[04] Le Grand Maître d'Irsmun
#1
Nous voilà seigneur de la cité hétéroclite d'Irsmun en tant que Ninja Ier (!), nous qui avons passé notre jeunesse à apprendre le combat à mains nues, l'endurance, la souplesse, le maniement du poison et des shurikens ; mais certainement pas l'art de la guerre, de la diplomatie ou encore comment gérer les finances d'une ville. La tâcher parait improbable mais quand au bout de quelques lignes, j'ai lu "Déjà de gracieuses servantes se précipitent pour vous baigner et vous habiller, en poussant des cris d'admiration devant votre corps bronzé et musclé.", ça m'a tout de suite donné envie de m'investir à fond dans ce rôle de suzerain! Il n'y a après tout pas que des mauvais côtés à troquer la combinaison noire de ninja contre le manteau de seigneur...
Le livre est divisé en deux parties majeures : la première à Irsmun où l'on doit s'entourer de conseillers, prendre des décisions importantes pour gérer la sécurité, l'économie et d'autres paramètres puis maintenir à flots sa cote de popularité. La seconde plus classique nous envoie sillonner la région à l'est du continent en quête d'artefacts légendaires.
La première partie est très originale, tout bonnement inédite. Elle propose une expérience unique dans l'univers des LDVELH : incarner un seigneur dans l'exercice de ses fonctions, c'est à dire un homme politique. Un peu comme dans un jeu de stratégie, il faut faire les bons choix dans divers domaines (économie, militaire...) pour assurer la sécurité de la population et empêcher les révoltes. Pour ça, on dispose d'une caractéristique de popularité qui doit le moins souvent possible tomber à 0. Mais en plus de cet aspect ludique intéressant, il faut faire preuve de finesse, de tact et de psychologie. Ce ne sont pas des mots creux, le lecteur doit sentir le pouls de la population, prévoir à l'avance les effets de ses décisions ou échouer dans son rôle de gouvernant car les possibilités d'échec sont nombreuses. Le talent des auteurs est de nous présenter une dizaine de personnages importants d'Irsmun qui ont chacun une personnalité très marquée, des motivations différentes et qui sont présentés avec le plus grand soin, à l'aide d'illustrations et de descriptions originales (le changement des tenues de Perdigan entre autres). Tous ces personnages deviennent attachants, mystérieux, inquiétants, répugnants, agaçants. Le seul LDVELH qui me vient à l'esprit où l'on peut retrouver une telle maturité dans les rapports avec des personnages est Le Labyrinthe du Roi Minos, à la cour de Cnossos. Mais Le Grand Maître d'Irsmun me parait encore supérieur dans ce domaine.
L'expérience est donc très prenante et selon les conseillers que l'on a choisi, on peut gérer d'une manière différente cette première partie, en se montrant parfois injuste et autoritaire. Comme il est facile de se planter, le stress de l'échec est permanent et la tension toujours présente. Mais il existe un défaut majeur : un certain manichéisme, une volonté de faire toujours triompher l'ordre et le bien qui implique que les conseils de deux conseillers (Parsifal et Dame Gwyneth) sur les huit potentiels sont toujours positifs, quel que soit le sujet abordé. C'est dommage car ça diminue sensiblement notre marge de manoeuvre, il est trop difficile de s'en sortir si l'on n'a pas choisi l'un de ces deux-là et ça rend les conseils des six autres beaucoup moins fiables.
Si l'on parvient à traverser cette phase de gestion, on doit ensuite partir à l'aventure pour enfin mettre en oeuvre nos talents martiaux, nos compétences de ninja et notre équipement. L'aventure redevient plus familière mais a le mérite de nous faire traverser des régions très différentes de celles parcourues dans les trois premiers épisodes. Ce qui change, c'est la difficulté vraiment très élevée qui nous attend.
Même si un choix judicieux des compétences et des tactiques face aux adversaires permet d'éviter bien des pertes d'endurance, on a une succession de combats, de pièges et d'épreuves qui ne laissent pas beaucoup le droit à l'erreur... ni à la malchance aux dés. Le parcours est curieusement linéaire jusqu'à un combat dantesque face à un boss particulièrement redoutable : le grand maître des ninjas du scorpion. Certains combats difficilement ou non évitables (le cyclope, le prêtre de Némésis) ont de grandes chances de nous affaiblir avant ce duel périlleux et comme il n'y a aucune possibilité de se guérir, les combats sont très tendus. Rarement les adversaires n'ont présenté des caractéristiques aussi élevées (nous n'avons en moyenne que 6 ou 7 en défense face à leurs attaques) et tous ces éléments font qu'il faut une grosse dose de chance pour vaincre le grand maître ninja. Et même dans ce cas, l'aventure se poursuit dans une troisième partie qui présente de nombreux dangers!
Malgré cette difficulté trop élevée, cette partie de l'aventure est réussie. L'intrusion dans le domaine du scorpion est haletante, on est soumis à une pression énorme de par les pièges tendus par nos ennemis. Ces derniers sont tous différents car utilisant des armes très exotiques aux noms japonais. Je ne peux les citer de mémoire mais cela va de la chaîne reliant une courte lame à une boule en fer, à la canne-épée, du sai aux trois dents au nunchaku customisé et j'en passe beaucoup d'autres plus difficiles à décrire sans le bouquin sous les yeux. Quant au combat contre le boss, il est scénarisé d'une manière incroyable. Même le duel contre Yaëmon, celui contre le moine-guerrier dans le cercle de Vasch-Ro ou celui contre l'usurpateur ne sont pas aussi longs et bien décrits. J'ai trouvé ça excellent. L'élément qui m'a toutefois gêné est que le repaire du scorpion est bizarrement construit, de manière pas très cohérente ( trois-quatre salles à la suite sans couloir alternatif) et ces ninjas auraient pu nous tuer depuis longtemps s'ils l'avaient vraiment voulu puisque ils semblent au courant de notre intrusion dans leur repaire.
Enfin, la partie "aventure" se poursuit au-delà de ce duel épique d'une manière beaucoup moins linéaire, plus familière de la série avec deux routes possibles et des rencontres hautes en couleur. La possibilité de tomber sur une ville corrompue par le culte de la déesse-araignée ou sur une autre cité dédiée au bien mais assaillie par des dragons. La difficulté est moins grande mais toujours là quand même. C'est un véritable parcours du combattant que de finir à la loyale ce LDVELH!
Niveau jeu, on peut donc regretter cette difficulté trop élevée même si ça ne rend le challenge que plus intéressant. Au début du tome 3, on pouvait gagner des points supplémentaires dans les techniques de combat pour représenter l'expérience gagnée. Ce système n'existe pas ici et je n'ose imaginer le joueur qui essaierait cet épisode sans avoir gardé son personnage des tomes précédents. C'est à mon avis aussi difficile que de vouloir réussir la Tour de Cristal sans avoir lu un seul autre Loup Solitaire...
Les compétences sont moins utilisées mais c'est normal vu le nombre de paragraphes utilisée par la partie politique du livre. Elles ne sont toutefois pas oubliées. Il est d'ailleurs judicieux de prendre une qui a été trop négligée dans les bouquins précédents mais qui est ici presque vitale : le Crochetage, Détection, Neutralisation des Pièges. Dommage sinon que le Fléau de Kwon ait été oublié dans cet épisode.
J'ai beaucoup aimé ce LDVELH. Cette série parvient à chaque tome à se renouveler en proposant des personnages inédits, fouillés, des concepts innovants et des expériences de jeu intenses. L'héroïsme est toujours très présent avec des adversaires toujours aussi redoutables. Seul le scénario de la quête m'a paru plus faible avec certaines incohérences (le repaire donc mais aussi l'emplacement improbable des artefacts) et moins de rebondissements que ce à quoi on a été habitué avec la Voie du Tigre. J'adore cette série qui gagne vraiment à être relue en tant qu'adulte, en particulier pour le début de ce quatrième épisode.
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#2
Franchement je dois dire que ce tome est mon preféré de la saga. La partie "politique" est reelement dure et on est vite catalogué "Tyran" (ce qui mene a l'echaffaud) Big Grin
La partie infiltration est la plus dure du livre, plus dure car comme le dit Fitz les combats sont costaud !

Meme bemol concernant le Fleau de Kwon...
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#3
(21/12/2010, 22:27)Fitz a écrit : Mais il existe un défaut majeur : un certain manichéisme, une volonté de faire toujours triompher l'ordre et le bien qui implique que les conseils de deux conseillers (Parsifal et Dame Gwyneth) sur les huit potentiels sont toujours positifs, quel que soit le sujet abordé. C'est dommage car ça diminue sensiblement notre marge de manoeuvre, il est trop difficile de s'en sortir si l'on n'a pas choisi l'un de ces deux-là

Ce n'est pas vrai.
Les conseils de ces deux-là en finance sont nuls. Quant à leurs conseils sur le traitement des orques, ils sont hasardeux, voire mortel pour le conseil raciste donné par Parsifal. Quoi de moins manichéen qu'un gentil qui s'avère raciste envers les orques !

J'avais pris Le Surintendant et Perdigan comme conseillers, et je m'en étais admirablement sortis !

Pour le reste, j'ai déjà donné mon avis dans le topic que j'avais ouvert sur la série La Voie du Tigre.
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#4
J’ajoute que pour s’occuper du Trésor, Gospiel n’a pas son pareil (je crois que c’est lui qui nous permet de récupérer le plus d’argent) alors que c’est quand même une belle enflure, à la base.

[Édition] Ceci étant dit : très belle critique. Je souscris à tous les autres points.
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#5
Gospiel on peut aussi lui taper 10 talents ou 25 si on l'exile ! Big Grin
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#6
Ouais, mais les 10 talents coûtent des points de popularité (le peuple nous perçoit comme corrompu). Quant à l’exil, c’est effectivement l’idéal mais je n’ai jamais réussi à y parvenir… Essayer de le traduire en justice était inefficace, les juges étant visiblement corrompus. (Mais eux, tout le monde s’en moque…)
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#7
(28/12/2010, 17:55)Jehan a écrit : Quant à l’exil, c’est effectivement l’idéal mais je n’ai jamais réussi à y parvenir… Essayer de le traduire en justice était inefficace, les juges étant visiblement corrompus. (Mais eux, tout le monde s’en moque…)[/align]

Soluce : il faut Perdigan ou le Surintendant en conseiller pour empêcher la corruption des juges.

JFM, c'est Gristache, le maître du temple du bien qui est fascho vis-à-vis des orcs. Parsifal est plus mesuré.

C'est mathématiquement possible de réussir en suivant les conseils de Perdigan et du Surintendant et en se privant de Gwyneth et de Parsifal mais c'est beaucoup beaucoup plus difficile.
On commence avec 2 en popularité et dès le départ, on perd ces deux points si l'on assure le guet par une autre force que les palaches de Dama. La quasi-seule manière de regagner des points de popularité est de suivre les conseils de Gwyneth ou de Parsifal. Le Démagogue permet d'en gagner un aussi et je ne vois que lui qui permettrait d'être conjugué à Perdigan et au Surintendant pour s'en sortir.
Ce que je voulais dire, c'est que c'est 10 fois moins risqué de privilégier le bien et l'ordre (mais pas à outrance complète) à la ruse.
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#8
le maitre du temps c'est

Spoiler ! :une belle petite salope qui te trahi quand il faut aller chercher des alliés.
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#9
(29/12/2010, 09:46)Fitz a écrit : JFM, c'est Gristache, le maître du temple du bien qui est fascho vis-à-vis des orcs. Parsifal est plus mesuré.

Mordiou, j'ai confondu les deux ! Mille excuses ! Trop d'alcool au réveillon ça ne pardonne pas !

Pour le reste, je ne suis pas en déscaccord avec ce que tu dis ; c'est juste que je trouvais la pratique du pouvoir pas si manichéenne dans ce livre. Voler l'or de Golspiel et batifoler avec Perdigan m'allait bien.^^

ça ferait un bon script pour Sukumvit, ça : vous tuez Sarko le 8ème duc d'enfer dans le tome 3 et devez composer un gouvernement. Vous accusez Bolloré avec l'aide du Surintendant Fillon, vous lui piquez ses sous et vous batifolez avec Rama Yade...^^
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#10
Moi aussi j'aurais bien proposé un poste de bras droit à Perdigan. Ou bras gauche même si elle veut. Ou...
Enfin, on se comprend.
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#11
Salut Fitz, et merci pour cette exhaustive critique de ce chef d'oeuvre de livre-jeu.

Je souscris à tout ce que tu dis: première partie originale et prenante, seconde partie classique, très difficile et pas franchement cohérente, un peu rapiécée, comme si les auteurs étaient à cours d'idées. Mais qui permet de comprendre pourquoi le père du Héros échoue alors qu'il est un Grand-Sage-Erudit-Avisé etc...: il n'avait pas les deux Artefacts indispensables à un règne prospère et sans problèmes.

A ce titre, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais les auteurs se sont tout simplement contredits. Ainsi, dans le tome 2 on nous apprend que l'assassin de Szeged, le père du Héros, est Yaémon, à la suite d'une querelle religieuse qui les opposait (que le Suzerain aurait peut être mieux géré s'il avait été en possession du Sceptre et de l'Orbe? Mrgreen). Alors que dans le 4 (je ne me souviens plus du paragraphe), on nous affirme que c'est l'Usurpateur le régicide. Bref.

Je souscris donc à ce que tu dis, excepté sur deux points:

1- la première partie est loin d'être aussi manichéenne que tu le dis. Si effectivement Parsifal et Gwyneth sont de bons conseils, ce n'est pas tellement parce qu'ils sont "gentils", mais parce que sont des personnes mesurées. En termes d'alignement, je dirais que Parsifal est un Loyal Bon (comme Doré Le Jeune, mais en bien plus modéré, l'âge aidant) et que Gwyneth est une Loyale Neutre (dans le 3, le paragraphe 296 insiste sur ce point: ce n'est pas un personnage "Bon"). Les deux sont attachés à l'Ordre et à la Loi, ce qui est de bon aloi dans une cîté en proie aux dissensions et désordres de toutes sortes. Si on est fin politique, on sent bien qu'il va falloir faire preuve de fermeté pour s'en sortir (sans exagérer non plus, on peut être ferme sans se transformer pour autant en tyran). En fait, il faut se méfier des conseils des personnalités qui sont trop extrêmistes ou idéalistes, comme le Démagogue, qui est un grand orateur mais un politique médiocre, ou Gristache. Enfin, les conseils de certains personnages plus mystérieux, comme Solstice, ou même intrigants, comme Golspiel, ou carrément maléfiques, comme le Surintendant ou Perdigan/Foxglove ne sont pas forcément mauvais, au contraire: ils sont tous de grands connaisseurs de la cîté. Et les magouilles sont parfois vraiment payantes, avec par exemple l'exil de Golspiel, qui permet de renflouer les caisses du Trésor comme jamais.

2-Concernant le fait que les Ninjas de la Voie du Scorpion se font trop facilement infiltrer

Là dessus, un bémol est à apporter, et apporte de l'eau au moulin sur le débat concernant le manichéisme de cette série.
Certes, les Ninjas de Némésis sont maléfiques. Mais ils obéissent à un Code de l'Honneur et sont obnubilés par une chose: ils veulent constammer prouver que la Voie du Scorpion est supérieure à celle du Tigre (relis le paragraphe 22 du volume 2). Donc tomber à bras raccourcis à plusieurs sur le Héros, comme de vulgaires paysans, ne signifie rien pour eux, car ça ne prouve rien en termes de rivalité. Sauf si le Héros fait une erreur stratégique en termes de Ninjutsu, de discrétion.
On retrouve cette même logique de manière assez constante chez les serviteurs les plus gradés de la Mante Ecarlate, comme Yaémon ou Aiguchi.
Et pour faire un long retour en arrière, il faut se souvenir que dans le premier volume, Manse et Yaémon sont parfaitement au courant de la mission du Héros, lui mettent certes des bâtons dans les roues, mais ne mettent jamais toutes leurs chances de leur côté pour le battre, car ce serait trop facile. Sciemment, ils le laissent venir à eux et le jaugent constamment, ne le "punissant" qu'en cas d'erreur grave de sa part, qui prouverait son infériorité et, partant, celle de son dieu Kwon. Il y a ainsi un passage où, quand le Héros se présente déguisé en barde à Yaémon, l'auteur arrive à nous faire comprendre implicitement que le Grand Maïtre de la Flamme l'a démasqué et n'attend qu'une grossière erreur de sa part pour mettre fin à sa vie.
Tout cela est donc une affaire de prestige, de rivalité entre écoles opposées, sur fond d'opposition religieuses et morales. Il y a un respect, une forme de loyauté entre tous ces champions des Dieux. Je serais tenté de dire un fair-play sportif.
Baaauuuuume Damohl, plus fort que la douleeeuuuur!
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#12
Pour le manichéisme, je ne voulais pas dire que les personnages étaient manichéens, je me suis mal exprimé. C'était surtout que les personnages Gwyneth (Loyale neutre, nous sommes d'accord) et Parsifal (bon) sont bien plus efficaces globalement que le Surintendant ou Perdigan par exemple concernant les choix politiques. Mais c'est vrai que le panel des personnages est varié. On peut même considérer le démagogue comme chaotique bon.

Par contre, je n'avais pas vu à ce point la rivalité "fairplay" entre les religions et j'avoue que ta démonstration m'a bluffé. C'est très bien vu, je suis totalement d'accord avec toi. En effet ces ninjas du Scorpion ou même Honoric (cf l'épisode où il nous épargne dans le 3 si on est pris par le collet) sont tellement rigides sur les sentiments de fierté et d'honneur qu'ils peuvent bien nous laisser progresser dans leur repaire par simple challenge.
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#13
Exact pour Honoric, j'avais presqu'oublié ce passage! Alors que le Ninja, si c'est Honoric qui est pris dans le collet, est prêt à saisir l'opportunité et à la trucider vite fait bien fait! Twisted

Sérieusement, c'est la série de livres-jeux où les personnages sont les plus vivants et les plus attachants, et de loin je trouve.

Espérons qu'un jour les auteurs lui donnent une fin digne de ce nom (parait qu'il y aurait un vague projet d'écrire le 7ème et dernier tome).
Baaauuuuume Damohl, plus fort que la douleeeuuuur!
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