[Dragon d'Or] Le Dieu Perdu
#31
Oliver Johnson est cette fois crédité en tant que second auteur aux côtés de Dave Morris et ceci explique sans doute l'excellente qualité d'écriture qui saute aux yeux dès les premières lignes. C'est l'un des atouts majeurs du Dieu Perdu : le style est très bon pour un LDVELH. Des descriptions soignées mais qui ne pèchent jamais par excès de longueur ou par ostentation, des paragraphes denses mais rythmés comme il faut de manière à ce que le lecteur ne décroche jamais, un vocabulaire adapté au contexte pseudo-aztèque et enfin, chose rare, un héros dont les sentiments de peur, de chagrin, d'amusement, de joie ou d'excitation sont décrits. La compagnie de Ouisti est à cet égard un élément remarquable de l'aventure, tout comme la personnalité du méchant Domontor.

L'atmosphère générale est également une réussite, particulièrement immersive et propre à nous tenir en haleine sans le moindre temps mort. Le début dans la jungle peut être très bref ou prolongé selon les choix effectués. Puis c'est la plongée dans le labyrinthe souterrain avec une multitude de pièges vicieux, de monstres fantasmagoriques et de détails recherchés sur la civilisation antique qui vénérait le dieu Katak. Les rencontres sont à la fois cruelles, mortelles, surprenantes et pourtant cohérentes. Ces Anciens semblaient maîtriser une magie puissante et maléfique qui leur a permis de poster des gardiens millénaires aussi bien minéraux que morts-vivants encore plus étranges comme l'inoubliable oeil sur pattes. Ce sentiment d'évoluer dans une mission à la fois fantastique et réaliste est accru par des épisodes très intelligents tels que le poison affaibli par l'usure des siècles écoulés ou les témoignages du passage récent de Domontor et de ses gardes : cadavres de gardiens antiques ou de ses propres serviteurs tombés au combat ou dans un piège. Ce dernier point souligne d'ailleurs la qualité du scénario.

Il ne s'agit pas en effet d'une simple exploration souterraines genre Portes-Monstres-Trésors. Le héros a un passé et une réelle motivation pour atteindre son but, autre que la seule recherche de gloire ou de fortune. Le postulat de départ est certes manichéen : nous faisions autrefois équipe avec le sorcier Domontor qui nous a trahi. Cela fait des années que nous rêvons de nous venger. L'occasion nous en est donnée en découvrant que ledit vilain s'est lancé dans la quête d'une statue antique du dieu Katak et nous nous glissons dans la pyramide environ une heure après lui et ses sbires afin de le devancer pour lui prendra la statue sous le nez. C'est ce côté course au trésor, jeu mortel comme l'indique la 4ème de couverture, qui fait le charme piquant de ce LDVELH. Domontor est un méchant fourbe et malin qui sait que nous le suivons de peu. Aussi va-t-il laisser des pièges de son cru à notre intention, des gardes stratégiquement placés pour nous ralentir ou nous occire. On va également le rencontrer une première fois dans un passage mémorable avant la confrontation finale, comme ces vieux James Bond où l'on se fait narguer par le boss avant d'en découdre avec son bras droit. Cette passe d'armes à distance apporte une dimension vraiment prenante à l'aventure.

Dernier point qui m'a impressionné dans la qualité de cet ouvrage, sa construction. L'ensemble n'est pas linéaire mais offre plusieurs chemins et des choix tactiques assez cornéliens selon les objets que l'on a trouvés. L'astuce est que l'un de ces chemins est vraiment meilleur que les autres mais il n'est pas évident à trouver. Quant aux autres, il laissent des chances de réussite mais bien plus faibles car nous exposant à des combats très périlleux. C'est l'avantage du système Dragon d'Or : les auteurs peuvent équilibrer de manière très précise leurs pièges pénalisants ou leurs combats puisque le héros a des caractéristiques de combat figées, au contraire des Défis Fantastiques dont la difficulté varie énormément selon le score d'Habileté que l'on a tiré. Ici, le bon chemin permet de diminuer grandement les pertes d'Endurance et permet même aux mauvaises caractéristiques de départ de survivre longtemps. Donc un challenge très intéressant avec une envie constante d'explorer dans tous ses détails cette pyramide ô combien dangereuse.

Ce qui m'amène à parler du gros point noir du Dieu Perdu : sa difficulté abusée. Il est en effet particulièrement difficile de le terminer à la loyale, même avec de l'acharnement.
La persévérance permettra de trouver le chemin optimal dont évoqué plus haut. Idem pour les nombreux PFA et pièges vicieux ; une fois qu'on s'est fait avoir, on sait comment les éviter. Surtout qu'une bonne intuition et une dose de logique permettent d'échapper à la plupart. Des combats sont particulièrement ardus mais il existe presque toujours un moyen d'y échapper.
Non, si ce LDVELH est d'une difficulté injuste, c'est en raison de la séquence finale.

Auparavant, tout roulait à peu près même si on pouvait regretter le combat obligatoire contre le Gardien de Cauchemar au garrot qui s'apparente à un MAT.
Mais à l'approche de notre but, on doit subir une épreuve bien connue des lecteurs assidus de livres-jeux à dés : le double maléfique. Je déteste ça. 1 chance sur 2 de mourir et ce quelles que soient nos caracs de départ, nos objets récoltés ou nos choix tactiques (c'est à dire aucun).
Admettons que l'on gagne, il ne nous reste en toute probabilité que peu de points d'Endurance... Mais voilà, nous allons ensuite dans le combat final en perdre au moins 15 de plus à moins de réussir un test d'Habileté à trois dés qui, dans le meilleur des cas (à savoir avoir trouvé deux objets bien précis), aura également une chance sur deux d'être réussi.
Après avoir accompli tant de tentatives pour en arriver là, c'est vraiment dégoûtant et dommage alors que le reste était une pépite d'équilibre.

Mais cet écueil ne ternit quand même pas trop ce deuxième Dragon d'Or qui fait à mon sens partie de la liste des LDVELH à ne pas rater.

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#32
Le prestigieux ordre des chevaliers de Palados, dont le héros de ce LDVH est le plus célèbre membre, suit clairement un code de comportement des plus rigoureux.


Article 1 : Le fric, tout le fric, rien que le fric

Comme tous les ordres de chevalerie, les chevaliers de Palados placent l'honneur avant toute autre chose. Mais contrairement à la concurrence, ils ont l'intelligence de ne pas se casser la binette à définir de manière complexe un concept subjectif. Celui qui a le plus d'honneur, c'est celui qui a le plus de thune, un point c'est tout.

La vie des chevaliers de Palados se trouve merveilleusement simplifié par la grâce de ce sage article. Vous avez des scrupules à tuer des gens, piller des temples et profaner des sépultures ? Ignorez-les courageusement, l'honneur l'exige !

La fidélité à cet article n'est pas du tout aussi facile que les petits esprits pourraient le croire. Ainsi, à la fin de cette aventure :

Notre héros est confronté à une difficulté inattendue lorsqu'il réalise que la statue qu'il voulait escamoter pèse dans les deux tonnes. Mais on ne devient pas Chevalier Dragon juste en ayant des gros muscles ! Avec une présence d'esprit époustouflante, notre héros déclare au dieu de ce temple oublié qu'il a tout à coup décidé de le respecter et de lui laisser sa statue. Et le dieu, dont le cerveau a visiblement été quelque peu rouillé par les siècles qu'il a passé sans adorateurs, récompense notre héros d'avoir renoncé à quelque chose qu'il ne pouvait pas emporter en le téléportant à la surface avec une douzaine de coffres remplis de trésors.



Article 2 : L'imagination, c'est pour les bardes

Toute votre intelligence et votre astuce étant consacrées au respect du premier article de ce code, vous devez résister à la tentation de consacrer la moindre fraction de votre matière grise à des choses qui ne sont pas essentielles.

Un ouistiti décide de vous accompagner ? Baptisez-le Ouisti.

Vous explorez un temple ancien, vestige d'une civilisation disparue ? Il n'y a que l'or qui compte.

L'homme qui vous accompagne dans une expédition pour découvrir un trésor s'appelle Domontor le Dément et il a une tête de fou dangereux ? Faut pas juger les gens sur les apparences.



Article 3 : Les animaux sont vos amis

Il faut les aimer aussi. Peut-être pas de façon charnelle, mais au fond peut-être que si : vu la rapidité avec laquelle notre héros développe des sentiments pour son compagnon simiesque, l'intervention de Domontor épargne peut-être au lecteur une scène zoophile en conclusion de l'aventure.

Quoi qu'il en soit, il faut être gentil avec les animaux si vous ne voulez pas qu'il vous arrive des bricoles.

(Les esprits chagrins feront observer qu'on ne sauve le singe qu'en tuant un serpent, qui est un animal aussi. A cela, je réponds qu'il faut tout de même savoir faire preuve de solidarité de classe biologique et que les mammifères passent avant les reptiles.)

Bref, si vous êtes un chevalier de Palador et que vous voyez des brigands enlever une princesse qui se promenait en forêt sur sa jument, ayez le sens des priorités : sauvez la jument !

Un petit test pour voir si vous suivez : alors que vous vous frayez un chemin en pleine jungle, vous tombez sur une cage où a été enfermée une belle indigène. Est-ce que vous la sauvez ou est-ce que vous la laissez en pâture aux innombrables bestioles locales ?

La bonne réponse est que vous la sauvez. Pas parce que son illustration est l'une des plus sexy de tous les LDVH. Mais parce qu'elle peut se transformer en jaguar et que le présent article s'applique donc à elle.



Article 4 : N'oubliez jamais vos dés pipés

A l'impossible, nul n'est tenu. Lorsque le passage final de l'aventure vous confronte à votre double qui est exactement aussi fort que vous, puis que vous devez à deux reprises (sauf si vous possédez un anneau magique, qui vous protègera la deuxième fois) obtenir avec trois dés un score égal ou inférieur à votre Habileté (qui est au maximum de 10 si vous avez trouvé des sandales magiques) ou vous manger 15 points de dommage, puis que vous avez encore un combat après ça, il devient clair que l'auteur essaie de vous faire passer un message.

Pour être plus précis, il essaie de vous dire qu'un vrai chevalier de Palados ne doit pas avoir de scrupule à tricher comme un porc sur ses jets de dés lorsque c'est pour la bonne cause (définie à l'article 1 ci-dessus).
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#33
La série Dragon d'Or est généralement très mal équilibrée niveau jouabilité, avec des pertes d'Endurance trop importantes dues aux combats.
Visiblement les auteurs n'ont pas géré et testé ces fameux combats. J'aime bien le concept, pourtant, d'introduire du narratif et d'avoir des combats personnalisés à chaque fois. Après, il y a toujours dans le Dieu Perdu ou certains autres, un côté OTP plus ou moins assumé. En effet, vu l'importance capitale de l'Endurance, rater l'unique endroit où l'on peut en récupérer au fond d'un donjon est une condamnation à retardement.
Le coup du double maléfique est vu et archi revu. Mais bon, c'était les 80's, les débuts du boom du JDR old school, tout ça...
Joe Dever l'a fait aussi, comme tant d'autres, même deux fois en comptant Astre d'Or. Dans les jeux vidéos, c'est souvent plus simple : ainsi dans Baldur's Gate 2 si l'on connaît déjà le jeu, on peut avoir l'excellente idée de désarmer ses propres héros avant qu'ils soient clonés. Il n'y a alors qu'à dégainer les armes face aux clones inintelligents et sans défense, et c'est parti...
Pour moi, Dragon d'Or s'adresse à un public un peu plus jeune que pour les DFs : moins de §, davantage d'illustrations, moins de règles, et un côté un peu caricatural dans certains tomes.
Donc oui, caricatural, pas vraisemblable, plutôt orienté pour les gamins quoi... Après tout dans le Dragon d'Or 3 on croisait bien un chevalier coincé dans son armure rouillée censé être attablé dans une auberge depuis des mois. Personne ne se demandait comment il allait aux wc : invraisemblance donc, mais on peut pardonner ces errements de jeunesse pour une littérature plutôt cataloguée pour la jeunesse, justement.

Pour revenir au Dieu Perdu, c'est mon Dragon d'Or préféré (avec l'Oeil du Dragon qui est vraiment à part dans la saga). Nous avons un méchant assez mémorable, et le PNJ Whisky (ah non Ouisti, c'est vrai que c'est pour un public jeune). J'étais très attaché à Whisky, hic ! Un excellent PNJ. Pas aussi bavard que Roberto Galloti la Mangouste qu'on croise dans un DF de Keith Martin, mais bien sympa quand même. De toute façon j'aime les animaux, et j'adore particulièrement les éléphants, même si ils ne sont pas roses.
Niveau ambiance, il est pas mal du tout, avec un côté sud-américain qui nous change des sempiternels donjons médiévaux. Le côté jungle à l'extérieur m'avait bien plus, bien servi par les illustrations déformées, donnant un petit côté poisseux à l'ensemble. Je n'aimais pas ces illustrations à l'époque, mais je reconnais maintenant qu'elles donnaient une saveur particulière et originale. On lorgne nettement plus du côté d'Indiana Jones dans cet opus.

Au final, je me souviens avoir bien aimé tracer le plan qui permettra de voir les différents pièges et chemins possibles, qui, sans aller jusqu'au pur OTP, a clairement des chemins nettement plus optimisés que d'autres.
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#34
Outremer, cela faisait longtemps que je n'avais pas lu un post aussi drôle.
J'ai pris pour habitude de me protéger les neurones en ne cherchant plus la moindre once de cohérence dans les ldvelh de ce genre, mais ton analyse très cartésienne m'a montré qu'il y avait clairement une volonté derrière tout cela. Je dormirai mieux.
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#35
Voilà une critique qui m'a bien fait rire, merci. Smile
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#36
Hihi, j'adore ce genre d'analyse.^^

Relire certains livres inspire. Quand j'avais lu le tome 25 de Loup Solitaire, j'avais eu envie d'écrire une AVH parodique dans laquelle Rimoah nous envoyait en mission avec la Nef du Ciel, dans laquelle on avait un compagnon qui mourait, dans laquelle il n'y avait aucune femme, dans laquelle on combattait un serviteur de Naar et à la fin de laquelle on était acclamé en héros. Mais ça ressemblait trop à un vrai LS.
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#37
La partie jungle est plus riche (ajout d'un second temple), et les éléments de jeu pour la dernière partie de la pyramide ont été rééquilibrés.

Plastiquement, les illustrations colorisées ont un très bel aspect (d'habitude je préfère le noir et blanc, mais là y a pas photo).
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#38
Et la couverture est classe.

[Image: dieuperdu.jpg]
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