Rendez-vous au 1

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Pour un prochain livre-jeu, je m'essaie à un jeu formel.

Un peu comme le traducteur-auteur JF Ménard dans son roman Le Violon noir, où il s'amuse à faire emprunter un cheminement compliqué à ses héros pour les amener à une fin qui n'est qu'un reflet du début, de leur point de départ (début = un bal masqué moderne organisé par une femme déguisée en « impératrice de la planète Vénus ». Fin = au fond d'un labyrinthe souterrain, les héros trouvent des automates anciens qui dansent, autour d'une statue de Vénus). Détail amusant, le labyrinthe et son épreuve finale (trouver trois clés... musicales) évoquent beaucoup celui de Zagor. Ménard avait traduit Le Sorcier de la Montagne de Feu vers la même époque...

[Image: giphy.gif]

Ou un peu comme la fameuse scène vers le début du film Une journée en enfer (Bruce Willis dans une camionnette de la police, mal au crâne, demande une aspirine, se fait lire les affaires courantes dont une histoire de vol de camions-bennes - à 4-5mn puis 14-16mn), scène où l'essentiel des péripéties de la suite sont annoncés : le twist lié à l'étiquette sur le flacon d'aspirine, les camions-bennes qui apparaissent au milieu du film pour le faire rebondir...

[Image: giphy.gif]

Donc voilà, pour une fois j'ai planifié proprement le déroulé d'un livre-jeu en 5 étapes, avec une map par étape, et la map 1 annonce par sa construction toutes les étapes à venir :

Flèche décor indiquant le genre : île, piraterie, trésor, portail à la King Kong.
Flèche aligner les têtes des 3 persos animés (en noir : crabe tête de mort, tête du héros, pieuvre parlante). Et ça passe pile par le X qui, comme chacun le sait, ne marque jamais l'emplacement, n'est-ce pas Indiana Jones.
Flèche règle des tiers (en vert) et plans successifs indiquant les étapes : coffre, puis mât de l'épave, puis porte, puis bâtiment au loin.
Flèche lignes de fuite (en orange) pointant ce but ultime (dernier niveau)
Si j'étais joueur, je ferai du mât de l'épave un mât scénaristique.

[Image: aaaa12.jpg]
Curieux de voir ce que ça va donner. C'est toujours enrichissant de travailler en se fixant une contrainte formelle (même si c'est plus compliqué forcément).
Disons qu'ici ce n'est pas une contrainte d'écriture (comme celles que se fixait Pérec), c'est plutôt une manière de rendre visible le plan de l'aventure dès le début, et de s'en amuser à la conception de la map.
Un topic très intéressant ! D'autant qu'il nécessite de travailler main dans la main avec l'illustrateur, ce qui ne se fait pas assez (j'avais remarqué par exemple plusieurs incohérences à ce niveau dans le Dragon de la Nuit, par exemple un escalier sur une image qui n'est pas mentionnée dans le texte).

Dans les jeux-vidéo, où les graphismes constituent une part majeure de l'expérience proposée, les indices visuels sont un outil incontournable de level-design, car ils guident le joueur sans un mot ni lui forcer la main. Telle forme ou telle couleur qui se détache invite à l'interaction, tel début de piste incite à tourner, telle construction lointaine suggère de se diriger vers elle. Dans le cas d'une image fixe comme ici, la construction à la façon d'un tableau peut faire beaucoup également pour aiguiller le regard.

Au-delà de ces considérations ludiques, j'aime beaucoup, dans le jeu-vidéo Dark Souls, les récompenses narratives que ces indices visuels peuvent offrir. Par exemple, tel objet dans tel lieu implique que tel évènement s'y est passé, même si s'en rendre compte n'a pas de conséquences ludiques. Ou encore le fait que depuis n'importe quel endroit qu'on explore, on aperçoive d'autres endroits explorables. Depuis A on aperçoit B et C. Depuis B on aperçoit A, mais C est caché. Mieux, parfois, D peut être deviné depuis A, mais on n'en prend conscience qu'une fois qu'on s'est rendu à D (par exemple, un château caché dans la brume). Cela renforce la cohérence du monde, qui n'est plus perçu alors comme une simple succession de stages.

Bref, je trouve ça super, ce travail de guidage et d'annonce visuels. La partie graphique est importante dans tes livres-jeux comme celui sur Minecraft, alors autant exploiter ce potentiel ! Smile
Je viens de m'en rendre compte, mais dans les tomes 2 et 3 de cette série (l'un paraît après-demain, l'autre en mai), la couverture ET le titre annoncent le dernier chapitre ou la résolution finale. Enfin pour le 3 c'était prévu dès le synopsis, mais je m'aperçois juste que c'était déjà le cas dans le 2 sans y avoir vraiment réfléchi avant.

Etape suivante : que le texte d'intro soit en réalité la fin, et que toute l'intrigue qui suive soit rétrospective pour savoir comment le héros en est arrivé là ? Technique souvent vue au ciné.
Dans un tout autre genre, je conseille le premier long-métrage de Christopher Nolan "Memento", où l'histoire est racontée de la fin au début. Un grand classique du polar. Harold Pinter avait aussi choisi de remonter le temps dans une pièce de théâtre intitulée "Betrayal" (en anglais).
Plus près de nous, il y a "Irréversible" de Gaspar Noé, mais c'est un film très controversé. La fin-début demeure très belle, notamment en raison de l'horreur du début-fin (mais c'est le milieu-milieu encore plus atroce qui clive...).
Et plus récemment, on peut apprécier le doux et beau "Rendez-vous à Tokyo" avec ses sept rendez-vous dans l'ordre antéchronologique.

Il doit y en avoir plein d'autres. C'est un procédé très stimulant je trouve.
J'ai jamais eu le courage de voir "Irréversible"... mais tout ça n'est qu'une généralisation du procédé du flash-back. Il y a aussi une pelletée de films où on trouve le héros dans une situation, puis s'ensuit un long flash-back pour expliquer comment il en est arrivé là. Après, dans une AVH c'est pas facile à caser, même si je crois que justement Outremer avait relevé ce pari !
Citation :Après, dans une AVH c'est pas facile à caser, même si je crois que justement Outremer avait relevé ce pari !

Dans quelle AVH ?

Après, il y a "tenet"... bonne chance pour insérer un tel procédé ^^
Il y a aussi L'Usage des armes, un roman de science-fiction écrit par Iain M. Banks, qui fait partie du cycle de La Culture. Comme dans Mémento ou Irréversible, l’ordre des chapitres est l’inverse de l’ordre chronologique
Citation :...mais tout ça n'est qu'une généralisation du procédé du flash-back.

Pas seulement, en fait. En tous cas, l'effet n'est plus du tout le même. 

Par exemple, dans le film "Rendez-vous à Tokyo" où on vit sept ans à rebours la même journée, un homme (personnage secondaire) attend sa femme disparue à cette date, chaque année, assis sur un banc. Ce qui, au départ, n'est qu'une figure fantomatique, une sorte de miroir de l'histoire principale, devient soudain bouleversant quand, cinq ou six ans plus tôt (et donc plus loin dans le film), l'homme attend sa femme sous une pluie battante et que l'héroïne part à sa recherche... pour finalement retrouver le couple réuni à la grande surprise du spectateur (puisque la femme n'était pas encore morte mais seulement partie acheter un parapluie) ! 
Ou, encore un an plus tôt, lorsque le même couple prend le soleil sur le même banc, inconscient des malheurs à venir.

Un autre procédé qui m'a émerveillé : le héros rencontre plusieurs fois un chanteur (au travail, etc.) mais il ne se souvient pas de l'occasion à laquelle ils se sont vus la première fois. Ce n'est que lorsque le film remonte à la première rencontre entre les deux personnages principaux qu'on comprend : à l'époque, c'était seulement un chanteur de rue, et il a bercé leur danse improvisée dans une ruelle, ce fameux premier soir. Bien sûr, la musique et la voix ont marqué à jamais les personnages sans qu'ils identifient clairement pourquoi... Un magnifique écho, encore.

Le fait de vivre les événements dans l'ordre inverse fait qu'à chaque fois, c'est un peu le futur qui est un flashback, autrement dit c'est le futur qui donne tout son sens à la scène passée. Ou du moins, qui colore fortement cette scène que l'on est en train de vivre. Bref, c'est fascinant de voir comme chaque procédé permet de créer du sens (quand il ne s'agit pas - et, pardon pour les fans, mais "tenet" me semble hélas entrer dans cette dernière catégorie - de s'étourdir avec la virtuosité des procédés en oubliant ce qu'ils peuvent apporter au récit).
Il y a peut-être un genre où c'est plus facile à caser : l'enquête policière.
Si ma mémoire est bonne, dans la série Columbo, le spectateur assiste d'abord au crime et voit ensuite comment le brave inspecteur remonte le fil pour confondre le coupable.
Après, comme le dit Gynogege, pour caser ça dans une AVH, bonne chance...
Oui, c'est clair que la manière de construire le récit en jonglant avec les parties de l'histoire peut s'avérer passionnante... si on évite de tomber dans de l'épate inutile. Oui, ça doit avoir un sens, ou à défaut, donner au moins un plaisir esthétique au lecteur.

En discutant en off avec Indigo, je m'aperçois que dans mon dernier bouquin (celui dont j'ai mis un croquis en tête de topic, L'île infernale), il y a une histoire des lieux qui, comme la géographie, essaie d'être cohérente. Des indices permettent en effet de reconstruire tout un drame arrivé sur l'île AVANT l'arrivée du joueur. Ça explique pourquoi on trouve des armes cachées ici, un coffre abandonné là, un cadavre enterré, par qui, etc.

Mettre ces indices bout à bout n'est pas DU TOUT essentiel au jeu, la plupart des lecteurs n'y feront pas attention, considérant que tout est là pour "faire pirate". Mais je suis content d'avoir essayé de travaillé cet aspect.
(04/02/2024, 16:25)Voyageur Solitaire a écrit : [ -> ]Après, comme le dit Gynogege, pour caser ça dans une AVH, bonne chance...
Pourtant, il me semble qu'il y a au moins deux AVH qui utilisent ce procédé :
"Ora Est Labora" d'Outremer (dans la première séquence on débarque dans un bar dans un état pas possible, puis l'AVH qui se déroule antérieurement, avant que la dernière partie nous ramène dans le bar) et "Escale à Poesie" qui commence par la séquence finale (là aussi on est dans un drôle d'état) et dont le concept même est un retour dans le passé permettant d'expliquer pourquoi on est dans un tel état (un œil au beurre noir, un veste tâchée de sang...)
Pour ajouter aux AVH que tu cites, grattepapier, un autre titre qui exploite la chronologie dans son design : la traduction du tome 1 de L'Hérétique par permusashi. On revit plusieurs fois la même journée, ce qu'on a appris la veille débloquant des conversations et faisant avancer l'histoire. A la première itération de la journée on est face à un sac de noeuds, qu'on va dénouer progressivement.
https://www.la-taverne-des-aventuriers.com/t7202-l-heretique-tome-1-le-monde-perdu
Là c'est du gamedesign lourd, alors qu'une intro étonnante suivie d'une intrigue rétrospective, c'est en fait assez facile à écrire, c'est plus un procédé d'écriture sympa pour accrocher le lecteur, qu'un procédé de jeu. Sauf s'il faut, mettons, se rappeler un élément de cette intro pour faire le bon choix vers la fin du jeu (le héros est revenu avec blessure saignante à l'épaule ; ça veut dire que le boss démasqué cachait une arme dans sa botte et que non, il ne faut pas accepter sa reddition).
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