[09] Les Chauffeurs du Nord
#1
Fin des années 80. Après le sympathique La Main Rouge, le duo Augros et Gervaise s'attelle à l'écriture d'un nouveau volume. Alors que tout est prêt, illustrations comprises, Hachette arrête la série, estimant les livres-jeux passés de mode, et Les Chauffeurs du Nord reste dans les cartons.

Trois décennies plus tard, les cartons sont rouverts à l'occasion d'une réédition, et Les Chauffeurs enfin publiés, dans une édition facsimilée de ce qu'ils auraient pu être à l'époque :

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J'ai très envie d'arrêter ma critique tout de suite, sur ces deux images. Tout est tellement parfait, j'ignore ce que je pourrais rajouter à même de transcender... cette couverture... ce résumé... mes zygomatiques me démangent, un sourire idiot se dessine sur mes lèvres.

S'il ne faut pas juger un livre à sa couverture, elle n'en contribue pas moins aux attentes du lecteur. Et de ce point de vue, c'est une incroyable réussite. Il suffit d'un coup d’œil pour jeter par la fenêtre toute préconception qu'on va lire une enquête victorienne un peu molle et surannée au profit de quelque chose d'incroyable.

Pourtant, on a encore presque le doute sur les premiers paragraphes. On nous parle d'un Van den Caruelbouck, qui pourrait tout aussi bien s'appeler Van den Traître tant il est évident dès la première seconde que c'est un méchant et qu'il s'apprête à nous faire le coup d'Astérix et le Chaudron. Le tout premier choix de l'aventure consiste d'ailleurs à soit retourner surveiller le magot soit à aller se bourrer la gueule en le laissant sans surveillance.

Je prends la première option. Le protagoniste meurt dans un accident alors qu'il chemine le long des quais. Les auteurs flirent avec le quatrième mur pour nous enjoindre de recommencer, non sans un jeu de mots raté et un peu de mépris.

... Soit.

Je recommence et... Bon, il m'arrive à peu près la même chose un peu plus loin. Le livre commence par une série de gauche-droite mortels, où il faut systématiquement prendre l'option la plus idiote, tout ça sous les quolibets soit des personnages soit directement des auteurs.

Okay.

Là, c'est le lecteur qui est confronté à un choix. Soit, il prend ce livre au premier degré, le referme, et n'y retouche jamais. Soit il le prend au second degré... et, bah, il fait la même chose. Parce que c'est pas drôle. C'est une chose de se vouloir parodique ou satirique, c'en est une autre de réussir à l'être. Et là, c'est pas le cas. Tout tombe à plat, tout est irritant plutôt qu'amusant.

Et puis, il y a la troisième option. Celle à laquelle nous enjoint cette incroyable couverture : le troisième degré. Considérer tout le livre comme une vaste blague et l'aborder comme tel. En faire une exploration de l'idiotie, où chaque fin de section est l'occasion de faire des pronostics sur le degré d'imbécilité nous attendant à la prochaine, et d'être surpris quand ça part encore plus en vrille qu'on le pensait.

C'est qu'on a droit à tout. Les accents provinciaux rigolos. Les caméos improbables. L'humiliation constante du protagoniste. Un Sherlock à faire passer pour humble celui de Détective Conseil. Des rebondissements que Pierre Alexis de Ponson du Terrail aurait trouvé tiré par les cheveux. Et un final d'anthologie.

Bon, parfois, il y a un petit coup de mou quand même. Quelques passages mêmes qui marchent à peu près au premier degré, et donc cassent l'ambiance. Heureusement, il suffit d'un coup d’œil à la couverture pour se remettre dans l'état d'esprit optimal à l'appréciation de cet ouvrage.

Bref, de mon point de vue, c'est un énorme nanar biblioludique, proprement hilarant quand on l'aborde comme tel.

Alors, bien sûr, l'humour c'est très personnel, et l'humour involontaire encore plus. Donc tout le monde n'accrochera pas. Mais, pour moi, c'est du -20/20. Une pépite de ratage.

À noter que je dis tout ça sans aucune méchanceté envers Augros et Gervaise. Ça arrive à tout le monde de se rater. Et finalement, c'est peut-être là ce que tout auteur devrait souhaiter : que le jour inéluctable où il se vautrera la gueule, que ce soit avec panache.
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