Il y a des gens qui ont été bercés, élevés, ont grandi avec les films Disney, en connaissent encore aujourd'hui par cœur les moindres chansons, savent citer les noms des sept nains ou ont les larmes aux yeux à l'évocation des parents de Bambi.
Ce n'est pas vraiment mon cas. Si j'ai lu une quantité exceptionnelle de bandes dessinées Donald et Picsou, je dois avoir vu en tout et pour tout une demi-douzaine des films de la branche principale de la firme, plus quelques clones (Anastasia par exemple). Et encore, quand je dis vu, c'est une fois au cinéma quand j'étais tout gamin, et ils ne se sont pas imprimés plus que cela dans ma mémoire. Par exemple, je sais que j'ai été dans les salles obscures pour Pocahontas lors d'une sortie scolaire... Et je ne me souviens absolument pas de ce qui s'est déroulé à l'écran.
Bref, récemment j'ai regardé Frozen (La Reine des neiges en VF) dont on me disait qu'il était le meilleur Disney depuis bien longtemps. Et c'est probablement vrai.
Mais j'ai quand même été vachement déçu. Parce que cela reste un Disney. C'est-à-dire que malgré ses nombreuses originalités, il retombe souvent dans la trame et les travers classiques de la firme, gâchant des concepts super sympas pour rester dans les clous.
Il est toutefois assez intéressant à regarder et à décortiquer, surtout qu'il pourrait réellement marquer un jalon dans les productions de l'entreprise de Walt, son énorme succès pouvant les inciter à briser le moule dans lequel ils restent prisonniers.
Comme cela me fait une excuse pour procrastiner, et que cela me changera un peu d'écrire sur des bouquins ou des jeux vidéo, voici mon analyse. Et plutôt que de la faire suivre linéairement l'histoire, on va plutôt s'intéresser aux personnages, qui sont assez symptomatiques des qualités et des défauts du long métrage.
Les compagnons humoristiques
Au pluriel, parce que tout va par deux dans ce film. En effet, comme dans tout film Disney, il faut un compagnon non-humain rigolo aux héros. Pour faire rire les enfants. Et pour vendre des jouets. Surtout pour vendre des jouets.
Ici, le rôle est tenu par un renne (Sven) et un bonhomme de neige (Olaf). Et autant j'ai bien aimé le premier, autant le second m'a laissé de marbre.
Soyons clair, l'existence de ces personnages est purement pécuniaire. Il serait tout à fait possible de faire exactement le même film, à un numéro musical chelou près, en les supprimant totalement. Tout au plus faudrait-il réécrire une poignée de scènes, mais il serait aisé d'en conserver le sens et l'impact sans eux. Par exemple :
Mais soit, supposons qu'il faille un personnage de ce type pour remplir les caisses. Dans ce cas ma préférence va au renne pour plusieurs raisons. Tout d'abord car sa présence dans l'histoire est logique (un renne pour se balader dans la neige, ça a du sens), là où Olaf est un beau cas littéral de « ta gueule, c'est magique », ensuite parce qu'il est quand même un tant soit peu efficace (au moins il porte les bagages) là où l'autre est un boulet bien intentionné... Et surtout, surtout, il ne parle pas. Il ne chante pas. Il n'a pas d'accent rigolo. Il ne fait pas de jeux de mots foireux. Il se tait, se contente de comique de gestes.
Et qu'est-ce que ça fait du bien. Un de mes rares souvenirs de Mulan, en-dehors de la déclaration finale de l'empereur, est ce dragon ridicule qui passait son temps à couiner et que tu n'en pouvais plus à la fin. Olaf n'est pas aussi horrible, mais s'il doit vraiment y avoir un personnage rigolo, j'aime autant qu'il soit plus subtil et effacé. Ce qui est probablement l'exact contraire de la volonté du département marketing, mais au moins ils auront essayé.
Les compagnons romantiques
Encore une fois deux, et contrairement à ce qu'il serait facile d'imaginer, ils sont tous prétendants à la même princesse. Et, bien sûr, sont volontairement construits en opposition.
D'un côté Hans, le prince de conte de fées. Le beau gosse qui sort de nulle part, expert à l'épée et en poésie, et, qui en plus, pour une fois, semble avoir de réelles compétences en tant que chef d'état. De l'autre, Kristoff, le rustre roturier, l'artisan qui travaille la terre (enfin la glace), pas doué pour grand chose, mais au grand cœur.
Hans est à mon sens très réussi malgré son apparence de Marty Sue :
Kristoff lui est plutôt transparent comme personnage, et il reste. Il est exactement ce qu'il paraît être, ni plus, ni moins. Et bien sûr, même si c'est un plouc sur le papier, il affiche quand même un grain de peau parfait, un menton rasé, des cheveux propres et toute la panoplie habituelle du pauvre dans un univers médiéval à Hollywood.
Bref, c'est encore une fois du 50/50. Y'a pas mal de bonnes idées et d'auto-parodie subtiles avec Hans, et en même temps Kristoff est le bon benêt qui ne sort jamais vraiment de ce rôle.
Les princesses
Techniquement, l'une d'entre elles est reine à partir d'un tiers du film, mais on va pas chipoter.
Elles sont deux (encore), sœurs et contrastées entre la lunaire Elsa et la solaire Anna.
Elsa, normalement, vous la connaissez. Elle fait toutes les affiches, son thème musical reste dans la tête et refuse de la quitter, toute l'histoire est centrée sur elle. Née avec le pouvoir de faire de geler les choses (ce n'est jamais vraiment expliqué, je suppose que c'est juste une X-woman), et relativement incapable de le contrôler, sa propre puissance la dépasse au point qu'elle s'exile dans les montagnes pour ne blesser personne.
C'est un personnage fort, adulte (elle est rapidement reine, elle organise des trucs, elle s'oppose à ce que sa sœur épouse un homme qu'elle vient tout juste de rencontrer...), avec une psychologie complexe, des pouvoirs qui permettent des scènes magnifiques (je pense par exemple au moment où elle court sur l'eau qui gèle sous ses pas)... Même dans son design, elle est plutôt réussie, si on omet l'excès de maquillage (le fard à paupières violet est tellement marqué qu'on en dirait un cosplay d'Antimony). Bref, c'est clairement l'argument de vente du film.
Et donc, bien évidemment, la plupart du métrage sera consacré à suivre les aventures de sa sœur.
Qui est une humaine normale. Dont le seul vague trouble psychologique est une certaine naïveté. Qui se débrouille dans la vie, mais sans plus.
... Pourquoi ?
Je n'ai rien contre cette seconde princesse, Anna, qui a quand même son lot de scènes réussies (notamment un certain coup de poing à la fin), et avec lequel le scénario s'amuse beaucoup :
Mais c'est un peu comme d'avoir Batman et de faire une histoire sur Alfred. Si c'est volontaire et bien traité, ça peut effectivement fonctionner (l'excellent Gotham Cops racontant la vie de tous les jours de la police de Gotham City en est justement un bon exemple). Mais ici, il est clair que ce n'est pas le cas. Ils avaient un personnage génial, ils sont juste passés à côté.
Quelques recherches m'ont révélé la raison de cet égarement. Le script a en effet connu de nombreux réécritures, et il s'avère que la Reine des neiges était à l'origine la grande méchante sorcière habituelle. Ce n'est qu'au cours des refontes successives (et des changements de doubleuses) qu'elle a lentement évolué vers l'interprétation du film. Mais il n'avait jamais été prévu au départ que ce soit elle l'héroïne.
C'est la définition-même du personnage créé presque par accident et qui finit par dévorer les autres. Un équivalent girly de Jack Sparrow en somme.
Toutefois, mon bilan sera moins sévère que pour les autres duos. Si Anna ne peut pas gagner contre sa sœur, sur tous les plans, en elle-même, c'est un personnage intéressant, qui déconstruit joyeusement le mythe de la princesse Disney (note : je n'ai pas vu Brave/Rebelle). Elle est active, elle fait des trucs, elle...
Mais bon, entre les roulades dans la neige et la congélation d'assassins, j'ai choisi mon camp.
En définitive, je comprends que le film plaise aux fans habituels de Disney (enfants ou adultes amoureux des histoires de ce genre), car il en reprend les codes plus anciens en les détournant et les transcendant. Mais il est encore en partie prisonnier d'eux. L'avenir nous dira si c'est un coup réussi dans une transformation au long terme des productions de la firme ou juste un soudain éclat avant de retomber dans la morosité.
En quelques mots, c'est un bon Disney, mais cela reste un Disney.
PS : Ah, et l'histoire n'a que de très vagues rapports avec le conte d'origine. Au point qu'ils ont changé le titre en VO pour y retirer toute référence... Mais pas en VF (ou dans la plupart des pays d'Europe, ne soyons pas vache qu'avec la traduction française).
PPS : La preview des images directement dans la fenêtre du message lorsqu'on l'écrit (enfin, le copie-colle), c'est vachement cool.