18/11/2018, 16:06
(Modification du message : 18/11/2018, 16:30 par Lyzi Shadow.)
ARCHIPEL DES GALÈRAPAGOS
Jour 1 :
C'est vraiment la galère d'avoir fait naufrage. Mais au moins nous sommes 5 survivants. L'ambiance est bonne, la camaraderie s'est tout de suite instaurée. L'Anglais que nous surnommons "Salla" ou "Albion", l'Allemand, que nous surnommons "Jehan" ou "le Saxon", le Serbe, surnommé "Alendir" ou "Vesna", tous mettent la main à la pâte pour la survie du collectif : qui va pêcher, qui va chercher de l'eau, qui va couper du bois... Il n'y a que le Russe, que nous appelons "Outremer", qui se la joue perso, puisqu'il a passé sa journée à nous éviter et à aller fouiller l'épave à la recherche de... de je ne sais quoi, honnêtement.
Même si ma Pologne natale me manque, nous aurions pu échouer en pire endroit que cette île paradisiaque, où il fait beau et dont les criques foisonnent de poisson. De plus, d'après mes calculs, nous ne sommes pas très loin d'un couloir maritime de fort passage... Un simple radeau et des provisions pour quelques jours devraient nous assurer de trouver un bateau pour nous secourir.
Le moral est bon. Nous avons assez d'eau et de poisson au campement pour assurer notre pitance pour 2 jours. Rien de grave devrait nous arriver. J'ai bon espoir que nous nous sortions tous de ce mauvais pas.
Jour 4 :
Peste soit de ce "beau soleil" dont je faisais l'éloge plus tôt. Ça fait déjà deux jours qu'il n'a presque pas plu, et nous sommes à deux doigts de mourir de soif.
Les tensions montent. Jehan, l'Allemand, a sorti un revolver et s'est montré menaçant avec Salla pour l'obliger à participer à l'effort de collecte d'eau.
Tout le monde pense que ce n'est qu'une tactique d'intimidation et qu'il bluffe : son arme n'est sans doute pas chargée.
Je ne serai donc pas le seul à avoir garder une arme depuis le naufrage ? La mienne, je l'ai récupérée sur un des hommes de l'équipage qui était tombé à l'eau avec moi. Je l'ai gardée juste "au cas où". Toutes les cartouches ont été mouillées, rendues inutilisables, sauf une. Soit il est arrivé la même chose à l'Allemand, soit le Russe n'est pas le seul à avoir fouiller l'épave pendant que j'avais le dos tourné. Il a vraiment fallu un concours de circonstances pour que moi je me retrouve avec UNE cartouche en état de marche, donc je pense comme les autres qu'il doit bluffer avec un revolver vide.
Jour 6 :
Deux jours qu'il n'a pas plu UNE SEULE GOUTTE sur cette île de l'Enfer. Même si nous travaillions tous de concert à la collecte, nous serions bredouilles. Il n'y aura pas assez d'eau pour tout le monde. En plus, la pêche aussi a été mauvaise, et nous commençons aussi à manquer de nourriture.
Alors... Ça devait arriver. La violence.
Le Serbe, "Alendir", a sorti une arme (mais tout le monde est armé dans cette équipe de survivants, c'est pas possible !) et a abattu Jehan. Le coup de feu a pris tout le monde par surprise. Un geste vif, une détonation, l'odeur de poudre dans l'air, et l'Allemand est allongé par terre, sans vie.
"C'était pour sauver le groupe", fait le Serbe, l'arme encore fumante à la main. "Il devenait trop irrationnel. Souvenez-vous comment il a tenté de faire la loi en menaçant Salla. Il aurait fait pareil avec nous tous. Et ça n'allait pas en s'arrangeant. Il aurait fini par mettre ses menaces à exécution !".
J'étais déjà dépassé par les événements, mais c'est à ce moment que quelque chose de plus étonnant encore est arrivé.
Une seconde détonation a résonné dans l'île.
Alendir s'est écroulé à son tour, fauché en plein discours...
Puis, Jehan s'est relevé.
"Co... Comment ?", a balbutié Alendir, en tentant vainement de retenir les flots de sang qui s'échappaient de sa poitrine, "tu devr... devrais être... m.."
Jehan, toujours le revolver à la main, a détaché une sorte de chainette de son cou, puis fait sortir quelque chose du dessous de ses vêtements. Une plaque de tôle. Avec un immanquable impact de balle en plein milieu. Dans un geste qui avait tout le panache d'un Client Eastwood, Jehan a jeté à ses côtés ce morceau de métal qui lui avait sauvé la vie, le sable escamotant le son qu'il aurait fait en touchant le sol.
"J'avais trouvé ça dans l'épave.", a-t-il simplement répondu au Serbe agonisant.
"Je croyais vraiment... que tu bluffais..." ont été ses derniers mots.
Le premier d'entre nous est mort.
"C'était de la légitime défense, vous avez tous vu !", a lancé Jehan devant mon regard accusateur.
"Je récupère ses affaires, bien sûr. Ce n'est que Justice, puisqu'il a essayé de me tuer ! Ah ! Mais c'était vraiment un psycopathe en plus ce type, regardez, il a un manuel pour préparer un repas cannibale ! Quel genre de dégénéré se balade avec ça ?"
Enfin... la bonne nouvelle c'est que personne n'aura à mourir de soif aujourd'hui. Il y avait juste assez de rations d'eau pour 4 personnes, et avec la mort d'Alendir, nous ne sommes plus 5. Il restait le problème de la nourriture.
Mais un autre petit miracle a eu lieu. Juste après s'être chargé tout seul d'enterrer la dépouille d'Alendir, Jehan a trouvé plusieurs kilos de viande fraiche ! Quelle chance ! Je me demande où il a bien pu dénicher tout ça ! Un animal local, peut-être ? Il n'a pas voulu répondre à mes questions.
La viande avait un drôle de goût, honnêtement, mais bon, c'était mieux que de mourir de faim.
Combien de temps allons-nous encore tenir ?
Jour 7 :
Toujours pas une goutte de pluie sur cette île. Nous n'avons survécu un jour de plus que parce que Salla a trouvé un panier garni en cherchant dans l'épave. Il y avait là assez pour que deux personnes s'empiffrent - ça avait été sans doute préparé par un couple qui comptait déjeuner sur le bastingage en amoureux. Au lieu de ça, ça permettra à quatre hommes de survivre pendant encore un jour ou deux.
Jour 9 :
Toujours pas de pluie.
Il ne nous reste qu'une seule bouteille d'eau pour 4 personnes. Un seul d'entre nous pourra survivre aujourd'hui.
Il va falloir voter pour ceux qui sont privés de rations, ceux qu'on laisse mourir.
C'est moi qui détient le totem magique que nous avions trouvé sur l'île à notre arrivée. Il me donne d'étranges pouvoirs de persuasion. Je ne pourrais pas combattre l'unanimité, mais s'il y a égalité dans les votes, c'est moi qu'on écoutera. Dure responsabilité.
En plus, nous sommes affaiblis. Le Russe, qui s'était enfin décidé à contribuer à la communauté en allant couper du bois, s'est fait mordre par un serpent. Il est malade et ne pourra pas assister au vote.
Qui n'aura pas d'eau aujourd'hui ?
Je suis prêt à voter pour Jehan. Après tout, c'est le seul d'entre nous à avoir du sang sur les mains. Il a tué Alendir, et il était instable et menaçant même avant ça.
Mais Jehan me persuade de voter pour Outremer.
"Il est malade, il nous sera inutile pendant un certain temps, il ne pourra ni pêcher, ni chercher de l'eau. En plus, moi, je suis trop essentiel pour vous. J'ai une canne à pêche. Elle nous permettra de pêcher plus de poissons. Si vous me laissez mourir de soif, je la casse en deux et je l'emporte avec moi dans la tombe. Vous êtes prévenus."
À regret je vote pour laisser le Russe mourir de soif. Celui-ci ne peut même pas se défendre en votant pour quelqu'un d'autre.
Ce rascal a été malin, cependant. Il a pris la décision plutôt bien. Il s'est écarté pour "mourir"... mais en prenant soin d'emporter une bouteille d'eau qu'il s'était réservée pour les cas d'urgence. Le fumier ! Il avait bien caché son jeu ! (Bon moi, j'ai gardé un sandwich dont j'ai parlé à personne, mais c'est pas pareil, on est en train de mourir de soif, pas de faim...)
Mais j'avoue, quand j'ai aperçu la bouteille qu'il tentait de dissimuler en s'éclipsant dans la jungle, je ne lui en ai pas spécialement voulu. En fait, j'espérais même secrètement qu'il avait gardé de l'eau pour lui. Comme ça, ça veut dire que personne n'est mort suite à ma décision.
Mais le problème était toujours le même.
Alendir mort, Outremer exilé. Il restait Jehan, Salla et moi, et une seule ration d'eau.
Un nouveau vote devait avoir lieu pour savoir qui serait privé d'eau.
Jehan m'avait déjà convaincu qu'il était nécessaire à la communauté, il s'attendait donc à ce que je vote avec lui contre Salla.
C'est logique. En même temps, ça doit vouloir dire qu'il garde assez d'eau planqué pour se sauver lui. Ou qu'il s'imagine que j'ai une réserve secrète, moi. Parce que de toute façon, utile à la communauté ou pas, il n'y a assez d'eau que pour un seul d'entre nous, et je ne vais pas voter pour me laisser mourir moi...
Bref, Salla vote contre Jehan, Jehan contre Salla.
Je vote aussi contre Salla, après tout, effectivement, c'est le moins utile d'entre nous. J'espère que le miracle aura lieu une seconde fois et qu'il n'aura en fait pas à mourir.
Et, effectivement, le miracle a lieu une seconde fois.
Salla est condamné par ce vote à ne pas recevoir de ration d'eau dans le partage des réserves du groupe... Mais il nous ressort une bouteille d'eau qu'il avait cachée sur lui. Il survivra donc à ce tour de vote. J'en suis soulagé. Encore une fois, ma décision n'a envoyé personne à la mort.
J'espérais que les choses allaient continuer ainsi mais...
Mais...
C'est là que je me suis rendu compte qu'ils allaient me tuer.
Outremer et Salla avaient déjà été votés comme ne recevant rien au partage de l'eau. On ne pouvait donc pas à nouveau voter contre eux. Le vote suivant devait déterminer qui, de Jehan ou moi, allait recevoir la seule portion d'eau collective restante.
Outremer, malade et exilé, ne votait pas.
Mais Salla, lui, bien qu'officiellement laissé "mort" par le partage, était toujours en vie, et pouvait toujours voter.
Ils étaient donc deux. Ils pouvaient tous les deux voter contre moi.
Même avec les pouvoirs du totem magique, je ne pouvais pas les contrer s'ils se mettaient tous les deux d'accord pour voter contre moi.
Je n'ai donc pas eu le choix.
J'ai sorti le révolver et ma seule cartouche et j'ai tué Salla.
C'est pas de ma faute.
Je n'avais vraiment pas le choix.
Si je le tuais pas, ils allaient voter contre moi et je ne veux pas mourir de soif !
Alors je l'ai tué. Je l'ai tué et j'ai récupéré ses affaires.
Lui n'était pas armé, mais il avait gardé 2 cartouches, que je me suis empressé de charger dans le barillet de mon revolver.
Malheureusement, il avait déjà vidé la bouteille d'eau qui lui avait sauvé la vie.
Il n'y avait donc toujours qu'une seule bouteille d'eau pour Jehan et moi.
La suite était prévisible.
Jehan a voté pour me laisser mourir de soif. J'ai voté pour le laisser mourir de soif, lui.
Nous n'avons pas réussi à nous mettre d'accord.
Alors j'ai utilisé le pouvoir du totem magique pour trancher le vote en ma faveur.
J'ai pris la seule ration d'eau restante et je l'ai regardé mourir de soif.
J'ai été avec lui jusqu'à la fin.
Je suis seul au feu de camp ce soir.
Seul.
Tout seul.
Jour 10 :
Il pleut. Un peu.
Outremer va mieux, ce soir.
Il n'est plus malade.
Il est resté malade toute la journée, de sorte à être complètement inutile pendant que moi je m'activais à collecter des vivres pour nous deux...
Mais là, par contre, il est suffisamment en forme pour voter.
Niveau nourriture, tout va bien. Mais niveau eau, il y en a que pour un seul. Nous devons voter pour qui sera privé d'eau.
Malédiction, je n'ai plus le totem magique.
Il me l'a pris.
Si je vote pour le laisser mourir et qu'il vote pour me laisser mourir, il se servira de ses pouvoirs pour me forcer à accepter de lui laisser l'eau.
Si je ne fais rien, je suis sûr de mourir !
Il... Il me reste mon revolver... et les 2 cartouches de Salla.
Je n'ai pas le choix.
Je n'ai pas le choix.
Jour 11 :
Pas une goutte de pluie pendant des jours, et maintenant ÇA !
Je n'avais jamais vu une telle tempête ! Il pleut des cordes !
J'ai de quoi récupérer assez d'eau pour boire ce soir et avoir des réserves pour deux jours de voyage.
Tant mieux, parce qu'il faut que je parte MAINTENANT !
C'est aujourd'hui ou jamais... le vent a tout détruit, emporté le campement, arraché les arbres... Même l'épave a été emportée vers le large par la montée des eaux, avant de s'enfoncer dans les profondeurs.
Heureusement pour moi, la mort de tous mes compagnons m'a laissé avec juste assez pour manger ce soir et avoir des rations de voyage pour un jour.
Avec le sandwich triangulaire lyophilisé que je garde avec moi depuis le naufrage, ça me fait juste assez pour survivre deux jours en tout.
Heureusement que Salla avait fabriqué un radeau dans les premiers jours où nous étions arrivés. À la base, on devait l'agrandir pour faire tenir 5 personnes. Mais avec la pénurie d'eau et de nourriture, tout le monde s'est concentré sur la collecte d'eau et la pêche depuis des jours, et il n'a jamais pu achever son oeuvre.
Comme nous étions cinq, puis quatre, ce "radeau à une place" ne nous servait à rien et tout le monde l'avait oublié.
Si la tempête ne l'avait pas jeté en plein milieu de mon chemin, je m'en serais probablement pas rappelé non plus.
Bref. J'ai de quoi manger et boire ce soir. J'ai un radeau "à une place". J'ai des rations d'eau et de nourriture pour deux jours.
L'île va apparemment être complètement engloutie par cette tempête infernale.
Je peux m'en sortir.
Je peux m'en sortir.
Jour 13 :
Comme prévu, deux jours de provision ont suffi.
Une fois la tempête calmée, j'ai dérivé sur le large moins de quarante-huit heures avant qu'un paquebot ne me repère.
Me voilà à bord.
Ils m'ont donné une sorte de gilet qu'on met aux rescapés de la noyade pour les réchauffer. Je pense que c'est juste pour me réconforter, parce que mes vêtements sont secs.
J'ai gagné.
J'ai survécu.
Mais à quel prix ?
J'ai des souvenirs qui me reviennent de la première nuit que nous avons passé tous ensemble sur l'île.
Les chants en plusieurs langues autour du feu de camp.
L'Anglais, l'Allemand, le Serbe... même le Russe. Oui, même lui, qui avait joué perso dès le premier jour, au moment de partager nos rations, il était venu chanter et rire avec nous autour du feu.
Et puis, lui ne s'est jamais révélé être un cannibale ou un meurtrier.
Ah, ce premier soir, où nous étions tous plein d'espoir. On avait peur, on avait froid, mais on était sûrs qu'on allait s'en sortir.
Qu'est-ce qu'on est devenus ?
Qu'est-ce que je suis devenu ?
J'ai encore un revolver.
Et une cartouche.
Jour 1 :
C'est vraiment la galère d'avoir fait naufrage. Mais au moins nous sommes 5 survivants. L'ambiance est bonne, la camaraderie s'est tout de suite instaurée. L'Anglais que nous surnommons "Salla" ou "Albion", l'Allemand, que nous surnommons "Jehan" ou "le Saxon", le Serbe, surnommé "Alendir" ou "Vesna", tous mettent la main à la pâte pour la survie du collectif : qui va pêcher, qui va chercher de l'eau, qui va couper du bois... Il n'y a que le Russe, que nous appelons "Outremer", qui se la joue perso, puisqu'il a passé sa journée à nous éviter et à aller fouiller l'épave à la recherche de... de je ne sais quoi, honnêtement.
Même si ma Pologne natale me manque, nous aurions pu échouer en pire endroit que cette île paradisiaque, où il fait beau et dont les criques foisonnent de poisson. De plus, d'après mes calculs, nous ne sommes pas très loin d'un couloir maritime de fort passage... Un simple radeau et des provisions pour quelques jours devraient nous assurer de trouver un bateau pour nous secourir.
Le moral est bon. Nous avons assez d'eau et de poisson au campement pour assurer notre pitance pour 2 jours. Rien de grave devrait nous arriver. J'ai bon espoir que nous nous sortions tous de ce mauvais pas.
Jour 4 :
Peste soit de ce "beau soleil" dont je faisais l'éloge plus tôt. Ça fait déjà deux jours qu'il n'a presque pas plu, et nous sommes à deux doigts de mourir de soif.
Les tensions montent. Jehan, l'Allemand, a sorti un revolver et s'est montré menaçant avec Salla pour l'obliger à participer à l'effort de collecte d'eau.
Tout le monde pense que ce n'est qu'une tactique d'intimidation et qu'il bluffe : son arme n'est sans doute pas chargée.
Je ne serai donc pas le seul à avoir garder une arme depuis le naufrage ? La mienne, je l'ai récupérée sur un des hommes de l'équipage qui était tombé à l'eau avec moi. Je l'ai gardée juste "au cas où". Toutes les cartouches ont été mouillées, rendues inutilisables, sauf une. Soit il est arrivé la même chose à l'Allemand, soit le Russe n'est pas le seul à avoir fouiller l'épave pendant que j'avais le dos tourné. Il a vraiment fallu un concours de circonstances pour que moi je me retrouve avec UNE cartouche en état de marche, donc je pense comme les autres qu'il doit bluffer avec un revolver vide.
Jour 6 :
Deux jours qu'il n'a pas plu UNE SEULE GOUTTE sur cette île de l'Enfer. Même si nous travaillions tous de concert à la collecte, nous serions bredouilles. Il n'y aura pas assez d'eau pour tout le monde. En plus, la pêche aussi a été mauvaise, et nous commençons aussi à manquer de nourriture.
Alors... Ça devait arriver. La violence.
Le Serbe, "Alendir", a sorti une arme (mais tout le monde est armé dans cette équipe de survivants, c'est pas possible !) et a abattu Jehan. Le coup de feu a pris tout le monde par surprise. Un geste vif, une détonation, l'odeur de poudre dans l'air, et l'Allemand est allongé par terre, sans vie.
"C'était pour sauver le groupe", fait le Serbe, l'arme encore fumante à la main. "Il devenait trop irrationnel. Souvenez-vous comment il a tenté de faire la loi en menaçant Salla. Il aurait fait pareil avec nous tous. Et ça n'allait pas en s'arrangeant. Il aurait fini par mettre ses menaces à exécution !".
J'étais déjà dépassé par les événements, mais c'est à ce moment que quelque chose de plus étonnant encore est arrivé.
Une seconde détonation a résonné dans l'île.
Alendir s'est écroulé à son tour, fauché en plein discours...
Puis, Jehan s'est relevé.
"Co... Comment ?", a balbutié Alendir, en tentant vainement de retenir les flots de sang qui s'échappaient de sa poitrine, "tu devr... devrais être... m.."
Jehan, toujours le revolver à la main, a détaché une sorte de chainette de son cou, puis fait sortir quelque chose du dessous de ses vêtements. Une plaque de tôle. Avec un immanquable impact de balle en plein milieu. Dans un geste qui avait tout le panache d'un Client Eastwood, Jehan a jeté à ses côtés ce morceau de métal qui lui avait sauvé la vie, le sable escamotant le son qu'il aurait fait en touchant le sol.
"J'avais trouvé ça dans l'épave.", a-t-il simplement répondu au Serbe agonisant.
"Je croyais vraiment... que tu bluffais..." ont été ses derniers mots.
Le premier d'entre nous est mort.
"C'était de la légitime défense, vous avez tous vu !", a lancé Jehan devant mon regard accusateur.
"Je récupère ses affaires, bien sûr. Ce n'est que Justice, puisqu'il a essayé de me tuer ! Ah ! Mais c'était vraiment un psycopathe en plus ce type, regardez, il a un manuel pour préparer un repas cannibale ! Quel genre de dégénéré se balade avec ça ?"
Enfin... la bonne nouvelle c'est que personne n'aura à mourir de soif aujourd'hui. Il y avait juste assez de rations d'eau pour 4 personnes, et avec la mort d'Alendir, nous ne sommes plus 5. Il restait le problème de la nourriture.
Mais un autre petit miracle a eu lieu. Juste après s'être chargé tout seul d'enterrer la dépouille d'Alendir, Jehan a trouvé plusieurs kilos de viande fraiche ! Quelle chance ! Je me demande où il a bien pu dénicher tout ça ! Un animal local, peut-être ? Il n'a pas voulu répondre à mes questions.
La viande avait un drôle de goût, honnêtement, mais bon, c'était mieux que de mourir de faim.
Combien de temps allons-nous encore tenir ?
Jour 7 :
Toujours pas une goutte de pluie sur cette île. Nous n'avons survécu un jour de plus que parce que Salla a trouvé un panier garni en cherchant dans l'épave. Il y avait là assez pour que deux personnes s'empiffrent - ça avait été sans doute préparé par un couple qui comptait déjeuner sur le bastingage en amoureux. Au lieu de ça, ça permettra à quatre hommes de survivre pendant encore un jour ou deux.
Jour 9 :
Toujours pas de pluie.
Il ne nous reste qu'une seule bouteille d'eau pour 4 personnes. Un seul d'entre nous pourra survivre aujourd'hui.
Il va falloir voter pour ceux qui sont privés de rations, ceux qu'on laisse mourir.
C'est moi qui détient le totem magique que nous avions trouvé sur l'île à notre arrivée. Il me donne d'étranges pouvoirs de persuasion. Je ne pourrais pas combattre l'unanimité, mais s'il y a égalité dans les votes, c'est moi qu'on écoutera. Dure responsabilité.
En plus, nous sommes affaiblis. Le Russe, qui s'était enfin décidé à contribuer à la communauté en allant couper du bois, s'est fait mordre par un serpent. Il est malade et ne pourra pas assister au vote.
Qui n'aura pas d'eau aujourd'hui ?
Je suis prêt à voter pour Jehan. Après tout, c'est le seul d'entre nous à avoir du sang sur les mains. Il a tué Alendir, et il était instable et menaçant même avant ça.
Mais Jehan me persuade de voter pour Outremer.
"Il est malade, il nous sera inutile pendant un certain temps, il ne pourra ni pêcher, ni chercher de l'eau. En plus, moi, je suis trop essentiel pour vous. J'ai une canne à pêche. Elle nous permettra de pêcher plus de poissons. Si vous me laissez mourir de soif, je la casse en deux et je l'emporte avec moi dans la tombe. Vous êtes prévenus."
À regret je vote pour laisser le Russe mourir de soif. Celui-ci ne peut même pas se défendre en votant pour quelqu'un d'autre.
Ce rascal a été malin, cependant. Il a pris la décision plutôt bien. Il s'est écarté pour "mourir"... mais en prenant soin d'emporter une bouteille d'eau qu'il s'était réservée pour les cas d'urgence. Le fumier ! Il avait bien caché son jeu ! (Bon moi, j'ai gardé un sandwich dont j'ai parlé à personne, mais c'est pas pareil, on est en train de mourir de soif, pas de faim...)
Mais j'avoue, quand j'ai aperçu la bouteille qu'il tentait de dissimuler en s'éclipsant dans la jungle, je ne lui en ai pas spécialement voulu. En fait, j'espérais même secrètement qu'il avait gardé de l'eau pour lui. Comme ça, ça veut dire que personne n'est mort suite à ma décision.
Mais le problème était toujours le même.
Alendir mort, Outremer exilé. Il restait Jehan, Salla et moi, et une seule ration d'eau.
Un nouveau vote devait avoir lieu pour savoir qui serait privé d'eau.
Jehan m'avait déjà convaincu qu'il était nécessaire à la communauté, il s'attendait donc à ce que je vote avec lui contre Salla.
C'est logique. En même temps, ça doit vouloir dire qu'il garde assez d'eau planqué pour se sauver lui. Ou qu'il s'imagine que j'ai une réserve secrète, moi. Parce que de toute façon, utile à la communauté ou pas, il n'y a assez d'eau que pour un seul d'entre nous, et je ne vais pas voter pour me laisser mourir moi...
Bref, Salla vote contre Jehan, Jehan contre Salla.
Je vote aussi contre Salla, après tout, effectivement, c'est le moins utile d'entre nous. J'espère que le miracle aura lieu une seconde fois et qu'il n'aura en fait pas à mourir.
Et, effectivement, le miracle a lieu une seconde fois.
Salla est condamné par ce vote à ne pas recevoir de ration d'eau dans le partage des réserves du groupe... Mais il nous ressort une bouteille d'eau qu'il avait cachée sur lui. Il survivra donc à ce tour de vote. J'en suis soulagé. Encore une fois, ma décision n'a envoyé personne à la mort.
J'espérais que les choses allaient continuer ainsi mais...
Mais...
C'est là que je me suis rendu compte qu'ils allaient me tuer.
Outremer et Salla avaient déjà été votés comme ne recevant rien au partage de l'eau. On ne pouvait donc pas à nouveau voter contre eux. Le vote suivant devait déterminer qui, de Jehan ou moi, allait recevoir la seule portion d'eau collective restante.
Outremer, malade et exilé, ne votait pas.
Mais Salla, lui, bien qu'officiellement laissé "mort" par le partage, était toujours en vie, et pouvait toujours voter.
Ils étaient donc deux. Ils pouvaient tous les deux voter contre moi.
Même avec les pouvoirs du totem magique, je ne pouvais pas les contrer s'ils se mettaient tous les deux d'accord pour voter contre moi.
Je n'ai donc pas eu le choix.
J'ai sorti le révolver et ma seule cartouche et j'ai tué Salla.
C'est pas de ma faute.
Je n'avais vraiment pas le choix.
Si je le tuais pas, ils allaient voter contre moi et je ne veux pas mourir de soif !
Alors je l'ai tué. Je l'ai tué et j'ai récupéré ses affaires.
Lui n'était pas armé, mais il avait gardé 2 cartouches, que je me suis empressé de charger dans le barillet de mon revolver.
Malheureusement, il avait déjà vidé la bouteille d'eau qui lui avait sauvé la vie.
Il n'y avait donc toujours qu'une seule bouteille d'eau pour Jehan et moi.
La suite était prévisible.
Jehan a voté pour me laisser mourir de soif. J'ai voté pour le laisser mourir de soif, lui.
Nous n'avons pas réussi à nous mettre d'accord.
Alors j'ai utilisé le pouvoir du totem magique pour trancher le vote en ma faveur.
J'ai pris la seule ration d'eau restante et je l'ai regardé mourir de soif.
J'ai été avec lui jusqu'à la fin.
Je suis seul au feu de camp ce soir.
Seul.
Tout seul.
Jour 10 :
Il pleut. Un peu.
Outremer va mieux, ce soir.
Il n'est plus malade.
Il est resté malade toute la journée, de sorte à être complètement inutile pendant que moi je m'activais à collecter des vivres pour nous deux...
Mais là, par contre, il est suffisamment en forme pour voter.
Niveau nourriture, tout va bien. Mais niveau eau, il y en a que pour un seul. Nous devons voter pour qui sera privé d'eau.
Malédiction, je n'ai plus le totem magique.
Il me l'a pris.
Si je vote pour le laisser mourir et qu'il vote pour me laisser mourir, il se servira de ses pouvoirs pour me forcer à accepter de lui laisser l'eau.
Si je ne fais rien, je suis sûr de mourir !
Il... Il me reste mon revolver... et les 2 cartouches de Salla.
Je n'ai pas le choix.
Je n'ai pas le choix.
Jour 11 :
Pas une goutte de pluie pendant des jours, et maintenant ÇA !
Je n'avais jamais vu une telle tempête ! Il pleut des cordes !
J'ai de quoi récupérer assez d'eau pour boire ce soir et avoir des réserves pour deux jours de voyage.
Tant mieux, parce qu'il faut que je parte MAINTENANT !
C'est aujourd'hui ou jamais... le vent a tout détruit, emporté le campement, arraché les arbres... Même l'épave a été emportée vers le large par la montée des eaux, avant de s'enfoncer dans les profondeurs.
Heureusement pour moi, la mort de tous mes compagnons m'a laissé avec juste assez pour manger ce soir et avoir des rations de voyage pour un jour.
Avec le sandwich triangulaire lyophilisé que je garde avec moi depuis le naufrage, ça me fait juste assez pour survivre deux jours en tout.
Heureusement que Salla avait fabriqué un radeau dans les premiers jours où nous étions arrivés. À la base, on devait l'agrandir pour faire tenir 5 personnes. Mais avec la pénurie d'eau et de nourriture, tout le monde s'est concentré sur la collecte d'eau et la pêche depuis des jours, et il n'a jamais pu achever son oeuvre.
Comme nous étions cinq, puis quatre, ce "radeau à une place" ne nous servait à rien et tout le monde l'avait oublié.
Si la tempête ne l'avait pas jeté en plein milieu de mon chemin, je m'en serais probablement pas rappelé non plus.
Bref. J'ai de quoi manger et boire ce soir. J'ai un radeau "à une place". J'ai des rations d'eau et de nourriture pour deux jours.
L'île va apparemment être complètement engloutie par cette tempête infernale.
Je peux m'en sortir.
Je peux m'en sortir.
Jour 13 :
Comme prévu, deux jours de provision ont suffi.
Une fois la tempête calmée, j'ai dérivé sur le large moins de quarante-huit heures avant qu'un paquebot ne me repère.
Me voilà à bord.
Ils m'ont donné une sorte de gilet qu'on met aux rescapés de la noyade pour les réchauffer. Je pense que c'est juste pour me réconforter, parce que mes vêtements sont secs.
J'ai gagné.
J'ai survécu.
Mais à quel prix ?
J'ai des souvenirs qui me reviennent de la première nuit que nous avons passé tous ensemble sur l'île.
Les chants en plusieurs langues autour du feu de camp.
L'Anglais, l'Allemand, le Serbe... même le Russe. Oui, même lui, qui avait joué perso dès le premier jour, au moment de partager nos rations, il était venu chanter et rire avec nous autour du feu.
Et puis, lui ne s'est jamais révélé être un cannibale ou un meurtrier.
Ah, ce premier soir, où nous étions tous plein d'espoir. On avait peur, on avait froid, mais on était sûrs qu'on allait s'en sortir.
Qu'est-ce qu'on est devenus ?
Qu'est-ce que je suis devenu ?
J'ai encore un revolver.
Et une cartouche.
Mr. Shadow
Doux mon cœur, fermes mes intentions -mantra psi