[Chroniques Crétoises 3] L'Odyssée d'Althéos
#1
Heureusement que Outremer m'avait prévenu : cette aventure est incroyablement longue, autant de par sa linéarité (toutefois relative) que par le nombre de ses longs paragraphes et du fait de sa très grosse difficulté. J'aurais rarement passé autant de temps sur un LDVELH. Ceci dit, ce fut loin d'être une perte de temps car mon ressenti au final est plutôt positif. Ce livre a de nombreux défauts, dont le moindre n'est pas sa difficulté exagérée, mais également des qualités certaines qui méritent le détour.
Le début est ainsi un des plus originaux, mais aussi des plus déroutants, qu'il soit. Une mort potentielle après deux paragraphes si l'on suit le chemin standard, un énorme PFA magnifiquement décrit et brillant par son ton dramatique. Dommage que la bonne option dès ce premier paragraphe soit si bancale avec un enchaînement sibyllin qui ne peut que perturber le lecteur. C'est d'ailleurs un reproche général sur ce LDVELH : les auteurs ont un talent pour donner une signification profonde, symbolique et elliptique aux mésaventures vécues par le héros, de nombreux passages brillent par leur intensité tragique ou par une beauté désespérée, par une fatalité invincible qui ne font finalement qu'appuyer le sens ultime de la quête d'Althéos : ce dernier n'est qu'un jouet ballotté selon les caprices des divinités, de la même manière qu'aucun homme ne peut échapper à son destin, à la maladie, aux catastrophes naturelles et à son trépas (ou de façon plus légère, de la même façon qu'Althéos ne peut pas échapper à un naufrage chaque fois qu'il met le pied sur un navire, les auteurs s'en amusent même dans un paragraphe ironique de l'Oracle). Cette série de LDVELH baigne dans l'essence même de la tragédie grecque et ce dernier tome plus particulièrement.
Malheureusement, beaucoup de passages sont bien trop énigmatiques et source de frustration. On devine les métaphores, on ressent les subtilités mais les questions sont innombrables. Après le début très intrigant (pour ne pas dire plus), on ne peut qu'ergoter sur le rôle ou la personnalité étrange de Markos le Phénicien, à la fois bourreau et fil conducteur pour Althéos tout au long de son voyage, sur Iris la volubile envoyée d'Héra à l'incroyable débit de paroles qui tombe du ciel pour nous conseiller ou encore sur l'humour désabusé de Dean (drôle de nom vu le contexte), notre guide aux Enfers. Le paragraphe final en constitue l'apogée : émouvant, dramatique au possible, plongeant le lecteur dans un abîme de perplexité. SPOILER : si quelqu'un peut m'éclairer sur notre fille. Je suppose que c'est l'enfant d'Ariane mais que vient-elle faire ici? Une histoire de vengeance vis-à-vis de son père qui a abandonné sa mère sept ans auparavant?
Il n'empêche que le ton général est très adulte avec des choix étonnants à faire pour un héros de LDVELH, à la limite parfois du politiquement correct (on peut se fighter avec des vieillards et gagner des points d'honneur, miam!). Les aventures, toujours inspirées de la mythologie classique (en particulier avec l'Odyssée d'Ulysse cette fois), sont variées, surprenantes de temps à autre et baignées d'une atmosphère particulière qui varie selon les nombreux pays traversés. Les moments en Nubie puis en Egypte sont ainsi assez marquants avec la rupture dans les descriptions physiques et vestimentaires des autochtones ou celles des paysages environnants. Sans parler du royaume d'Hadès finalement peu effrayant mais qui laisse à réfléchir sur la condition des mortels dans une ambiance à la fois désabusée, ironique, humoristique parfois quand Dean consulte ses tablettes avec les décédés classés par catégories, quand Markos se joint au casseur de pierres ou quand il explique faire du commerce de grenades avec Charon le passeur. Un des passages les plus forts à mon sens se trouve d'ailleurs aux Enfers, si l'on souhaite revoir Ariane qui a été condamnée à toujours revenir du bain. Ce paragraphe est tout simplement poignant. Ce dialogue décousu, surréaliste, absurde mais empli de silences révélateurs et d'une amertume déchirante... Sincèrement, j'en avais presque la gorge nouée.
Beaucoup de sensibilité donc dans l'écriture mais aussi des scènes d'action intéressantes. La vie chez les Nubiens ou encore la survie face aux hommes-oiseaux sont par exemple des passages angoissants, ardus pour le joueur, où l'on se sent en permanence piégé et condamné à une fuite sans issue. J'ai bien aimé aussi que les différents dieux soient "utilisés" de manière équitable. Je crois qu'on rencontre les six divinités de départ au fil de l'aventure, c'est appréciable.
D'ailleurs, l'aspect ludique est bien plus réussi que dans l'épisode 2, atteignant presque le plaisir octroyé par le tout premier. Les combats sont souvent tendus car on se retrouve très souvent sans arme et maintes fois en infériorité numérique (ce qui est très pénalisant pour le héros). On doit donc plus souvent songer à fuir, à faire dans la diplomatie ou à se rendre. Les points d'Honneur et de Honte varient sensiblement et ont une importance autre que dans la seule gestion des combats. Avec le recul, j'aime beaucoup le système de combats de la série Chroniques crétoises dont le seul défaut est finalement un manque de réalisme dans le fait que l'on ressorte toujours indemne d'une rixe victorieuse. C'est vif, simple et pourtant avec une dimension tactique grâce aux points d'honneur à dépenser. Les caractéristiques des adversaires sont judicieusement attribuées selon les circonstances, il y a toujours une part d'échec possible et une chance de victoire même si le fait d'avoir des armes, armures ou des faveurs divines intéressantes (Arès ou Athéna) fait bien pencher la balance.
La difficulté générale a été revue à la très forte hausse, trop d'ailleurs. C'est je pense un point faible qui diminue le plaisir à jouer et lire cette oeuvre dense et d'une grande richesse. Il m'a fallu 19 tentatives pour en voir le bout. Une fois sur six j'ai pris mon profil (largement meilleur) du héros ayant vécu les précédents épisodes grâce à la protection d'Athéna (vraiment top le point de défense et la non-perte d'honneur à l'Oracle) et ai les autres fois alterné les dieux. Evidemment, ma victoire fut acquise avec mon Althéos boosté. Les raisons de cette difficulté écrasante sont multiples : pas d'objet nécessaire mais d'innombrables occasions de mourir du fait de la longueur inégalée de l'aventure, de nombreux combats ardus pour celui qui se retrouve désarmé, des PFA en veux-tu en voilà et pas évidents à éviter, des gains de honte ou des pertes d'honneur à foison et enfin, certains passages bien compliqués. Le séjour en Nubie me donne encore des sueurs froides (j'ai dû y terminer l'aventure 4 ou 5 fois et ces zoulous m'ont capturé trois fois de suite, le pire étant quand le marchand m'a vendu à eux près des chutes d'eau) et je ne préfère pas trop m'étendre sur les hommes-oiseaux de Thèbes : une succession de choix mortels à quasi pile ou face. Le voyage du début jusqu'à Troyes n'est pas mal non plus sans la protection de Poséidon. Paradoxalement, les Enfers sont plutôt tranquilles...
En terminant ce pavé, bien plus long, riche et complexe à mon sens que la célèbre Couronne des Rois, j'ai eu le sentiment d'avoir moi-même accompli mon Odyssée. Une sensation forte d'insatisfaction aussi à constater que tant de qualités et d'intelligence de la part des auteurs sont gâchés par une certaine maladresse dans la trame du scénario, dans la volonté de mystifier le lecteur par des paraboles un peu trop absconses et enfin par cette difficulté de jeu abusée.

Malgré ses imperfections trop criantes, la série Chroniques Crétoises est dans son ensemble une oeuvre majeure des LDVELH. Le contexte de la mythologie grecque est magnifique et rendu avec brio : enrichissant pour le lecteur, une ambiance forte, des personnages aux psychologies raffinées, des descriptions talentueuses, des dialogues vivants, un rythme bien maintenu. Un système de jeu original et réussi, cohérent avec un côté saga très fort puisqu'on conserve tout le long notre équipement et que nos actions ont des influences sur la suite (avec les dieux favorables ou défavorables, les points de honte...). Pour un jeune lecteur habitué aux Défis Fantastiques d'origine, elle n'a pas toutes les qualités susceptibles de lui plaire et auxquelles il est habitué tandis que ses défauts peuvent être rédhibitoires. Mais sa lecture (ou relecture!) est indispensable pour les passionnés vieillissants de LDVELH...

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#2
Je suis content de voir que ça t'a plutôt plu. Il est certain que c'est un LDVH qui aurait pu être amélioré sur bien des points, mais ça n'empêche pas qu'on y trouve bien des choses remarquables.

La longueur importante est au fond en parfaite adéquation avec le scénario inhabituel du LDVH (Althéos essaie désespérément de mettre un terme à son aventure). Elle inspire une frustration et une fatigue croissante, des émotions qui ne sont évidemment pas positives, mais qui rapproche le lecteur du héros qu'il incarne et donne plus de poids émotionnel à certaines scènes.

La difficulté pourrait certainement être un peu moindre. Il y a des éléments de difficulté qui contribuent utilement à l'histoire (par exemple, le fait qu'il faille invoquer Zeus à la fin pour qu'il réduise notre score de Honte à 0), mais d'autres qui sont excessifs (les hommes-oiseaux, notamment).

D'une certaine manière, ce troisième livre est le contraire du premier. Dans le premier livre, Althéos est tout à fait un héros dans le genre des légendes traditionnelles : il part retrouver son père et accomplit sur son chemin de multiples exploits, combattant des monstres, délivrant des cités des fléaux qui les oppriment et s'engageant en fin de compte dans une quête plus durable pour sauver Athènes de son tribut annuel.
Le troisième livre est en revanche une totale déconstruction de la formule héroïque. Epouser une belle princesse est normalement une conclusion d'aventure (après laquelle l'auteur écrit "FIN" et passe à autre chose) ; dans ce LDVH, on commence par le mariage et cela nous tue aussitôt si on ne prend pas la tangente inexprimée. Ensuite, tout n'en finit pas de marcher de travers : Althéos n'est plus porté par l'élan du premier livre, il n'accomplit plus grand-chose qui puisse être qualifié d'exploit et même l'utilité de ce qu'il a accompli dans les livres précédents est remise en question. Il n'y a plus de quête ni d'héroïsme. Toute l'aventure est marqué par la perte de sens.

(Ne lisez pas ce qui suit si vous n'avez pas fini le LDVH)

Vers la fin, on peut penser que le sens de l'aventure était l'inverse des deux précédents livres et qu'il s'agit d'abandonner nos aventures comme un mauvais rêve afin de revenir à ce qu'était notre vie simple et stable d'antan. Mais cet ultime quête d'un retour au source n'aboutit pas plus que le reste : Althéos arrive à son village alors qu'il vient d'être détruit ; il est totalement seul, les dieux l'ont abandonné, et la seule personne au monde qui se soucie encore de lui attend l'heure de venir le tuer.

En ce qui concerne la fille d'Althéos, il me paraît clair que c'est la fille d'Ariane (qui est morte en couches). Ce n'est pas dit, mais il me semble très probable que c'est la fillette qui accompagne la sibylle. Et, même si la dernière phrase a un caractère énigmatique, on peut clairement supposer qu'elle compte venger l'abandon de sa mère par Althéos.
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#3
Ah oui, bien vu la petite avec la Sibylle!

Ton analyse de la déconstruction du héros est très pertinente, je ne l'avais pas vu à ce point et j'y adhère totalement.
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#4
Ce sujet m'a donné envie de réessayer la série.

- Pour ma première tentative, Althéos a choisi comme protectrice Aphrodite, un choix douteux pour un aventurier et qui ne lui a en effet pas porté chance : il a dû invoquer Zeus pour survivre à sa toute première péripétie (Epidaure, un passage difficile considérant notre manque d'équipement et de points d'Honneur à ce stade). La deuxième péripétie lui a été fatale : il a tiré deux 3 (échec automatique) de suite en affrontant la laie monstrueuse, qui ne l'a pas raté quant à elle.

- Althéos 2 s'est montré plus raisonnable en choisissant Arès. Le dieu de la guerre ne nous aide à peu près jamais au cours de nos aventures, mais le bonus de Force qu'il nous apporte est fort utile. Althéos 2 a vengé son prédécesseur en massacrant les brigands d'Epidaure et la laie de Crommyon. Il a ajouté plusieurs autres noms à la liste et n'était pas loin d'arriver au livre 2, mais la rencontre avec Talos lui a été fatale.

- Althéos 3 a choisi Poséidon, que je soupçonne d'être le pire protecteur parmi les six possibles (aucun bonus pratique et une aide pour le moins capricieuse). Néanmoins, il s'en est bien tiré, marchant en partie sur les traces d'Althéos 2, mais évitant davantage le combat. L'expérience de son prédécesseur l'a aidé à accumuler davantage de points d'Honneur, ce qui a été bien utile face à Talos. Arrivé en Crète et au livre 2, il s'est sans scrupule comporté en gros-bill, maximisant autant que possible son Endurance... ce qui s'est révélé justifié puisqu'il ne lui en restait qu'un seul point lorsqu'il a enfin remporté le combat de pancrace. Faire la peau au Minotaure lui a coûté un certain nombre de points d'Honneur, mais il était heureusement très bien équipé (avec l'équipement refilé par Héphaïstos au livre précédent et le glaive d'Héra). Arrivé au livre 3, évidemment, tout ce beau matos a très vite disparu. Althéos 3 s'est acharné avec courage, malgré la diminution progressive de l'écart entre ses points d'Honneur et ses points de Honte. Il a survécu étonnamment longtemps et je commençais à me dire qu'il avait une chance de réussir l'aventure... mais je n'avais pas imaginé la difficulté de la rencontre avec les hommes-oiseaux, qui l'a fait échouer tout près de la fin.


J'avais trouvé le personnage de Markos extraordinairement irritant la première fois où j'avais joué (j'aurais voulu lui ouvrir le ventre avant de le jeter aux requins ou l'empaler sur le mat d'un de ses bâteaux, ce qu'on n'a même pas l'occasion d'essayer). Il m'a moins agacé cette fois-ci parce que je savais déjà à quoi m'attendre, mais ne m'a pas inspiré la moindre sympathie pour autant. Il joue un rôle curieux dans l'histoire, croisant à de multiples reprises le trajet d'Althéos, lui apportant quelque fois une certaine aide, mais lui tendant le plus souvent des pièges qui ne semble motivés que par une perversité exacerbée.


AJOUT : Althéos 4 a eu à peu près autant de succès que s'il s'était appelé Golgoth 4 et que le grand stratéguerre l'ait envoyé se fritter tout seul contre Goldorak. Ayant choisi la protection d'Athéna, il ne s'est cependant pas fait remarquer par une sagesse exacerbée, préférant baguenauder dans des endroits paumés où ses prédécesseurs n'avaient pas été assez sots (ou, dans le cas d'Althéos 1, assez vivant) pour aller s'égarer. Cette approche un peu trop décontractée a eu pour résultat qu'il a entamé la partie maritime du premier tome avec une différence Honneur-Honte plutôt faiblarde. Le désir d'économiser des points d'Honneur, ajouté au souvenir que lui avait laissé Althéos 3 des grogneries capricieuses de Poséidon, lui a inspiré la brillante idée de ne pas offrir de prière au dieu de la mer pour la dernière branche de son voyage vers la Crète. Un PFA très humide lui a fait découvrir que, si on ne peut jamais s'assurer la bonne volonté de Poséidon, il existe en revanche des moyens infaillibles de se garantir sa mauvaise humeur.

Althéos 5 avait Héra pour protectrice et des tendances suicidaires (deux faits qui pouvaient ou non être liés). La différence entre son Honneur et sa Honte a quelquefois été bien basse, mais il a tout de même survécu au premier livre. Il a dû invoquer Zeus une fois pour survivre à un combat (Epidaure, comme pour Althéos 1), mais il a obtenu deux prières-bonus par la suite (une grâce à Héra, l'autre à un objet magique). Tout cela ne l'a pas sauvé dans le second livre : n'ayant pas du tout choisi le bon type d'exercice physique pour augmenter son Endurance et ne s'étant pas montré assez malin pour s'infiltrer en douce dans le labyrinthe, il s'est fait massacrer lors du combat de pancrace. Zeus Assurance ne couvrant virtuellement pas la Crète, l'aventure s'est arrêtée là.

Ayant à l'esprit les tristes fins de ses prédécesseurs, Althéos 6 a entamé l'aventure avec une certaine zénitude et Apollon comme protecteur. Il a traversé le premier livre avec prudence, en évitant les combats difficiles et en accumulant patiemment les points d'Honneur. Ceux-ci ont fini par atteindre le joli chiffre de 40 avant d'être sévèrement réduits par deux combats où la chance n'a pas favorisé le héros. Néanmoins, c'est avec 26 points d'Honneur et pas un seul de Honte qu'il a débarqué en Crète. Une fois là, il a marché sur les pas d'Althéos 3, mais il a appliqué une meilleure stratégie lors du combat de pancrace, qui lui a valu de l'emporter facilement. Il a vaincu le Minotaure et s'est retrouvé au troisième livre. Arrivé là, l'expérience d'Althéos 3 a commencé à se révéler moins utile : Althéos 6 s'était attiré les mauvaises grâces de ce vieux grincheux de Poséidon et les naufrages dont il a été victime se sont passés différemment. Il a gardé son matos divin plus longtemps qu'Althéos 3, mais un excès d'honnêteté lui a finalement valu une fin d'aventure fort déplaisante, sur laquelle nous jetterons un voile pudique.
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