Immersion : incarnation ou empathie ?
#1
Les LDVELH se distinguent des romans classiques notamment par leur type d'énonciation (qui découle bien sûr de leur interactivité) : elle se fait le plus souvent à la deuxième personne, quand, dans les autres genres, on utilise la première ou la troisième personne.
L'utilisation de la première ou de la troisième personne autorise le lecteur de ne pas fusionner avec le personnage principal : il peut en revanche faire preuve d'empathie, et l'immersion est assurée quel que soit le caractère du personnage, même très éloigné de celui du lecteur.
En littéraction, la deuxième personne peut repousser le lecteur s'il ne se reconnaît pas dans les choix du personnage : c'est pourquoi les choix doivent être variés (pour satisfaire n'importe quelle attente) et les personnages plutôt génériques et transparents. Sinon, le caractère du personnage peut repousser le lecteur s'il ne se reconnaît pas dans le personnage, et là, le "Vous", qui est censé favoriser l'immersion, sera contre-productif. SAUF si le lecteur lit vraiment pour le fun, sans prendre l'histoire trop à coeur.

Ma thèse est la suivante : l'avenir de LDVELH plus élaborés, plus sombres, plus adultes, avec des personnages au caractère plus tranché, se trouve peut-être dans un autre type d'énonciation que la deuxième personne.

On a vu que la série Gloire Posthume de Fitz fonctionnait très bien, car l'histoire est tragique et le lecteur peut déployer toute son empathie puisque la narration se fait à la première personne (personnellement, j'ai eu l'impression que Johan me racontait son histoire, et que je lui donnais un coup de pouce dans ses choix).
Au contraire, l'AVH 1930 a pu poser des problèmes aux lecteurs : certains ont eu du mal à s'identifier au héros, et la seule manière de s'immerger dans l'aventure efficacement est de la prendre comme un jeu, pas trop au sérieux : autant on peut lire le récit d'un gangster qui raconte sa vie, autant l'incarner comme si on était vraiment à sa place, ça pose des difficultés morales (et la manière de les contourner, c'est de considérer ça comme un jeu).
Aussi, pour les AVH tragiques ou qui se veulent sérieuses ou assez dures, je me demande si le Vous ne devrait pas être remplacé par un Je ou un Il.

A vrai dire, en ce moment, je suis en train de transformer Chienlit sur chienlit en nouvelle linéaire : je passe de la deuxième à la première personne, j'utilise le passé simple. Et en relisant ce que j'ai réécrit (seulement le tout début), je trouve que l'ambiance change radicalement. A priori, cela va renforcer l'aspect mystérieux/sombre et donner à l'humour un aspect plus noir.
Donc la narration dans les LDVELH a peut-être des effets sous-estimés et l'utilisation systématique du Vous est peut-être à revoir (il me semble que j'avais déjà émis l'idée d'utiliser le Je pour 1930, et après ces réflexions, je comprends mieux pourquoi m'était venue cette idée).

Qu'en pensez-vous ?
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#2
Sans dire que l'abandon de la deuxième personne est "l'avenir des AVH", je pense qu'en effet on peut se poser la question de quelle personne employée, et qu'en fait tout dépend de la spécifité de l'AVH et de l'effet que l'auteur veut faire passer.

Dans mes projets d'AVH, j'ai KGB où je suis passé à la deuxième personne "du pluriel" de politesse. (Bizarrement, dans le jeu vidéo, tout le monde se tutoie, à part le jeu qui vouvoie le joueur... je n'ai pas trouvé ça très réaliste, surtout que contrairement à l'anglais, le russe fait la différence entre le tu et le vous).
J'ai un projet d'AVH pendant la Guerre de Cent Ans que j'hésitais à mettre en 3e ou 2e personne, vu qu'on peut suivre un personnage différent selon le choix de début d'aventure.
Pour mon projet d'AVH Cyberpunk, je pensais à un style narratif très "familier", comme si le héros racontait ses aventures dans un bar, avec la 1e personne du singulier. Ça correspond plus aux nouvelles cyberpunk que je lisais dans les manuels de Shadowrun.
J'ai commencé sur le côté une petite AVH d'humour, où la narration est assez particulière (la narratice -enfin le narrateur n'est pas genré, mais dans ma tête, c'est une narratrice- a l'air d'être attardée ou d'avoir 12 ans), mais j'utilise quand même la deuxième personne ("tu") pour le personnage principal. Mais ça va vite devenir bizarre sachant que le joueur va finir par contrôler plusieurs persos en même temps...

Donc comme tu vois, c'est une question que je me suis moi-même posée.
Mr. Shadow

Doux mon cœur, fermes mes intentions. -mantra Psi
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#3
Je comprends tout à fait ton point de vue Alendir, mais pour ma part je pense que l'immersion dépend vraiment de l'état d'esprit dans lequel tu lis un bouquin. J'ai lu des polars écrits avec "il", j'ai lu des polars écrits avec "Je", j'ai apprécié les deux. Je ne vois pas comment l'utilisation du "il" ou du "je" pour un LDVELH, pourrait "renforcer" l'immersion, changer la perception de ce qu'il est donné à vivre : peut être, mais la renforcer, je ne suis pas sûr !
Lorsque on me dit :
Vous ouvrez la porte et ce que vous voyez à l'intérieur dépasse l'entendement,
je sens comme une espèce de voix off qui parle dans ma tête et me décrit ce que mon perso (donc moi) voit.
si on me dit:
tu ouvres la porte et ce que tu vois à l'intérieur dépasse l'entendement/i],
je sens comme une sorte de familiarité (normal, utilisation de tu familier) qui du coup me semble être une voix off, mais genre un pote qui me décrit la scène, plus vraiment une voix off narrative, du coup j'y perd en immersion.
Enfin si je lis :
[i]J'ouvre la porte et ce que je vois à l'intérieur dépasse l'entendement
,
ici pour le coup, je ne suis plus acteur mais véritablement spectateur, en lisant cela j'ai l'impression non seulement que je suis (du verbe suivre) quelqu'un mais que j'ai un temps de retard sur ce qui m'est raconté, du coup j'y perd en immersion et en réaction.
J'ai essayé d'inclure dans les titres de chaque jour de mon avh "1930", le "Je" dont tu parles (ex : Vendredi X Octobre, le jour où je dois faire mes preuves), ça donne un petit côté, "tiens le perso me parle juste histoire de me raconter les chapitres importants de son aventure, mais après c'est moi, lecteur, qui reprend les rennes de sa vie".
J'en avais d'ailleurs parlé avec toi en privé pour un de tes projets, mais là pour le coup cela passait bien car c'était l'optique de base et il fallait adhérer d'emblée...
Après personnellement, le "vous" restera le plus immersif surtout si le background du perso est riche, désolé d'aller contre ton avis du tout au tout, mais c'est vraiment une sensibilité propre à chacun !
Voilà tu sais tout mon pote, je laisse la place au suivant ! Wink
lorsque chantent les cigales, sois sûr d'avoir des glaçons au congel... Proverbe provençal amateur de pastaga
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#4
L'utilisation de la première personne, ça peut être une bonne idée.
Ça permet au lecteur de s'identifier ou non, au héros, un peu paradoxalement.
Tandis que le VOUS, toujours écrit en lettres capitales sur la 4e de couverture, est assez agressif et ne laisse pas d'alternative.
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#5
(06/07/2011, 15:19)sunkmanitu a écrit : Enfin si je lis :
J'ouvre la porte et ce que je vois à l'intérieur dépasse l'entendement,
ici pour le coup, je ne suis plus acteur mais véritablement spectateur, en lisant cela j'ai l'impression non seulement que je suis (du verbe suivre) quelqu'un mais que j'ai un temps de retard sur ce qui m'est raconté, du coup j'y perd en immersion et en réaction.
Si tu vois le Je comme un moyen d'empathie, ça ne pose pas trop de problèmes je pense.
Si tu vois le Je comme une incarnation, tu as raison, c'est pourquoi il vaut mieux utiliser le passé dans le cas d'une narration au Je, sinon ça fait bizarre. Quoique ça puisse aussi créer une effet stylistique : le lecteur est emporté par les évènements (mais ensuite, éventuel décalage quand il faut faire un choix).

Après, je n'ai pas dit que le Vous était à jeter pour toutes les AVH, notamment les AVH légères ou axées sur le ludique ou qui offrent beaucoup de liberté au lecteur. Mais pour les AVH tragiques ou qui ont des personnages au fort caractère, il me semble que c'est préférable (avec, je pense, l'utilisation du passé, sinon on rencontre le problème que tu cites justement).

Je plussoie par ailleurs Hubert : le Je donne le choix entre l'incarnation et l'empathie (contrairement au Il, qui met une vraie distance, et dont l'utilisation est plus restreinte : récit épique ou héros ultra-bizarroïde).

Le but de ce topic n'est pas d'abandonner totalement le Vous bien sûr, mais de rappeler aux auteurs qu'il existe des alternatives qui peuvent être intéressantes à exploiter. Je pense que la littéraction est un genre encore jeune (allez, on va dire 30 ans : ce n'est rien face à la poésie ou aux récits d'aventures, qui ont des milliers d'années !), doté d'un certain potentiel, et il nous appartient de le développer.
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#6
alendir a écrit :il nous appartient de le développer.
Là je te reconnais bien Alendir !
D'accord avec toi pour utiliser le passé si emploi du "je", beaucoup plus immersif (paradoxalement avec le temps lointain, par rapport au présent).

alendir a écrit :contrairement au Il, qui met une vraie distance, et dont l'utilisation est plus restreinte : récit épique ou héros ultra-bizarroïde).
clairement, j'aurais l'impression de jouer Alain Delon ! Quoique, le clan des siciliens ou le samouraï en avh, ça doit péter quand même ?!


alendir a écrit :Le but de ce topic n'est pas d'abandonner totalement le Vous bien sûr, mais de rappeler aux auteurs qu'il existe des alternatives qui peuvent être intéressantes à exploiter. Je pense que la littéraction est un genre encore jeune (allez, on va dire 30 ans : ce n'est rien face à la poésie ou aux récits d'aventures, qui ont des milliers d'années !), doté d'un certain potentiel, et il nous appartient de le développer.
Tu as entièrement raison, il faudra que les auteurs "formatés" (anciens lecteurs ayant de vieux réflexes de copie, donc moi par exemple !) réinventent leur propre style... Je ne sais pas si 1930 verra le jour sous cet angle dans une version corrigée, après tout, ce serait peut être une idée sympa... Un putain de défi ! Twisted
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#7
Ben tu vois à force de réfléchir à ton histoire du Je et du pas Je, je vais peut être tenter le deuxième volet de la trilogie Shamaan en utilisant le "JE" comme pronom pour le héros !
Je vais me l'essayer sur quelques paragraphes et je te ferais lire ces "rushes", j'aurais ainsi un deuxième avis extérieur pour comparer avec le "Vous". Tu auras donc les § version "JE" et "VOUS" à comparer...
Tu vas avoir un peu de taff !! Wink
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#8
Ok Cool

HS : C'est ton gosse qui t'a réveillé à 5h du mat ? Tongue
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#9
Non je commence le taff à 6h, horaires d'été. C'est bien j'ai fini de taffer à 1h hier soir (enfin ce matin quoi !).
dormez, travaillez, avh-ez !! tout un programme !

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#10
Suite à une discussion avec Sunkmanitu, j'ajouterais que de mon point de vue, le Vous et le Présent favorisent l'incarnation, et le Je et le Passé favorisent l'empathie.
Il me paraît risqué de faire un mélange entre les deux types, dont les effets peuvent produire des résultats étranges.
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#11
Pour relancer cette discussion et pour rebondir sur ce que j'ai écris, que pensez-vous, à votre tour, de l'utilisation du "TU" dans une avh ? Il se pourrait que l'une des mes prochaines avh utilise ce pronom, histoire de casser à la fois les habitudes et histoire de trancher avec ce qui a déjà été fait (mon avh traitera de zombie...). J'aimerais employer un ton amical car il s'agit de fin du monde tout de même, donc l'auteur et le lecteur-joueur seraient en gros dans la même merde...

J'ai fait plusieurs essais mais cela me paraît bizarre comme je le disais plus avant dans les post, j'ai l'impression qu'un pote me raconte l'histoire tout en étant derrière moi, genre voix off, du coup je ne m'y retrouve pas en immersion et encore moins en crédibilité. Pensez-vous que ce pauvre pronom peut avoir un avenir dans le monde des avh ?! Wink
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#12
Ben j'avoue que j'avais commencé une AVH parodique (à partir d'une série que j'aime bien mais qui a un côté assez "simple" dans son côté rapport entre le Bien et le Mal), où le narrateur (d'ailleurs dans ma tête, c'est une narratrice) appelle le joueur "tu".
Le tout avec un langage très enfantin, y compris dans l'explication des règles.
Du genre "tu as des super pouvoirs et c'est trop super !"...
Bon ça fait un moment que j'ai délaissé ce truc sans l'avancer. Et je m'en doutais un peu, c'est pour ça j'ai jamais donné d'avancement officiel sur le fil qu'il faut... Je ne savais pas si c'était un sujet qui "prendrait".
Là, c'est pareil, j'ai passé deux nuits entière à écrire sur une AVH. Ya 78§ pour le moment, mais où je sais pas si ça ira jusqu'à son terme, donc je ne dis rien dessus.

Pour en revenir au "tu"... Je crois que c'est pas mal pour "faire entrer" le joueur dans une ambiance. Autant le "vous" est adapté à un personnage un peu neutre ou en tout cas libre d'interprétation, que le joueur pourra incarner... autant le "tu" permet de situer un cadre et une ambiance en prenant le joueur comme "complice", même si candide (donc il faut lui expliquer, etc...). Mais ainsi lui donner envie d'incarner ce rôle, d'entrer dans le rôle du personnage parce qu'il comprend que c'est un rôle, justement, et qu'il peut s'amuser à jouer la comédie et jouer le rôle du méchant / du héros blasé / du survivant dans la grosse mouise / de la super héroïne complètement ridic...
J'avais parlé d'une envie d'AVH Cyberpunk, y a pas longtemps (ART s'en souviendra). Dans mes idées, il y en avait une où ce serait le personnage qui s'adresse au joueur en lui disant "tu". C'est pourtant toujours le joueur qui décide des choix du "héros", mais il y a une distanciation du personnage (qui est une entité différente, donc, puisqu'elle s'adresse au joueur), mais pour autant une certaine complicité (le joueur est un petit peu la petite voix dans la tête du héros...)
Des choses à creuser.

Pour l'instant, pour KGB comme le truc qui m'a déjà pris deux nuits, j'en suis encore au "vous" traditionnel...
Mr. Shadow

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#13
Le "tu" dans les LDVELH a une connotation historiquement infantile. Il était réservé aux bouquins encore plus "jeunesse" que les vieux Gallimard.

Mais dans une aventure moderne, avec beaucoup de dialogues ancrés dans notre époque, des situations familières et un langage courant entre les protagonistes, pourquoi pas?
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#14
Je crois qu'un des modèles possibles, c'est la version française du jeu de rôle "Deadlands : le western spaghetti avec suppléments de tentacules", où toutes les règles étaient expliquées par une sorte de narrateur loufoque du Far West (enfin Weird West, ici), qui parlait en argot et utilisait, si je me souviens bien, le tutoiement.
Mr. Shadow

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#15
J'ai essayé de rédiger une intro et quelques paragraphes en employant "tu". Je me retrouve avec un ton à la Quête du Graal, le "vous" en moins, mais la proximité et la familiarité sont là. Par contre presque obligé d'employer des mots d'argot ou tout au moins familiers pour renforcer l'immersion et l'assimilation avec le narrateur.
Du coup je suis en plein doute car je voulais un ton familier et pour le coup je suis flanqué d'une sorte de narrateur qui te raconte un film genre Joe pesci dans les Scorcese (un peu comme l'intro de 1930, d'ailleurs, quand j'y pense...)
À voir si au long cours, cela ne sera pas trop "anti-immersion" pour l'avh...
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