Sindbad - Le Prince des Voleurs
#7
Plusieurs fois s'est posée la question d'interpréter un méchant dans les LDVELH ou les AVH. On pouvait trouver réjouissant d'endosser le rôle d'un pirate sans scrupule dans Défis sanglants sur l'Océan ou un aventurier dévoyé à un sorcier maléfique dans le Marais aux Scorpions mais il s'avérait que l'aspect transgressif était très limité, les pillages ou meurtres gratuits décrits de manière lapidaire, voire édulcorée. La Créature venue du Chaos est au départ surtout bestiale, marchant plus à l'instinct primaire qu'à une intelligence corrompue. Quant aux vikings des Drakkars, c'est à peine s'ils prennent l'or aux villages côtiers en disant merci à leurs victimes sans plus les violenter. Mais dans Sindbad, nous jouons une vraie crapule et c'est ce qui marque le plus à la lecture de ce LDVELH.
Un méchant sympathique certes, mais gouailleur, avec de l'humour, épicurien et plein de courage. Il aime les femmes, la bonne chère, est poète, contemplatif et philosophe à ses heures perdues. Les remords n'ont aucune prise sur lui et c'est avec un certain fatalisme dénué d'humanité qu'il déleste et tue les gens sans défense. Ainsi nous pouvons voler impunément une femme charmante qui nous avait reçu dans sa demeure avec bienveillance, une femme à la tristesse touchante de surcroît. On peut saccager la boutique d'un vieux marchand par simple plaisir, décapiter l'un de nos hommes d'équipage juste parce qu'il nous a dérangé dans notre rêverie, voler le déjeuner d'un infirme perdu dans la jungle, écraser des gnomes seulement parce qu'ils ne veulent pas nous indiquer le chemin et le summum, infliger la mort ou des tortures à un passage clandestin qui s'était caché dans un tonneau d'huile. Ce dernier épisode est d'ailleurs génial. Je ne peux m'empêcher de citer le paragraphe 74 où l'on décide de livrer à nos hommes le clandestin pour qu'ils s'amusent un peu :

Peu vous importe ce que vos hommes feront du clandestin. D'ailleurs leur imagination en ce domaine dépasse certainement la vôtre, et la présence d'huile sur le petit corps rabougri de Barani semble les exciter... Bah, ces enfantillages ne vous amusent guère. Epuisé par cet incident, vous partez vous coucher pour prendre un repos bien gagné.

En plus de ces actes, la psychologie du héros est assez poussée. De nombreux passages sont introspectifs ce qui rend le personnage attachant, même quand il se justifie à lui-même de ses crimes, avec un cynisme à toute épreuve (il se moque souvent par exemple de la grosseur ou la laideur des femmes et des hommes). Pourtant, ces tares politiquement incorrectes passent très bien, sont même réjouissantes car l'ensemble de l'aventure baigne dans l'humour. Tout le monde n'y adhère sans doute pas mais j'ai souvent rigolé tout seul dans certains paragraphes.
La tchatche de Sindbad face aux marchands du début est formidable, avec des personnages caricaturaux à souhait, les sous-entendus de notre bras droit Jamal font souvent mouche (j'adore le passage où il affirme qu'un capitaine qui ne choisit pas sa femme est inconscient car elle risque de contaminer tout l'équipage), toute la scène où Sindbad doit épouser la fille du chef indigène est digne d'une pièce de Faydeau, le dialogue avec le géant ahuri et ses Mongo!, les tentatives burlesques d'évasion du volcan et j'en passe...
Si l'on ajoute enfin que le héros et son lieutenant ne semblent jurer que par la luxure (les allusions au sexe sont très nombreuses) et la cupidité, on obtient un phénomène des livres-jeux, incontournable à mon sens.

Le pendant négatif est que tout cette distance prise par le héros et cet humour cassent toute tentative d'ambiance dramatique. L'aventure a beau être dangereuse, les ennemis retors, nombreux et puissants, le suspense et la peur de mourir inhérents aux bons LDVELH sont ici minimisés, sacrifiés sur l'autel du second degré.
Dommage car l'aventure est sympathique avec une assez longue préparation au voyage où l'on peut recruter son équipage, faire face à de vieux ennemis, manipuler ses employeurs. Ensuite le scénario tourne à l'exploration maritime avec trois îles à visiter, très différentes les unes des autres. Mention spéciale à la troublante Darke et à la très dangereuse île aux hommes noirs. L'île au crâne est plutôt décevante par contre. La dernière partie est sans grande surprise avec l'affrontement final. Il existe cependant deux paragraphes de fin victorieux (enfin... l'un plus que l'autre) et tous deux sont excellents. Ils donnent envie de revivre d'autres aventures avec ce héros insouciant et amoureux de la vie.

L'aspect ludique est faible, moins bien réussi que dans la saga du Prêtre Jean des mêmes auteurs. Avec ces règles, il faut une force de combat supérieure à la moyenne pour espérer gagner, à cause de deux combats obligatoires très ardus. Il existe plusieurs objets magiques intéressants à utiliser mais ils sont malheureusement trop difficiles d'accès. Les choix à effectuer par le lecteur n'ont souvent que peu d'incidence sur le déroulement de l'aventure ou sur la feuille de personnage. Ceci donne au départ une fausse impression de non-linéarité. L'or sert au tout début seulement et pas de manière décisive. La gestion du sac à dos est inutile car on récupère peu d'équipement. Les deux mini-jeux, les enchères et le voyage maritime, sont fastidieux. Quant aux règles de combat naval, elle ne servent quasiment pas ou alors, dans des batailles perdues d'avance.

Malgré ces nombreux défauts, ce LDVELH mérite vraiment d'être découvert avec l'un des héros les plus attachants ou les plus révoltants (c'est selon) de tous les livres-jeux réunis.

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Messages dans ce sujet
RE: Sindbad - Le Prince des Voleurs - par JFM - 15/12/2010, 00:35
RE: Sindbad - Le Prince des Voleurs - par VIK - 13/01/2011, 23:51
RE: Sindbad - Le Prince des Voleurs - par Fitz - 26/01/2011, 21:26



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