Ce soir, nous étions quatre voyageurs du Japon d’autrefois, décidés à arpenter le Tokaïdo, célèbre route reliant Edo à Kyoto. Permettez-moi de faire les présentations.
Zen-emon le marchand, dit Skarn, atteint de collectionnite aiguë, ne s’accordant de répit que pour se prélasser dans les sources chaudes, sans doute à rêvasser à ses prochaines acquisitions. Il aura presque réussi l’exploit d’obtenir trois collections d’objets, ce qui lui aurait permis de titiller la première place. Au final, toutefois, le manque de diversité dans ses cartes le place à la dernière (place).
Yoshiyasu le fonctionnaire, dit Lyzi Shadow. Fonctionnaire aux impôts, probablement, vu la quantité d’argent qu’il lui restait dans les poches à la fin du voyage. Le qualificatif d’avare ne lui siérait pourtant guère, tant il ne s’est pas privé de dépenser son argent ; dans la bouffe, certes, mais aussi, faisant là preuve d’une dévotion exemplaire, en accumulant les dons au temple — et pas des petits, s’il vous plaît. Ironiquement, toutefois, c’est son goût pour les bains chauds égal à celui de son acolyte susmentionné qui lui permet de devancer d’un ou deux petits points ce dernier.
Kinko le ronin, dit Jehan.
Aubergiste : « Bonjour ! »
Kinko : « ’Jour… »
Aubergiste : « Je suis au regret de vous dire qu’il ne nous reste plus que du dango, les voyageurs précédents ont vidé nos réserves ! »
Kinko : « Grmpf… »
Aubergiste : « Ça fait une piècette… »
Regard mauvais de Kinko.
Aubergiste, goutte de sueur au front : « …Mais pour vous, bien entendu, ce sera gratuit ! »
Outre un goût prononcé pour la montagne et la mer, il collectionne aussi les souvenirs à ses heures perdues, du moins ceux que le marchand monomaniaque a bien voulu laisser dans les échoppes, et comme ce dernier, fait preuve d’une piété toute relative et calculée.
Enfin, Sasayakko la geisha, dite Outremer, dont la spécialité est d’user de ses charmes face aux marchands de souvenirs (dont le chiffre d’affaire sera sacrément en hausse cette année) de façon à ce que ces derniers, au moment où elle pose ses pièces sur le comptoir, lui répondent avec un air envoûté : « Je vous en prie, celui-là, c’est cadeau. Si, si, ça me fait plaisir. » Notons qu’elle est fondamentalement athée, et que c’est une amoureuse de la nature.
Extrait d’une scène ordinaire sur le Tokaïdo :
Kinko, arrivant sur la plage, y trouve Sasayakko.
« Quelle beauté », souffle cette dernière.
« Oui.
— Quelle plénitude ! Je me sens tellement en harmonie avec l’océan, ici. Je crois que plus jamais je n’éprouverai cette sensation, ce sentiment d’accomplissement. Le bruit des vagues et les reflets du soleil sur l’écume n’auront plus d’emprise sur moi, désormais… Adieu, immensité bleue. Je préfère ne pas te revoir, toute rencontre future ne pourra que pâlir de la comparaison avec le souvenir que tu as gravé dans mon cœur en cet instant.
— Oui, moi aussi, je la sens, cette sensation d’achèvement, comme si…
— Oui, mais moi, je l’ai sentie avant toi, d’abord !
— Hein ?
— Eh ouais ! Alors l’accomplissement et les trois points qui vont avec, c’est pour ma pomme !
— Quoi ?
— Ça fait quoi de finir deuxième à un point, juste parce que t’as mis trois plombes à te mettre en maillot de bain ?
— … »
Changeons d’époque, maintenant. Le marchand est devenu une indienne cheyenne voleuse de bourse (au singulier, j’insiste), le collecteur d’impôts s’est changé (?) en génie du crime se faisant appeler Doc, le ronin s’est mué en desperado-ninja (un comble), et la geisha… ben est plus ou moins restée elle-même. (Au cas où vous n’auriez pas compris, nous avons joué à Colt Express — avec l’extension.)
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