Petite histoire de Donjons&Dragons
#3
Bon, j'avais pas eu le temps de rajouter mes commentaires le soir où j'ai posté les illustrations, donc allons-y :


OD&D
Illustration de Greg Bell.

On commence par des illustrations en noir et blanc. Pour l'anecdote, l'image du viking sur un cheval pour la boîte et le manuel du joueur (qui ne portait pas encore ce nom) a apparemment été volée à un comics de "Dr Strange" de Marvel (Strange Tales #167). Pour le manuel des monstres, qui est ici le manuel des monstres ET des trésors, et pour la seule fois de l'histoire de D&D le deuxième livre plutôt que le troisième, on a ce que je suppose être un des dragons éponymes ? Faut avouer qu'il ressemble pas à grand chose. Quant à l'hippogriffe, du moins j'imagine que c'est un hippogriffe, qui apparaît sur le livre d'aventures, soit l'équivalent du guide du maître, c'est encore pire.
On voit qu'on est encore au niveau d'une publication amateure, qui n'avait pas trouvé de financement - aucune maison d'édition à l'époque n'étant intéressée par un OVNI comme pouvait l'être le premier jeu de rôle au monde.


Greyhawk et Blackmoor
Illustrations de Greg Bell.

J'ai pas grand chose à dire sur Blackmoor, mais sur l'illustration de Greyhawk, on voit ce qui est très probablement la toute première illustration d'un beholder ! Et... Il ressemble à rien. Bon, à la base, le beholder est un monstre bizarre, une aberration, donc il ressemble déjà à pas grand chose, mais là c'est vraiment juste une boule avec un œil, une bouche et les cheveux de Méduse...
On va voir que le beholder, comme le dragon, deviendra un habitué des couvertures de D&D.


D&D Basic Set
Illustration de Sutherland.

Première illustration de couverture en couleur ! La qualité s'est largement amélioré, mais ça reste en dessous de ce qu'on attendrait d'une illustration professionnelle aujourd'hui. Plutôt ce qu'on trouverait sur la couverture d'un fanzine ou d'un jdr libre publié en PDF.
On a trois figures intéressantes qui annoncent très bien le contenu du jeu :
- en face, l'adversité, représentée par un dragon rouge, un de ces fameux dragons qui ont donné le titre, et qui plus est, assis sur son trésor tel Smaug dans Bilbo, le hobbit, image archétypique s'il en est.
- de dos, deux personnages pour représenter les joueurs : un mage et un guerrier, les deux classes d'aventurier qui sont à chaque extrémité du spectre disponible aux joueurs.
Le guerrier porte une amure complète type harnois blanc, aussi appelé armure de plates, mais visiblement ça ne l'empêche pas de porter un arc. Aujourd'hui, on s'attend plutôt à ce qu'un personnage en armure lourde porte des armes de corps-à-corps (personnage avec une Force élevée et une Dextérité basse) et qu'il laisse le tir à l'arc à un personnage plus léger, en armure de cuir par exemple (personnage avec une Dextérité élevée et Force basse). J'imagine que ce n'était pas encore spécialisé à ce point (il n'y a d'ailleurs pas de classe de Ranger dans le Basic Set de Holmes).
Le magicien est vraiment illustré à l'ancienne. Aujourd'hui, dans les illustrations pour jeu de plateau par exemple, on verrait plutôt une sorte de sosie de Gandalf : un vénérable sage, vêtu d'une robe de bure grise sobre, et appuyé sur un bâton noueux. Avec son chapeau pointu et ses vêtements bleus constellés de lunes et d'étoiles, je trouve celui-ci vraiment ridicule. On dirait plus un magicien de music-hall qui s'apprête à faire disparaître son assistante ou à la couper en deux. Ou un costume pour enfant.


B/X D&D
Illustration d'Erol Otus

Illustration visiblement refaite, avec l'apparition d'un deuxième volume, pour que la paire soit dans un style unifiée.
J'aime beaucoup la mise-en-abime, avec le personnage du deuxième volume qui utilise la divination pour observer l'action du premier volume.
Sur la couverture du volume Basic, on a encore tout ce qu'il faut pour résumer : un guerrier, un magicien, un dragon éponyme. Et l'action se passe dans un souterrain ! (Le dungeon éponyme, ce mot signifiant "cachot, oubliettes" en anglais, à la différence du mot "donjon" français qui désigne la plus haute tour d'un château.)
Le dragon n'est plus un dragon rouge, mais un dragon vert. Dans l'imaginaire, le dragon est plus souvent vert (parce que c'est la couleur des lézards), le dragon rouge étant plus propre à D&D.
Le magicien est devenue une femme, pour changer. De plus, ses vêtements font plus illustration de Pulp et moins costume pour enfant - ça pourrait être une sorcière sur un Weird Tales.
Sur la couverture du volume Expert, on a encore, en train de faire un peu de scrying au travers de la fumée d'un encensoir qui a l'air de sortir tout droit du Cabiria de 1914, un magicien dans un vêtement relativement Pulp.
Globalement, le style des deux illustrations a un côté beaucoup plus professionnel que l'édition précédente. Mais malgré leurs vêtements qui font plus "Pulp", les personnages sont encore dessinés dans un style un peu cartoon, avec leurs yeux allongés et leur profil grec un peu exagéré.


BECMI D&D
Illustration de Larry Elmore.

Alors, j'aime beaucoup ces couvertures, parce qu'elles représentent très bien l'évolution du personnage et les niveaux d'aventurier qu'on est supposé jouer aux différents stades de la campagne correspondant à chaque volume.
La continuité dans le style est évidente, et donne vraiment un caractère "unifié" à l'ensemble.

Basic (niveau 1 à 3) : à ce stade, le joueur et son personnage sont censés apprendre les principes de base de la vie d'aventurier, soit le porte-monstre-trésor. On est donc dans un souterrain, comme toutes les aventures qu'on est censé jouer à ce niveau. On a un dragon sur son trésor - c'est visiblement le boss fight final. Le personnage a un équipement correct (ce n'est donc pas un monstre), mais qui pourrait être mieux (il y a donc place à la progression, une motivation à trouver des trésors, s'enrichir et pouvoir acheter un meilleur équipement). Sans doute que son bouclier, son casque, et les parties métalliques de son armure lui donnent un réel avantage face aux créatures du donjon en peaux de bête. Mais si on observe son armure, on remarque qu'elle laisse encore ses bras et ses jambes nues. Ça lui donne peut-être plus d'agilité, mais c'est aussi plus exposé, plus dangereux, que s'il portait une armure complète - mais celle-ci est encore sans doute au-dessus de ses moyens. De plus, entre le casque à cornes, la fourrure sur le dos, et cette nudité partielle, ça donne au personnage un côté encore un peu "barbare". Encore qu'on pourrait arguer que son armure pourrait aussi être inspirée d'une tenue de gladiateur, ou de la lorica hamata (la cotte de maille des légionnaires romains).
Mais j'aime bien l'idée que le personnage n'est pas encore tout à fait "civilisé", et que ça va venir au fur et à mesure qu'il va prendre de l'expérience, un peu comme un Conan, qui commence mercenaire, voleur, pirate, pour devenir capitaine, puis général, puis roi.
Le seul truc qui me laisse un peu perplexe c'est le choix du dragon. Autant, un dragon c'est iconique de D&D, je veux dire c'est la moitié du titre, donc ça a du sens d'en mettre un pour le volume qui traite des principes de base du jeu... Mais, dans le lore de D&D, les dragons rouges, spécifiquement, sont les plus puissants des dragons maléfiques, donc c'est pas forcément un très bon choix d'adversaire pour un personnage débutant. On remarque cependant qu'il n'est pas très gros. Il est impressionnant parce que cadré très près, et c'est pas si facile à estimer parce qu'il est un peu recourbé, mais il n'est finalement pas beaucoup plus grand que l'aventurier. Le guerrier lui arrive à peu près au milieu de la poitrine. On est loin des grands dracosires rouges de la 3ème édition auxquels un humain arrive à la cheville. Il y a aussi le fait que le souterrain a l'air trop étroit pour permettre au dragon de voler, ce qui lui retire un avantage certain contre l'aventurier à pied.

Expert (niveau 4 à 14) : cette fois, on a quitté les souterrains pour se trouver en extérieur, comme l'indique la forêt à l'horizon. Ce qui illustre parfaitement qu'avec ce volume, on commence à avoir des Wilderness Adventures, c'est à dire des aventures d'exploration dans la nature sauvage. Petit détail sympa, d'ailleurs, le bout de rivière qu'on voit à gauche, sans doute un clin d'œil à l'introduction également des Sailing Adventures, les aventures en bateaux, que ce soit en mer ou sur les fleuves.
Le personnage n'est plus à pied, mais à cheval. C'est plus logique vu les distances parcourues en extérieur par rapport à des aventures se passant exclusivement en intérieur. Même si, certes, peut-être possédait-il déjà un cheval avant, et n'allait juste pas dans les donjons avec, et que donc ce n'est pas forcément signe d'un enrichissement, symboliquement, ça lui donne tout de même plus de prestige d'être ainsi représenté en selle. C'est littéralement une "ascension". Le bond du cheval, d'ailleurs, semble être nécessaire pour atteindre le dragon qui cette fois peut voler.
Outre le cheval, le reste de son équipement montre également une certaine ascension sociale. Son armement est fondamentalement le même : une épée, un bouclier rond, un casque à cornes, des bottes, une armure métallique sur le torse, et ses bras sont toujours nus. Mais il ressemble moins à un barbare/gladiateur, et plus à mercenaire/guerrier professionnel : plus de fourrure, les cuisses ne sont plus nues, les cornes réduites du casque font un peu moins ridicules et peu pratiques, et il a gagné des épaulettes. Pour le torse, on est également passé d'un gilet de mailles annelées à un plastron de macles en quinconce, ou "armure d'écailles", qui en combinaison avec le cheval évoque les cavaliers sarmates, eux aussi des "barbares semi-civilisés".
Pour revenir au dragon, on a cette fois un dragon vert, ce qui est logique dans le lore de D&D puisqu'ils vivent plutôt dans les forêts. Il est donc tout à fait à sa place. Par contre, c'est un dragon plus faible qu'un dragon rouge, normalement. Il a l'air aussi plus petit que celui du premier livre, à première vue, mais il faut dire que c'est cadré d'un peu plus loin et qu'il n'est pas en pleine gueule de l'aventurier comme le précédent. Et puis, il n'est pas si petit : si on regarde bien, il est plus grand que l'aventurier et son cheval réunis. N'empêche qu'il est moins impressionnant. Le visage du premier dragon faisait pratiquement le quart de l'image, alors que le visage de celui-ci, un peu plus distant, a une taille équivalente au museau du cheval. Mais c'est peut-être volontaire : l'aventurier ayant pris quelques niveaux, les dragons sont des adversaires moins impressionnants, maintenant.

Companion (niveau 15 à 25) : avec ce troisième volume arrivent les règles des Strongholds, la création de bases fortifiées pour les aventuriers, qui à ce stade, sont tous de petits seigneurs ou équivalents (mages royaux, chefs d'antenne de la guilde des voleurs, grands prêtres d'un nouveau temple...), ce qui est illustré par le petit château qu'on voit au loin. Visiblement, l'aventurier n'est plus ici en train d'explorer un souterrain ou une forêt : il protège son domaine. Son équipement s'est nettement amélioré : il porte maintenant un harnois complet, et de plus, son épée à une main toute simple a été remplacée par une épée à deux mains qui a l'air magique, vu la lumière bleue dont elle scintille. L'aventurier évoque tout à fait un chevalier parfait, n'ayant plus rien du "barbare" qu'il était auparavant.
Le dragon, encore un dragon vert, est à nouveau dangereux, si on en croit la posture beaucoup plus défensive qu'agressive de l'aventurier (c'est aussi un signe de maturité, d'une plus grande sagesse), et le fait que ce dragon est beaucoup plus gros que le précédent, l'aventurier lui arrivant cette fois à peine au genou.

Master (niveau 26 à 36) : si le Companion commençait avec des PJ devenus de petits seigneurs et ajoutait en fil conducteur l'objectif d'agrandir leur domaine et son importance au sein du royaume, à partir du Master Set, on s'attend à ce que les PJ fondent carrément leur propre royaume. Ceci est représenté de plusieurs façons. Le plus évident : le personnage porte à présent une couronne, montrant qu'il est devenu roi. Il porte également une cape évoquant une hermine royale. Ce n'est plus un simple château qu'il protège, mais tout un pays - on voit que du château part une route qui passe par plusieurs agglomérations avant d'atteindre la mer. Et il ne se tient plus devant, il le survole dans les airs. Son équipement a légèrement changé : on a toujours un harnois complet, mais il n'est plus gris acier, mais or. D'une part, la couleur or est plus prestigieuse, et puis, comme une véritable armure en or ne serait en fait pas du tout pratique (l'or est très dense donc très lourd à porter, et se déforme trop facilement pour protéger efficacement), c'est très certainement une armure magique dans un métal merveilleux.
Changement total au niveau du dragon : ce n'est plus un adversaire mais une monture. Le personnage est ainsi tellement puissant qu'il a réussi à dompter un dragon, et pas n'importe lequel, un dragon d'or, le plus puissant des dragons métalliques et des dragons tout court. Cette monture ailée, bien sûr, évoque également l'introduction de règles pour les combats aériens.
Dernier détail : la barbe du personnage. Signe de maturité, mais aussi de vieillesse. Le personnage n'est plus un fringant aventurier, un jeune homme, mais un homme d'âge mur, accompli, qui doit protéger ce qu'il a acquis au prix de lourds efforts et de longues années. Je ne peux m'empêcher de penser au visage du milieu de l'Allégorie du temps gouverné par la prudence du Titien. Là où le jeune homme, ambitieux, n'a rien à perdre, si ce n'est sa vie, et tout à gagner, l'homme mûr, établi, a tout à perdre et peu d'espoir de gagner davantage. Plus vieux, le personnage est confronté à sa propre mortalité - et justement, ce volume introduit des règles pour tenter d'atteindre l'immortalité, seule possibilité qui reste au personnage pour progresser davantage.

Immortals (au-delà du niveau 36) : là, on change complètement de décor. Le paysage lunaire et son horizon spatial évoquent davantage une l'illustration SF que de Swords & Sorcery. Le personnage étant à présent immortel, il n'a plus besoin de porter la moindre armure, donc est aussi nu que la décence le lui permet. Sa relation avec les dragons a encore évolué : après être passé d'adversaire à monture, ce dragon-ci semble plus être une sorte d'allié, qui le suit ou reste à ses côtés. Tout puissant, le personnage n'a plus besoin d'équipement, pouvant jeter une attaque d'énergie avec un simple mouvement de bras. De plus, le personnage vole à présent par ses propres moyens, donc il n'a plus besoin de monture ailée.
En regardant cette illustration, on se demande dans quelle mesure on est encore dans du Donjons & Dragons, ce qui, au final, représente encore une fois très bien les règles du bouquin.
Mr. Shadow

Doux mon cœur, fermes mes intentions -mantra psi
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RE: Petite histoire de Donjons&Dragons - par Lyzi Shadow - 26/06/2020, 11:40



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