux sociaux et par ses vidéos sur le Net. Un bandeau en travers du livre nous dévoile d'ailleurs son joli minois. Et pourtant, il ne faut ici pas s'arrêter aux apparences...

Les remerciements en début d'ouvrage parlent du travail d'Olivier Gay, un écrivain plutôt renommé et ultra-prolifique, qui oeuvre aussi bien dans le policier, la fantasy, la BD, que la littérature jeunesse. Au vu de la qualité d'écriture, il semble évident qu'il oeuvre ici en tant que[i] ghost writer[/i], la belle Andy servant de prête-nom marketing.

On interprète d'ailleurs un ado d'environ 15-16 ans, embarqué avec ses parents ^pour une croisière de luxe avec ses parents. Que ce soit dans le langage utilisé, très contemporain et plein de familiarités, ou par les préoccupations essentielles du héros (le loisir, les darons sont relous), on se glisse immédiatement dans la peau du personnage. Dans son genre, l'écriture est impeccable. Pas de tournures élégantes ou de vocabulaire chiadé qui ne colleraient pas avec le personnage, et c'est volontaire. Par éclairs dans le récit, on sent que l'auteur en garde sous la pédale. Cette manière d'écrire est particulièrement efficace, le récit est immersif et réaliste.

Ce qui permet de faire passer la transition au fantastique avec une grande élégance et beaucoup d'efficacité. Comme les paragraphes sont longs, on accepte très bien cette histoire de passage dans une autre dimension où les époques historiques se mélangent et où tout l'équipage du paquebot a disparu. Quoique non, pas tout le monde. En plus de nous, il reste quatre rescapés sur le navire géant. Nous avons alors trois jours pour réunir un minimum de quatre objets bien précis afin d'accomplir un rituel, censé nous renvoyer à notre époque et dans la bonne dimension. Dit comme ça, cela fait simpliste, mais la qualité d'écriture rend le scénario acceptable et même, d'une certaine manière, haletant. De plus, j'ai bien aimé les illustrations en noir et blanc, émaillées par ci par là d'une fugace touche de bleu. Elles ont un trait plus BD qu'illustration de LDVELH mais ça colle bien avec les personnages, et permet de figurer les expressions de ces derniers. Car plus que les péripéties connues pendant l'aventure, c'est notre rapport avec les quatre autres (de jeunes adultes, deux hommes, deux femmes) qui va donner tout le sel de l'aventure.

Notre personnage est bien campé avec son caractère d'ado qui n'a pas froid aux yeux. Mais les autres ne sont pas en reste. Ils ont un passé, des défauts, des bizarreries. D'ailleurs, on a beau être tous dans le même bateau, une surprise nous attend à la fin si nous n'avons pas été assez attentifs à nos compagnons. Je n'en dis pas plus sur le sujet, juste que les interactions avec nos compagnons sont au coeur de l'histoire. Presque une ambiance de huis clos.
De fait, les diverses aventures possibles qui nous attendent à leurs côtés paraissent presque secondaires. Elles sont pourtant mémorables : visite du Titanic, bataille aérienne de la 2ème guerre mondiale, combat contre un kraken, abordage de pirates, visite d'une île perdue... Sans compter la découverte d'autres personnages, qui peut donner lieu à des moments touchants (le petit garçon vieilli).

Autre aspect très appréciable : le livre-jeu est brillamment construit. Olivier Gay est un connaisseur de LDVELH, c'est certain! Le sien est très éloigné des standards des années 80 avec des paragraphes longs et des règles très simples. Mais il en a conservé la meilleure essence, avec un souci de proposer une expérience ludique intéressante. Le premier objectif du jeu est de récupérer 4 objets précis. Quel que soit notre chemin emprunté, nous avons plusieurs chances de les récupérer, nous sommes très loin du OTP. Mais ce n'est pas si évident que ça. Lors de ma première lecture, je n'en avais trouvé que deux. Mais ceci est la partie facile du challenge. Car ensuite, il faut accuser quelqu'un et avec une bonne raison. Toutes proportions gardées, comme dans un Nils Jacket!
J'ai échoué ici plein de fois. Mais sans agacement car chaque relecture était agréable. On a plein de chemins possibles (l'aventure est de fait assez courte), de nombreux passages intéressants et originaux à découvrir là où on s'y attend le moins (le bal des zombies), de rares PFA pour pimenter le tout. Et surtout, une compétence à choisir parmi trois au début, que l'on a envie d'utiliser pendant le parcours. S'il n'y a pas de dés ni de combats au sens classique du terme, les scènes d'action avec des choix en série existent (le kraken, les avions) et même, parfois, l'intervention du hasard avec des symboles en bas de page qui remplacent ingénieusement les dés. En clair, un équilibre très bien trouvé entre le piment du jeu et la fluidité de l'histoire.

Enfin, plusieurs fins possibles. La plupart catastrophiques mais quelques-unes symboles de réussite. Et on est alors loin des trois lignes du 400 des Sceaux de la Destruction. La manière dont sont décrits les sentiments du héros au terme de l'aventure, selon ce qu'il a vécu avec ses compagnons, est alors presque adulte. Avec même de l'émotion et de la sagesse. Le héros a été marqué par son aventure et mûri en conséquence. En refermant le livre, j'avais envie de me procurer les autres de la collection.

Bref, s'il y a un LDVELH entre tous que je devais remettre dans les mains d'un ado de 2021, ce serait celui-là. Sans hésiter.
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