On s’est réveillés aux aurores, et après avoir cassé la graine, on s’est attelés à préparer l’embuscade destinée à venir à bout de la bête en prenant un minimum de risques : Wulf et Pierre à distance, Goth et Fargrim derrière moi, chargé d’ouvrir la porte. Ce que je fis, juste avant de tirer à l’arc puis de reculer, me dissimulant sous une paillasse.
Ma flèche et celle de Wulfwig touchèrent l’ours-hibou, ce qui le mit en rogne. Il se précipita vers la porte. Malgré sa carrure, il parvint — avec peine — à se glisser à travers l’encadrure, prouvant qu’il était mi-ours, mi-hibou et mi-chat. Oui, ça fait trois « mi », mais c’est parce qu’une moitié est plus petite que les deux autres. Non, je n’ai pas été géomètre, pourquoi ?
Goth reçut un coup de bec qu’il esquiva facilement, et Fargrim un coup de griffe qui ne l’atteignit pas car la porte gênait les mouvements de la bestiole. Anarondo lança deux rayons ardents, mais il n’était sans doute pas réveillé (ou gêné par la mêlée) car seule la pierre du mur fut calcinée. En revanche, la position du prêtre et du guerrier, au corps-à-corps face à un adversaire entravé, était idéale, et le nain comme l’humain ne manquèrent pas d’en profiter, le premier blessant la bête à la tête de son marteau, la hache du second laissant un profond sillon sanglant dans son poitrail. Une seconde et ultime flèche de ma part acheva l’ours-hibou en se plantant dans son œil.
Escaladant le duvet sur pattes pour atteindre la pièce qui lui servait de niche, je me mis en devoir de la fouiller. Non que j’espérais y trouver grand-chose, mais que voulez-vous : conscience professionnelle. Il y avait eu un étage, dans le temps, mais il était effondré. Au milieu de la poussière et des gravats, je ne vis que du verre cassé et de vieille tables et étagères. Wulfwig et Goth, suivant le même chemin que moi, fouillèrent aussi en vain. Toutefois, en déplaçant un meuble pour s’assurer que rien n’était dissimulé dessous, le guerrier aperçut une corniche à l’étage du dessus.
Je me mis alors à tirer la carcasse de l’ours-hibou pour le ramener dans la pièce et m’en servir comme plateforme, mais la contrariante bestiole ne bougea pas d’un iota. Sentant l’œil goguenard de Goth et Wulfwig dans mon dos, je m’exclamai bien fort : « Voilà. Maintenant que mes muscles sont bien échauffés, je vais pouvoir grimper… » Joignant le geste à la parole, je m’équipai de mon matos d’escalade et franchis sans aucun problème les quelques mètres de mur qui me séparaient de la corniche, en haut.
Un coffre s’y trouvait ! Je l’examinai rapidement pour vérifier s’il était piégé, et constatant que non, je l’ouvris, sans souci car sa serrure n’était pas verrouillée. À l’intérieur : quelques pièces d’électrum et d’or, une potion rouge et deux parchemins.
Je redescendis. Je ne sais plus à qui j’ai donné la potion, mais les parchemins allèrent à Pierre. Qui me les rendit aussitôt, déclarant que ce n’était pas pour un magicien. Fargrim y jeta alors un œil, constata qu’il s’agissait d’un parchemin de silence et d’un autre de réanimation, et les fourra dans sa besace.
Je comptais le butin — 90 pièces d’électrum et 120 pièces d’or — et le répartit entre nous, en profitant pour partager aussi celui que nous avions trouvé dans le trésor du roi Groll. Puis nous nous remîmes (c’est rigolo, ce mot, « remîmes ») à charger les montures avec les armes qu’on pouvait transporter, et nous fîmes nos adieux, véritables, cette fois, au magicien…
Il y en avait pour une bonne journée de voyage jusqu’à Phandalin. Nous n’avions plus beaucoup de provisions, et il fallut fourrager dans la forêt pour trouver de quoi se sustenter, mais nous ne revinrent qu’avec de quoi alimenter environ trois personnes, aussi Fargrim décida de taper dans ses rations pour nourrir lui et Gundren.
C’est Goth qui jouait les éclaireurs. Je me tenais derrière lui, et je l’entendais taper la discute avec notre ex-employeur. Gundren s’inquiétait pour ses frangins, espérant qu’ils étaient toujours dans le coin. J’appris aussi que le doppelgänger — je me demande de quelle langue barbare peut bien venir ce mot —, celui que j’avais pris pour l’Araignée noire elle-même lorsque nous l’avions découvert sous sa forme d’elfe noir, s’appelait Vyerith. Il négociait Gundren et la carte à Groll, mais les deux n’étaient pas encore arrivés à un accord lorsque nous avions déboulé pour nous occuper de leur cas, ce qui faisait penser au prospecteur que l’Araignée noire n’avait pas encore trouvé l’Écho-des-Vagues.
L’après-midi devait être bien avancé lorsque la lumière du soleil déclinant dessina sur le chemin l’ombre colossale d’une créature… L’espace d’un instant, je crus qu’il s’agissait d’un ours-hibou, mais, heureusement, ce n’était qu’un ogre.
« Grumbl… grumbl… Manger… Moi détruire votre sale tête… »
Son élocution étant aussi pataude que son allure, j’avais le temps de jouer les écureuils. Une grosse branche d’un grand chêne me fit office de poste de tir, le feuillage me dissimulant en prime. Une pluie de projectiles s’abattit sur la créature tandis qu’elle venait au contact : flèches, flamme sacrée, javeline… Si le sort du prêtre passa à côté de sa cible, les traits s’enfoncèrent tous dans sa chair, et pourtant aucun ne fit ne serait-ce que la ralentir !
L’ogre envoya un violent coup de gourdin qui visait Goth. Le guerrier se baissa à temps pour esquiver, et le coup déracina l’arbre qui se trouvait à côté à la place. Profitant de ce que j’étais à portée, je me faufilai entre les branchages et sautai sur son dos. J’avais en tête un plan astucieux qui consistait à le distraire pendant que mes compagnons s’occuperaient de lui, et, tout en m’accrochant à ce que je pouvais trouver comme prise, je… sortis une cloche de mon sac, et la fis tinter à ses oreilles.
Ce stratagème aussi brillant qu’original ne produisit pourtant pas d’effet. Probablement avais-je surestimé les capacités cognitives de l’ennemi. Il fit moins le malin (si j’ose dire) au moment où une seconde flèche de Wulfwig lui transperça le torse. La blessure était profonde et l’ogre commença, enfin, à saigner abondamment. Il garda toutefois suffisamment de lucidité pour esquiver une deuxième flamme sacrée du nain, mais Goth enchaîna avec un coup de hache vicieux dans le bas du ventre, qui lui arracha un hurlement de douleur. Malheureusement pour le guerrier, la riposte fut foudroyante et il ne put esquiver un coup de gourdin vengeur, qui l’envoya valdinguer à plusieurs mètres. Ouch. J’eus mal pour lui.
J’étais toujours sur son dos. J’avais sorti Arguy pour abaisser les débats à un niveau compréhensible de l’adversaire, mais mes coups n’arrivaient pas à transpercer le cuir, trop épais, de la créature ! Heureusement, Wulfwig et Fargrim, qui continuaient de le cribler de projectiles, obtinrent davantage de succès : une nouvelle flèche lui arracha un ultime cri, et, ivre de douleur, il ne put, cette fois, éviter la flamme sacrée qui lui arrivait droit sur la tête. Son visage s’embrasa, et il s’écroula. Ça lui apprendra à ne pas conjuguer ses verbes.
Nous nous rassemblâmes tous autour de Goth, qui se relevait. Sonné par le coup, il ne semblait toutefois pas souffrir de blessures graves, l’armure ayant encaissé la plus grosse partie de l’impact. Nous nous accordâmes tout de même un bref répit avant de nous remettre en route.
Le soleil n’était plus qu’un souvenir rougeoyant à l’ouest lorsque les toits de Phandalin apparurent à l’horizon, et chacun prit alors congé des autres avec la promesse de se retrouver le lendemain matin pour refourguer le matos chouravé au château, se rééquiper et aviser de la suite. Je suis de retour dans la ferme familiale ; Carpe n’a pratiquement pas touché à son dîner, au grand désespoir de sa mère, tant il buvait mes paroles pendant que je leur racontais nos aventures. Je crains pour ma pauvre tante Qelline avoir fait naître une future vocation…
Ma flèche et celle de Wulfwig touchèrent l’ours-hibou, ce qui le mit en rogne. Il se précipita vers la porte. Malgré sa carrure, il parvint — avec peine — à se glisser à travers l’encadrure, prouvant qu’il était mi-ours, mi-hibou et mi-chat. Oui, ça fait trois « mi », mais c’est parce qu’une moitié est plus petite que les deux autres. Non, je n’ai pas été géomètre, pourquoi ?
Goth reçut un coup de bec qu’il esquiva facilement, et Fargrim un coup de griffe qui ne l’atteignit pas car la porte gênait les mouvements de la bestiole. Anarondo lança deux rayons ardents, mais il n’était sans doute pas réveillé (ou gêné par la mêlée) car seule la pierre du mur fut calcinée. En revanche, la position du prêtre et du guerrier, au corps-à-corps face à un adversaire entravé, était idéale, et le nain comme l’humain ne manquèrent pas d’en profiter, le premier blessant la bête à la tête de son marteau, la hache du second laissant un profond sillon sanglant dans son poitrail. Une seconde et ultime flèche de ma part acheva l’ours-hibou en se plantant dans son œil.
Escaladant le duvet sur pattes pour atteindre la pièce qui lui servait de niche, je me mis en devoir de la fouiller. Non que j’espérais y trouver grand-chose, mais que voulez-vous : conscience professionnelle. Il y avait eu un étage, dans le temps, mais il était effondré. Au milieu de la poussière et des gravats, je ne vis que du verre cassé et de vieille tables et étagères. Wulfwig et Goth, suivant le même chemin que moi, fouillèrent aussi en vain. Toutefois, en déplaçant un meuble pour s’assurer que rien n’était dissimulé dessous, le guerrier aperçut une corniche à l’étage du dessus.
Je me mis alors à tirer la carcasse de l’ours-hibou pour le ramener dans la pièce et m’en servir comme plateforme, mais la contrariante bestiole ne bougea pas d’un iota. Sentant l’œil goguenard de Goth et Wulfwig dans mon dos, je m’exclamai bien fort : « Voilà. Maintenant que mes muscles sont bien échauffés, je vais pouvoir grimper… » Joignant le geste à la parole, je m’équipai de mon matos d’escalade et franchis sans aucun problème les quelques mètres de mur qui me séparaient de la corniche, en haut.
Un coffre s’y trouvait ! Je l’examinai rapidement pour vérifier s’il était piégé, et constatant que non, je l’ouvris, sans souci car sa serrure n’était pas verrouillée. À l’intérieur : quelques pièces d’électrum et d’or, une potion rouge et deux parchemins.
Je redescendis. Je ne sais plus à qui j’ai donné la potion, mais les parchemins allèrent à Pierre. Qui me les rendit aussitôt, déclarant que ce n’était pas pour un magicien. Fargrim y jeta alors un œil, constata qu’il s’agissait d’un parchemin de silence et d’un autre de réanimation, et les fourra dans sa besace.
Je comptais le butin — 90 pièces d’électrum et 120 pièces d’or — et le répartit entre nous, en profitant pour partager aussi celui que nous avions trouvé dans le trésor du roi Groll. Puis nous nous remîmes (c’est rigolo, ce mot, « remîmes ») à charger les montures avec les armes qu’on pouvait transporter, et nous fîmes nos adieux, véritables, cette fois, au magicien…
Il y en avait pour une bonne journée de voyage jusqu’à Phandalin. Nous n’avions plus beaucoup de provisions, et il fallut fourrager dans la forêt pour trouver de quoi se sustenter, mais nous ne revinrent qu’avec de quoi alimenter environ trois personnes, aussi Fargrim décida de taper dans ses rations pour nourrir lui et Gundren.
C’est Goth qui jouait les éclaireurs. Je me tenais derrière lui, et je l’entendais taper la discute avec notre ex-employeur. Gundren s’inquiétait pour ses frangins, espérant qu’ils étaient toujours dans le coin. J’appris aussi que le doppelgänger — je me demande de quelle langue barbare peut bien venir ce mot —, celui que j’avais pris pour l’Araignée noire elle-même lorsque nous l’avions découvert sous sa forme d’elfe noir, s’appelait Vyerith. Il négociait Gundren et la carte à Groll, mais les deux n’étaient pas encore arrivés à un accord lorsque nous avions déboulé pour nous occuper de leur cas, ce qui faisait penser au prospecteur que l’Araignée noire n’avait pas encore trouvé l’Écho-des-Vagues.
L’après-midi devait être bien avancé lorsque la lumière du soleil déclinant dessina sur le chemin l’ombre colossale d’une créature… L’espace d’un instant, je crus qu’il s’agissait d’un ours-hibou, mais, heureusement, ce n’était qu’un ogre.
« Grumbl… grumbl… Manger… Moi détruire votre sale tête… »
Son élocution étant aussi pataude que son allure, j’avais le temps de jouer les écureuils. Une grosse branche d’un grand chêne me fit office de poste de tir, le feuillage me dissimulant en prime. Une pluie de projectiles s’abattit sur la créature tandis qu’elle venait au contact : flèches, flamme sacrée, javeline… Si le sort du prêtre passa à côté de sa cible, les traits s’enfoncèrent tous dans sa chair, et pourtant aucun ne fit ne serait-ce que la ralentir !
L’ogre envoya un violent coup de gourdin qui visait Goth. Le guerrier se baissa à temps pour esquiver, et le coup déracina l’arbre qui se trouvait à côté à la place. Profitant de ce que j’étais à portée, je me faufilai entre les branchages et sautai sur son dos. J’avais en tête un plan astucieux qui consistait à le distraire pendant que mes compagnons s’occuperaient de lui, et, tout en m’accrochant à ce que je pouvais trouver comme prise, je… sortis une cloche de mon sac, et la fis tinter à ses oreilles.
Ce stratagème aussi brillant qu’original ne produisit pourtant pas d’effet. Probablement avais-je surestimé les capacités cognitives de l’ennemi. Il fit moins le malin (si j’ose dire) au moment où une seconde flèche de Wulfwig lui transperça le torse. La blessure était profonde et l’ogre commença, enfin, à saigner abondamment. Il garda toutefois suffisamment de lucidité pour esquiver une deuxième flamme sacrée du nain, mais Goth enchaîna avec un coup de hache vicieux dans le bas du ventre, qui lui arracha un hurlement de douleur. Malheureusement pour le guerrier, la riposte fut foudroyante et il ne put esquiver un coup de gourdin vengeur, qui l’envoya valdinguer à plusieurs mètres. Ouch. J’eus mal pour lui.
J’étais toujours sur son dos. J’avais sorti Arguy pour abaisser les débats à un niveau compréhensible de l’adversaire, mais mes coups n’arrivaient pas à transpercer le cuir, trop épais, de la créature ! Heureusement, Wulfwig et Fargrim, qui continuaient de le cribler de projectiles, obtinrent davantage de succès : une nouvelle flèche lui arracha un ultime cri, et, ivre de douleur, il ne put, cette fois, éviter la flamme sacrée qui lui arrivait droit sur la tête. Son visage s’embrasa, et il s’écroula. Ça lui apprendra à ne pas conjuguer ses verbes.
Nous nous rassemblâmes tous autour de Goth, qui se relevait. Sonné par le coup, il ne semblait toutefois pas souffrir de blessures graves, l’armure ayant encaissé la plus grosse partie de l’impact. Nous nous accordâmes tout de même un bref répit avant de nous remettre en route.
Le soleil n’était plus qu’un souvenir rougeoyant à l’ouest lorsque les toits de Phandalin apparurent à l’horizon, et chacun prit alors congé des autres avec la promesse de se retrouver le lendemain matin pour refourguer le matos chouravé au château, se rééquiper et aviser de la suite. Je suis de retour dans la ferme familiale ; Carpe n’a pratiquement pas touché à son dîner, au grand désespoir de sa mère, tant il buvait mes paroles pendant que je leur racontais nos aventures. Je crains pour ma pauvre tante Qelline avoir fait naître une future vocation…