[Le Vrai Chemin] Plongée sur R'lyeh
#1
Plongée sur R'lyeh

Premier livre de la collection Le Vrai Chemin que j'essaie. Cette nouvelle série chez Posidonia a la particularité de se jouer sans aucune règle, même pas de code à noter. Un aspect inédit dans la littérature interactive adulte, qui existait cependant déjà dans les collections jeunesse et dans les AVH de Niki. J'étais très curieux de savoir si ça pouvait fonctionner à plein. Les mots de code ou les objets à noter ont quand même une utilité reconnue depuis longtemps, ils permettent de rappeler quelles décisions importantes le lecteur a pris plus tôt dans le récit. Ici, on nous propose une fluidité de lecture totale. Est-ce que ça marche vraiment? Réponse personnelle : oui, plutôt, même si tout n'est pas parfait.

Des règles servent souvent à récompenser les bons choix, que ce soit dans l'immédiat ou dans le futur. Une bonne décision va nous permettre de perdre moins de PV, de gagner un objet utile ou essentiel pour l'avenir, de glaner un mot de code qui débloquera un passage alternatif plus tard. En grossissant le trait, voilà le schéma classique. Si on supprime tout ça, quel intérêt ludique à faire des choix? Bien sûr, un récit arborescent peut être parcouru et relu juste pour le plaisir de la lecture, de voir ce qui se passe dans l'un ou l'autre cas. Mais personnellement, je trouve que le piment du jeu est quand même une belle plus-value pour un LDVELH. Comment l'auteur gère-t-il ici cet aspect?

Déjà, il y a des PFA. Pas une tripotée dans la première partie, mais certaines décisions sont sanctionnées par des échecs prématurés. Mais détail intéressant, toujours dans l'idée de proposer une lecture plus moderne des livres-jeux, il est plus tard proposé de revenir non pas au tout début en cas d'échec mais un peu plus tôt dans l'histoire, à l'équivalent d'un point de sauvegarde. Cette originalité est possible parce que l'aventure est plutôt linéaire.
Ensuite, il existe finalement des moments-clés. Dans la seconde partie du récit, il nous est demandé si l'on a déjà vu telle chose, si l'on a accompli telle action. Pas souvent mais suffisamment pour que j'en vienne à regretter un peu l'absence de trucs à noter au crayon. Car lors des relectures, difficile de se rappeler par quel chemin on est passé.
Et des relectures il y en a! J'en viens au troisième point ludique, il existe un véritable challenge. Surtout dans la toute dernière partie qui s'apparente à un champ de mines pour trouver le moyen d'accéder au paragraphe final, celui correspondant à une vraie victoire. Cela m'a alors évoqué le titre de la collection. ^^ Mais cette difficulté soudaine m'a paru très déséquilibrée par rapport à la majeure partie de l'aventure, plutôt tranquille. Des morts en série à la toute fin, je n'ai pas été doué pour trouver Le Vrai Chemin!
Mais le plus dommageable, c'est l'abondance de copier-coller qui résultent de cette absence d'objets ou mots-clés. Pour schématiser grossièrement, voici ce que ça peut donner :
1) A qui voulez-vous parler? Jean : le 2 / Philibert le 3 / Maurice le 4
2) Jean vous raconte sa passion pour le potager. Vous l'écoutez avec plaisir parler endives et fraises. Puis le commandant arrive, il XXXXX YYYYY ZZZZ XXXXX YYYYYYY ZZZZZZ XXXXX YYYYYY ZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZ
ZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZ.
Une fois qu'il est parti, Jean vous montre une photo de ses courges été 2019, la larme à l'oeil. A présent, vous pouvez faire un tour à la salle café en 5 ou partir vous coucher en 6.
3) Philibert a besoin d'être rassuré. Vous le distrayez en évoquant votre mission précédente au Burkina Faso. Puis le commandant arrive, il XXXXX YYYYY ZZZZ XXXXX YYYYYYY ZZZZZZ XXXXX YYYYYY ZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZ
ZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZ.
Une fois qu'il est parti, Philibert avoue qu'il n'a jamais voyagé, c'est pour ça qu'il est aussi anxieux. A présent, vous pouvez faire un tour à la salle café en 5 ou partir vous coucher en 6.
4) Maurice vous demande sans détour ce que vous pendez de Jean. Il le trouve très bizarre. Il allait vous expliquer pourquoi quand le commandant arrive. Il XXXXX YYYYY ZZZZ XXXXX YYYYYYY ZZZZZZ XXXXX YYYYYY ZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZ
ZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZ. Une fois qu'il est parti, vous demandez à Maurice de préciser sa pensée sur Jean mais le vieux matelot hausse les épaules puis s'en va. A présent, vous pouvez faire un tour à la salle café en 5 ou partir vous coucher en 6.
Ce n'est pas souvent comme ça. Mais ça rend les relectures moins agréables et fait gonfler artificiellement la taille du bouquin.

J'ai soulevé un par un tous les points légèrement regrettables de mon point de vue, mais il est temps d'expliquer pourquoi c'est tout de même un bon livre-jeu, voire un très bon livre-jeu pour ceux qui privilégient l'aspect littéraire au ludique.

Point essentiel, c'est très bien écrit! Pas tant au niveau du vocabulaire ou des tournures de phrases, relativement simples, mais c'est fluide, dynamique, avec des dialogues parfaits, des réactions de personnages très crédibles et une manière d'amener très vite la tension dans le récit. De fait, nos choix prennent tout le temps un aspect stressant qui vient judicieusement contrebalancer l'absence d'enjeu numérique ou de code à noter. La toute première scène précédant le voyage en avion est la plus emblématique, avec une foule de choix possibles et des conséquences différentes sur l'attitude des deux PNJ importants du moment : notre "surveillant" et le capitaine.
Ensuite, après un tunnel de longues sections sans choix à faire, vient la partie sous-marine de l'histoire, qui va se révéler un huis clos très prenant. Nous dialoguons et évoluons avec de nombreux compagnons de voyage, qui n'ont pas souvent de bons sentiments à notre égard. Une menace inconnue plane, la mort frappe, la paranoïa est de mise... à raison. Chaque personnage est brillamment décrit et on prend plaisir à vivre ces jours de tension au milieu d'eux.
Puis la dernière partie où les masques tombent et plus orientée sur l'action. Avec un surcroît énorme de difficulté comme évoqué plus avant.

Une structure linéaire donc, avec régulièrement des choix d'exploration sans incidence que l'on peut effectuer dans l'ordre souhaité. D'un autre côté, certains passages sont bien dissimulés. Il faut faire les bons choix pour débloquer des voies annexes qui apportent un nouvel éclairage à l'histoire, et ça, on ne s'en rend compte que dans les relectures. J'aime beaucoup.
L'ambiance générale est excellente et ceci, parce que l'auteur apporte un luxe de détails pertinents sur le contexte, aussi bien temporel que géographique.

Nous jouons un sous-officier nazi dans l'Allemagne de l'avant 2ème guerre. Mais nous sommes aussi un agent infiltré des Veilleurs, une organisation cherchant à protéger l'humanité du retour des Grands Anciens. J'ai d'ailleurs été surpris que le récit prenne comme acquis que le lecteur connaisse déjà les bases du mythe de Cthulhu. S'il est vrai que nous sommes nombreux à savoir ce qu'est un profond par exemple, j'aurais préféré jouer un personnage moins au fait de ces choses.
Dans le langage utilisé, la description de l'organisation militaire et des vêtements et objets de l'époque, l'immersion est totale. Si l'on ajoute que le héros interprété ne manque pas de relief, avec son fort tempérament et une narration axée sur ses souffrances physiques (gueule de bois pour commencer!) et ses états d'âme, l'histoire devient tout de suite captivante. Puis viennent d'autres détails techniques, sur les véhicules rencontrés, les sous-marins de l'époque, la vie dans un submersible... On sent que l'auteur est passionné par ce sujet, qu'il le maîtrise et qu'il nous prend par la main pour nous entraîner avec nous dans cette histoire pleine de tension.

Quant à celle dernière, elle est plutôt classique pour une aventure lovecraftienne, même si on a en plus un côté Cluedo bien sympathique. Ce qui fait toute sa force et son intérêt, c'est sa qualité d'écriture qui, à elle seule, mérite que l'on parte à sa découverte.
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#2
En partant pour un long déplacement en train, j'ai emporté dans mes bagages Plongée sur R'lyeh, épais livre-jeu de Loïc Richard.


L'OBJET LIVRE : EPAIS COMME LE BOTTIN
Ce tome est une réédition par Posidonia d'un livre-jeu déjà paru chez Walrus en 2013, en format numérique.

La couverture est réussie ! D'une qualité au-dessus du standard habituel des tomes Posidonia, j'en parlais dans d'autres retours de lecture. L'illustrateur couv' n'est pas explicitement crédité (le même que l'intérieur ?)

Les illustrations intérieures sont signées Yann Delahaie, illustrateur professionnel indépendant sous le pseudo Eacone. On lui doit entre autres la couverture d'une réédition des Routes de l'Or, roman de Scott O'Dell qui a inspiré la DA Les Mystérieuses Cités d'Or. Son portfolio en ligne ne contenait pas, au moment où je l'ai consulté, la couv' de Plongée (de lui ou non ?). Les dessins intérieurs évoquent un storyboard : quelques traits nerveux, pas d'un fini parfait, mais qui rendent très bien le mouvement, l'atmosphère, la mimique du personnage. Certaines bénéficient d'à-plat gris ou de textures. Après ma lecture des Reliques de la Cité rouge, très bon texte desservi par sa couv' et son intérieur, j'ai été agréablement surpris par ce travail d'illustration pro !

Le livre lui-même, il faut en parler. Il y a vraiment un souci sur ce tome, épais de presque 5cm, bien que long de seulement 400 paragraphes. Du coup, peu d'ergonomie de lecture. Impossible de poser le livre devant soi, sauf à l'aplatir en cassant le dos. Pénible de le tenir en main en permanence du fait de son poids et de son volume. Comme je lisais dans le train, j'ai fini par résoudre le problème en le coinçant à 45° entre la tablette et le siège devant moi.


LE RECIT-JEU
Dans ce cas on se dit : tant mieux, ça promet un jeu dense, un roman arborescent mature. Et bien... oui et non. C'est bien un livre-jeu, il y a bien un récit prenant déroulé sur 400 paragraphes écrits avec un style littéraire adulte et enviable. Mais on s'aperçoit vite...

Flèche que les paragraphes très bien écrits pouvaient être raccourcis sans rien perdre ni de la substance ni du style,
Flèche que des paragraphes déjà très longs s'enfilent parfois en tunnel sans choix ou presque,
Flèche que dans la dernière partie du jeu, chaque possibilité (être seul, accompagné de A, de B, le voir ou non survivre) donne lieu à la duplication de paragraphes parfois longs de plusieurs pages ne variant que par une petite poignée de phrases ! Au lieu d'un paragraphe unique, plus neutre, assorti si nécessaire du choix « si vous êtes accompagné d'Untel... »

Résultat, on a un livre d'une épaisseur hallucinante sans que le jeu y gagne.

Raison possible, Plongée était au départ un jeu numérique, la longueur de texte comptant alors moins, l'important étant un texte continu et fluide. Si c'est bien cela, la publication en volume aurait dû (c'est mon avis) donner lieu à un rétro-fit pour s'adapter au support papier et au mode de jeu sur papier. Ce qui était (je suppose) possible, l'auteur étant directeur de la collection "Le Vrai Chemin" dans lequel Plongée sur R'lyeh est paru.

Je me suis étendu sur ce problème à la hauteur de la gêne ressentie à la lecture. Que cela ne nous empêche pas de parler des du jeu lui-même, de son histoire, de ses qualités...

Donc pour résumer : le héros est un pilote d'essai de l'armée allemande durant le Deuxième Guerre Mondiale. Il est affecté à une section qui travaille sur des projets spéciaux du Führer façon Indiana Jones et les aventuriers de l'arche perdue, mais version Lovecraft. Dès les premiers paragraphes on apprend qu'il est un agent double, au service d'un groupe qui veille et contrecarre les tentatives des adorateurs de Cthulhu... Le Mythe est bien connu du héros, comme du lecteur.

Il y a des chemins variables, et des fins multiples.


MON AVIS
J'ai apprécié :

Flèche La qualité de l'écriture de Loïc Richard et de la construction de l'histoire (indépendamment de la question de la longueur) proche d'un scénario de film. L'auteur écrit aussi pour Rocambole (qui s'appelle à présent Doors) et cela se sent : tenir son lecteur par l'atmosphère, préparer d'habiles retournements...
Flèche La variété des personnages, chacun avec son tic, ses motivations, parfois son twist... Ces personnages n'évoluent pas, mais notre regard sur eux, si (petite prouesse d'écriture) : au départ le lecteur en sait aussi peu sur eux que le héros de l'histoire, et on a vite fait de se tromper sur le caractère et les objectifs de tel gradé ou tel compagnon de route...
Flèche Le fait que Cthulhu soit connu du héros plutôt que de subir une énième ré-explication du mythe.
Flèche L'atmosphère dieselpunk, avec la multiplicité des moyens de déplacement, camion, avion, bateau, sous-marin... dans un vrai périple qui évoque encore Indiana Jones ou mieux, le tome 2 de la série de livres-jeu "Les Portes Interdites". L'auteur, très documenté, évoque avec justesse le modèle exact d'avion, son autonomie...
Flèche L'enquête dans le sous-marin, stressante en diable et volontairement un peu frustrante...
Flèche Les règles légères consistant surtout à se rappeler des infos importantes vues, entendues. Très logique pour une enquête ! Autre règle bien utile, les points de sauvegarde façon jeu vidéo (si on perd on ne recommence pas du début).
Flèche Les illustrations très efficaces de Yann Delahaie.

J'ai moins apprécié :

Flèche l'ergonomie absente du volume.
Flèche Les tunnels narratifs sans choix, les paragraphes dont on sentait qu'il pouvaient être raccourcis pour un meilleur rythme et moins de répétition.
Flèche Dans mon esprit, Plongée sur R'lyeh souffre de la comparaison avec Antarktos de Paul Adrien Jellsen, qui sur un sujet proche, avec un texte et des illus de qualité comparables, était plus direct, avec un final plus dérangeant.
Flèche L'absence de points de PEUR ou SANTE MENTALE ou autre moyen de mettre en jeu la folie. Mais reconnaissons que la paranoïa est palpable dans le texte même Wink
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