L’heure passée, il était temps de se remettre en quête de Nundro, le dernier frère de Gundren, en espérant qu’il fusse toujours vivant. Alors qu’on retirait les blocs de pierre qui bloquaient la porte, Goth me fit un sermon au sujet de mon imprudence. Si le ton était gentil, ce n’en était pas moins injuste, aussi allai-je passer mes nerfs sur la porte d’en face, l’ouvrant à la volée d’un coup de pied. Être vexé, ça donne des forces.
« Tout va bien, y a que des cadavres ! » lançai-je. Ça n’eut pas l’air de les rassurer, bizarrement, et ils se précipitèrent tous à ma suite un peu paniqués.
De nouveaux, des squelettes desséchés jonchaient le sol. Pas de nains mais des gnomes, cette fois, et toujours des orques. Un grand comptoir était à une extrémité de la pièce rectangulaire, et des cases parfaitement carrées étaient percées dans les murs. Mon attention fut principalement attirée par un coffre en fer, cependant. Il était verrouillé. La serrure était solide, mais pas piégée. J’entrepris aussitôt de la crocheter, mais j’eus du mal : c’était du bel ouvrage, le serrurier nain connaissait son affaire… J’allais presque renoncer lorsque je parvins enfin à aligner les goupilles et à ouvrir ainsi le coffre. Youpi !
Des centaines de pièces de différents métaux (« métals » ?) se trouvaient dedans. Fargrim et Goth m’aidèrent à les sortir, et à les compter. 600 de cuivre, 180 d’argent, 80 d’électrum, 60 d’or. Non seulement celui qui les avait mis là avait eu le bon goût des chiffres ronds, mais en plus il avait pris le soin de les rendre divisibles par quatre !
« C’était probablement la paye des employés », nous dit Fargrim. (Dois-je en conclure qu’ils étaient aussi quatre ?) Je fouillai les cases. Des papiers qui partaient en poussière à peine effleurés, des poids de balance… Nous étions visiblement dans le bureau de l’essayeur.
La fouille mit fin à l’exploration de ce coin de la mine. Nous commençâmes à bavarder, discutant de la suite, lorsque le nain nous interrompit d’un impérieux : « Attendez, taisez-vous ! »
Je n’entendais rien hormis l’écho des vagues, mais l’ouïe du guerrier et celle du prêtre percevaient comme une sorte de râle lointain. « Y a d’autres morts-vivants ici… » conclut Fargrim d’un air sombre.
Nous reprîmes position dans le couloir. J’ouvrai la marche avec Goth, devant l’archer et le prêtre. Ce dernier illumina le bouclier du guerrier, l’ancienne source de lumière s’étant éteinte pendant le repos, et Wulfwig jeta sa vieille torche à terre pour en rallumer une autre. Puis nous avançâmes… De retour dans la grande salle où nous nous étions faits attaquer par les striges, nous fîmes halte, les yeux et les oreilles aux aguets.
Il me sembla voir une ombre bouger au bout du couloir nord… Je fis un signe silencieux à mes camarades. Nous reculâmes. Cette fois, Fargrim et Goth se placèrent devant, Wulf et moi derrière. Nous éteignîmes toutes nos sources de lumière et nous attendîmes, en embuscade. Un long moment passa sans que rien ne se manifeste. Au bout de cinq minutes, Fargrim réenchanta le bouclier du guerrier, et je m’avançai prudemment au devant, à l’orée de la lumière, de façon à rester dissimulé aux yeux d’assaillants potentiels. Nous avançâmes ainsi, petit à petit. J’observai, j’écoutai mais je n’entendis rien… jusqu’à ce qu’un bruit inquiétant frappe le tympan de mon oreille gauche. Je reculai à pas de loup et prévins mes camarades. Un râle résonna, venant de la droite, cette fois… Chacun se prépara au combat, alors que pénétraient, dans le cercle de lumière, de nouveaux zombies…
Je me décalai de quelques pieds, tirai le premier et revint mes camarades. Goth s’avança et sa javeline alla se ficher dans le ventre du même zombie, que Wulfwig termina à l’arc. Les flammes de Fargrim commencèrent à consumer la chair d’un autre. La bataille rappelait celle que nous avions menée au puits du Vieil-Hibou, car nous employions la même tactique avec succès : tirer, reculer, tirer… de façon à retarder le plus longtemps possible l’arrivée de l’ennemi, dépourvu, lui, de moyens d’attaquer à distance. Nous eûmes ainsi raison d’une bonne partie de l’escouade morbide sans prendre un seul coup. Il ne restait plus que deux zombies lorsque le combat au corps à corps s’engagea, mais il furent aussitôt achevés par Serre et Arguy.
J’eus tort de penser que c’était la fin du combat, pourtant, car au même moment, un des zombies à terre se releva et me prit pour cible ! Heureusement, mes réflexes prirent le pas sur ma surprise et j’esquivai le coup, avant qu’une flèche bien placée de Wulfwig ne le cloue définitivement au sol. Combien de fois ça peut revivre, un de ces machins ?
Qu’importe, ceux-là étaient décidés à ne plus se relever de leur sieste. Une fois de plus, Fargrim enchanta le bouclier du guerrier, et nous reprîmes la marche. Je tenais toujours le rôle de l’éclaireur. J’empruntai le tunnel est, le dernier de cette salle que nous n’avions pas encore exploré. Le sol commença à changer. Au fur et à mesure apparurent des moisissures, puis des champignons. Au bout de quelques instants, le couloir déboucha sur une large caverne, à peu près de la taille de celle par laquelle nous avions pénétré dans la mine. Le sol était en grande partie recouvert d’une fonge verdâtre.
Je longeai la caverne par le sud, restant à distance des champignons. De la moisissure émanait une lumière vert pâle tamisée. Il ne semblait pas possible d’atteindre l’autre côté de la grotte sans marcher dessus, c’est pourquoi, rendus prudents par nos récentes algarades, nous décidâmes de faire demi-tour et repartîmes explorer le reste de la mine.
De retour dans la salle précédente, nous entendîmes de nouveau du bruit, à l’ouest. Nous avançâmes petit à petit, aux aguets, remontant par le couloir nord. Rien ne se montra. Nous étions de retour devant la porte de la salle aux goules. Le corridor à l’est était encore terra incognita. Nous entreprîmes de l’inspecter.
Je repassai devant Goth, qui avait pris brièvement la tête du groupe, et avançai lanterne à la main tout en examinant le sol. Quelques traces s’y laissaient voir de temps à autre. Sans doute était-ce les zombies qui tournaient en rond…
Le tunnel se termina bientôt mais un autre prenait sa relève au nord. Nous nous y engageâmes. Sur notre droite, une ouverture se présenta. J’y passai prudemment la tête, puis le reste du corps. La pièce était vide. Un pan du mur oriental était effondré. Dans le mur nord, une porte entrouverte laissait voir des tonnelets poussiéreux, fissurés et brisés avec le temps.
Aucune trace de pas ici. J’avançai vers la porte entrebâillée, jetant un œil à l’intérieur et écoutant. Nul bruit ne parvint à mes oreilles, aussi nous entrâmes dans l’entrepôt. J’entrepris de le fouiller, malheureusement tout le contenu des tonneaux s’était évaporé depuis bien longtemps.
Retournant dans la salle attenante, nous nous postâmes à l’entrée, à l’affût d’éventuels zombies qui emprunteraient ce chemin… Au nord, l’écho des vagues paraissait s’intensifier. Le sac et le ressac jouèrent leur mélodie trois ou quatre fois avant que nous ne nous décidâmes à reprendre notre exploration. J’avançai pas à pas vers le nord, mes camarades sur les talons.
Le tunnel déboucha sur une immense caverne, deux à trois fois plus large que les précédentes. Elle s’étirait d’est en ouest, et, aux extrémités, deux hautes plateformes accessibles par des escaliers dominaient ce qui semblait être une salle de banquet : deux grandes tables longues étaient en son centre, et de vieux braseros essaimaient çà et là. Partout au sol, les squelettiques dépouilles d’orques, d’humains, de gnomes et de nains témoignaient de la férocité du combat qui s’était déroulé ici il y a des siècles.
Je gravis prudemment les marches qui menaient à la plateforme est. Ne s’y trouvait qu’une petite table. J’entendis alors un bruit provenant de l’autre bout de la salle… Je descendis en silence et m’approchai du couvert qu’offrait l’une des deux tables centrales. Sur le surplomb ouest, j’aperçus une goule…
J’empoignai mon arc, encochai une flèche, et tirai. La pointe en acier ne fit qu’une balafre à la créature, qui, repérant son agresseur — moi, en l’occurrence —, commença à dévaler en courant l’escalier qui reliait le rez-de-chaussée. Je ne l’avais pas attendue, cependant, retraitant du côté de ma propre plateforme, montant les marches quatre à quatre et escaladant à mi-parcours le pan de mur pour gagner le sommet au plus vite. Fargrim lança une flamme sur la goule, mais elle passa à travers et sembla à peine sentir la morsure du feu.
Tandis que ses congénères se précipitaient pour rejoindre le champ de bataille, Goth et Wulfwig entraient en scène. Le premier lança une de ses javelines mais son jet fut moins efficace qu’au cours du combat précédent car il ne fit qu’égratigner sa cible. Wulf, lui, voulut me rejoindre mais fit le choix étrange d’escalader directement la paroi. Si je ne le connaissais pas, j’aurais dit que c’était pour frimer ! Malheureusement pour lui, il lâcha prise à mi-hauteur… Le choc fut rude mais ne le sonna pas, et il décida de faire plutôt pleuvoir ses flèches depuis le plancher des vaches, si tant est qu’il existe une race de vache cavernicole.
J’avais une excellente position depuis mon poste de tir. J’étais d’une précision meurtrière, et je renvoyai un bon paquet de cadavres ambulants à leur état naturel. Les flèches de Wulfwig en abattirent également quelques uns. Pour une raison qui m’échappe — peut-être enviait-il ma position —, il s’obstinait à vouloir grimper sur la plateforme en se hissant à la force de ses bras, mais il ne réussit qu’à se casser de nouveau la figure à deux reprises, avant de se mettre à boud… Avant de décider qu’il était finalement aussi bien à terre pour continuer le combat.
Fargrim eut le temps de lancer une deuxième flamme, malheureusement esquivée, avant que les goules n’arrivent au corps à corps, s’en prenant à lui et Goth. Le nain eut l’intelligence de rester en défense en laissant le soin aux archers de faire le travail. À ses côtés, Goth avait fort à faire, l’adversaire l’attaquait de tous les côtés. Submergé, le guerrier renonça à tailler dans les chairs en décomposition et se mit dos à dos avec le prêtre en se concentrant lui aussi sur l’esquive et la parade, tandis que nos flèches, à Wulf et moi, continuaient leur œuvre de destruction. L’armure et le bouclier du noble, conjugués à son habileté martiale, lui sauvèrent la mise mais un coup de griffe, unique, parvint quand même à passer sa défense, heureusement sans conséquences graves.
Les rangs adverses commençaient à se clairsemer, et Goth en profita pour s’ouvrir un passage en tranchant le cou d’une goule, battant en retraite du côté de la plateforme où je me trouvai et montant l’escalier au moment même où Wulfwig retombait sur son postérieur pour la troisième fois. J’imagine le regard interloqué qu’il a dû lui lancer en passant…
Fargrim restait seul face à deux goules, comptant sur son bouclier pour les tenir en respect, malheureusement l’une d’elles réussit à passer sa défense et lui asséna un méchant coup de griffes qui traça trois lignes parallèles sanglantes sur sa peau. Aussitôt, le nain se raidit. Les goules inoculaient un venin paralysant ! Par chance, sa constitution particulièrement robuste lui permit de reprendre le dessus à temps pour éviter le coup de la seconde.
Une javeline de Goth vengea Fargrim en transperçant l’adversaire qui venait de le blesser. Une flèche de Wulfwig atteignit la dernière goule dans le dos. Elle poussa un cri aigu et se précipita vers l’archer pour chercher à se venger, offrant au prêtre l’opportunité d’en finir mais son marteau passa au-dessus de la tête de la créature, qui se ramassa et bondit sur l’humain. Wulf esquiva d’un bond non moins agile, et une dernière flèche de ma part vint cueillir la goule au vol, mettant fin au combat.
Chacun alla s’assurer que tout le monde allait bien, et comme c’était le cas, nous reprîmes notre exploration de cette décidément fort peu hospitalière caverne. Au nord de la plateforme où j’avais passé la majeure partie de la bataille, j’avais remarqué un couloir. Je m’y engageai, mes camarades dans mon dos. La vue qui se présenta à moi lorsque j’arrivai au bout me coupa le sifflet.
C’était une grande salle irrégulière, aux mur droits et lisses par endroits, grossiers et irréguliers à d’autres. Un canal asséché y entrait par le nord pour aller se perdre sous le mur est. L’eau qui s’y écoulait à l’époque actionnait une roue toujours présente et reliée à un gigantesque soufflet mécanique dont l’orifice était braqué sur un haut fourneau éteint depuis des lustres… Face à moi, intacte malgré les siècles, se tenait selon toute probabilité la légendaire forge des sorts.
Comme partout ailleurs, le sol était jonché d’ossements en armures, mais si cette vue était devenue tristement familière, celle du crâne entouré de flammes vertes qui flottait au-dessus des dépouilles d’orques et de nains était on ne peut plus singulière… et intimidante. Je reculai prudemment… De retour parmi mes compagnons, je leur fis part de ma découverte, et de l’étrange crâne. Il me rappelait une vague légende… Je demandai à Fargrim s’il savait de quoi il en retournait, mais c’est Wulfwig qui nous expliqua que cet être était un type de mort-vivant particulier, créé à partir du crâne d’un lanceur de sorts — magicien ou même prêtre — juste après sa mort, dans le but de devenir le gardien d’un lieu à protéger. Toujours d’après Wulfwig, dont je me demandais d’où il tenait tout ce savoir, l’eau bénite permettait de s’en débarrasser. Tous les regards se tournèrent vers le prêtre… dont le sourire penaud nous fit comprendre qu’il n’en avait malheureusement plus.
Nous discutâmes un moment entre nous, tâchant de déterminer la meilleure stratégie à suivre. Nous en vînmes à la conclusion qu’il nous fallait davantage d’informations avant de, éventuellement, se frotter au mystérieux crâne, aussi fut-il décidé d’utiliser l’une des trois questions à l’idole d’augure.
Vous souvenez-vous de la statuette en or que j’avais trouvée dans un tas de charbon à Cragmaw Castle ? Vous pensiez peut-être que je l’avais oubliée, ou pire, que j’avais volontairement dissimulé son existence à mes amis ? Vous qui vous infligez ma prose depuis le début de cette histoire, vous devriez maintenant savoir que je sous des dehors indépendants, ardents, bravaches, fiers, intraitables et modestes se dissimule un cœur fait d’une matière que ne saurait égaler le plus précieux des métaux…
(« Métals » ?… Voyons : un chacal, des chac… Bref.)
… Et que ce cœur battant à l’unisson de celui de ses amis ne saurait leur faire offense de quelque manière que ce soit !
Je vous ai perdu ? J’ai beau penser à ma pomme, je suis réglo. Ah ! voilà, je vous ai retrouvé. Donc, j’avais bien évidemment fait part de ma découverte à mes partenaires, et une étude approfondie (comprendre : magique) de l’objet avait révélé qu’il possédait le pouvoir de répondre à trois questions, à condition de les formuler de manière à ce que la réponse puisse être l’une des trois suivantes : favorable, neutre, funeste.
Sortant l’idole de mon sac, je la tendis à Goth, qui énonça l’interrogation suivante : « Que se passera-t-il si on jette nos gourdes d’eau sur la crâne ? » L’idée étant bien sûr de savoir s’il était possible d’éteindre les flammes de cette simple manière. « Funeste », nous répondit une voix désincarnée. Tant pis, ça valait le coup de demander.
Remettant la statuette à sa place, je décidai de retourner discrètement dans la forge pour en examiner la machinerie. Je cherchais à savoir s’il y avait un moyen de piéger le crâne… mais aussitôt que j’eus posé le pied sur le sol de la grande salle, les morts, décidément très mal élevés, se levèrent.
L’un d’eux était si près qu’il aurait pu me faire un bisou s’il l’avait voulu, et un autre s’animait juste à côté. Je n’en menais pas large. Wulfwig, vif comme l’éclair, courut dans la pièce tout en dégainant son arc et perça l’un des deux zombies d’une flèche, mais ça ne suffit pas à le détruire, et je n’arrivai pas à éviter les coups que tous deux m’assénèrent. Les lames rouillées mordirent ma chair. J’étais blessé, bien que pas — encore — grièvement…
Malgré ce début de remue-ménage, le crâne ne bougea pas de sa position, ce qui était présentement fort urbain de sa part. Je ripostai et portai un coup au zombie transpercé, maladroit mais suffisant pour achever de justesse le boulot commencé par l’archer en lui sectionnant la colonne vertébrale suffisamment pour que la gravité fasse le reste, et que le sac d’os s’écroule, définitivement détruit. Profitant de mon agilité, j’échappai à l’autre sans qu’il puisse tenter de m’en empêcher, et j’escaladai le fourneau. J’y voyais plusieurs avantages : un poste de tir idéal, à l’instar de celui que j’avais occupé au cours de la bataille qui s’était déroulée quelques instants auparavant dans la salle d’à côté, et une potentielle cachette, à l’intérieur du four, si les choses tournaient mal.
Malheureusement, je n’avais pas pris en compte un paramètre : la fonction du crâne, avait dit Wulfwig, était de protéger quelque chose. Il était évident que ce quelque chose, c’était la forge… et à l’instant même où je me hissais dessus, le crâne s’anima ! Deux rayons de feu verdâtres jaillirent de ses yeux et frappèrent ma poitrine, faisant deux trous fumants dans mon armure. Je ne tins pas le choc. Je m’effondrai, et dans un ultime éclair de lucidité, je vis que j’étais tombé non pas à l’intérieur du fourneau, mais sur le bord… Il me sembla que c’était la fin.
Je sais que j’ai vu quelque chose pendant ce court coma, mais j’ignore véritablement quoi, ma mémoire n’en ayant gardé qu’un souvenir halluciné dans lequel je voyais la Mort s’approcher de moi, lentement. Un premier pas. Un second… Et, au moment de tendre la main vers moi pour me lever et, par ce geste, m’arracher au monde des vivants, sa silhouette qui se déchirait comme un rideau par-delà lequel je vis, de nouveau, le plafond de la caverne.
Fargrim avait brandi le symbole de son dieu et repoussé les morts-vivants comme il l’avait fait auparavant. Profitant du répit ainsi offert, il avait aussitôt lancé un sort de soins dans ma direction, me sauvant ainsi la vie. J’étais dans les vapes à ce moment, et j’ignorai quel tour prenait la bataille, lorsque je vis une grande silhouette se dresser à mes côtés. Wulfwig ! L’archer avait, magnifiquement, cette fois, escaladé le haut fourneau pour venir me chercher. Il m’attrapa par le bras, mais le crâne le pris pour cible comme il l’avait fait pour moi, et deux rais enflammés frappèrent à son tour mon compagnon… qui, héroïquement, resta debout. Je ne vis pas son expression, mais étant passé par ce qu’il venait de subir, j’imaginai sans mal la douleur qu’il devait ressentir alors qu’il me descendait à l’abri, derrière la forge…
Il me restait une unique potion de guérison. Je la sortis de mon sac avec des gestes fébriles et la bus, bavant et en mettant la moitié à côté. Cela me remit un petit peu d’aplomb néanmoins. Je jetai un œil au champ de bataille, constatai que mes compagnons avaient un peu nettoyé la zone, et, suivi par Wulfwig, courus alors du mieux que je pouvais me mettre à l’abri dans le couloir, derrière Fargrim et Goth qui se battaient furieusement contre trois squelettes.
« Ma prière n’aura pas d’effet encore longtemps ! » cria le prêtre. Je m’empressai de me rendre utile en sortant mon arc, imité par Wulf. Mes deux premières flèches abattirent un zombie, mais il se releva… Marthammer en pulvérisa un autre, définitivement, cette fois. Nos deux combattants au corps à corps reculèrent alors à leur tour dans le couloir. Wulf et moi décochèrent chacun un trait vers l’un des deux zombies restants qui poursuivaient le prêtre et le guerrier. Nos deux flèches le transpercèrent à hauteur de l’emplacement où se trouvait son cœur autrefois. Il s’effondra, sans se relever. Le nain lança sa flamme sacrée sur le dernier debout, puis Goth lui porta un coup de même que Wulfwig, qui, ayant épuisé son stock de flèches, avait sorti son épée. Les trois attaques combinées blessèrent le squelette, sans le tuer. Coriace… J’encochai une flèche, fermai un œil, ajustai la cible et décochai. Le trait lui arracha ce qui lui restait de tête, mettant — provisoirement — fin à la menace mort-vivante.
À l’autre extrémité du couloir, le crâne volant flottait, mais ne semblait pas vouloir s’engager dans le corridor… Tandis que je m’approchai de Wulfwig pour transvaser une douzaine de flèches de mon carquois au sien, la mâchoire squelettique se mit à bouger. Une voix caverneuse résonna, sinistre : « Ne revenez pas ! » Puis le crâne fit demi-tour, volant vers la forge, et disparut de notre champ de vision.
Nous sommes retournés dans l’entrepôt, au milieu des tonneaux. Nous avons barricadé la porte. On se repose, à présent.
Je me suis confondu en remerciements envers Fargrim et Wulfwig, qui venaient ni plus ni moins que de m’arracher aux griffes de la mort. « Si je peux me permettre une suggestion… » me dit le nain. « C’était stupide, ne refaites pas une chose comme ça. » C’était vexant, mais, cette fois, c’était vrai.
« Tout va bien, y a que des cadavres ! » lançai-je. Ça n’eut pas l’air de les rassurer, bizarrement, et ils se précipitèrent tous à ma suite un peu paniqués.
De nouveaux, des squelettes desséchés jonchaient le sol. Pas de nains mais des gnomes, cette fois, et toujours des orques. Un grand comptoir était à une extrémité de la pièce rectangulaire, et des cases parfaitement carrées étaient percées dans les murs. Mon attention fut principalement attirée par un coffre en fer, cependant. Il était verrouillé. La serrure était solide, mais pas piégée. J’entrepris aussitôt de la crocheter, mais j’eus du mal : c’était du bel ouvrage, le serrurier nain connaissait son affaire… J’allais presque renoncer lorsque je parvins enfin à aligner les goupilles et à ouvrir ainsi le coffre. Youpi !
Des centaines de pièces de différents métaux (« métals » ?) se trouvaient dedans. Fargrim et Goth m’aidèrent à les sortir, et à les compter. 600 de cuivre, 180 d’argent, 80 d’électrum, 60 d’or. Non seulement celui qui les avait mis là avait eu le bon goût des chiffres ronds, mais en plus il avait pris le soin de les rendre divisibles par quatre !
« C’était probablement la paye des employés », nous dit Fargrim. (Dois-je en conclure qu’ils étaient aussi quatre ?) Je fouillai les cases. Des papiers qui partaient en poussière à peine effleurés, des poids de balance… Nous étions visiblement dans le bureau de l’essayeur.
La fouille mit fin à l’exploration de ce coin de la mine. Nous commençâmes à bavarder, discutant de la suite, lorsque le nain nous interrompit d’un impérieux : « Attendez, taisez-vous ! »
Je n’entendais rien hormis l’écho des vagues, mais l’ouïe du guerrier et celle du prêtre percevaient comme une sorte de râle lointain. « Y a d’autres morts-vivants ici… » conclut Fargrim d’un air sombre.
Nous reprîmes position dans le couloir. J’ouvrai la marche avec Goth, devant l’archer et le prêtre. Ce dernier illumina le bouclier du guerrier, l’ancienne source de lumière s’étant éteinte pendant le repos, et Wulfwig jeta sa vieille torche à terre pour en rallumer une autre. Puis nous avançâmes… De retour dans la grande salle où nous nous étions faits attaquer par les striges, nous fîmes halte, les yeux et les oreilles aux aguets.
Il me sembla voir une ombre bouger au bout du couloir nord… Je fis un signe silencieux à mes camarades. Nous reculâmes. Cette fois, Fargrim et Goth se placèrent devant, Wulf et moi derrière. Nous éteignîmes toutes nos sources de lumière et nous attendîmes, en embuscade. Un long moment passa sans que rien ne se manifeste. Au bout de cinq minutes, Fargrim réenchanta le bouclier du guerrier, et je m’avançai prudemment au devant, à l’orée de la lumière, de façon à rester dissimulé aux yeux d’assaillants potentiels. Nous avançâmes ainsi, petit à petit. J’observai, j’écoutai mais je n’entendis rien… jusqu’à ce qu’un bruit inquiétant frappe le tympan de mon oreille gauche. Je reculai à pas de loup et prévins mes camarades. Un râle résonna, venant de la droite, cette fois… Chacun se prépara au combat, alors que pénétraient, dans le cercle de lumière, de nouveaux zombies…
Je me décalai de quelques pieds, tirai le premier et revint mes camarades. Goth s’avança et sa javeline alla se ficher dans le ventre du même zombie, que Wulfwig termina à l’arc. Les flammes de Fargrim commencèrent à consumer la chair d’un autre. La bataille rappelait celle que nous avions menée au puits du Vieil-Hibou, car nous employions la même tactique avec succès : tirer, reculer, tirer… de façon à retarder le plus longtemps possible l’arrivée de l’ennemi, dépourvu, lui, de moyens d’attaquer à distance. Nous eûmes ainsi raison d’une bonne partie de l’escouade morbide sans prendre un seul coup. Il ne restait plus que deux zombies lorsque le combat au corps à corps s’engagea, mais il furent aussitôt achevés par Serre et Arguy.
J’eus tort de penser que c’était la fin du combat, pourtant, car au même moment, un des zombies à terre se releva et me prit pour cible ! Heureusement, mes réflexes prirent le pas sur ma surprise et j’esquivai le coup, avant qu’une flèche bien placée de Wulfwig ne le cloue définitivement au sol. Combien de fois ça peut revivre, un de ces machins ?
Qu’importe, ceux-là étaient décidés à ne plus se relever de leur sieste. Une fois de plus, Fargrim enchanta le bouclier du guerrier, et nous reprîmes la marche. Je tenais toujours le rôle de l’éclaireur. J’empruntai le tunnel est, le dernier de cette salle que nous n’avions pas encore exploré. Le sol commença à changer. Au fur et à mesure apparurent des moisissures, puis des champignons. Au bout de quelques instants, le couloir déboucha sur une large caverne, à peu près de la taille de celle par laquelle nous avions pénétré dans la mine. Le sol était en grande partie recouvert d’une fonge verdâtre.
Je longeai la caverne par le sud, restant à distance des champignons. De la moisissure émanait une lumière vert pâle tamisée. Il ne semblait pas possible d’atteindre l’autre côté de la grotte sans marcher dessus, c’est pourquoi, rendus prudents par nos récentes algarades, nous décidâmes de faire demi-tour et repartîmes explorer le reste de la mine.
De retour dans la salle précédente, nous entendîmes de nouveau du bruit, à l’ouest. Nous avançâmes petit à petit, aux aguets, remontant par le couloir nord. Rien ne se montra. Nous étions de retour devant la porte de la salle aux goules. Le corridor à l’est était encore terra incognita. Nous entreprîmes de l’inspecter.
Je repassai devant Goth, qui avait pris brièvement la tête du groupe, et avançai lanterne à la main tout en examinant le sol. Quelques traces s’y laissaient voir de temps à autre. Sans doute était-ce les zombies qui tournaient en rond…
Le tunnel se termina bientôt mais un autre prenait sa relève au nord. Nous nous y engageâmes. Sur notre droite, une ouverture se présenta. J’y passai prudemment la tête, puis le reste du corps. La pièce était vide. Un pan du mur oriental était effondré. Dans le mur nord, une porte entrouverte laissait voir des tonnelets poussiéreux, fissurés et brisés avec le temps.
Aucune trace de pas ici. J’avançai vers la porte entrebâillée, jetant un œil à l’intérieur et écoutant. Nul bruit ne parvint à mes oreilles, aussi nous entrâmes dans l’entrepôt. J’entrepris de le fouiller, malheureusement tout le contenu des tonneaux s’était évaporé depuis bien longtemps.
Retournant dans la salle attenante, nous nous postâmes à l’entrée, à l’affût d’éventuels zombies qui emprunteraient ce chemin… Au nord, l’écho des vagues paraissait s’intensifier. Le sac et le ressac jouèrent leur mélodie trois ou quatre fois avant que nous ne nous décidâmes à reprendre notre exploration. J’avançai pas à pas vers le nord, mes camarades sur les talons.
Le tunnel déboucha sur une immense caverne, deux à trois fois plus large que les précédentes. Elle s’étirait d’est en ouest, et, aux extrémités, deux hautes plateformes accessibles par des escaliers dominaient ce qui semblait être une salle de banquet : deux grandes tables longues étaient en son centre, et de vieux braseros essaimaient çà et là. Partout au sol, les squelettiques dépouilles d’orques, d’humains, de gnomes et de nains témoignaient de la férocité du combat qui s’était déroulé ici il y a des siècles.
Je gravis prudemment les marches qui menaient à la plateforme est. Ne s’y trouvait qu’une petite table. J’entendis alors un bruit provenant de l’autre bout de la salle… Je descendis en silence et m’approchai du couvert qu’offrait l’une des deux tables centrales. Sur le surplomb ouest, j’aperçus une goule…
J’empoignai mon arc, encochai une flèche, et tirai. La pointe en acier ne fit qu’une balafre à la créature, qui, repérant son agresseur — moi, en l’occurrence —, commença à dévaler en courant l’escalier qui reliait le rez-de-chaussée. Je ne l’avais pas attendue, cependant, retraitant du côté de ma propre plateforme, montant les marches quatre à quatre et escaladant à mi-parcours le pan de mur pour gagner le sommet au plus vite. Fargrim lança une flamme sur la goule, mais elle passa à travers et sembla à peine sentir la morsure du feu.
Tandis que ses congénères se précipitaient pour rejoindre le champ de bataille, Goth et Wulfwig entraient en scène. Le premier lança une de ses javelines mais son jet fut moins efficace qu’au cours du combat précédent car il ne fit qu’égratigner sa cible. Wulf, lui, voulut me rejoindre mais fit le choix étrange d’escalader directement la paroi. Si je ne le connaissais pas, j’aurais dit que c’était pour frimer ! Malheureusement pour lui, il lâcha prise à mi-hauteur… Le choc fut rude mais ne le sonna pas, et il décida de faire plutôt pleuvoir ses flèches depuis le plancher des vaches, si tant est qu’il existe une race de vache cavernicole.
J’avais une excellente position depuis mon poste de tir. J’étais d’une précision meurtrière, et je renvoyai un bon paquet de cadavres ambulants à leur état naturel. Les flèches de Wulfwig en abattirent également quelques uns. Pour une raison qui m’échappe — peut-être enviait-il ma position —, il s’obstinait à vouloir grimper sur la plateforme en se hissant à la force de ses bras, mais il ne réussit qu’à se casser de nouveau la figure à deux reprises, avant de se mettre à boud… Avant de décider qu’il était finalement aussi bien à terre pour continuer le combat.
Fargrim eut le temps de lancer une deuxième flamme, malheureusement esquivée, avant que les goules n’arrivent au corps à corps, s’en prenant à lui et Goth. Le nain eut l’intelligence de rester en défense en laissant le soin aux archers de faire le travail. À ses côtés, Goth avait fort à faire, l’adversaire l’attaquait de tous les côtés. Submergé, le guerrier renonça à tailler dans les chairs en décomposition et se mit dos à dos avec le prêtre en se concentrant lui aussi sur l’esquive et la parade, tandis que nos flèches, à Wulf et moi, continuaient leur œuvre de destruction. L’armure et le bouclier du noble, conjugués à son habileté martiale, lui sauvèrent la mise mais un coup de griffe, unique, parvint quand même à passer sa défense, heureusement sans conséquences graves.
Les rangs adverses commençaient à se clairsemer, et Goth en profita pour s’ouvrir un passage en tranchant le cou d’une goule, battant en retraite du côté de la plateforme où je me trouvai et montant l’escalier au moment même où Wulfwig retombait sur son postérieur pour la troisième fois. J’imagine le regard interloqué qu’il a dû lui lancer en passant…
Fargrim restait seul face à deux goules, comptant sur son bouclier pour les tenir en respect, malheureusement l’une d’elles réussit à passer sa défense et lui asséna un méchant coup de griffes qui traça trois lignes parallèles sanglantes sur sa peau. Aussitôt, le nain se raidit. Les goules inoculaient un venin paralysant ! Par chance, sa constitution particulièrement robuste lui permit de reprendre le dessus à temps pour éviter le coup de la seconde.
Une javeline de Goth vengea Fargrim en transperçant l’adversaire qui venait de le blesser. Une flèche de Wulfwig atteignit la dernière goule dans le dos. Elle poussa un cri aigu et se précipita vers l’archer pour chercher à se venger, offrant au prêtre l’opportunité d’en finir mais son marteau passa au-dessus de la tête de la créature, qui se ramassa et bondit sur l’humain. Wulf esquiva d’un bond non moins agile, et une dernière flèche de ma part vint cueillir la goule au vol, mettant fin au combat.
Chacun alla s’assurer que tout le monde allait bien, et comme c’était le cas, nous reprîmes notre exploration de cette décidément fort peu hospitalière caverne. Au nord de la plateforme où j’avais passé la majeure partie de la bataille, j’avais remarqué un couloir. Je m’y engageai, mes camarades dans mon dos. La vue qui se présenta à moi lorsque j’arrivai au bout me coupa le sifflet.
C’était une grande salle irrégulière, aux mur droits et lisses par endroits, grossiers et irréguliers à d’autres. Un canal asséché y entrait par le nord pour aller se perdre sous le mur est. L’eau qui s’y écoulait à l’époque actionnait une roue toujours présente et reliée à un gigantesque soufflet mécanique dont l’orifice était braqué sur un haut fourneau éteint depuis des lustres… Face à moi, intacte malgré les siècles, se tenait selon toute probabilité la légendaire forge des sorts.
Comme partout ailleurs, le sol était jonché d’ossements en armures, mais si cette vue était devenue tristement familière, celle du crâne entouré de flammes vertes qui flottait au-dessus des dépouilles d’orques et de nains était on ne peut plus singulière… et intimidante. Je reculai prudemment… De retour parmi mes compagnons, je leur fis part de ma découverte, et de l’étrange crâne. Il me rappelait une vague légende… Je demandai à Fargrim s’il savait de quoi il en retournait, mais c’est Wulfwig qui nous expliqua que cet être était un type de mort-vivant particulier, créé à partir du crâne d’un lanceur de sorts — magicien ou même prêtre — juste après sa mort, dans le but de devenir le gardien d’un lieu à protéger. Toujours d’après Wulfwig, dont je me demandais d’où il tenait tout ce savoir, l’eau bénite permettait de s’en débarrasser. Tous les regards se tournèrent vers le prêtre… dont le sourire penaud nous fit comprendre qu’il n’en avait malheureusement plus.
Nous discutâmes un moment entre nous, tâchant de déterminer la meilleure stratégie à suivre. Nous en vînmes à la conclusion qu’il nous fallait davantage d’informations avant de, éventuellement, se frotter au mystérieux crâne, aussi fut-il décidé d’utiliser l’une des trois questions à l’idole d’augure.
Vous souvenez-vous de la statuette en or que j’avais trouvée dans un tas de charbon à Cragmaw Castle ? Vous pensiez peut-être que je l’avais oubliée, ou pire, que j’avais volontairement dissimulé son existence à mes amis ? Vous qui vous infligez ma prose depuis le début de cette histoire, vous devriez maintenant savoir que je sous des dehors indépendants, ardents, bravaches, fiers, intraitables et modestes se dissimule un cœur fait d’une matière que ne saurait égaler le plus précieux des métaux…
(« Métals » ?… Voyons : un chacal, des chac… Bref.)
… Et que ce cœur battant à l’unisson de celui de ses amis ne saurait leur faire offense de quelque manière que ce soit !
Je vous ai perdu ? J’ai beau penser à ma pomme, je suis réglo. Ah ! voilà, je vous ai retrouvé. Donc, j’avais bien évidemment fait part de ma découverte à mes partenaires, et une étude approfondie (comprendre : magique) de l’objet avait révélé qu’il possédait le pouvoir de répondre à trois questions, à condition de les formuler de manière à ce que la réponse puisse être l’une des trois suivantes : favorable, neutre, funeste.
Sortant l’idole de mon sac, je la tendis à Goth, qui énonça l’interrogation suivante : « Que se passera-t-il si on jette nos gourdes d’eau sur la crâne ? » L’idée étant bien sûr de savoir s’il était possible d’éteindre les flammes de cette simple manière. « Funeste », nous répondit une voix désincarnée. Tant pis, ça valait le coup de demander.
Remettant la statuette à sa place, je décidai de retourner discrètement dans la forge pour en examiner la machinerie. Je cherchais à savoir s’il y avait un moyen de piéger le crâne… mais aussitôt que j’eus posé le pied sur le sol de la grande salle, les morts, décidément très mal élevés, se levèrent.
L’un d’eux était si près qu’il aurait pu me faire un bisou s’il l’avait voulu, et un autre s’animait juste à côté. Je n’en menais pas large. Wulfwig, vif comme l’éclair, courut dans la pièce tout en dégainant son arc et perça l’un des deux zombies d’une flèche, mais ça ne suffit pas à le détruire, et je n’arrivai pas à éviter les coups que tous deux m’assénèrent. Les lames rouillées mordirent ma chair. J’étais blessé, bien que pas — encore — grièvement…
Malgré ce début de remue-ménage, le crâne ne bougea pas de sa position, ce qui était présentement fort urbain de sa part. Je ripostai et portai un coup au zombie transpercé, maladroit mais suffisant pour achever de justesse le boulot commencé par l’archer en lui sectionnant la colonne vertébrale suffisamment pour que la gravité fasse le reste, et que le sac d’os s’écroule, définitivement détruit. Profitant de mon agilité, j’échappai à l’autre sans qu’il puisse tenter de m’en empêcher, et j’escaladai le fourneau. J’y voyais plusieurs avantages : un poste de tir idéal, à l’instar de celui que j’avais occupé au cours de la bataille qui s’était déroulée quelques instants auparavant dans la salle d’à côté, et une potentielle cachette, à l’intérieur du four, si les choses tournaient mal.
Malheureusement, je n’avais pas pris en compte un paramètre : la fonction du crâne, avait dit Wulfwig, était de protéger quelque chose. Il était évident que ce quelque chose, c’était la forge… et à l’instant même où je me hissais dessus, le crâne s’anima ! Deux rayons de feu verdâtres jaillirent de ses yeux et frappèrent ma poitrine, faisant deux trous fumants dans mon armure. Je ne tins pas le choc. Je m’effondrai, et dans un ultime éclair de lucidité, je vis que j’étais tombé non pas à l’intérieur du fourneau, mais sur le bord… Il me sembla que c’était la fin.
Je sais que j’ai vu quelque chose pendant ce court coma, mais j’ignore véritablement quoi, ma mémoire n’en ayant gardé qu’un souvenir halluciné dans lequel je voyais la Mort s’approcher de moi, lentement. Un premier pas. Un second… Et, au moment de tendre la main vers moi pour me lever et, par ce geste, m’arracher au monde des vivants, sa silhouette qui se déchirait comme un rideau par-delà lequel je vis, de nouveau, le plafond de la caverne.
Fargrim avait brandi le symbole de son dieu et repoussé les morts-vivants comme il l’avait fait auparavant. Profitant du répit ainsi offert, il avait aussitôt lancé un sort de soins dans ma direction, me sauvant ainsi la vie. J’étais dans les vapes à ce moment, et j’ignorai quel tour prenait la bataille, lorsque je vis une grande silhouette se dresser à mes côtés. Wulfwig ! L’archer avait, magnifiquement, cette fois, escaladé le haut fourneau pour venir me chercher. Il m’attrapa par le bras, mais le crâne le pris pour cible comme il l’avait fait pour moi, et deux rais enflammés frappèrent à son tour mon compagnon… qui, héroïquement, resta debout. Je ne vis pas son expression, mais étant passé par ce qu’il venait de subir, j’imaginai sans mal la douleur qu’il devait ressentir alors qu’il me descendait à l’abri, derrière la forge…
Il me restait une unique potion de guérison. Je la sortis de mon sac avec des gestes fébriles et la bus, bavant et en mettant la moitié à côté. Cela me remit un petit peu d’aplomb néanmoins. Je jetai un œil au champ de bataille, constatai que mes compagnons avaient un peu nettoyé la zone, et, suivi par Wulfwig, courus alors du mieux que je pouvais me mettre à l’abri dans le couloir, derrière Fargrim et Goth qui se battaient furieusement contre trois squelettes.
« Ma prière n’aura pas d’effet encore longtemps ! » cria le prêtre. Je m’empressai de me rendre utile en sortant mon arc, imité par Wulf. Mes deux premières flèches abattirent un zombie, mais il se releva… Marthammer en pulvérisa un autre, définitivement, cette fois. Nos deux combattants au corps à corps reculèrent alors à leur tour dans le couloir. Wulf et moi décochèrent chacun un trait vers l’un des deux zombies restants qui poursuivaient le prêtre et le guerrier. Nos deux flèches le transpercèrent à hauteur de l’emplacement où se trouvait son cœur autrefois. Il s’effondra, sans se relever. Le nain lança sa flamme sacrée sur le dernier debout, puis Goth lui porta un coup de même que Wulfwig, qui, ayant épuisé son stock de flèches, avait sorti son épée. Les trois attaques combinées blessèrent le squelette, sans le tuer. Coriace… J’encochai une flèche, fermai un œil, ajustai la cible et décochai. Le trait lui arracha ce qui lui restait de tête, mettant — provisoirement — fin à la menace mort-vivante.
À l’autre extrémité du couloir, le crâne volant flottait, mais ne semblait pas vouloir s’engager dans le corridor… Tandis que je m’approchai de Wulfwig pour transvaser une douzaine de flèches de mon carquois au sien, la mâchoire squelettique se mit à bouger. Une voix caverneuse résonna, sinistre : « Ne revenez pas ! » Puis le crâne fit demi-tour, volant vers la forge, et disparut de notre champ de vision.
Nous sommes retournés dans l’entrepôt, au milieu des tonneaux. Nous avons barricadé la porte. On se repose, à présent.
Je me suis confondu en remerciements envers Fargrim et Wulfwig, qui venaient ni plus ni moins que de m’arracher aux griffes de la mort. « Si je peux me permettre une suggestion… » me dit le nain. « C’était stupide, ne refaites pas une chose comme ça. » C’était vexant, mais, cette fois, c’était vrai.