De retour chez tantine ! Je suis très tenté de faire une sieste, car l’alcool de l’auberge me tape un peu sur la caboche, mais d’un autre côté ça m’inspire. En plus, j’ai encore jamais écrit bourré.
Comme prévu, on a atteint le campement des orques le lendemain de la nuit des morts-viv… Euh, des gobelins. On n’a eu aucun mal à en trouver l’emplacement. Il ne s’agissait en fait de rien d’autre que d’une caverne à laquelle un affleurement rocheux à flanc de colline offrait une entrée des plus discrètes, n’eût été la sentinelle qui montait la garde devant. J’ai proposé de m’approcher discrètement pour l’attaquer dans le dos. Un seul Argument a suffi (ce n’est pas pour rien qu’il est Ultime).
Restait à extirper les autres orques de leur trou. J’ai imité le cri de la galinette cendrée, mais ça n’a pas vraiment eu d’effet. Pierre a proposé de créer une illusion pour les faire sortir. Pendant qu’on tergiversait, Goth fouillait l’orque mort et s’emparait de ses deux javelines. Puis, comme la discussion traînait trop à mon goût, j’ai proposé de ramper dans le boyau pour les compter et faire avancer le Schmilblick (un artéfact hobbit qui a donné naissance à l’expression susdite).
Je me suis donc mis à avancer à plat ventre dans l’étroit et sombre corridor, m’arrêtant le temps que mes yeux s’habituent à l’obscurité. Ça m’a rappelé l’époque où j’étais mineur. J’ai fini par entendre des voix, puis à apercevoir nos gonzes, assis autour d’un feu. Cinq orques vêtus de peaux de bêtes, dont un nettement plus balèze que les autres — à n’en point douter le sage du groupe —, et, un peu à l’écart, un machin encore plus gros : un ogre, rien que ça. Dans un coin de la grotte était aussi posé un coffre usé et ouvert dans lequel les orques piochaient de temps à autre des trucs qui brillaient presque autant que mes yeux…
Mon inspection faite, je suis discrètement ressorti à l’air libre. J’ai proposé qu’on les enfume. On m’a dit non. Alors Goth, après avoir caché le corps de la sentinelle, a suggéré que Wulfwig et moi pénétrions de nouveau dans la grotte pour les attaquer par surprise et les attirer au dehors, où Pierre et lui les cueilleraient. J’aurais préféré les enfumer.
Comme je suis un bon camarade, j’ai quand même suivi le plan. Arrivé à l’entrée de la caverne, j’ai tiré sur le chef, je l’ai blessé, il a gueulé, il s’est retourné, Wulf a tiré, il l’a encore blessé, il a encore gueulé, on s’est cassés.
Sorti du boyau, je me suis stratégiquement positionné loin de l’action pendant que Goth ratait une javeline (c’est un raccourci pour « lançait une javeline qui ratait sa cible », car je sens que je vais l’écrire souvent) et qu’Anarondo balançait son sort, celui qui décoiffe et enrhume — oui, le vent, voilà.
Goth bloquait l’entrée pour barrer le chemin aux peaux-vertes qui réussissaient à s’approcher, vite rejoint par Wulfwig après que ce dernier a pris le soin de rater sa flèche — bon, je ne lui jette pas l’Anarondo car je n’ai pas non plus été beaucoup en veine avec mon propre arc. À eux deux, ils sont venus à bout d’un orque tandis que j’en achevais un deuxième d’une flèche dans la gorge. Je ne sais si c’est le vent qui perturbait tout ce petit monde, mais c’était un vrai festival d’attaques ratées ou inefficaces de part et d’autre, jusqu’à ce qu’un miracle se produise, et que Goth touche l’ogre — qui venait de se faire refouler par le vent — avec sa javeline ! Galvanisés, Wulf et moi achevions un autre orque, puis Goth et Wulf un quatrième tandis que j’aggravais les blessures de l’ogre à l’arc. Notre guerrier commençait lui aussi à prendre cher, ceci dit, et s’est mangé à ce moment un violent coup de gourdin dans la mâchoire qui lui a fait cracher du sang et peut-être quelques dents… Sans son armure, sa tête aurait sans nul doute décrit une jolie parabole.
Nos deux guerriers continuaient de blesser l’ogre mais ce dernier tenait toujours, alors j’ai décidé de prendre les choses en main : une élégante glissade entre mes deux compagnons suivie d’une non moins somptueuse roulade entre les jambes de la créature, une demi-volte des plus gracieuses, un Argument Ultime entre les omoplates, et hop ! a p’us d’ogre.
Ne restait plus que le chef. Goth l’a chargé mais c’est lui qui a pris le coup. Wulf a tiré mais l’a raté. Deux fois. Bon, moi aussi, mais juste une fois. Je me suis retourné vers l’orque en râlant : « Mais t’es encore là, toi ? » Comme ça m’énervait, j’ai refait le coup de l’ogre, et sproutch ! le débat s’est conclu.
Une fouille rapide des corps n’a pas donné grand-chose à part quelques javelines, mais Goth n’a pas voulu les prendre, je me demande bien pourquoi… Détail intéressant : les orques portaient tous sur eux un dessin représentant une multitude de flèches. Aucune idée de ce qu’il peut signifier.
Une rapide inspection du terrain par Wulfwig nous a appris que d’autres orques étaient potentiellement en train de se balader dans la nature — certainement pour cueillir des fleurs —, aussi Goth est resté monter la garde pendant qu’on s’enfonçait de nouveau dans la crevasse, où ne nous attendaient que des braises, les paillasses des peaux-vertes, une bannière mal fichue avec toujours le même dessin dessus et surtout le coffre, que je me suis empressé de fouiller : des pièces de différentes couleurs, quelques objets cassés — probablement fruits de rapines — et trois petites fioles de parfum ouvragées qui devaient valoir un bon prix. Ramenant le coffre à l’air libre avec Wulfwig, je me suis mis en devoir de compter le butin. Il se montait à 750 pièces de cuivre, 180 pièces d’argent, 62 pièces d’électrum et 30 pièces d’or, que j’ai aussitôt réparties entre nous quatre, en accordant une pièce de cuivre supplémentaire à Wulf et Goth parce que je suis trop bon. En contrepartie, j’ai juste gardé les bouteilles de parfum…
Pendant que je comptais, les autres discutaient de la suite. Il fut décidé de couper à travers la forêt pour gagner du temps, mais Wulfwig nous a fait passer par la mauvaise colline le premier jour, ce qui nous a un peu ralentis. Tout ça parce qu’il avait « le soleil dans les yeux », d’après lui. Heureusement, le deuxième jour, on a retrouvé la piste et un ours-hibou. Finalement, je préférais la forêt.
Wulf lui a tiré une flèche de bienvenue, mais elle a disparu dans ses plumes. Ça a dû mettre la bestiole en rogne, parce qu’elle a bien amoché notre archer, le blessant à trois reprises. Je sais pas si sa tête a été touchée, mais à un moment il a dégainé son épée et déclaré qu’il allait taper sur sa flèche avec parce que « comme ça, c’est plus efficace ». J’ignore ce qui m’a le plus perturbé : son raisonnement ou le fait qu’il a bel et bien réussi à toucher l’ours-hibou…
Heureusement, à ses côtés, Goth était en feu, son armure arrêtant les coups de griffes et de bec de la créature et sa hache faisant jaillir de grosses gerbes de sang des divers membres de l’animal, qui s’est mis à pousser d’horribles cris mi-ours, mi-hibou et re-mi-ours derrière. Pour ma part, après une flèche ratée — mais c’est parce que j’avais le soleil dans les yeux —, j’ai voulu venir au corps à corps pour retenter le coup de la veille, mais l’ours-hibou étant visiblement moins bigleux qu’on ogre ou un orque, j’ai décidé de plutôt me cacher dans ses plumes jusqu’à la fin du combat. C’est finalement Anarondo — bien mutique depuis quelque temps, d’ailleurs — qui a fait mourir la bête de froid avec ses rayons de givre. Ç’te blague.
Inutile de dire qu’on a accueilli le repos du soir avec soulagement — surtout Wulf, qui en avait bien besoin. Je me suis vite endormi, mais j’ai de nouveau fait un rêve bizarre, dans lequel je voyais un dé géant rouler devant moi avant de se métamorphoser en ours-hibou… À ce moment-là, une voix étrange venue de nulle part a déclaré qu’on avait déjà affronté un ours-hibou et donc qu’elle relançait le dé… Une piqûre au bras m’a alors sorti de mon sommeil. Deux moustiques géants s’étaient approchés de moi, et l’un d’eux était en train de me pomper le sang ! J’aurais préféré l’ours-hibou.
J’ai aussitôt bondi et dégainé Arguy pour me débarrasser de ses saloperies (des striges, je crois qu’on les appelle (perso, je les appelle pas : je les bute)). Wulfwig, dont c’était le tour de garde, était en train de se faire bouffer par pas moins de quatre moustiques, et un autre était sur Anarondo. Goth, lui, pionçait toujours comme un bienheureux, indifférent à tout ce ramdam, mais Wulf lui a mis un coup de tatane et il a alors daigné ouvrir les yeux. Il s’est précipité vers moi pour m’aider, mais son premier coup de hache n’a fendu que l’air et il s’en est fallu de peu pour que le deuxième ne me décapite ! Bon, ça aura au moins eu le mérite de détourner vers lui l’attention d’un de mes deux moustiques.
Pendant que chacun charcutait sa bestiole, Pierre aidait le pauvre Wulfwig à se débarrasser des autres à coups de projectiles magiques. Une fois le dernier écrabouillé, tout le monde a repris son souffle. Pour compenser le sommeil perdu à cause de cette nuit quelque peu écourtée, on a décidé de faire un gros petit déjeuner avant de repartir à l’aube du troisième jour.
Au bout de quelques heures de marche, on a aperçu une fumée un peu à l’écart de la piste. J’ai décidé d’aller discrètement faire un tour, talonné par Wulfwig, pour investiguer. Nous avons trouvé un petit feu de camp sur lequel chauffait une casserole d’eau. Un sac de couchage était étendu à côté. Le propriétaire du campement n’a pas tardé à se montrer, revenant avec du petit bois pour alimenter le foyer. Il était vêtu d’un manteau rouge, et j’ai aussitôt reconnu un de mes anciens camarades, celui-là même qui s’était enfui comme si le diable était à ses trousses cette fameuse nuit sous le manoir…
J’ai fait signe à Wulfwig de rester où il était pour me couvrir tandis que je m’approchais en douce de mon ancien ami. C’est que je suis pudique, et que je préfère que l’évocation émue de notre franche camaraderie d’antan ne tombe pas dans des oreilles indélicates. M’approchant sans bruit dans sos dos, je me suis mis en devoir de le saluer d’un coup de pommeau derrière la tête, mais ce rustre a esquivé mes civilités.
Cléon — c’est son nom — a paru particulièrement surpris de me voir — et un peu paniqué, aussi. Comme j’étais peiné qu’il porte la main à son épée, j’ai fait signe à Wulfwig de tirer une flèche aux pieds de mon ex-camarade et néanmoins ex-ami, histoire qu’il se tienne tranquille.
Il faut que vous sachiez qu’à une époque pas si lointaine, notre petite bande de brillants entrepreneurs avait monté une affaire qui marchait du tonnerre. Je vous épargne les détails, qui seraient sans nul doute ennuyeux au lecteur plus friand, je n’en doute point, de récits épiques que de mornes explications mercantiles, mais sachez que je n’étais pas le dernier à faire fructifier notre commerce. Cela devait susciter quelques jalousies dans mon entourage, car un beau jour (ou plutôt une sale nuit), je fus ignominieusement accusé d’avoir piqué de l’argent dans la caisse commune. Depuis ce jour, je n’ai eu de cesse de chercher à découvrir qui m’avait ainsi mis au ban de la bande. Alors j’ai fait les gros yeux à Cléon et je lui ai posé la question… mais sa réponse m’a laissé aussi perplexe que son air : « Mais, Aurel, tout le monde t’a vu ! » Gné ? J’ai eu beau clamer mon innocence, il n’en démordait pas : ils étaient cinq à prétendument m’avoir vu voler le fruit de notre dur labeur cette nuit-là. Outre lui, il y avait Marc, Nib, Dréon, et Koryk, qui m’aurait vu m’enfuir…
Je n’entravais que pouic. Je sais bien, moi, que ce n’était pas moi, alors qu’ont-ils bien pu voir ? Était-ce une illusion ? Faudra que je demande à Anarondo si un tel tour de passe-passe est possible. Ou alors j’ai un frère jumeau et je ne le savais pas. Faudra que je demande à tantine, tiens.
Bon, au final, ça m’a gavé, alors j’ai tourné les talons en laissant Cléon l’inutile comme deux ronds de flanc, et j’ai dit à Wulfwig : « C’est un troufion, il vaut pas la peine, on s’casse. » On a rejoint Goth, Anarondo et Pendouillette. J’ai expliqué que le mec était un Redbrand, mais qu’il n’était plus dangereux et ne présentait aucun intérêt.
La dernière nuit à la belle étoile s’est — enfin… — déroulée sans rencontre inopportune. Je m’attendais presque à voir des orques à tête d’ours-hibou chevaucher des striges pour nous attaquer, après toutes nos emmerdes des derniers jours. La fin du trajet jusqu’à Phandalin s’est faite sans histoires. Comme il était midi, on a décidé que l’auberge serait notre première étape, parce qu’on avait bien mérité un bon repas et la boisson réglementaire pour aider à glisser ledit repas dans nos gosiers. Les autres sont restés à l’auberge après le déjeuner. Perso, je ne comptais pas payer davantage que les cinq pièces d’argent du couvert alors que le gîte m’attendait chez tante Qelline, aussi on a convenu de se retrouver le lendemain. Une demi-journée de repos ne peut que nous faire le plus grand bien.
Hic !
Comme prévu, on a atteint le campement des orques le lendemain de la nuit des morts-viv… Euh, des gobelins. On n’a eu aucun mal à en trouver l’emplacement. Il ne s’agissait en fait de rien d’autre que d’une caverne à laquelle un affleurement rocheux à flanc de colline offrait une entrée des plus discrètes, n’eût été la sentinelle qui montait la garde devant. J’ai proposé de m’approcher discrètement pour l’attaquer dans le dos. Un seul Argument a suffi (ce n’est pas pour rien qu’il est Ultime).
Restait à extirper les autres orques de leur trou. J’ai imité le cri de la galinette cendrée, mais ça n’a pas vraiment eu d’effet. Pierre a proposé de créer une illusion pour les faire sortir. Pendant qu’on tergiversait, Goth fouillait l’orque mort et s’emparait de ses deux javelines. Puis, comme la discussion traînait trop à mon goût, j’ai proposé de ramper dans le boyau pour les compter et faire avancer le Schmilblick (un artéfact hobbit qui a donné naissance à l’expression susdite).
Je me suis donc mis à avancer à plat ventre dans l’étroit et sombre corridor, m’arrêtant le temps que mes yeux s’habituent à l’obscurité. Ça m’a rappelé l’époque où j’étais mineur. J’ai fini par entendre des voix, puis à apercevoir nos gonzes, assis autour d’un feu. Cinq orques vêtus de peaux de bêtes, dont un nettement plus balèze que les autres — à n’en point douter le sage du groupe —, et, un peu à l’écart, un machin encore plus gros : un ogre, rien que ça. Dans un coin de la grotte était aussi posé un coffre usé et ouvert dans lequel les orques piochaient de temps à autre des trucs qui brillaient presque autant que mes yeux…
Mon inspection faite, je suis discrètement ressorti à l’air libre. J’ai proposé qu’on les enfume. On m’a dit non. Alors Goth, après avoir caché le corps de la sentinelle, a suggéré que Wulfwig et moi pénétrions de nouveau dans la grotte pour les attaquer par surprise et les attirer au dehors, où Pierre et lui les cueilleraient. J’aurais préféré les enfumer.
Comme je suis un bon camarade, j’ai quand même suivi le plan. Arrivé à l’entrée de la caverne, j’ai tiré sur le chef, je l’ai blessé, il a gueulé, il s’est retourné, Wulf a tiré, il l’a encore blessé, il a encore gueulé, on s’est cassés.
Sorti du boyau, je me suis stratégiquement positionné loin de l’action pendant que Goth ratait une javeline (c’est un raccourci pour « lançait une javeline qui ratait sa cible », car je sens que je vais l’écrire souvent) et qu’Anarondo balançait son sort, celui qui décoiffe et enrhume — oui, le vent, voilà.
Goth bloquait l’entrée pour barrer le chemin aux peaux-vertes qui réussissaient à s’approcher, vite rejoint par Wulfwig après que ce dernier a pris le soin de rater sa flèche — bon, je ne lui jette pas l’Anarondo car je n’ai pas non plus été beaucoup en veine avec mon propre arc. À eux deux, ils sont venus à bout d’un orque tandis que j’en achevais un deuxième d’une flèche dans la gorge. Je ne sais si c’est le vent qui perturbait tout ce petit monde, mais c’était un vrai festival d’attaques ratées ou inefficaces de part et d’autre, jusqu’à ce qu’un miracle se produise, et que Goth touche l’ogre — qui venait de se faire refouler par le vent — avec sa javeline ! Galvanisés, Wulf et moi achevions un autre orque, puis Goth et Wulf un quatrième tandis que j’aggravais les blessures de l’ogre à l’arc. Notre guerrier commençait lui aussi à prendre cher, ceci dit, et s’est mangé à ce moment un violent coup de gourdin dans la mâchoire qui lui a fait cracher du sang et peut-être quelques dents… Sans son armure, sa tête aurait sans nul doute décrit une jolie parabole.
Nos deux guerriers continuaient de blesser l’ogre mais ce dernier tenait toujours, alors j’ai décidé de prendre les choses en main : une élégante glissade entre mes deux compagnons suivie d’une non moins somptueuse roulade entre les jambes de la créature, une demi-volte des plus gracieuses, un Argument Ultime entre les omoplates, et hop ! a p’us d’ogre.
Ne restait plus que le chef. Goth l’a chargé mais c’est lui qui a pris le coup. Wulf a tiré mais l’a raté. Deux fois. Bon, moi aussi, mais juste une fois. Je me suis retourné vers l’orque en râlant : « Mais t’es encore là, toi ? » Comme ça m’énervait, j’ai refait le coup de l’ogre, et sproutch ! le débat s’est conclu.
Une fouille rapide des corps n’a pas donné grand-chose à part quelques javelines, mais Goth n’a pas voulu les prendre, je me demande bien pourquoi… Détail intéressant : les orques portaient tous sur eux un dessin représentant une multitude de flèches. Aucune idée de ce qu’il peut signifier.
Une rapide inspection du terrain par Wulfwig nous a appris que d’autres orques étaient potentiellement en train de se balader dans la nature — certainement pour cueillir des fleurs —, aussi Goth est resté monter la garde pendant qu’on s’enfonçait de nouveau dans la crevasse, où ne nous attendaient que des braises, les paillasses des peaux-vertes, une bannière mal fichue avec toujours le même dessin dessus et surtout le coffre, que je me suis empressé de fouiller : des pièces de différentes couleurs, quelques objets cassés — probablement fruits de rapines — et trois petites fioles de parfum ouvragées qui devaient valoir un bon prix. Ramenant le coffre à l’air libre avec Wulfwig, je me suis mis en devoir de compter le butin. Il se montait à 750 pièces de cuivre, 180 pièces d’argent, 62 pièces d’électrum et 30 pièces d’or, que j’ai aussitôt réparties entre nous quatre, en accordant une pièce de cuivre supplémentaire à Wulf et Goth parce que je suis trop bon. En contrepartie, j’ai juste gardé les bouteilles de parfum…
Pendant que je comptais, les autres discutaient de la suite. Il fut décidé de couper à travers la forêt pour gagner du temps, mais Wulfwig nous a fait passer par la mauvaise colline le premier jour, ce qui nous a un peu ralentis. Tout ça parce qu’il avait « le soleil dans les yeux », d’après lui. Heureusement, le deuxième jour, on a retrouvé la piste et un ours-hibou. Finalement, je préférais la forêt.
Wulf lui a tiré une flèche de bienvenue, mais elle a disparu dans ses plumes. Ça a dû mettre la bestiole en rogne, parce qu’elle a bien amoché notre archer, le blessant à trois reprises. Je sais pas si sa tête a été touchée, mais à un moment il a dégainé son épée et déclaré qu’il allait taper sur sa flèche avec parce que « comme ça, c’est plus efficace ». J’ignore ce qui m’a le plus perturbé : son raisonnement ou le fait qu’il a bel et bien réussi à toucher l’ours-hibou…
Heureusement, à ses côtés, Goth était en feu, son armure arrêtant les coups de griffes et de bec de la créature et sa hache faisant jaillir de grosses gerbes de sang des divers membres de l’animal, qui s’est mis à pousser d’horribles cris mi-ours, mi-hibou et re-mi-ours derrière. Pour ma part, après une flèche ratée — mais c’est parce que j’avais le soleil dans les yeux —, j’ai voulu venir au corps à corps pour retenter le coup de la veille, mais l’ours-hibou étant visiblement moins bigleux qu’on ogre ou un orque, j’ai décidé de plutôt me cacher dans ses plumes jusqu’à la fin du combat. C’est finalement Anarondo — bien mutique depuis quelque temps, d’ailleurs — qui a fait mourir la bête de froid avec ses rayons de givre. Ç’te blague.
Inutile de dire qu’on a accueilli le repos du soir avec soulagement — surtout Wulf, qui en avait bien besoin. Je me suis vite endormi, mais j’ai de nouveau fait un rêve bizarre, dans lequel je voyais un dé géant rouler devant moi avant de se métamorphoser en ours-hibou… À ce moment-là, une voix étrange venue de nulle part a déclaré qu’on avait déjà affronté un ours-hibou et donc qu’elle relançait le dé… Une piqûre au bras m’a alors sorti de mon sommeil. Deux moustiques géants s’étaient approchés de moi, et l’un d’eux était en train de me pomper le sang ! J’aurais préféré l’ours-hibou.
J’ai aussitôt bondi et dégainé Arguy pour me débarrasser de ses saloperies (des striges, je crois qu’on les appelle (perso, je les appelle pas : je les bute)). Wulfwig, dont c’était le tour de garde, était en train de se faire bouffer par pas moins de quatre moustiques, et un autre était sur Anarondo. Goth, lui, pionçait toujours comme un bienheureux, indifférent à tout ce ramdam, mais Wulf lui a mis un coup de tatane et il a alors daigné ouvrir les yeux. Il s’est précipité vers moi pour m’aider, mais son premier coup de hache n’a fendu que l’air et il s’en est fallu de peu pour que le deuxième ne me décapite ! Bon, ça aura au moins eu le mérite de détourner vers lui l’attention d’un de mes deux moustiques.
Pendant que chacun charcutait sa bestiole, Pierre aidait le pauvre Wulfwig à se débarrasser des autres à coups de projectiles magiques. Une fois le dernier écrabouillé, tout le monde a repris son souffle. Pour compenser le sommeil perdu à cause de cette nuit quelque peu écourtée, on a décidé de faire un gros petit déjeuner avant de repartir à l’aube du troisième jour.
Au bout de quelques heures de marche, on a aperçu une fumée un peu à l’écart de la piste. J’ai décidé d’aller discrètement faire un tour, talonné par Wulfwig, pour investiguer. Nous avons trouvé un petit feu de camp sur lequel chauffait une casserole d’eau. Un sac de couchage était étendu à côté. Le propriétaire du campement n’a pas tardé à se montrer, revenant avec du petit bois pour alimenter le foyer. Il était vêtu d’un manteau rouge, et j’ai aussitôt reconnu un de mes anciens camarades, celui-là même qui s’était enfui comme si le diable était à ses trousses cette fameuse nuit sous le manoir…
J’ai fait signe à Wulfwig de rester où il était pour me couvrir tandis que je m’approchais en douce de mon ancien ami. C’est que je suis pudique, et que je préfère que l’évocation émue de notre franche camaraderie d’antan ne tombe pas dans des oreilles indélicates. M’approchant sans bruit dans sos dos, je me suis mis en devoir de le saluer d’un coup de pommeau derrière la tête, mais ce rustre a esquivé mes civilités.
Cléon — c’est son nom — a paru particulièrement surpris de me voir — et un peu paniqué, aussi. Comme j’étais peiné qu’il porte la main à son épée, j’ai fait signe à Wulfwig de tirer une flèche aux pieds de mon ex-camarade et néanmoins ex-ami, histoire qu’il se tienne tranquille.
Il faut que vous sachiez qu’à une époque pas si lointaine, notre petite bande de brillants entrepreneurs avait monté une affaire qui marchait du tonnerre. Je vous épargne les détails, qui seraient sans nul doute ennuyeux au lecteur plus friand, je n’en doute point, de récits épiques que de mornes explications mercantiles, mais sachez que je n’étais pas le dernier à faire fructifier notre commerce. Cela devait susciter quelques jalousies dans mon entourage, car un beau jour (ou plutôt une sale nuit), je fus ignominieusement accusé d’avoir piqué de l’argent dans la caisse commune. Depuis ce jour, je n’ai eu de cesse de chercher à découvrir qui m’avait ainsi mis au ban de la bande. Alors j’ai fait les gros yeux à Cléon et je lui ai posé la question… mais sa réponse m’a laissé aussi perplexe que son air : « Mais, Aurel, tout le monde t’a vu ! » Gné ? J’ai eu beau clamer mon innocence, il n’en démordait pas : ils étaient cinq à prétendument m’avoir vu voler le fruit de notre dur labeur cette nuit-là. Outre lui, il y avait Marc, Nib, Dréon, et Koryk, qui m’aurait vu m’enfuir…
Je n’entravais que pouic. Je sais bien, moi, que ce n’était pas moi, alors qu’ont-ils bien pu voir ? Était-ce une illusion ? Faudra que je demande à Anarondo si un tel tour de passe-passe est possible. Ou alors j’ai un frère jumeau et je ne le savais pas. Faudra que je demande à tantine, tiens.
Bon, au final, ça m’a gavé, alors j’ai tourné les talons en laissant Cléon l’inutile comme deux ronds de flanc, et j’ai dit à Wulfwig : « C’est un troufion, il vaut pas la peine, on s’casse. » On a rejoint Goth, Anarondo et Pendouillette. J’ai expliqué que le mec était un Redbrand, mais qu’il n’était plus dangereux et ne présentait aucun intérêt.
La dernière nuit à la belle étoile s’est — enfin… — déroulée sans rencontre inopportune. Je m’attendais presque à voir des orques à tête d’ours-hibou chevaucher des striges pour nous attaquer, après toutes nos emmerdes des derniers jours. La fin du trajet jusqu’à Phandalin s’est faite sans histoires. Comme il était midi, on a décidé que l’auberge serait notre première étape, parce qu’on avait bien mérité un bon repas et la boisson réglementaire pour aider à glisser ledit repas dans nos gosiers. Les autres sont restés à l’auberge après le déjeuner. Perso, je ne comptais pas payer davantage que les cinq pièces d’argent du couvert alors que le gîte m’attendait chez tante Qelline, aussi on a convenu de se retrouver le lendemain. Une demi-journée de repos ne peut que nous faire le plus grand bien.
Hic !