Rendez-vous au 1

Version complète : Les Argonautiques
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L’expédition des Argonautes est l’une des légendes les plus célèbres de la mythologie grecque. Elle a été évoquée par de multiples auteurs (Homère lui-même la mentionne en passant dans l’Odyssée) et les détails varient bien sûr assez largement. La version la plus exhaustive qui nous soit parvenue est le poème épique « Les Argonautiques » d’Apollonios de Rhodes.

Paulo écrit cinq bons siècles après Homère, mais on sent qu’il a beaucoup lu son auguste prédécesseur et qu’il aimerait bien l’imiter. Ça se voit dans le détail de l’aventure (les péripéties ponctuelles au cours du voyage maritime évoquant naturellement celles d’Ulysse). Ça se voit aussi beaucoup dans le style de la narration : on retrouve le même usage de comparaisons pour décrire les actions, les émotions et les situations. Vous savez, les phrases du genre « De même que deux vautours aux becs recourbés et aux serres aiguës, sur une roche escarpée luttent avec de grands cris ; de même il se ruèrent l’un sur l’autre avec des clameurs ». (À vrai dire, je trouve qu’Apollonios est assez nettement inférieur à son modèle sur ce point ; les comparaisons employées par Homère avaient bien plus de force évocatrice.)

Examinons donc, avec tout le sérieux voulu, les divers éléments de ce poème épique du IIIème siècle avant notre ère…


Il était un petit navire (bis)

On ne peut pas se plaindre que le titre de l’ouvrage est mensonger : « Les Argonautiques », c’est le voyage de l’Argo, tout le voyage de l’Argo et rien que le voyage de l’Argo. Ça débute au moment où l’équipage est rassemblé et ça s’achève à l’instant où celui-ci, sa quête achevée, repose enfin le pied en Grèce. Sur les quatre parties du poème, il n’y a que la troisième (en Colchide) où les Argonautes ne passent pas le plus clair de leur temps à naviguer.

Enfin, quand je dis « naviguer »… Il ne faut pas s’imaginer l’amiral Jason et son fier équipage s’aventurant en pleine mer à bord de l’équivalent antique de la Pinta. Non, nos héros font glorieusement du cabotage. Tout le temps. La seule fois où il leur arrive de perdre la côte de vue, c’est lorsqu’une tempête vient les faire dériver pendant plusieurs jours vers le sud au cours de la quatrième partie.

La quatrième partie, parlons-en. Dans les deux premières, le trajet est relativement cohérent ; Apollonios écrit après l’époque d’Alexandre, et la Mer Noire devait désormais être assez bien connue. Dans la quatrième partie, Paulo décide que ce serait trop banal de faire emprunter par ses héros le même chemin qu’à l’aller et leur fait suivre un itinéraire dont la pertinence et la crédibilité peuvent apparaître discutables à un regard moderne. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais disons simplement – à titre d’illustration – qu’il y a un moment où les Argonautes se retrouvent sur le Rhône. C’est comme ça.


La communauté de l’agneau du bélier

Les Argonautes, qui sont-ils ? Techniquement la crème de la crème : rien que des fils et des petits-fils de dieux. En pratique, vu leur nombre, peu d’entre eux ont réellement l’occasion d’être davantage que des figurants.

Certains d’entre eux ont des capacités exceptionnelles : il y a deux devins, Lyncée a sa super-vision, un fils de Poséidon est capable de courir sur l’eau, un autre mec possède une mémoire parfaite, les fils de Borée peuvent voler… Mais tout ça ne sert à vrai dire pas souvent (voire, pour certains, pas du tout). Les deux devins donnent particulièrement l’impression de gars ayant quelque peu enjolivé leurs CVs : non seulement les Argonautes, pour apprendre comment parvenir en Colchide, vont devoir aller consulter un troisième devin (plus compétent), mais les deux rigolos vont se faire tuer au cours du voyage par des périls qu’ils n’avaient pas vu venir.

En-dehors de Jason lui-même, qui sont les célébrités de l’équipage ? On a Castor et Pollux. Il y a aussi Pélée et Télamon, surtout connus pour les fils qu’ils auront dans le futur (respectivement Achille et Ajax).

Et puis il y a Héraclès, qui fait un peu figure de footballeur de Ligue 1 participant à un match amical organisé par le syndicat d’initiative d’Augoulaincourt.

Apollonios devait bien réaliser que la présence d’Héraclès risquait de trop dominer l’histoire : dès la fin du livre 1, il renvoie le demi-dieu à ses travaux, l’Argo ayant quitté son mouillage en l’oubliant par accident (ou par « accident », car il y aura un Argonaute pour soupçonner que Jason l’a fait exprès, de façon à ne pas devoir partager la gloire de cette quête avec une telle célébrité). Bien plus tard, au livre 4, les Argonautes passeront par le jardin des Hespérides un jour seulement après qu’Héraclès en ait récupéré les pommes et soit reparti.

L’ouvrage mentionne que Thésée aurait certainement participé à l’expédition s’il avait été disponible. Mais ledit héros séjournait à l’époque dans un lieu fort calme, où il méditait sur le fait que, lorsque son copain idiot lui avait dit « Et si on kidnappait la reine des Enfers ? », il aurait sans doute été judicieux de répondre non.

Une autre pointure figure en revanche parmi l’équipage et y restera tout du long : Orphée. On pourrait penser que le musicien légendaire saurait aplanir à peu près autant de difficultés avec sa musique qu’Héraclès aurait pu le faire avec sa force. Mais en pratique, même si Orphée a plusieurs fois l’occasion de montrer ce dont il est capable, il y a aussi de longs passages (notamment tout ce qui se passe en Colchide) où l’auteur semble complètement oublier qu’il est là.

Un épisode dont j’avais entendu parler, c’est celui où l’Argo passe dans le voisinage des Sirènes et où Orphée joue de la lyre pour permettre aux héros de résister aux voix des enchanteresses. Je m’étais toujours imaginé que c’était parce que sa musique était plus belle que celle des Sirènes, mais en fait non, ou du moins pas dans cette version. Orphée joue juste plus fort qu’elles, de manière à couvrir complètement leurs voix... En disant ça, je ne peux pas m’empêcher de l’imaginer sur le pont de l’Argo avec une lyre électrique raccordée à deux énormes amplis.

Et Atalante ? D’autres auteurs faisaient d’elle la seule femme parmi les Argonautes, mais dans cette version-ci, Jason a refusé de la laisser se joindre à l’équipage. Paulo a dû se dire que Médée allait plus tard monter à bord, et qu’au milieu d’un groupe d’hommes pour la plupart indistinguables les uns des autres il n’y avait de la place que pour une seule Schtroumpfette.


Jason, le héros à deux drachmes

Les héros grecs reçoivent bien sûr souvent de l’aide (notamment divine) pour accomplir leurs exploits. Mais Jason est bien au-delà de tout ça : lui ne sert vraiment à rien, sauf si on lui tient la main de bout en bout. Lorsqu’il y a des périls, ils sont surmontés par d’autres personnes, ou par les Argonautes en tant que groupe.

Il y a deux fois où le texte indique expressément qu’il tue quelqu’un : la première, c’est en fait un ami que Jason n’a pas reconnu parce qu’il faisait nuit ; la deuxième, c’est le frère de Médée, que Jason attaque par surprise et assassine avant qu’il ne puisse se défendre.

Comme vous pouvez le devinez, c’est en étant porté à bout de bras que notre valeureux héros va accomplir sa quête. Du côté des dieux, même si Athéna joue son rôle habituel de conseillère des héros, c’est avant tout Héra qui soutient Jason. Pas tant à cause de cette histoire où il lui a fait traverser une rivière alors qu’elle était transformée que parce qu’elle déteste Pélias (l’oncle de Jason, qui lui a assigné la quête de la toison d’or pour se débarrasser de lui) et qu'elle veut qu'il lui arrive des bricoles lorsque Jason reviendra avec Médée.

C’est en Colchide que Jason apparaît le plus visiblement comme un branleur, la magie et les conseils de Médée aplanissant à l’avance tous les obstacles qui auraient pu le contraindre à faire le moindre effort. Mais en réalité, il n’en fait pas davantage le reste du temps.

Ah si ! pardon. Il y a une situation précise où Jason va sauver Médée. Pas à la force de son bras, non. Pas non plus en se servant de sa tête. Non, il va la sauver… avec sa bite.

C’est pas une blague. Vers le milieu de la quatrième partie, alors que les Argonautes font escale à une cité italienne, ils sont rejoints par des navire envoyés à leur poursuite par le roi de Colchide. Les poursuivants sont prêts à laisser la toison aux Argonautes, mais ils veulent impérativement ramener Médée à son père, qui a deux mots à lui dire. La suite des évènements dépend de ce que décidera le roi local. Celui-ci adopte une position que l’on pourrait pudiquement qualifier de patriarcale : si Médée est toujours vierge, elle sera rendue à son père ; si elle ne l’est plus, Jason est réellement son mari et elle restera avec lui. La femme du roi a de la sympathie pour Médée et la fait avertir la veille du jour où le souverain rendra publiquement sa sentence, ce qui donne l’occasion à notre héros d’accomplir son plus grand exploit de tout le livre.


Belle enchanteresse, belle enchanteresse, elle jette tant de sorts à toute la Colchide

Et Médée, dans tout ça ? Bien qu’elle n’apparaisse qu’à la moitié de l’histoire, c’est indiscutablement et de loin le personnage le plus intéressant. Peut-être inspiré par la célèbre pièce d’Euripide, Apollonios s’est attaché à mettre en valeur ses émotions, en particulier lorsque la flèche d’Éros vient la frapper d’amour pour Jason.

Médée domine complètement la troisième partie de l’œuvre. C’est moins le cas dans la quatrième (le voyage de retour), mais elle a encore l’occasion de s’y distinguer, notamment en triomphant de Talos par ses enchantements.

Sa magie est très atmosphérique, avec généralement des bons rituels à l’ancienne où tu dois te baigner sept fois de suite dans le même fleuve, puis revêtir des vêtements noirs, égorger un agneau et le faire brûler sur un bûcher en offrant des libations à Hécate, ce genre de choses.

Médée n’a pas encore pas encore le côté malveillant qu’elle acquerra plus tard, et dont Pélias et ses filles seront les premiers à faire les frais. Elle aide tout de même Jason à assassiner son frère, mais il existe certaines versions de l’histoire où cet épisode est bien plus sombre (son frère y est un jeune adolescent qu’elle prend en otage et tue ensuite dans le seul but de ralentir ses poursuivants).

En un curieux aperçu du futur, lors d’un passage où apparaît la déesse Thétis, Héra mentionne que Médée est destinée à épouser bien plus tard Achille aux Champs Élysées. Un couple dont on ne voit pas bien pour quelle raison il a été inventé, mais enfin pourquoi pas ?
(10/04/2024, 19:55)Outremer a écrit : [ -> ]Médée n’a pas encore pas encore le côté malveillant qu’elle acquerra plus tard, et dont Pélias et ses filles seront les premiers à faire les frais. Elle aide tout de même Jason à assassiner son frère, mais il existe certaines versions de l’histoire où cet épisode est bien plus sombre (son frère y est un jeune adolescent qu’elle prend en otage et tue ensuite dans le seul but de ralentir ses poursuivants).

Roh oui, je me souviens de ce passage dans un Alcibiade Didascaux.
Je voyais un peu le mythe des Argonautes comme l'une des premières fanfictions crossovers dont l'histoire ait retenue la trace : on prend plein de personnages d'autres œuvres et on mélange.

Ton génial résumé ne fait que me conforter dans cette idée. Entre l'écriture sous influence, les références et personnages empilés avec plus de générosité que d'intérêt narratif, les couples improbables intégrés au chausse-pied (le coup du flashforward d'un mariage post-mortem est grandiose), tout était déjà là.

Ce qui est doublement rigolo, c'est qu'il doit s'agir là uniquement de la partie émergée de l'iceberg, c'est-à-dire des fanfics d'assez bonne qualité pour avoir survécu à l'épreuve du temps. On a ainsi probablement tout une production littéraire limitée à quelques copies depuis longtemps perdues bien plus basses du front, avec des self-inserts voyageant dans le temps pour coucher avec tout le ghota divin antique.
Y'a pas longtemps j'ai rematé le film datant de 1963.

Il a vieilli d'une belle façon. Les mouvements en stop motion ont gardé plus de charme que certains CGI des débuts Wink
(12/04/2024, 14:06)Feldo a écrit : [ -> ]Y'a pas longtemps j'ai rematé le film datant de 1963.

Il a vieilli d'une belle façon. Les mouvements en stop motion ont gardé plus de charme que certains CGI des débuts Wink

Les effets spéciaux de Harryhausen sont justement célèbres encore aujourd'hui.

On retrouve dans le film pas mal des périls qui figurent dans l'œuvre d'Apollonios : les harpies, Talos, les roches mouvantes, le dragon gardant la toison, les guerriers qui naissent des dents de dragon... Bien sûr, Jason montre autrement plus de compétence pour les surmonter !