Comme promis, une critique plus détaillée.
Quand ? Début 17ème.
 Qui ? On incarne un libraire (non nommé), appartenant au conseil municipal de Montauban durant une guerre religieuse. 
Où ? Montauban, eh, faut suivre ! Enfin : 
quoi ? On est chargé d'enquêter sur la mort d'une personne qui semblait fuir la ville durant le siège 
(« On devrait jamais quitter Montauban », avertissaient pourtant 
Les Tontons flingueurs). Il y aura la fouille du corps, son autopsie, la recherche des proches, des derniers témoins... Et fouiller dans l'intimité des citoyens amènera notre héros à croiser biens des bassesses, délits et crimes. Trouvera-t-il le, la ou les coupable(s) ?
Les règles sont minimales : ni hasard, ni codes à noter, ni équipement, ni liste d'indices ou de suspects. La mécanique se limite à choisir l'ordre de lecture. Le choix nous est même proposé de ne pas jouer mais de feuilleter, de lire un bout ici, un bout par là, façon picorage. Selon une 
esthétique du fragment et de la recomposition très typique du 17ème, époque des portraits, des 
Fables et des 
Essais, qu'on ne lisait pas linéairement mais en piochant...
Le surtitre insiste lourdement sur le fait que le lecteur jouera un rôle,
au point d'être l'égal de l'auteur. Spoiler : non. 
POLAR OUI, HISTORIQUE OUI...
La couverture annonce un « polar historique dont vous êtes le héros », et le début de cette étiquette est vrai. C'est une de ces 
enquêtes historiques dont on a pléthore en librairie depuis 
Le Nom de la rose, et qu'on a toujours autant de plaisir à lire. FH Soulié est un auteur de littérature blanche, et les fictions historiques ne sont pas une nouveauté pour lui : il a déjà signé 
Ils ont tué Ravaillac (qui se déroule quelques années avant la 
Citadelle) à thématique 
espionnage, La Conspiration du Globe dont le titre annonce qu'il relie Shakespeare à une 
affaire d'Etat, etc.
Des figures historiques se retrouvent dans ce livre-jeu, mélangées avec 
des figures de fiction comme Porthos et Aramis (mais ni d'Artagnan ni Athos). D'autres sont là en filigrane : on repère des
 citations déguisées de Molière, du 
Cid ou encore de 
Cyrano. Notre héros, un libraire qui réfléchit sur la nature humaine et se réfugie dans sa bibliothèque, est une sorte de Montaigne montalbanais (il apprécie ses 
Essais, dont il trouve un exemplaire au cour d'une fouille, et que l'auteur recommande dans sa bibliographie).
Mauvais choix, game over ? "Essaie" encore. 
...DONT VOUS ÊTES LE HEROS, NON.
Comme d'autres l'ont remarqué avant moi, les amateurs du genre à jouer ne retrouvent pas ici leurs repères, ou ce qu'ils aiment. Le parcours est 
linéaire, pas en tunnel, mais construit sur de 
faux choix. On hésite entre A et B, on prend A, après quoi on pourra tout de même prendre B. Et quand on aura lu A et B, on sera dirigé vers un noeud nommé C où le même jeu recommence. Au final, à part quelques paragraphes de game over ou des branches annexes, le lecteur est amené à lire la majeure partie des 400 pages du livre, qui pourtant ne fait que 122 sections + un épilogue.
La longueur de ces paragraphes gêne d'ailleurs la bonne lecture, car on a du mal à repérer le n° auquel on doit se rendre, perdu entre des pages et des pages de prose ordinaire. L'éditeur a laissé une numérotation de pages assez inutile, au lieu d'y substituer le n° du paragraphe en cours. Une table de correspondance paragraphe / page est proposée en fin de volume, mais ça ne fait pas partie des réflexes du lecteur-joueur.
La dimension ludique est donc assez faible, faute de vrais choix et 
d'ergonomie. Sauf à ne pas être habitué du genre, auquel cas le fait d'incarner un personnage dans un cadre historique aura à soi seul un effet wahou. Par ailleurs, la langue est si impeccable qu'on y prend forcément plaisir : l'auteur n'est pas primé et romancier chez 10/18 pour rien ! 
Il y a une vraie beauté du texte.
Cyrano a inspiré d'autres auteurs de livres-jeu. 
QUI JOUE AVEC QUI ?
A lire les résumés sur Babelio, j'ai la vague impression que 
FH Soulié s'amuse bien à semer des liens cachés et des structures à secrets. Certains de ses livres semblent liés par des thématiques communes, des personnages dont le nom fait retour dans les résumés... Pas étonnant, donc, de le voir terminer 
Une citadelle en enfer par une 
clé du mystère qui se trouve être, littéralement, une... 
clé de porte. Ça nous rappelle les 
petits jeux d'écriture du traducteur/auteur Jean-François Ménard, que j'ai déjà tenté d'analyser ici.
A noter que ces amuseries peuvent constituer des fausses pistes pour égarer un lecteur qui se croit malin. Par exemple, plusieurs personnages portent des 
noms de parfums : Ugo de Bosc, Sauvage, Gautier Belfort (le texte précise que Belfort aime bien engager des marins au beau physique). Quant Ugo de Bosc s'avère coupable de fuite, et 
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Sauvage coupable, heu, d'autre chose, on est amené à soupçonner le 3ème : Gautier Belfort. Ou du moins le marin à son service, Constans... Alors qu'absolument rien d'autre ne l'accuse que ce "jamais deux sans trois".
		 
Un pied de nez au joueur... doublé d'un croc-en-jambe, car même si on désigne le/la/les bon(s) coupable(s), 
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les dénégations de celui-ci nous convainquent et... on part à la recherche d'un autre suspect ! Le récit ne nous laisse même pas le choix de persister !
		 
Manière de se moquer des fins à la Hercule Poirot ?
Hé, au fait, encore un parallèle avec Ménard :
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au début on trouve un cadavre d'homme déguisé en femme, et à la fin la coupable est une femme "hommasse" (comme on disait autrefois). La fin est ainsi le miroir inversé du début. Comme Ménard qui, dans son roman Le Violon noir, s'amuse à commencer et finir sur une scène pouvant se résumer avec la même phrase, en jouant sur le sens ancien et le sens moderne du même mot.
		 
A noter, un "moment Dave Morris". Le choix d'être clément ou non avec un faible, aura une conséquence heureuse ou fatale bien plus loin dans le bouquin. Les lecteurs du DO5 
Le Château des Âmes Damnées penseront à un certain préposé au péage d'un pont...
Choix : allez-vous traverser ce pont, ou ce pont traverser ?
A vous de décider, belle marquise ! 
VOTRE AVIS, MONSIEUR POIROT DAGO ?
Contrairement à ce que le titre laisse croire, en paraissant mélanger 
La Citadelle du chaos avec 
Le Manoir de l'enfer, deux titres connus de Steve Jackson... 
Une citadelle en enfer ne se situe pas dans la droite ligne des livres-jeu historiques des années 80. 
Ces deniers plaçaient le curseur côté jeu, en s'éloignant du côté littérature. Ici c'est pile l'inverse. La rejouabilité et les possibilités multiples sont sacrifiées, pour privilégier l'écriture de ce qui aurait pu être un roman d'excellente facture.
Le voca des titres de livre-jeu n'est pas extensible à l'infini, des fois ça se recroise.
On se rappelle Le / Les Démon(s) des Profondeurs dans deux séries différentes.
C'était une 
lecture dépaysante, un peu longue : il m'a fallu plusieurs jours de lecture, là où 
un livre de la série "Sherlock" de Gerald Lientz se bouclait en 2 ou 3 heures. Or il est dur de s'attacher à cette lecture longue car l'intrigue est un peu lâche. Pourquoi lâche ? Car le récit fait se succéder des épisodes aux liens un peu superficiels (ex : le gamin qui nous donne une épuisette pour zéro raison, ce qui nous amène à aller draguer le fleuve, ce qu'on aurait dû logiquement faire plus tôt...) Dans une fiction, on passerait sur ces coutures absolument sans les remarquer, mais dans la mesure où en tant que lecteur-joueur-enquêteur on est supposé réfléchir à la suite à chaque étape, eh bien du coup... ça se voit, quoi.
Autre bémol, le manque d'illustrations. Les jeux vidéo de papier que sont les livres-jeu sont liés à l'aspect visuel depuis les années 80. La pauvreté en illustrations était déjà un défaut de 
la collection de livres-jeu pédagogiques Labyrinthe chez Retz, et ce n'est pas celle qui est le plus resté dans les mémoires. Tandis que des séries plus généreuses en encre de Chine, on en parle encore 40 ans après !
Pour autant mon avis final n'est pas négatif, juste mitigé. 
J'apprécie cette vague qui amène les éditeurs à chercher à publier du livre-jeu plus adulte et plus mâture, comme 
Reine de l'ouest d'Hélène Lenoir, ou la série entamée avec 
La Pierre du Dragon de Manu Quaireau chez Makaka (déclaration de conflit d'intérêt : j'ai écrit un tome pour cette série). Le fait qu'un éditeur comme 10/18 prenne le risque d'accompagner cet élan est bon signe et doit être encouragé !