13/04/2021, 23:57
"Le principe est simple. Notre agence de protection contre les fantômes fonctionne sur un roulement entre 3 équipes : l'équipe de recherche, l'équipe d'investigation - c'est nous - et l'équipe d'extermination.
La première équipe ne met pas les pieds dans le bâtiment hanté. Ils épluchent les archives de la ville, les cadastres, les vieux journaux, et essaient d'obtenir les plans d'architecte des lieux, ainsi que toutes les informations dont la 2ème équipe aurait besoin. Quel est le nom du fantôme ? Est-ce un homme ou une femme ? S'est-il déjà manifesté à un groupe de personnes ou seulement à des personnes seules ? A-t-il déjà été violent voire meurtrier ?
Ensuite, ils passent toutes les informations recueillies à l'équipe d'investigation, qui se rend sur place.
Notre rôle est d'identifier précisément le type de fantôme auquel nous avons affaire. Est-ce un revenant, un démon, un esprit ? Nous disposons pour le découvrir d'un équipement spécialisé, conçu pour détecter les preuves du surnaturel : lampe à UV, détecteur de champ magnétique… Il nous est aussi nécessaire, au cours de notre exploration, de trouver quelle pièce ou quel couloir est le lieu de résidence du fantôme, même s'il est capable d'en sortir et de déambuler dans le reste du bâtiment.
Je ne te cache pas que c'est un métier à risques. Beaucoup de fantômes sont violents et peuvent nous attaquer si on les met en colère, s'ils sentent notre peur ou simplement parce que nous restons trop longtemps en intrus sur leur territoire.
Une fois que nous quittons les lieux - espérons, sains et saufs -, avec toutes les preuves que nous avons pu récolter, nous transmettons toutes les informations, ainsi que notre conclusion définitive sur le type de fantôme dont il s'agit, aux membres de la troisième équipe, qui prennent le relai. Eux-seuls se chargent de débarrasser les lieux du fantôme : ils sont équipés et entraînés pour cela, mais le résultat de notre investigation est capital pour leur succès. Et leur survie."
Ainsi expliquai-je à Jehan, le nouveau venu et seul autre membre de mon groupe. Des deux, j'étais pour ainsi dire le vétéran, puisque j'avais passé l'entraînement 3 fois avant de le valider. Je n'avais encore jamais été envoyée sur un contrat avec un fantôme violent jusqu'ici. Lui non plus, mais lui n'avait même pas passé l'entraînement.
J'avais un peu l'impression d'être le Lieutenant Gorman dans Aliens.
"Vous avez inspecté combien de maisons hantées, chef ?
- Euh. Trois. En simulation.
- Mais en situation réelle, chef ?
- Une. Celle-ci y compris."
Tard dans la nuit, nous arrivons devant une petite maison de bord de route à Ridgeview, et nous stationnons le camion de l'agence.
"C'est le moment de bien écouter, le bleu ! Alors, voilà. L'équipe de reconnaissance nous a laissé ses notes sur ce tableau blanc : le fantôme est un homme du nom de Richard Dawson. Il est potentiellement violent et pourrait nous tuer si on le met en colère. Il est connu pour ne répondre qu'à des personnes seules dans une pièce, jamais à un groupe de deux ou plus -ah mince, ça c'est chiant. Ça veut dire qu'on va devoir se séparer pour le contacter, ce qui est plus dangereux.
Notre objectif principal est, bien évidemment, de trouver la salle dans laquelle il se terre principalement, et de quel type de fantôme il s'agit. Nous avons aussi des objectifs secondaires facultatifs.
- Objectif numéro 2 : essayer de l'étourdir en allumant un bâton d'encens.
- Oui, alors ça, tu laisses tomber, parce qu'on n'avait pas assez de sous pour acheter des bâtons d'encens, de toute façon, donc pour cet objectif c'est mort.
- Euh. Hein ? Objectif numéro 3 : avoir notre santé mentale qui tombe en-dessous des 50% ? En quoi c'est un objectif ?
- Bah c'est un challenge, quoi ! Heum…"
Je présente à Jehan l'équipement dans le camion.
"Ici, tu as l'écran d'ordinateur sur lequel apparaîtront les images des caméras de surveillance que nous placerons dans la maison. Sauf que là, on n'en a encore placé aucune, donc on a seulement accès à la vidéo de la caméra de surveillance qui est fixée au-dessus la porte entrée. On peut switcher *pense à tholdur*, euh je veux dire, on peut permuter entre la vision normale et la vision nocturne.
- OK.
- Tu vois cette carte, là ?"
Je pointe un autre écran sur la paroi opposée du camion, de tous les doigts de la main, reproduisant accidentellement le salut nazi.
" C'est le plan d'architecte de la maison. C'est une maison à 1 étage, avec 4 chambres, et 1 sous-sol. Le symbole ici, c'est l'emplacement du disjoncteur, au cas où on aurait à rebrancher le courant. Tu as compris ?
- Heil !
- Sur ce moniteur, tu as une évaluation de notre santé mentale…
- Hein ? Mais comment ça peut marcher, ce truc ?
- …sachant que le fantôme ne peut nous faire du mal que si notre santé mentale est basse, et que plus on reste dans le noir, plus notre santé mentale baisse.
Bon, sur ce moniteur-ci, tu as le volume du son dans la maison - pour l'instant, pas un seul bruit -, et sur celui-là, une mesure de l'activité surnaturelle dans la maison. Pour l'instant c'est calme. Le fantôme doit être en sommeil. Mais s'il commence à bouger des objets dans la maison, ça s'agitera un peu, et s'il essaie de nous tuer, ça s'agitera beaucoup.
- Euuuh, ok.
- D'après l'équipe de recherche, on devrait disposer de 5 minutes, à partir du moment où on aura passer la porte d'entrée, pour explorer la maison sans danger d'être attaqués comme intrus par le fantôme. Enfin, à condition de pas le provoquer directement, évidemment.
- Évidemment.
- S'il se montre timide et qu'on a besoin de le faire réagir, on peut essayer de l'appeler par son nom, mais uniquement en dernier recours. Le reste du temps, il ne faut pas l'appeler au risque de le provoquer.
Bon, je te montre l'équipement qu'on va emporter avec nous dans la maison.
Je vois que tu as pris la lampe-torche, c'est bien. C'est celle qui éclaire le mieux. Moi je prendrai la lampe à UV. Je prends aussi ça : c'est un détecteur de champ magnétique. S'il y a de l'activité fantomatique, je devrais pouvoir lire quelque chose. Ça, c'est un cahier, au cas où notre fantôme voudrait nous écrire quelque chose.
- Ça c'est quoi ?
- Ah ! Ça, c'est un détecteur d'ondes radio à modulation de fréquence. Ça balaie très rapidement toutes les ondes de la bande FM de haut en bas et retour. Si on pose des questions à notre fantôme, certains sont capables de nous répondre à travers ça. On appelle ça la "Spirit Box". Par contre, ça ne fonctionne que dans le noir, donc il faudra éteindre les lumières quand on l'utilisera.
Bon, sinon, l'équipe de reconnaissance nous a conseillé de venir avec un thermomètre électronique, mais j'avais plus assez de sous pour en acheter un.
Voilà, je crois qu'on a fait le tour. Tu as des questions, Jehan ?
- Oui, Madame. Pourquoi est-ce qu'on a une seule lampe-torche pour deux ?
- Euh, parce qu'on n'avait pas assez d'argent pour une deuxième.
- Donc, on a assez d'argent pour avoir un camion fourni avec tout ce matériel high-tech, des caméras de surveillance avec émission en direct, un détecteur d'activité surnaturelle en temps réel, un détecteur électro-magnétique… mais on n'a pas assez pour acheter une lampe-torche à la superette du coin et un pauvre bâton d'encens ?
- Euuuuh… Ben… C'est parce que c'est l'agence qui nous a fourni le camion et tout le matériel high-tech, mais pour l'équipement à prendre avec nous, ça devait venir de ma poche."
"Bon allez ! On a perdu assez de temps comme ça ! J'entre le code pour ouvrir le fond du camion et on entre dans cette fichue maison hantée ! Pour notre premier vrai contrat, Jehan ! Allez, l'agence a dit que c'était un contrat pour amateurs, donc ça devrait pas être trop dur… Heum… Bon, d'accord, on va mourir en cinq minutes…
-Mais non, Madame Lyzi. Je suis sûr que tout va bien se passer !"
Nous descendons du camion et approchons de la maison. La première, j'ouvre la porte d'entrée avec la clé que m'a fournie la première équipe, et j'entre à l'intérieur.
Je découvre avec soulagement qu'on peut allumer la lumière électrique de l'entrée sans aucune difficulté. Au moins, nous n'aurons pas à remettre les plombs.
Les meubles de l'entrée sont dispersés assez bizarrement, un peu comme si quelqu'un était sorti précipitamment en bousculant tout. Jehan ramasse une clé sur une petite desserte.
Nous apercevons un peu plus loin en face de nous l'escalier qui monte aux chambres. Sur notre droite, un petit salon et possiblement d'autres pièces. À notre gauche, un couloir étroit.
Nous commençons par le couloir du rez-de-chaussée, allumant les lumières au fur et à mesure de notre progression.
"Eh, Jehan. On va décider d'un truc. Quand tu passes une porte, soit tu l'ouvres complètement, soit tu la fermes complètement. Comme ça, si on retrouve une porte un peu entrouverte, ou un peu fermée, c'est que c'est le fantôme qui l'a bougée.
-Pas con !
-Et si toutes les portes claquent et se verrouillent d'un seul coup, c'est que le fantôme essaie de nous tuer.
-Cool..."
Jehan entre dans un petit local où il y a deux gros appareils ménagers, je pense un lave-linge et un sèche-linge.
"J'ai trouvé un bouton qui fait rien, Madame.
-Euh ouais… Je crois que c'est le chauffe-eau. Continuons."
Nous poursuivons dans la cuisine.
"Il y a des gros couteaux de cuisine par terre, Madame. C'est pas du tout inquiétant."
Je pousse une nouvelle porte, au fond de la cuisine.
"C'est le garage… Euh… Passe devant, Jehan, c'est toi qui as la meilleure lumière. Je suis… Je suis juste derrière toi.
-Bon, c'est bien le garage, voilà la voiture. Et l'interrupteur est là.
-Et voilà la disjoncteur. Mais il est déjà allumé, donc ça ne sert à rien d'y toucher.
-Richard ? Tu es là ?
-Chut ! Chut ! Chut !... Ah, je déteste quand la lumière vacille…
-Ah mince ! J'ai fait tomber le truc, là, la radio ! Je l'ai fait tomber dans l'armoire !
-La Spirit Box ? Attends… Voilà, j'ai ouvert, tu peux la reprendre.
-Euh, comment tu as fait ça ?
-Ben, j'ai utilisé… MA MAIN…
-Maaais…
-Je ne détecte aucun champ électro-magnétique. Je ne pense pas qu'on soit dans la pièce du fantôme. Cherchons dans d'autres pièces, il ne doit plus nous rester beaucoup de temps.
-Mais non, je suis sûr qu'il nous reste plein de temps."
Nous retournons dans le petit couloir entre l'entrée et la cuisine, et en face de la buanderie, nous entrons dans une petite salle de bain que nous n'avions pas visitée à l'aller.
"Euh, j'ai un robinet qui coule tout seul, là, Lyzi.
-T'es sûr ?
-Bah, je suis à peu près sûr que je peux pas ouvrir le robinet d'aussi loin, oui, j'étais encore sur le seuil de la porte quand il a commencé à couler !
-Attends, éteins la lumière, je passe l'évier et le miroir à la lampe à UV… Hmm… Non, pas de traces d'ectoplasme."
Nous repassons dans l'entrée et découvrons une petite porte à l'angle.
"Ah ! Attends Lyzi, j'ai vu une ombre bizarre sur le mur.
-Où ça ?
-Là, sur ce mur ! En haut à gauche. Tiens ta lampe à UV comme ça, là !
-Comme ça ?
-Oui, comme ça.
-Comme ça, dans ton dos, donc ? Bah, c'est ton ombre ça.
-Ah. Oui. Bon."
Il continue vers la petite porte et actionne la poignée.
"J'arrive pas à l'ouvrir.
-Tu peux pas essayer la clé que tu as trouvée tout à l'heure ?
-Ah, non, en fait, il fallait juste la pousser dans l'autre sens.
-Ok, descends l'escalier, je suis juste derrière toi.
-Alors... ça descend vers une cave je pense… J'ai trouvé un interrupteur, mais ça n'allume pas l'escalier… Je… AAAAAAAAAAH ! Ah, non, c'est toi.
-Bah oui, je t'ai dit que j'étais juste derrière toi… Et je pense que l'interrupteur en bas de l'escalier allume seulement la cave, je vois un liseré de lumière au-dessus de la porte."
Nous entrons et commençons à explorer la cave. Elle est deux fois plus grande que le garage, et bien fournie en outils.
"J'ai trouvé une scie", annonce Jehan. "Je pense que c'était important de le signaler.
-Il y a deux grandes armoires métalliques, ici. Au moins, si le fantôme nous attaque dans cette pièce, il y a de quoi se cacher.
-Monsieur Dawson ? Monsieur Dawson, vous êtes là ?
-Chut ! Chut ! Chut ! …
-Euh, attends… Quand tu dis que le fantôme peut réagir si on l'appelle par son nom… Tu veux dire que ce jeu a un système de reconnaissance vocale ?
-Bah oui !
-Ah, donc en fait, je nous mettais en danger depuis tout à l'heure, en fait ?
-Bah oui ! C'est pour ça que j'arrêtais pas de te dire "chut !" !
-Euh... Non en fait, j'appelais Monsieur Thompson ! Vous énervez pas Monsieur le fantôme !
-Ah, mais je suis une idiote ! On a affaire à un fantôme du type qui ne répond qu'à une personne seule ! L'équipe de reconnaissance nous l'avait mis sur le tableau blanc dans le camion ! On a toujours été ensemble, il risquait pas de réagir.
-Bah séparons-nous. Ça me parait une très bonne idée. Comme dans tous les films d'horreur, ça va sans doute très bien se passer…
-Jehan, t'es où ? T'es toujours dans la cave ? Moi je suis remontée.
-Ah, on se sépare vraiment, alors ? ...et je t'entends très mal, au fait.
-Bon attends, je retourne dans le camion vérifier des trucs.
-Ah, mais tu m'abandonnes carrément, en fait ?
-Non non, je veux juste vérifier des trucs…
-Euh, est-ce que tu peux parler dans le talkie, parce que là, je t'entends plus du tout.
-Eh merde ! Notre santé mentale !
-Allo ? Allo ? Parle dans le talkie, over !
-Rah, comment ça marche ce truc…
-Ben trouve !
-Ah, ça y est, j'ai trouvé comment allumer mon talkie.
-Et c'est moi le bleu…
-Jehan, notre santé mentale est vraiment très très basse, là ! Over !
-Ah bon, pourquoi ? Parce qu'on a peur dans le noir ? Over."
En retournant vers la maison, je vois l'ombre de Jehan passer dans l'entrée. Je m'élance à sa suite.
"Ah, ça y est, tu es sorti de la cave. Ah ! Bien ! Je vois que tu as allumé le petit salon à droite de l'entrée."
Soudain, je constate que la pièce attenante au petit salon est elle-même éteinte, et que la porte suivante est complètement fermée, ce qui pour moi est un signe que Jehan n'est pas allé par là.
"Euh... C'est bien toi qui as allumé la lumière dans le petit salon ? Jehan, tu es où ? Over.
-Je suis à l'étage, over.
-Ok, je te rejoins, over."
Je monte l'escalier, éclairée seulement de ma lampe à UV… dont le faisceau commence à vaciller. Fortement.
"Eh ! Lyzi ! J'ai trouvé un truc cool, là, over."
La lumière de ma lampe continue à vaciller fortement… ainsi que toutes les lumières de la pièce, un peu plus loin, d'où semble provenir la voix de Jehan.
Présumant qu'il s'agit d'un signe que le fantôme est sur le point d'attaquer, je fermai la bouche, m'imposant un silence absolu, afin de ne pas attirer son attention, et commençai doucement, très doucement, à redescendre l'escalier à reculons.
Une fois retournée dans l'entrée au rez-de-chaussée, je constatai avec horreur que la porte de la maison, que j'avais laissée ouverte, s'était totalement fermée. Je me précipitai sur la poignée pour constater que c'était verrouillé.
Je regardai de tous côtés. Pas une seule armoire, pas un seul meuble assez haut pour se cacher.
"Jehan. Je vais mourir."
Le fantôme commença à m'apparaître par flashs. Je me mis à courir vers la cuisine, mais je n'avais pas fait deux pas qu'il m'avait rattrapée. Ses mains spectrales se refermèrent sur ma gorge…
Puis, je me retrouvai moi-même un esprit dans l'au-delà. Au travers des brumes entre les deux mondes, je parvins à voir Jehan qui se penchait sur mon cadavre. J'entendais encore sa voix, mais lui ne m'entendait pas répondre.
Pour tenter de communiquer avec lui, je saisis une théière sur le comptoir, et lui fis décrire un cercle au bout de mon bras. Mais Jehan n'y prêta pas attention. Son regard portait ailleurs.
"Allez ! Viens, Richard Dawson ! Viens me tuer ! Allez, viens !"
À peine quelques secondes après, l'ombre cauchemardesque s'abattit sur lui. Avec horreur, je vis mon partenaire se faire disloquer par le fantôme. Puis, il s'écroula mort à son tour.
…"eh dis donc, on a gagné 10$ pour avoir eu notre santé mentale en-dessous des 50% ! C'est pas si mal !"
La première équipe ne met pas les pieds dans le bâtiment hanté. Ils épluchent les archives de la ville, les cadastres, les vieux journaux, et essaient d'obtenir les plans d'architecte des lieux, ainsi que toutes les informations dont la 2ème équipe aurait besoin. Quel est le nom du fantôme ? Est-ce un homme ou une femme ? S'est-il déjà manifesté à un groupe de personnes ou seulement à des personnes seules ? A-t-il déjà été violent voire meurtrier ?
Ensuite, ils passent toutes les informations recueillies à l'équipe d'investigation, qui se rend sur place.
Notre rôle est d'identifier précisément le type de fantôme auquel nous avons affaire. Est-ce un revenant, un démon, un esprit ? Nous disposons pour le découvrir d'un équipement spécialisé, conçu pour détecter les preuves du surnaturel : lampe à UV, détecteur de champ magnétique… Il nous est aussi nécessaire, au cours de notre exploration, de trouver quelle pièce ou quel couloir est le lieu de résidence du fantôme, même s'il est capable d'en sortir et de déambuler dans le reste du bâtiment.
Je ne te cache pas que c'est un métier à risques. Beaucoup de fantômes sont violents et peuvent nous attaquer si on les met en colère, s'ils sentent notre peur ou simplement parce que nous restons trop longtemps en intrus sur leur territoire.
Une fois que nous quittons les lieux - espérons, sains et saufs -, avec toutes les preuves que nous avons pu récolter, nous transmettons toutes les informations, ainsi que notre conclusion définitive sur le type de fantôme dont il s'agit, aux membres de la troisième équipe, qui prennent le relai. Eux-seuls se chargent de débarrasser les lieux du fantôme : ils sont équipés et entraînés pour cela, mais le résultat de notre investigation est capital pour leur succès. Et leur survie."
Ainsi expliquai-je à Jehan, le nouveau venu et seul autre membre de mon groupe. Des deux, j'étais pour ainsi dire le vétéran, puisque j'avais passé l'entraînement 3 fois avant de le valider. Je n'avais encore jamais été envoyée sur un contrat avec un fantôme violent jusqu'ici. Lui non plus, mais lui n'avait même pas passé l'entraînement.
J'avais un peu l'impression d'être le Lieutenant Gorman dans Aliens.
"Vous avez inspecté combien de maisons hantées, chef ?
- Euh. Trois. En simulation.
- Mais en situation réelle, chef ?
- Une. Celle-ci y compris."
Tard dans la nuit, nous arrivons devant une petite maison de bord de route à Ridgeview, et nous stationnons le camion de l'agence.
"C'est le moment de bien écouter, le bleu ! Alors, voilà. L'équipe de reconnaissance nous a laissé ses notes sur ce tableau blanc : le fantôme est un homme du nom de Richard Dawson. Il est potentiellement violent et pourrait nous tuer si on le met en colère. Il est connu pour ne répondre qu'à des personnes seules dans une pièce, jamais à un groupe de deux ou plus -ah mince, ça c'est chiant. Ça veut dire qu'on va devoir se séparer pour le contacter, ce qui est plus dangereux.
Notre objectif principal est, bien évidemment, de trouver la salle dans laquelle il se terre principalement, et de quel type de fantôme il s'agit. Nous avons aussi des objectifs secondaires facultatifs.
- Objectif numéro 2 : essayer de l'étourdir en allumant un bâton d'encens.
- Oui, alors ça, tu laisses tomber, parce qu'on n'avait pas assez de sous pour acheter des bâtons d'encens, de toute façon, donc pour cet objectif c'est mort.
- Euh. Hein ? Objectif numéro 3 : avoir notre santé mentale qui tombe en-dessous des 50% ? En quoi c'est un objectif ?
- Bah c'est un challenge, quoi ! Heum…"
Je présente à Jehan l'équipement dans le camion.
"Ici, tu as l'écran d'ordinateur sur lequel apparaîtront les images des caméras de surveillance que nous placerons dans la maison. Sauf que là, on n'en a encore placé aucune, donc on a seulement accès à la vidéo de la caméra de surveillance qui est fixée au-dessus la porte entrée. On peut switcher *pense à tholdur*, euh je veux dire, on peut permuter entre la vision normale et la vision nocturne.
- OK.
- Tu vois cette carte, là ?"
Je pointe un autre écran sur la paroi opposée du camion, de tous les doigts de la main, reproduisant accidentellement le salut nazi.
" C'est le plan d'architecte de la maison. C'est une maison à 1 étage, avec 4 chambres, et 1 sous-sol. Le symbole ici, c'est l'emplacement du disjoncteur, au cas où on aurait à rebrancher le courant. Tu as compris ?
- Heil !
- Sur ce moniteur, tu as une évaluation de notre santé mentale…
- Hein ? Mais comment ça peut marcher, ce truc ?
- …sachant que le fantôme ne peut nous faire du mal que si notre santé mentale est basse, et que plus on reste dans le noir, plus notre santé mentale baisse.
Bon, sur ce moniteur-ci, tu as le volume du son dans la maison - pour l'instant, pas un seul bruit -, et sur celui-là, une mesure de l'activité surnaturelle dans la maison. Pour l'instant c'est calme. Le fantôme doit être en sommeil. Mais s'il commence à bouger des objets dans la maison, ça s'agitera un peu, et s'il essaie de nous tuer, ça s'agitera beaucoup.
- Euuuh, ok.
- D'après l'équipe de recherche, on devrait disposer de 5 minutes, à partir du moment où on aura passer la porte d'entrée, pour explorer la maison sans danger d'être attaqués comme intrus par le fantôme. Enfin, à condition de pas le provoquer directement, évidemment.
- Évidemment.
- S'il se montre timide et qu'on a besoin de le faire réagir, on peut essayer de l'appeler par son nom, mais uniquement en dernier recours. Le reste du temps, il ne faut pas l'appeler au risque de le provoquer.
Bon, je te montre l'équipement qu'on va emporter avec nous dans la maison.
Je vois que tu as pris la lampe-torche, c'est bien. C'est celle qui éclaire le mieux. Moi je prendrai la lampe à UV. Je prends aussi ça : c'est un détecteur de champ magnétique. S'il y a de l'activité fantomatique, je devrais pouvoir lire quelque chose. Ça, c'est un cahier, au cas où notre fantôme voudrait nous écrire quelque chose.
- Ça c'est quoi ?
- Ah ! Ça, c'est un détecteur d'ondes radio à modulation de fréquence. Ça balaie très rapidement toutes les ondes de la bande FM de haut en bas et retour. Si on pose des questions à notre fantôme, certains sont capables de nous répondre à travers ça. On appelle ça la "Spirit Box". Par contre, ça ne fonctionne que dans le noir, donc il faudra éteindre les lumières quand on l'utilisera.
Bon, sinon, l'équipe de reconnaissance nous a conseillé de venir avec un thermomètre électronique, mais j'avais plus assez de sous pour en acheter un.
Voilà, je crois qu'on a fait le tour. Tu as des questions, Jehan ?
- Oui, Madame. Pourquoi est-ce qu'on a une seule lampe-torche pour deux ?
- Euh, parce qu'on n'avait pas assez d'argent pour une deuxième.
- Donc, on a assez d'argent pour avoir un camion fourni avec tout ce matériel high-tech, des caméras de surveillance avec émission en direct, un détecteur d'activité surnaturelle en temps réel, un détecteur électro-magnétique… mais on n'a pas assez pour acheter une lampe-torche à la superette du coin et un pauvre bâton d'encens ?
- Euuuuh… Ben… C'est parce que c'est l'agence qui nous a fourni le camion et tout le matériel high-tech, mais pour l'équipement à prendre avec nous, ça devait venir de ma poche."
"Bon allez ! On a perdu assez de temps comme ça ! J'entre le code pour ouvrir le fond du camion et on entre dans cette fichue maison hantée ! Pour notre premier vrai contrat, Jehan ! Allez, l'agence a dit que c'était un contrat pour amateurs, donc ça devrait pas être trop dur… Heum… Bon, d'accord, on va mourir en cinq minutes…
-Mais non, Madame Lyzi. Je suis sûr que tout va bien se passer !"
Nous descendons du camion et approchons de la maison. La première, j'ouvre la porte d'entrée avec la clé que m'a fournie la première équipe, et j'entre à l'intérieur.
Je découvre avec soulagement qu'on peut allumer la lumière électrique de l'entrée sans aucune difficulté. Au moins, nous n'aurons pas à remettre les plombs.
Les meubles de l'entrée sont dispersés assez bizarrement, un peu comme si quelqu'un était sorti précipitamment en bousculant tout. Jehan ramasse une clé sur une petite desserte.
Nous apercevons un peu plus loin en face de nous l'escalier qui monte aux chambres. Sur notre droite, un petit salon et possiblement d'autres pièces. À notre gauche, un couloir étroit.
Nous commençons par le couloir du rez-de-chaussée, allumant les lumières au fur et à mesure de notre progression.
"Eh, Jehan. On va décider d'un truc. Quand tu passes une porte, soit tu l'ouvres complètement, soit tu la fermes complètement. Comme ça, si on retrouve une porte un peu entrouverte, ou un peu fermée, c'est que c'est le fantôme qui l'a bougée.
-Pas con !
-Et si toutes les portes claquent et se verrouillent d'un seul coup, c'est que le fantôme essaie de nous tuer.
-Cool..."
Jehan entre dans un petit local où il y a deux gros appareils ménagers, je pense un lave-linge et un sèche-linge.
"J'ai trouvé un bouton qui fait rien, Madame.
-Euh ouais… Je crois que c'est le chauffe-eau. Continuons."
Nous poursuivons dans la cuisine.
"Il y a des gros couteaux de cuisine par terre, Madame. C'est pas du tout inquiétant."
Je pousse une nouvelle porte, au fond de la cuisine.
"C'est le garage… Euh… Passe devant, Jehan, c'est toi qui as la meilleure lumière. Je suis… Je suis juste derrière toi.
-Bon, c'est bien le garage, voilà la voiture. Et l'interrupteur est là.
-Et voilà la disjoncteur. Mais il est déjà allumé, donc ça ne sert à rien d'y toucher.
-Richard ? Tu es là ?
-Chut ! Chut ! Chut !... Ah, je déteste quand la lumière vacille…
-Ah mince ! J'ai fait tomber le truc, là, la radio ! Je l'ai fait tomber dans l'armoire !
-La Spirit Box ? Attends… Voilà, j'ai ouvert, tu peux la reprendre.
-Euh, comment tu as fait ça ?
-Ben, j'ai utilisé… MA MAIN…
-Maaais…
-Je ne détecte aucun champ électro-magnétique. Je ne pense pas qu'on soit dans la pièce du fantôme. Cherchons dans d'autres pièces, il ne doit plus nous rester beaucoup de temps.
-Mais non, je suis sûr qu'il nous reste plein de temps."
Nous retournons dans le petit couloir entre l'entrée et la cuisine, et en face de la buanderie, nous entrons dans une petite salle de bain que nous n'avions pas visitée à l'aller.
"Euh, j'ai un robinet qui coule tout seul, là, Lyzi.
-T'es sûr ?
-Bah, je suis à peu près sûr que je peux pas ouvrir le robinet d'aussi loin, oui, j'étais encore sur le seuil de la porte quand il a commencé à couler !
-Attends, éteins la lumière, je passe l'évier et le miroir à la lampe à UV… Hmm… Non, pas de traces d'ectoplasme."
Nous repassons dans l'entrée et découvrons une petite porte à l'angle.
"Ah ! Attends Lyzi, j'ai vu une ombre bizarre sur le mur.
-Où ça ?
-Là, sur ce mur ! En haut à gauche. Tiens ta lampe à UV comme ça, là !
-Comme ça ?
-Oui, comme ça.
-Comme ça, dans ton dos, donc ? Bah, c'est ton ombre ça.
-Ah. Oui. Bon."
Il continue vers la petite porte et actionne la poignée.
"J'arrive pas à l'ouvrir.
-Tu peux pas essayer la clé que tu as trouvée tout à l'heure ?
-Ah, non, en fait, il fallait juste la pousser dans l'autre sens.
-Ok, descends l'escalier, je suis juste derrière toi.
-Alors... ça descend vers une cave je pense… J'ai trouvé un interrupteur, mais ça n'allume pas l'escalier… Je… AAAAAAAAAAH ! Ah, non, c'est toi.
-Bah oui, je t'ai dit que j'étais juste derrière toi… Et je pense que l'interrupteur en bas de l'escalier allume seulement la cave, je vois un liseré de lumière au-dessus de la porte."
Nous entrons et commençons à explorer la cave. Elle est deux fois plus grande que le garage, et bien fournie en outils.
"J'ai trouvé une scie", annonce Jehan. "Je pense que c'était important de le signaler.
-Il y a deux grandes armoires métalliques, ici. Au moins, si le fantôme nous attaque dans cette pièce, il y a de quoi se cacher.
-Monsieur Dawson ? Monsieur Dawson, vous êtes là ?
-Chut ! Chut ! Chut ! …
-Euh, attends… Quand tu dis que le fantôme peut réagir si on l'appelle par son nom… Tu veux dire que ce jeu a un système de reconnaissance vocale ?
-Bah oui !
-Ah, donc en fait, je nous mettais en danger depuis tout à l'heure, en fait ?
-Bah oui ! C'est pour ça que j'arrêtais pas de te dire "chut !" !
-Euh... Non en fait, j'appelais Monsieur Thompson ! Vous énervez pas Monsieur le fantôme !
-Ah, mais je suis une idiote ! On a affaire à un fantôme du type qui ne répond qu'à une personne seule ! L'équipe de reconnaissance nous l'avait mis sur le tableau blanc dans le camion ! On a toujours été ensemble, il risquait pas de réagir.
-Bah séparons-nous. Ça me parait une très bonne idée. Comme dans tous les films d'horreur, ça va sans doute très bien se passer…
-Jehan, t'es où ? T'es toujours dans la cave ? Moi je suis remontée.
-Ah, on se sépare vraiment, alors ? ...et je t'entends très mal, au fait.
-Bon attends, je retourne dans le camion vérifier des trucs.
-Ah, mais tu m'abandonnes carrément, en fait ?
-Non non, je veux juste vérifier des trucs…
-Euh, est-ce que tu peux parler dans le talkie, parce que là, je t'entends plus du tout.
-Eh merde ! Notre santé mentale !
-Allo ? Allo ? Parle dans le talkie, over !
-Rah, comment ça marche ce truc…
-Ben trouve !
-Ah, ça y est, j'ai trouvé comment allumer mon talkie.
-Et c'est moi le bleu…
-Jehan, notre santé mentale est vraiment très très basse, là ! Over !
-Ah bon, pourquoi ? Parce qu'on a peur dans le noir ? Over."
En retournant vers la maison, je vois l'ombre de Jehan passer dans l'entrée. Je m'élance à sa suite.
"Ah, ça y est, tu es sorti de la cave. Ah ! Bien ! Je vois que tu as allumé le petit salon à droite de l'entrée."
Soudain, je constate que la pièce attenante au petit salon est elle-même éteinte, et que la porte suivante est complètement fermée, ce qui pour moi est un signe que Jehan n'est pas allé par là.
"Euh... C'est bien toi qui as allumé la lumière dans le petit salon ? Jehan, tu es où ? Over.
-Je suis à l'étage, over.
-Ok, je te rejoins, over."
Je monte l'escalier, éclairée seulement de ma lampe à UV… dont le faisceau commence à vaciller. Fortement.
"Eh ! Lyzi ! J'ai trouvé un truc cool, là, over."
La lumière de ma lampe continue à vaciller fortement… ainsi que toutes les lumières de la pièce, un peu plus loin, d'où semble provenir la voix de Jehan.
Présumant qu'il s'agit d'un signe que le fantôme est sur le point d'attaquer, je fermai la bouche, m'imposant un silence absolu, afin de ne pas attirer son attention, et commençai doucement, très doucement, à redescendre l'escalier à reculons.
Une fois retournée dans l'entrée au rez-de-chaussée, je constatai avec horreur que la porte de la maison, que j'avais laissée ouverte, s'était totalement fermée. Je me précipitai sur la poignée pour constater que c'était verrouillé.
Je regardai de tous côtés. Pas une seule armoire, pas un seul meuble assez haut pour se cacher.
"Jehan. Je vais mourir."
Le fantôme commença à m'apparaître par flashs. Je me mis à courir vers la cuisine, mais je n'avais pas fait deux pas qu'il m'avait rattrapée. Ses mains spectrales se refermèrent sur ma gorge…
Puis, je me retrouvai moi-même un esprit dans l'au-delà. Au travers des brumes entre les deux mondes, je parvins à voir Jehan qui se penchait sur mon cadavre. J'entendais encore sa voix, mais lui ne m'entendait pas répondre.
Pour tenter de communiquer avec lui, je saisis une théière sur le comptoir, et lui fis décrire un cercle au bout de mon bras. Mais Jehan n'y prêta pas attention. Son regard portait ailleurs.
"Allez ! Viens, Richard Dawson ! Viens me tuer ! Allez, viens !"
À peine quelques secondes après, l'ombre cauchemardesque s'abattit sur lui. Avec horreur, je vis mon partenaire se faire disloquer par le fantôme. Puis, il s'écroula mort à son tour.
…"eh dis donc, on a gagné 10$ pour avoir eu notre santé mentale en-dessous des 50% ! C'est pas si mal !"