24/04/2012, 21:19
Heureusement que Outremer m'avait prévenu : cette aventure est incroyablement longue, autant de par sa linéarité (toutefois relative) que par le nombre de ses longs paragraphes et du fait de sa très grosse difficulté. J'aurais rarement passé autant de temps sur un LDVELH. Ceci dit, ce fut loin d'être une perte de temps car mon ressenti au final est plutôt positif. Ce livre a de nombreux défauts, dont le moindre n'est pas sa difficulté exagérée, mais également des qualités certaines qui méritent le détour.
Le début est ainsi un des plus originaux, mais aussi des plus déroutants, qu'il soit. Une mort potentielle après deux paragraphes si l'on suit le chemin standard, un énorme PFA magnifiquement décrit et brillant par son ton dramatique. Dommage que la bonne option dès ce premier paragraphe soit si bancale avec un enchaînement sibyllin qui ne peut que perturber le lecteur. C'est d'ailleurs un reproche général sur ce LDVELH : les auteurs ont un talent pour donner une signification profonde, symbolique et elliptique aux mésaventures vécues par le héros, de nombreux passages brillent par leur intensité tragique ou par une beauté désespérée, par une fatalité invincible qui ne font finalement qu'appuyer le sens ultime de la quête d'Althéos : ce dernier n'est qu'un jouet ballotté selon les caprices des divinités, de la même manière qu'aucun homme ne peut échapper à son destin, à la maladie, aux catastrophes naturelles et à son trépas (ou de façon plus légère, de la même façon qu'Althéos ne peut pas échapper à un naufrage chaque fois qu'il met le pied sur un navire, les auteurs s'en amusent même dans un paragraphe ironique de l'Oracle). Cette série de LDVELH baigne dans l'essence même de la tragédie grecque et ce dernier tome plus particulièrement.
Malheureusement, beaucoup de passages sont bien trop énigmatiques et source de frustration. On devine les métaphores, on ressent les subtilités mais les questions sont innombrables. Après le début très intrigant (pour ne pas dire plus), on ne peut qu'ergoter sur le rôle ou la personnalité étrange de Markos le Phénicien, à la fois bourreau et fil conducteur pour Althéos tout au long de son voyage, sur Iris la volubile envoyée d'Héra à l'incroyable débit de paroles qui tombe du ciel pour nous conseiller ou encore sur l'humour désabusé de Dean (drôle de nom vu le contexte), notre guide aux Enfers. Le paragraphe final en constitue l'apogée : émouvant, dramatique au possible, plongeant le lecteur dans un abîme de perplexité. SPOILER : si quelqu'un peut m'éclairer sur notre fille. Je suppose que c'est l'enfant d'Ariane mais que vient-elle faire ici? Une histoire de vengeance vis-à-vis de son père qui a abandonné sa mère sept ans auparavant?
Il n'empêche que le ton général est très adulte avec des choix étonnants à faire pour un héros de LDVELH, à la limite parfois du politiquement correct (on peut se fighter avec des vieillards et gagner des points d'honneur, miam!). Les aventures, toujours inspirées de la mythologie classique (en particulier avec l'Odyssée d'Ulysse cette fois), sont variées, surprenantes de temps à autre et baignées d'une atmosphère particulière qui varie selon les nombreux pays traversés. Les moments en Nubie puis en Egypte sont ainsi assez marquants avec la rupture dans les descriptions physiques et vestimentaires des autochtones ou celles des paysages environnants. Sans parler du royaume d'Hadès finalement peu effrayant mais qui laisse à réfléchir sur la condition des mortels dans une ambiance à la fois désabusée, ironique, humoristique parfois quand Dean consulte ses tablettes avec les décédés classés par catégories, quand Markos se joint au casseur de pierres ou quand il explique faire du commerce de grenades avec Charon le passeur. Un des passages les plus forts à mon sens se trouve d'ailleurs aux Enfers, si l'on souhaite revoir Ariane qui a été condamnée à toujours revenir du bain. Ce paragraphe est tout simplement poignant. Ce dialogue décousu, surréaliste, absurde mais empli de silences révélateurs et d'une amertume déchirante... Sincèrement, j'en avais presque la gorge nouée.
Beaucoup de sensibilité donc dans l'écriture mais aussi des scènes d'action intéressantes. La vie chez les Nubiens ou encore la survie face aux hommes-oiseaux sont par exemple des passages angoissants, ardus pour le joueur, où l'on se sent en permanence piégé et condamné à une fuite sans issue. J'ai bien aimé aussi que les différents dieux soient "utilisés" de manière équitable. Je crois qu'on rencontre les six divinités de départ au fil de l'aventure, c'est appréciable.
D'ailleurs, l'aspect ludique est bien plus réussi que dans l'épisode 2, atteignant presque le plaisir octroyé par le tout premier. Les combats sont souvent tendus car on se retrouve très souvent sans arme et maintes fois en infériorité numérique (ce qui est très pénalisant pour le héros). On doit donc plus souvent songer à fuir, à faire dans la diplomatie ou à se rendre. Les points d'Honneur et de Honte varient sensiblement et ont une importance autre que dans la seule gestion des combats. Avec le recul, j'aime beaucoup le système de combats de la série Chroniques crétoises dont le seul défaut est finalement un manque de réalisme dans le fait que l'on ressorte toujours indemne d'une rixe victorieuse. C'est vif, simple et pourtant avec une dimension tactique grâce aux points d'honneur à dépenser. Les caractéristiques des adversaires sont judicieusement attribuées selon les circonstances, il y a toujours une part d'échec possible et une chance de victoire même si le fait d'avoir des armes, armures ou des faveurs divines intéressantes (Arès ou Athéna) fait bien pencher la balance.
La difficulté générale a été revue à la très forte hausse, trop d'ailleurs. C'est je pense un point faible qui diminue le plaisir à jouer et lire cette oeuvre dense et d'une grande richesse. Il m'a fallu 19 tentatives pour en voir le bout. Une fois sur six j'ai pris mon profil (largement meilleur) du héros ayant vécu les précédents épisodes grâce à la protection d'Athéna (vraiment top le point de défense et la non-perte d'honneur à l'Oracle) et ai les autres fois alterné les dieux. Evidemment, ma victoire fut acquise avec mon Althéos boosté. Les raisons de cette difficulté écrasante sont multiples : pas d'objet nécessaire mais d'innombrables occasions de mourir du fait de la longueur inégalée de l'aventure, de nombreux combats ardus pour celui qui se retrouve désarmé, des PFA en veux-tu en voilà et pas évidents à éviter, des gains de honte ou des pertes d'honneur à foison et enfin, certains passages bien compliqués. Le séjour en Nubie me donne encore des sueurs froides (j'ai dû y terminer l'aventure 4 ou 5 fois et ces zoulous m'ont capturé trois fois de suite, le pire étant quand le marchand m'a vendu à eux près des chutes d'eau) et je ne préfère pas trop m'étendre sur les hommes-oiseaux de Thèbes : une succession de choix mortels à quasi pile ou face. Le voyage du début jusqu'à Troyes n'est pas mal non plus sans la protection de Poséidon. Paradoxalement, les Enfers sont plutôt tranquilles...
En terminant ce pavé, bien plus long, riche et complexe à mon sens que la célèbre Couronne des Rois, j'ai eu le sentiment d'avoir moi-même accompli mon Odyssée. Une sensation forte d'insatisfaction aussi à constater que tant de qualités et d'intelligence de la part des auteurs sont gâchés par une certaine maladresse dans la trame du scénario, dans la volonté de mystifier le lecteur par des paraboles un peu trop absconses et enfin par cette difficulté de jeu abusée.
Malgré ses imperfections trop criantes, la série Chroniques Crétoises est dans son ensemble une oeuvre majeure des LDVELH. Le contexte de la mythologie grecque est magnifique et rendu avec brio : enrichissant pour le lecteur, une ambiance forte, des personnages aux psychologies raffinées, des descriptions talentueuses, des dialogues vivants, un rythme bien maintenu. Un système de jeu original et réussi, cohérent avec un côté saga très fort puisqu'on conserve tout le long notre équipement et que nos actions ont des influences sur la suite (avec les dieux favorables ou défavorables, les points de honte...). Pour un jeune lecteur habitué aux Défis Fantastiques d'origine, elle n'a pas toutes les qualités susceptibles de lui plaire et auxquelles il est habitué tandis que ses défauts peuvent être rédhibitoires. Mais sa lecture (ou relecture!) est indispensable pour les passionnés vieillissants de LDVELH...
Le début est ainsi un des plus originaux, mais aussi des plus déroutants, qu'il soit. Une mort potentielle après deux paragraphes si l'on suit le chemin standard, un énorme PFA magnifiquement décrit et brillant par son ton dramatique. Dommage que la bonne option dès ce premier paragraphe soit si bancale avec un enchaînement sibyllin qui ne peut que perturber le lecteur. C'est d'ailleurs un reproche général sur ce LDVELH : les auteurs ont un talent pour donner une signification profonde, symbolique et elliptique aux mésaventures vécues par le héros, de nombreux passages brillent par leur intensité tragique ou par une beauté désespérée, par une fatalité invincible qui ne font finalement qu'appuyer le sens ultime de la quête d'Althéos : ce dernier n'est qu'un jouet ballotté selon les caprices des divinités, de la même manière qu'aucun homme ne peut échapper à son destin, à la maladie, aux catastrophes naturelles et à son trépas (ou de façon plus légère, de la même façon qu'Althéos ne peut pas échapper à un naufrage chaque fois qu'il met le pied sur un navire, les auteurs s'en amusent même dans un paragraphe ironique de l'Oracle). Cette série de LDVELH baigne dans l'essence même de la tragédie grecque et ce dernier tome plus particulièrement.
Malheureusement, beaucoup de passages sont bien trop énigmatiques et source de frustration. On devine les métaphores, on ressent les subtilités mais les questions sont innombrables. Après le début très intrigant (pour ne pas dire plus), on ne peut qu'ergoter sur le rôle ou la personnalité étrange de Markos le Phénicien, à la fois bourreau et fil conducteur pour Althéos tout au long de son voyage, sur Iris la volubile envoyée d'Héra à l'incroyable débit de paroles qui tombe du ciel pour nous conseiller ou encore sur l'humour désabusé de Dean (drôle de nom vu le contexte), notre guide aux Enfers. Le paragraphe final en constitue l'apogée : émouvant, dramatique au possible, plongeant le lecteur dans un abîme de perplexité. SPOILER : si quelqu'un peut m'éclairer sur notre fille. Je suppose que c'est l'enfant d'Ariane mais que vient-elle faire ici? Une histoire de vengeance vis-à-vis de son père qui a abandonné sa mère sept ans auparavant?
Il n'empêche que le ton général est très adulte avec des choix étonnants à faire pour un héros de LDVELH, à la limite parfois du politiquement correct (on peut se fighter avec des vieillards et gagner des points d'honneur, miam!). Les aventures, toujours inspirées de la mythologie classique (en particulier avec l'Odyssée d'Ulysse cette fois), sont variées, surprenantes de temps à autre et baignées d'une atmosphère particulière qui varie selon les nombreux pays traversés. Les moments en Nubie puis en Egypte sont ainsi assez marquants avec la rupture dans les descriptions physiques et vestimentaires des autochtones ou celles des paysages environnants. Sans parler du royaume d'Hadès finalement peu effrayant mais qui laisse à réfléchir sur la condition des mortels dans une ambiance à la fois désabusée, ironique, humoristique parfois quand Dean consulte ses tablettes avec les décédés classés par catégories, quand Markos se joint au casseur de pierres ou quand il explique faire du commerce de grenades avec Charon le passeur. Un des passages les plus forts à mon sens se trouve d'ailleurs aux Enfers, si l'on souhaite revoir Ariane qui a été condamnée à toujours revenir du bain. Ce paragraphe est tout simplement poignant. Ce dialogue décousu, surréaliste, absurde mais empli de silences révélateurs et d'une amertume déchirante... Sincèrement, j'en avais presque la gorge nouée.
Beaucoup de sensibilité donc dans l'écriture mais aussi des scènes d'action intéressantes. La vie chez les Nubiens ou encore la survie face aux hommes-oiseaux sont par exemple des passages angoissants, ardus pour le joueur, où l'on se sent en permanence piégé et condamné à une fuite sans issue. J'ai bien aimé aussi que les différents dieux soient "utilisés" de manière équitable. Je crois qu'on rencontre les six divinités de départ au fil de l'aventure, c'est appréciable.
D'ailleurs, l'aspect ludique est bien plus réussi que dans l'épisode 2, atteignant presque le plaisir octroyé par le tout premier. Les combats sont souvent tendus car on se retrouve très souvent sans arme et maintes fois en infériorité numérique (ce qui est très pénalisant pour le héros). On doit donc plus souvent songer à fuir, à faire dans la diplomatie ou à se rendre. Les points d'Honneur et de Honte varient sensiblement et ont une importance autre que dans la seule gestion des combats. Avec le recul, j'aime beaucoup le système de combats de la série Chroniques crétoises dont le seul défaut est finalement un manque de réalisme dans le fait que l'on ressorte toujours indemne d'une rixe victorieuse. C'est vif, simple et pourtant avec une dimension tactique grâce aux points d'honneur à dépenser. Les caractéristiques des adversaires sont judicieusement attribuées selon les circonstances, il y a toujours une part d'échec possible et une chance de victoire même si le fait d'avoir des armes, armures ou des faveurs divines intéressantes (Arès ou Athéna) fait bien pencher la balance.
La difficulté générale a été revue à la très forte hausse, trop d'ailleurs. C'est je pense un point faible qui diminue le plaisir à jouer et lire cette oeuvre dense et d'une grande richesse. Il m'a fallu 19 tentatives pour en voir le bout. Une fois sur six j'ai pris mon profil (largement meilleur) du héros ayant vécu les précédents épisodes grâce à la protection d'Athéna (vraiment top le point de défense et la non-perte d'honneur à l'Oracle) et ai les autres fois alterné les dieux. Evidemment, ma victoire fut acquise avec mon Althéos boosté. Les raisons de cette difficulté écrasante sont multiples : pas d'objet nécessaire mais d'innombrables occasions de mourir du fait de la longueur inégalée de l'aventure, de nombreux combats ardus pour celui qui se retrouve désarmé, des PFA en veux-tu en voilà et pas évidents à éviter, des gains de honte ou des pertes d'honneur à foison et enfin, certains passages bien compliqués. Le séjour en Nubie me donne encore des sueurs froides (j'ai dû y terminer l'aventure 4 ou 5 fois et ces zoulous m'ont capturé trois fois de suite, le pire étant quand le marchand m'a vendu à eux près des chutes d'eau) et je ne préfère pas trop m'étendre sur les hommes-oiseaux de Thèbes : une succession de choix mortels à quasi pile ou face. Le voyage du début jusqu'à Troyes n'est pas mal non plus sans la protection de Poséidon. Paradoxalement, les Enfers sont plutôt tranquilles...
En terminant ce pavé, bien plus long, riche et complexe à mon sens que la célèbre Couronne des Rois, j'ai eu le sentiment d'avoir moi-même accompli mon Odyssée. Une sensation forte d'insatisfaction aussi à constater que tant de qualités et d'intelligence de la part des auteurs sont gâchés par une certaine maladresse dans la trame du scénario, dans la volonté de mystifier le lecteur par des paraboles un peu trop absconses et enfin par cette difficulté de jeu abusée.
Malgré ses imperfections trop criantes, la série Chroniques Crétoises est dans son ensemble une oeuvre majeure des LDVELH. Le contexte de la mythologie grecque est magnifique et rendu avec brio : enrichissant pour le lecteur, une ambiance forte, des personnages aux psychologies raffinées, des descriptions talentueuses, des dialogues vivants, un rythme bien maintenu. Un système de jeu original et réussi, cohérent avec un côté saga très fort puisqu'on conserve tout le long notre équipement et que nos actions ont des influences sur la suite (avec les dieux favorables ou défavorables, les points de honte...). Pour un jeune lecteur habitué aux Défis Fantastiques d'origine, elle n'a pas toutes les qualités susceptibles de lui plaire et auxquelles il est habitué tandis que ses défauts peuvent être rédhibitoires. Mais sa lecture (ou relecture!) est indispensable pour les passionnés vieillissants de LDVELH...