22/03/2019, 18:33
Du grand Gwalchmei, au sommet de son art. Pour moi son AVH la plus réussie jusqu'à ce jour. Et pourtant je suis un grand fan de Ad Nauseam mais là, on a une durée de vie et une richesse plus conséquentes.
Comme il s'agit d'une AVH d'enquête, une grande partie du plaisir est de résoudre l'affaire par nos propres déductions. Impossible de parler en profondeur de l'aventure sans en dévoiler son scénario et son aboutissement. Donc la suite de cette critique est un SPOILER géant. Vous feriez mieux de la télécharger de l'attaquer si ce n'est déjà fait plutôt que de lire la suite...
Comme toujours avec Gwalchmei, le style est foisonnant, épique, érudit et rutilant. Mais là où par le passé certains pouvaient regretter que cela implique une prise de distance avec le contenu, la lecture est ici à la fois fluide et stimulante pour l'intellect. Si on aime la belle littérature, on est servi sans passer par la case indigestion. D'autant plus que l'aventure donne la part belle aux dialogues, qui vont donc équilibrer la narration descriptive et imagée.
Le début donne le ton. La Franche-Comté hivernale et isolée du début XXème siècle est rugueuse et hostile. Les paysages décrits vont en ce sens. Mais ce qui est fort, c'est que cette atmosphère hostile se prolonge tout du long par un basculement paysage - protagonistes. Les autochtones vont être à leur tour dépeints dans la même veine : farouches, abritant derrière les convenances de façade des failles cachées, de dangereux secrets. On ne se sent jamais le bienvenu, tant par la nature que par les gens du cru.
L'aventure dans sa globalité fait penser à un Nils Jacket, en moins long, moins touffu, moins tortueux, plus facile, plus accessible. Les deux aventures partagent les mêmes qualités d'écriture, de vraisemblance et d'intelligence. Nils Jack étant antérieur, on sent que dans sa structure, Les Ames seules s'en inspirent un peu sur ce plan (que Gwalchmei m'éviscère sur-le-champ s'il n'a jamais lu une des AVH de JFM). Mais au-delà de leurs tailles, elles se différencient le plus par leur atmosphère et leur scénario.
L'atmosphère l'emporte presque sur l'histoire dans Les Ames seules. Il y a une vraie volonté d'imprégner dans l'esprit du lecteur la mentalité de cette région, les spécificités locales (ah ce vocabulaire estampillé Franche-Comté par le Wiktionnaire...), de distiller un sentiment de sourde inquiétude, de malaise et aussi de répulsion, voire de pitié. Tandis que dans Nils Jacket, le scénario est d'une complexité établie sur des bases profondes, un réseau de pistes d'une dimension et d'un enchevêtrement bien plus poussé que dans les Ames seules.
Je ne dirais quand même pas que le scénario est simple, ici. Les fausses pistes sont nombreuses, elles fonctionnent même plutôt bien. La liberté d'action est très grande et surtout, on ne se sent jamais bloqué, on a toujours quelque chose à faire : interroger un habitant, suivre une piste, explorer un lieu... Et ça c'est très fort. Même après une ou deux relectures, il existe toujours de nouvelles voies à suivre, des passages à débloquer. Donc l'intrigue est habilement conçue, de même que la manière de la résoudre. En pelures d'oignon mais avec très souvent plusieurs moyens d'obtenir un même indice. J'aime.
Mais l'histoire n'est pas d'une originalité folle car j'ai eu dès ma première tentative le soupçon très fort d'un enfant caché à l'origine du saccage. Rien de grave cependant car ce n'était qu'un soupçon et les fausses pistes m'ont quand même induit en erreur. La 2ème lecture m'a permis de confirmer mon hypothèse et la 3ème, de recueillir les indices idoines pour une arrestation du boucher nécrophile.
Trois essais, si l'on considère à chaque fois un long temps de lecture et beaucoup de paragraphes parcourus, c'est la mesure d'une difficulté parfaitement équilibrée. Surtout que jamais un soupçon d'ennui n'est venu ternir mes relectures.
Finalement, cette relative simplicité (toutes proportions gardées, surtout si on se réfère à Nils Jacket) n'est pas vraiment un défaut. Elle permet de créer une alchimie parfaite pour savourer tout en même temps l'investigation, le challenge proposé, l'atmosphère générale, le style relevé et la galerie de personnages.
J'en viens là à ce qui me semble la qualité majeure de cette AVH : jamais on n'a eu droit à un tel portrait de société, une véritable aventure interactive à caractère sociologique.
Les dialogues sonnent parfaitement juste. Chaque protagoniste est terriblement vivant, avec ses failles, ses particularités, ses manières, ses ambitions. Aucun n'est caricatural. Comme on a l'occasion d'aborder avec chacun une multitude de sujets, ils sont obligés de réagir à chaque fois avec des réparties adéquates à leur psychologie et le travail réalisé en ce sens est admirable. Même la fois où l'on peut coucher avec Rose aurait pu être casse-gueule, considérant que les deux personnages ne peuvent pas se parler de la même manière qu'il se soit passé ou non cet acte charnel. Mais non, Gwalchmei a pensé à être suffisamment élusif dans les réponses de la belle pour que ça puisse s'adapter aux deux cas de figure.
Surtout, l'aventure se trouve dans un contexte moderne, presque contemporain. C'est ce qui rend cette dimension sociale et psychologique si prenante. Le même aspect développé, mais dans un univers fantasy (comme pour Du Sang sous les Vignes pour un exemple que je connais), ne sera pas aussi efficace. Ici, on ne peut pas se dire que ce n'est que de la fiction. L'horreur, le sordide et la souffrance intérieure résonnent avec celles que l'on peut rencontrer dans le monde réel.
D'autant plus que l'auteur aborde frontalement, sans délicatesse mais sans voyeurisme non plus, des sujets graves, traumatisants et adultes tels que les femmes battues, la profanation, l'adultère, les scènes d'horreur, l'avidité, la xénophobie, l'abandon, la dépression, le deuil subit ou encore les déchirures amoureuses.
Enfin s'ajoute une dimension morale, mais pas moralisante. Les travers ordinaires de l'humain sont montrés du doigts, pour être aussitôt proposés sous un autre angle de nature à nous faire douter de nos convictions. Ainsi le gitan grossier et violent est celui qui a sur ses pairs un jugement au final très avisé, le père abattu par le chagrin de voir sa fille mourir puis profanée récolte-t-il les fruits amers de son égoïsme, la femme esseulée et hautaine se perd-elle dans un amour maternel incompréhensible pour le rejeton de son mari infdèle, l'homme qui bat son épouse est-il chaque jour torturé par le film dans sa tête où il voit celle-ci faire l'amour avec un autre... Mince, c'est fort tout ça!
Il résulte de ce tableau vivant que l'immersion est totale. J'ai encore en tête les images du cimetière, de la forêt en friches, des collines enneigées, de la demeure familiale isolée...
Au rayon des regrets, des liens cliquables défaillants dans les interrogatoires à la fin, qui nous ramènent à un autre témoin après avoir posé une question. C'est pas mal gênant (surtout pour le curé et le fossoyeur, de mémoire).
Un seul moment où j'ai vraiment eu peur de mourir (quand le méchant referme la tombe sur moi, heureusement qu'il me restait 1 PE). La difficulté de l'enquête est déjà bien dosée comme ça mais ça aurait pu être encore plus stressant à certains moments si quelques séquences d'action avaient été plus détaillées (comme le final) ou plus nombreuses, pour faire accélérer le palpitant. D'ailleurs, j'ai l'impression que le choix de l'arme n'est justement là que pour nous faire peur par anticipation.
Et puis c'est tout pour moi! C'est vraiment une excellente aventure d'investigations, bravo. Pour l'anecdote, bien que l'époque ne soit pas la même, l'ambiance m'a rappelé Les Rivières Pourpres.
Comme il s'agit d'une AVH d'enquête, une grande partie du plaisir est de résoudre l'affaire par nos propres déductions. Impossible de parler en profondeur de l'aventure sans en dévoiler son scénario et son aboutissement. Donc la suite de cette critique est un SPOILER géant. Vous feriez mieux de la télécharger de l'attaquer si ce n'est déjà fait plutôt que de lire la suite...
Comme toujours avec Gwalchmei, le style est foisonnant, épique, érudit et rutilant. Mais là où par le passé certains pouvaient regretter que cela implique une prise de distance avec le contenu, la lecture est ici à la fois fluide et stimulante pour l'intellect. Si on aime la belle littérature, on est servi sans passer par la case indigestion. D'autant plus que l'aventure donne la part belle aux dialogues, qui vont donc équilibrer la narration descriptive et imagée.
Le début donne le ton. La Franche-Comté hivernale et isolée du début XXème siècle est rugueuse et hostile. Les paysages décrits vont en ce sens. Mais ce qui est fort, c'est que cette atmosphère hostile se prolonge tout du long par un basculement paysage - protagonistes. Les autochtones vont être à leur tour dépeints dans la même veine : farouches, abritant derrière les convenances de façade des failles cachées, de dangereux secrets. On ne se sent jamais le bienvenu, tant par la nature que par les gens du cru.
L'aventure dans sa globalité fait penser à un Nils Jacket, en moins long, moins touffu, moins tortueux, plus facile, plus accessible. Les deux aventures partagent les mêmes qualités d'écriture, de vraisemblance et d'intelligence. Nils Jack étant antérieur, on sent que dans sa structure, Les Ames seules s'en inspirent un peu sur ce plan (que Gwalchmei m'éviscère sur-le-champ s'il n'a jamais lu une des AVH de JFM). Mais au-delà de leurs tailles, elles se différencient le plus par leur atmosphère et leur scénario.
L'atmosphère l'emporte presque sur l'histoire dans Les Ames seules. Il y a une vraie volonté d'imprégner dans l'esprit du lecteur la mentalité de cette région, les spécificités locales (ah ce vocabulaire estampillé Franche-Comté par le Wiktionnaire...), de distiller un sentiment de sourde inquiétude, de malaise et aussi de répulsion, voire de pitié. Tandis que dans Nils Jacket, le scénario est d'une complexité établie sur des bases profondes, un réseau de pistes d'une dimension et d'un enchevêtrement bien plus poussé que dans les Ames seules.
Je ne dirais quand même pas que le scénario est simple, ici. Les fausses pistes sont nombreuses, elles fonctionnent même plutôt bien. La liberté d'action est très grande et surtout, on ne se sent jamais bloqué, on a toujours quelque chose à faire : interroger un habitant, suivre une piste, explorer un lieu... Et ça c'est très fort. Même après une ou deux relectures, il existe toujours de nouvelles voies à suivre, des passages à débloquer. Donc l'intrigue est habilement conçue, de même que la manière de la résoudre. En pelures d'oignon mais avec très souvent plusieurs moyens d'obtenir un même indice. J'aime.
Mais l'histoire n'est pas d'une originalité folle car j'ai eu dès ma première tentative le soupçon très fort d'un enfant caché à l'origine du saccage. Rien de grave cependant car ce n'était qu'un soupçon et les fausses pistes m'ont quand même induit en erreur. La 2ème lecture m'a permis de confirmer mon hypothèse et la 3ème, de recueillir les indices idoines pour une arrestation du boucher nécrophile.
Trois essais, si l'on considère à chaque fois un long temps de lecture et beaucoup de paragraphes parcourus, c'est la mesure d'une difficulté parfaitement équilibrée. Surtout que jamais un soupçon d'ennui n'est venu ternir mes relectures.
Finalement, cette relative simplicité (toutes proportions gardées, surtout si on se réfère à Nils Jacket) n'est pas vraiment un défaut. Elle permet de créer une alchimie parfaite pour savourer tout en même temps l'investigation, le challenge proposé, l'atmosphère générale, le style relevé et la galerie de personnages.
J'en viens là à ce qui me semble la qualité majeure de cette AVH : jamais on n'a eu droit à un tel portrait de société, une véritable aventure interactive à caractère sociologique.
Les dialogues sonnent parfaitement juste. Chaque protagoniste est terriblement vivant, avec ses failles, ses particularités, ses manières, ses ambitions. Aucun n'est caricatural. Comme on a l'occasion d'aborder avec chacun une multitude de sujets, ils sont obligés de réagir à chaque fois avec des réparties adéquates à leur psychologie et le travail réalisé en ce sens est admirable. Même la fois où l'on peut coucher avec Rose aurait pu être casse-gueule, considérant que les deux personnages ne peuvent pas se parler de la même manière qu'il se soit passé ou non cet acte charnel. Mais non, Gwalchmei a pensé à être suffisamment élusif dans les réponses de la belle pour que ça puisse s'adapter aux deux cas de figure.
Surtout, l'aventure se trouve dans un contexte moderne, presque contemporain. C'est ce qui rend cette dimension sociale et psychologique si prenante. Le même aspect développé, mais dans un univers fantasy (comme pour Du Sang sous les Vignes pour un exemple que je connais), ne sera pas aussi efficace. Ici, on ne peut pas se dire que ce n'est que de la fiction. L'horreur, le sordide et la souffrance intérieure résonnent avec celles que l'on peut rencontrer dans le monde réel.
D'autant plus que l'auteur aborde frontalement, sans délicatesse mais sans voyeurisme non plus, des sujets graves, traumatisants et adultes tels que les femmes battues, la profanation, l'adultère, les scènes d'horreur, l'avidité, la xénophobie, l'abandon, la dépression, le deuil subit ou encore les déchirures amoureuses.
Enfin s'ajoute une dimension morale, mais pas moralisante. Les travers ordinaires de l'humain sont montrés du doigts, pour être aussitôt proposés sous un autre angle de nature à nous faire douter de nos convictions. Ainsi le gitan grossier et violent est celui qui a sur ses pairs un jugement au final très avisé, le père abattu par le chagrin de voir sa fille mourir puis profanée récolte-t-il les fruits amers de son égoïsme, la femme esseulée et hautaine se perd-elle dans un amour maternel incompréhensible pour le rejeton de son mari infdèle, l'homme qui bat son épouse est-il chaque jour torturé par le film dans sa tête où il voit celle-ci faire l'amour avec un autre... Mince, c'est fort tout ça!
Il résulte de ce tableau vivant que l'immersion est totale. J'ai encore en tête les images du cimetière, de la forêt en friches, des collines enneigées, de la demeure familiale isolée...
Au rayon des regrets, des liens cliquables défaillants dans les interrogatoires à la fin, qui nous ramènent à un autre témoin après avoir posé une question. C'est pas mal gênant (surtout pour le curé et le fossoyeur, de mémoire).
Un seul moment où j'ai vraiment eu peur de mourir (quand le méchant referme la tombe sur moi, heureusement qu'il me restait 1 PE). La difficulté de l'enquête est déjà bien dosée comme ça mais ça aurait pu être encore plus stressant à certains moments si quelques séquences d'action avaient été plus détaillées (comme le final) ou plus nombreuses, pour faire accélérer le palpitant. D'ailleurs, j'ai l'impression que le choix de l'arme n'est justement là que pour nous faire peur par anticipation.
Et puis c'est tout pour moi! C'est vraiment une excellente aventure d'investigations, bravo. Pour l'anecdote, bien que l'époque ne soit pas la même, l'ambiance m'a rappelé Les Rivières Pourpres.